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A la poursuite du soleil

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Jean Sesiano, Genèse

Genève, la veille de Noi: il neige, il pleut, il fait gris et le ciel touche terre, comme du reste depuis le début du mois. Départ pour le sud aux premières heures de la nuit. Les kilomètres tombent au compteur, ponctués de temps à autre par la lumière violente d' une station où ce sont alors nos sous qui tombent dans une caisse.

Le ciel s' arrange un peu, des étoiles apparaissent. La ruée vers les marchands de neige et les vendeurs de soleil a débuté, le trafic est intense.

92 Hoggar: dalles sommitales du Tezoulaigsud 93 Sahouinan, vue du sud 94 Descente de l' Adaouda 95Tezoulaigs, vus de la Sahouinan et plus rapide ensuite, coriace parfois dans ce carton d' après; plaisir enfin de retrouver le bivouac, les tentes, le bouillon, la bière, le jus d' orange, la détente. Contentement.

Ce microcosme en altitude, dans l' isolement et dans le froid, révélait crûment la force des uns, les faiblesses des autres. Impossible de tricher. Les humeurs sautaient comme des crêpes et l'on passait de la fâcherie à l' hiralité en brassant la neige pour découvrir la confiance, la sympathie, l' es, l' amitié et jusqu' à ces amours qui flamboient au soleil levant et s' éteignent au soir, sur le mot d' ordre de la première étoile.

Nous étions treize, treize individus, treize personnalités côte à côte: nos tentes devenaient refuges; nous y étions à l' abri du vent, de la neige, du soleil et des autres. Libres comme sur certains sommets, comme sur certains rivages, comme chez soi, libres de chanter, de chantonner, de réciter, de lire, de méditer Libres aussi, rêvant, de laisser s' envoler Les larmes secrètes des chagrins refoulés.

Marseille nous accueille aux premières lueurs du jour, son port et sa lumière. Nos deux véhicules ont fait la jonction, puis c' est la lente montée à bord du bateau qui va nous conduire à Alger. La foule et le retard, un grain qui s' approche du nord-ouest, chassant l' astre qui nous avait reçu sur les bords de la Méditerranée. La pénombre prend possession des lieux, le vent devient violent. A trois ou quatre heures du port, il atteint la force 10: une centaine de kilomètres à l' heure. La À- 96 Une guelfa de F Atakor 97 Moulay Hassan: bivouac avec les Touaregs 98 Moulay Hassan: jeux de l' érosion dans le granite Photos J. Sesiano, G E crête des vagues est déchiquetée, le navire tangue et roule terriblement. Des lames s' abattent sur l' avant, sont pulvérisées, et criblent horizontalement la passerelle de commande d' où la vision est dantesque. Heureusement que les officiers nous confient que notre coque de noix est pourrie!

Je vais prendre l' air; la porte des coursives est très difficile à ouvrir, question de dépression. Elle se referme violemment sur mes doigts, une vraie guillotine! Une douleur intense à l' annulaire gauche. Du sang gicle, je cours vers le médecin du bord en tenant ma dernière phalange avec l' autre main, car elle s' ouvre comme un couvercle de boîte, n' étant accrochée plus que par un petit lambeau de chair. Le toubib fait ce qu' il peut avec les moyens du bord, c' est le cas de dire! C' est pénible pour lui, et pour moi. Plusieurs fois, il est désarçonné de sa chaise. On pourra peut-être sauver l' extrémité du doigt.

Le lendemain, le soleil est de la partie. Lorsque nous atteignons Alger, le jour décline. Les formalités de douane sont longues, les véhicules sont fouillés à fond ( avez-vous des armes, des bombes, des grenades?... !). Puis, c' est le départ de nuit pour l' hôpital. Pour être admis aux urgences, il faut faire la queue, puis attendre! Enfin, je suis examiné: on me demande d' enlever mon bandage, ce qui est douloureux avec le sang coagulé qui a tout collé. Et pas la moindre aide! Désinfection dans une écuelle crasseuse qu' un chien aurait refusée. Un autre médecin arrive; d' un coup d' œil superficiel, il déclare avec autorité qu' une radiographie est superflue, l' os n' étant pas atteint. Un authentique voyant extralucide! En fait, j' ap à Genève à mon retour que la dernière phalange est écrasée en plusieurs morceaux. Un infirmier à la blouse douteuse ( un vrai garagiste ) me fait un pansement dans une salle où traînent un peu partout de vieux bouts de chiffon. Et vive la médecine étatisée et gratuite!

Nous passons la nuit dans le jardin de l' hôpital, sous des arbres qui ont retrouvé leurs feuilles: eucalyptus, palmiers, arbres à pain.

La descente vers le sud du pays commence par 99 Dans les Carpates: sur l' arête du Negoiu 100 Dans les Carpates: cabane Podagru ( 2136 m ) 101 Dans les Carpates: Lac et cabane Bilea ( 2034 m ) Photos Roger Ballet. NE une traversée de deux ondulations de l' Atlas, qui n' atteint du reste pas une grande altitude en Algérie. Quelques nappes de brouillard, des indigènes et des ânes qui surgissent de nulle part pour disparaître dans l' infini blanc. La route, excellente, se dirige droit vers le sud. La steppe est herbeuse et caillouteuse d' abord, puis les herbes se raréfient. Les oasis: Ghardma au fond d' une gorge, El Goléa dans la plaine de sable et de pierres, puis Ain Salah, envahie par les dunes. Heureusement que nous nous sommes procuré des dattes un peu plus haut, car elles sont hors de prix dans cette agglomération qui est censée être le jardin d' Eden de ce fruit, véritable pain du désert. Du reste, malgré le nombre de palmiers, elles ne sont pas très abondantes, étant, à ce qu' il paraît, exportées vers le Niger.

Les quatre cents derniers kilomètres de route ont été assez désagréables: étroits, avec des nids de poule assez fréquents. A chaque croisement de véhicules, l' un des deux est obligé de quitter l' as. Heureusement, les camions sont courtois et les pneus efficaces. Le paysage est devenu très austère: un tour de 360 degrés ne montre qu' une horizontalité extraordinaire, noire ou jaune. Quelquefois, le plateau s' interrompt brusquement, et ce sont cinquante ou cent mètres de chute libre vers un autre plateau qui s' enfuit vers le fond infini du ciel. Quelques mesas1 s' élèvent d' abord, puis ce n' est plus que le plat, sans aucune monotonie du reste, car la grandeur et la sévère beauté du paysage frappent constamment notre attention.

Le soir, le rituel immuable est accompli: sortir de la piste lorsque l' environnement nous plaît: soit des dunes ou du sable afin que les enfants puissent s' y ébattre, soit des affleurements rocheux pour notre géologue qui s' en va, marteau au poing, extirper de clairs accents, jusque-là jalousement gardés, par ces pierres musicales du désert. Chaque jour, le féroce combat entre la nuit et la lumière tourne à l' avantage de cette dernière: sa durée a déjà passé de huit heures à Genève à dix 1 Plateaux volcaniques.

heures à Ain Salah. A petits pas, nous nous rapprochons de l' équateur. Nous arrivons à l' orée du dernier tronçon de route: les 650 kilomètres qui vont nous mener à Tamanrasset. C' est l' entrée du Hoggar. Le paysage devient franchement sévère et aride: de vastes regs ( surfaces pierreuses sans herbes ) succèdent à des étendues sablonneuses surmontées de hautes dunes, de mésas ou de reliefs plus accusés, noirs ou violets, rompant l' horizon. La route se dégrade lentement, rejoignant le monde minéral qui l' entoure. Plusieurs sections ont du reste disparu dans les eaux de l' oued d' Arak, lors des violentes et éphémères crues de l' été 1981. C' est l' occasion de s' ensabler quelquefois. Fort à propos, les routiers sont ici vraiment « sympa », et ils ne se font pas faute soit de nous donner un coup de main, soit d' accrocher un câble au véhicule en perdition. Il arrive aussi que ce ne soit plus du sable, mais une véritable poudre impalpable, semblable à de la farine ou du ciment: le fech-fech. Elle n' a aucune consistance, et toute agitation en son sein soulève des volutes de poussière qui s' insinueront partout. Quant à Pascal, il avait tout simplement oublié de fermer les fenêtres de son véhicule en passant dans un de ces endroits particulièrement désagréables. A l' heure qu' il est, il est toujours en train d' essayer de nettoyer sa voiture!

Il fait déjà très chaud et, aux environs de midi, nous ne supportons plus que des shorts; même la nuit, il fait doux. Cette soirée - c' est en un lieu qui nous a été indiqué par trois aimables Touaregs en véhicule tout-terrain, rencontrés sur la route -que nous allons la passer: c' est Moulay-Hassan, où un marabout a vécu il y a fort longtemps. L' ermi du saint homme est vénéré, et tout voyageur sera bien avisé d' en faire trois fois le tour s' il veut s' assurer un voyage sans histoires!

Des dômes de granite nous dominent, un point d' eau alimente quelques bergers, le feu pétille, les trois thés traditionnels sont lentement dégustés, et l' un des Touaregs, boulanger de son métier, confectionne une pâte onctueuse qu' il jette dans un creux de sable voisin du foyer, puis recouvre de braises. La miche s' enfle et se gonfle, ne demandant qu' à être croquée, ce qui ne tardera point; elle sera accompagnée de viande de chameau. Des souvenirs sont évoqués, des pensées sont happées par la fumée et dispersées au firmament, puis chacun se roule dans sa couverture, laissant les étoiles glisser dans le ciel.

La dernière centaine de kilomètres avant Tamanrasset, petite ville située à 1400 mètres au cœur du Hoggar, tourne franchement au drame: la route est constellée de nids de poule, certains assez larges pour abriter une basse-cour entière! Les coups de frein suivis de cahots, puis d' accéléra et de coups de volant sont continuels, les nerfs sont mis à très rude épreuve, car l' attention doit être constamment soutenue.

Tamanrasset, la ville sur une corde raide. Les nomades, qui s' approvisionnaient il y a quelques années encore aux points d' eau disséminés dans le désert, s' y sont fixes, attirés par les « avantages » de la grande ville. On essaye également d' y développer quelques industries, ainsi que le tourisme. Alors, il y a le problème de l' eau. L' Atakor, le cœur du Hoggar, ce massif volcanique qui projette ses doigts de pierre à près de 3000 mètres, joue le rôle d' un château d' eau. L' oued Tamanrasset, issu de ce massif, ne roule ses flots d' ocre et d' or que lors des orages d' été, brefs mais violents, ainsi que durant les rares périodes de mauvais temps de l' hi, lorsqu' une neige éphémère peut blanchir le paysage pour quelques heures. L' écoulement, de torrentiel qu' il était, ne tarde pas à s' enfoncer dans le lit de sable, et les eaux vont alors cheminer très lentement dans les alluvions de l' oued. C' est justement cette eau qui est exagérément captée, pour les besoins de la ville. Le niveau de la nappe souterraine baisse; on soutire plus qu' elle n' est alimentée, et l'on arrive à la situation de janvier 1982: deux heures d' eau sous pression par jour, et la pluie qui ne tombe toujours pas! Pendant ce temps, au grand hôtel, les touristes prennent bains et douches, alors que les indigènes font la queue pour un bidon d' eau, comme nous avons dû la faire, du reste. Etrange, n' est pas? Une période pluvieuse faisant défaut durant l' année, et ce sera la catastrophe. Malgré ces difficultés, nous finissons par remplir nos jerricanes d' eau, soit à des citernes privées, soit au puits public de la grande place. C' est alors la montée par une bonne piste vers l' Atakor et son point culminant, le plateau de l' Assekrem ( 2700 m ), on se dresse l' ermitage du Père de Foucauld. Immédiatement s' élèvent les pitons volcaniques qui ont fait la célébrité de ce massif: Y Adriane, l' Iharen, la Daouda, le Taridalt, puis les Tézoulaig et la Sahouinen. Chemin faisant, nous faisons halte à deux gueltas2; l' un de ces points d' eau, Inlaoulaouen, se trouve au fond d' une gorge, là où le seuil rocheux contraint l' eau à affleurer. S' il ne reste qu' un peu du précieux liquide au fond d' une cuvette, il y a en revanche suffisamment de touristes qui se singularisent par leurs cris, leurs véhicules ( pour la plupart loués à Tamanrasset ) et transportés le plus près possible de l' eau et... des montagnes de détritus. La seconde guelta, Afilale, consiste en un petit ruisseau clair passant d' un bassin à l' autre, entre une coulée de basalte récente ( quelques milliers d' années ) et le socle granitique ancien ( quelques centaines de millions d' années ) qui affleure là on l' érosion a suffisamment creusé le sol. On y trouve quelques poissons, reliquat d' une époque on le climat était plus humide, et tout un microcosme animal et végétal établi autour de ce serpent de verdure, au milieu d' une aridité de pierre presque totale.

Nous installons le camp dans une dépression au pied de la Sahouinen. Cette première nuit de 1982 est fraîche ( quelques degrés au-dessus de zéro ), mais le ciel est perpétuellement d' un bleu intense, et il fait toujours aussi chaud durant la journée. Les quelques jours dont nous disposons se passent à faire des raids ici et là, soit pour apprécier la région et son paysage dur et austère, mais au caractère prenant, soit pour faire quelques ascensions classiques à la Sahouinen et aux Tézoulaig. Des tentes de grimpeurs se dressent au pied de ces 2 Petite étendue d' eau.

tours de lave, points multicolores d' une assemblée de Babel. Le jargon de l' escalade fuse dans toutes les langues. Parfois, un véhicule inhabituel, clinquant de confort et d' inadaptation au désert, se traîne dans les derniers lacets sous le col de Y Assekrem avant de crier grâce et d' obliger ses occupants vitupérants à hisser à la force des mollets les kilos traînés allègrement quelques minutes auparavant par des chevaux-vapeur. Une fois, c' est même un bus germanique pompeusement nommé « l' hôtel roulant » qui profile sa grotesque silhouette truffée de touristes dans ce site grandiose.

Un groupe de bergers touaregs a dressé sa tente non loin de notre campement, en un lieu protégé des regards indiscrets. Ils nous invitent ce soir pour le thé. Nous nous empressons d' accepter, appréciant profondément ces rares instants de rencontre avec les indigènes, assez réservés et difficiles à photographier aux autres moments.

Nous arrivons à leur demeure, cachée au milieu des rochers, à la lueur d' une lune croissante. Tout est calme, hormis les aboiements d' un chien de garde qui s' enfuit à notre approche. Il a néanmoins rempli son contrat en annonçant la venue des intrus.

Les chèvres sont au repos. Les deux femmes et le fils, un jeune Noir, ne dorment pas encore. Le mari est absent, car il travaille à Tamanrasset. Une couverture est déroulée sur le sol, près d' une vaste toile, tendue entre trois murs de pierres sèches et soutenue par quelques pieux en acacia travaillé. Le feu est ranimé dans son logement de terre cuite, et bientôt l' eau ronronne dans la thé-ière.Versé de haut dans les verres, puis de nouveau dans la théière, ce breuvage mousse et se boit très sucré. La conversation est difficile, car leurs notions de français sont fort sommaires. Cependant, le temps s' écoule tranquillement, et nous prenons bientôt congé de nos hôtes.

Le soleil a tourné inexorablement, et il est temps de quitter ce site où les heures semblent ne plus compter. Le retour vers Tamanrasset est égayé d' une longue pause à la guelta Afilale. Il faut bien se refaire une beauté de temps à autre!

Nous faisons le plein de dattes au marché, avant d' attaquer la longue remontée vers le nord et vers le froid. Peu après Tamanrasset, à la recherche d' un site riche en gravures rupestres ( que nous ne trouverons pas, d' ailleurs ), nous découvrons cependant d' autres figures de bovidés, gravées sur des blocs caractéristiques, au milieu de vastes chaos. Puis c' est I' n Eher, la gorge d' Arak et sa route emportée par l' oued sauvage, mais où les passages délicats se franchissent, cette fois, très facilement, car nous bénéficions de l' expérience de la descente. C' est le long de cette route qui n' en finit pas que nous croisons des équipages du Paris-Dakar. Pour certains d' entre eux, la grande aventure se termine là, puisque nous les retrouverons sur notre bateau, rapatriés vers l' Europe à la suite d' ennuis mécaniques.

Ain Salah, puis la belle oasis à' El Goléa: à la sta-tion-service, c' est une marée d' enfants qui nous proposent des roses des sables ( concrétions caractéristiques de gypse plus ou moins sableux ) en échange de stylos, de lunettes de soleil, de cassettes, de chaussures ou d' habits. Un peu plus loin, devant le marché, l' attroupement recommence.

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