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A côté des grands sommets

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R. Bolliger, Genève

Durant des jours le mauvais temps a sévi, la température a fraîchit en plein cœur de l' été, puis voici enfin le beau temps revenu; mais voilà les hauts sommets plâtrés de neige.

On parle toujours de l' endurance, de l' entraî de l' alpiniste, mais parfois le grimpeur moyen vient à en manquer.

Ou alors on n' a que peu de temps à consacrer à la montagne, ne serait-ce qu' une journée.

C' est dans ces situations qu' on se souvient que, à côté des grands sommets, il en existe de plus petits, qui ne sont pas moins beaux, pas moins intéressants ou difficiles. A ce sujet, je me souviens d' avoir côtoyé, autrefois, des estivants d' un petit village de montagne qui prétendaient que le petit sommet, celui-là à côté du grand, eh bien il paraît qu' il est bien plus difficile à gravir que le grand...

Oh! je ne vais pas vous entretenir d' un sommet caché au fond d' un vallon ignoré, il ne va s' agir que d' une classique, peut-être moins connue au-delà de la Romandie.

Mon ami Bruno me propose d' aller gravir l' Eperon est de la Brioche ( 2780 m ) dans les Aiguilles de Chamonix. Un coup d' œil au topo et me voilà dans un abîme de craintes irraisonnées: arriverai-je à gravir ces fissures, ces dalles? Ne vais-je pas rester immobilisé dans quelque anfractuosité rébarbative? Comme je voudrais déjà me dresser sur le sommet dans cette explosion de joie de la difficulté vaincue.

Par un matin merveilleux malgré un météo peu optimiste et un orage la veille, nous partons pour Chamonix.

Tiens, un ou deux petits nuages!

Arrivés au Montenvers, nous constatons que les deux petits nuages ont reçu du renfort. En route 1 Très belle escalade ll.sup ., de Ho mètres de hauteur ( cf. Guide Vallot, Les Aiguilles de Chamonix ).

par un sentier agréable, puis se perdant dans des pâturages raides, au-dessus de la Mer de Glace, où paissent quelques moutons, image réconfortante. Mais voilà tout près maintenant le fil de l' épe qui s' élève au-dessus du pierrier. Qu' il me semble raide! Sur le petit névé nous nous encordons.

- C' est du « quatre sup .» me dit Bruno.

- C' est vrai que ça paraît difficile.

Le temps se gâte un peu, j' ai froid à attendre la montée du premier et puis vivement l' action plutôt que l' attente. Un appel bref, c' est mon tour: quelques feuillets assez faciles, puis tout à coup la double fissure se redresse, surplombe. Ah! ce pied que je n' arrive pas à coincer suffisamment sur le rebord de la fissure! Je dérape sur ce granite qui me paraît bien lisse, je n' ai déjà plus de force dans les bras. Je redescends. Que dirai-je ce soir? Que j' ai gravi la Brioche ou que, comme un pleutre, j' ai renoncé? Plaisir de la course réalisée ou dégoût de celle qu' on a manquée? Deuxième essai, je force le surplomb, ouf! je l' ai passé! C' est alors que je m' aperçois que j' ai oublié de récupérer la première sangle, d' une belle couleur mauve et qui pend tristement un peu plus bas. Pas l' habi du matériel moderne!

Relais. Au-dessous, le rocher est lisse, sans défaut: au-dessus, une construction verticale de formes géométriques. Une fissure, rayant une haute dalle inclinée. Je passe plus aisément, me voilà tout à coup plus confiant. Différents mouvements s' enchaînent, surplombs aux prises rares, une enjambée immense.

- C' est un peu « technique », m' avoue Bruno. Ballet aérien. Un râteau de chèvre pénible, ce soulier coincé dans la fissure et que je ne peux retirer qu' à grand-peine. Je commence à trouver l' es un peu longue, j' en fais part discrètement à mon ami en lui demandant si nous allons bientôt toucher au but. Déception, il paraît que nous n' en sommes qu' à la moitié! Le ciel s' est complètement couvert, de temps à autre un flocon de neige virevolte, léger, impertinent, le long de la paroi qui a maintenant perdu de sa verticalité.

Un couloir facile surmonté de minces cannelures et d' un méchant petit dièdre.

-Je placerai un étrier pour la traversée, me dit Bruno. Appréhension de la difficulté. Balance-ment de l' étrier. Pincement des cannelures. Je ne sens plus la fatigue. Là-haut, l' Aiguille de la République se perd dans de sombres nuées. Une série de dalles inclinées et de courts murs verticaux nous amènent assez vite sur une petite arrête aérienne, puis enfin au sommet, un bloc à la forme curieuse, comme pose là en équilibre. Il se met à neiger.

Je sens maintenant que mes jambes sont vacillantes, mais je suis heureux.

Le temps est devenu mauvais, de lourds nuages gris remontent la vallée. Plus bas, il pleut.

J' ai de la peine à me soustraire à la magie du sommet et, ne serait-ce le mauvais temps, j' y resterais encore un peu, pour rêver...

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