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A ski dans les Montagnes Rocheuses du Canada

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Par Paul Gœtz

Du Bow Pass au Little Yoho Avec 2 illustrations ( 20, 21Lake Louise, Canada ) II est 20 heures, et la petite aiguille de ma montre aura bientôt fait tout le tour du cadran depuis notre départ ce matin. La nuit magnifiquement étoilée a pris possession du ciel, nous enveloppant de son manteau d' ombre glaciale. En compagnie de mon camarade Raymond Grobet, tous deux remontons la forêt depuis une heure environ. Cela nous oblige à une gymnastique inusitée et les yeux se fatiguent vite dans l' obscurité, cherchant à éviter les obstacles. Encore un effort et nous allons arriver à Bow Pass. Il y là une petite cabane. Durant l' été, c' est un poste d' observation pour feux de forêts. Grâce à l' amabilité d' un fonctionnaire du Parc National de Banff, nous avons obtenu la clef de ce refuge sis au cœur même de cet immense district franc.

Nous suivons une petite rivière recouverte, elle aussi, par plus de deux mètres de neige et quelques minutes après atteignons le col. Nous nous mettons maintenant à la recherche de notre gîte pour la nuit. Nous errons dans le noir, descendant, remontant, traversant de gauche, de droite, ne voulant pas encore croire au pire. Hélas, après trois heures de recherches infructueuses nous sommes obligés de songer au bivouac. Tout à coup le hazard nous fait découvrir une ouverture dans la neige. Quoique peu réjouissante, notre décision est prise maintenant. Nous ne pouvons pas zigzaguer plus longtemps, les jambes commencent à fléchir sous le poids de presque quinze heures d' effort.

L' orifice, sous des racines, est juste assez grand pour s' y laisser glisser tête en avant. La cavité se prolonge de quelques mètres sous des arbres abattus par les intempéries. Le sol est sec et poussiéreux. Notre gîte a d' ail un grand avantage: celui de nous permettre d' étendre complètement les jambes, même si l'on peut à peine se retourner vu l' exiguïté des lieux.

Grelottants, les pieds glacés, nous nous demandons avec un peu d' an si la bête qui habite ce terrier se trouve plus au fond ou si elle est sortie pour une chasse nocturne. Personne, toutefois, ne nous dérangera au cours de cette nuit mémorable.

Die Alpen - 1951 - Les Alpes5 Avant l' aube, l' appartement éclairé par deux bougies, nous ramassons tant bien que mal notre matériel, utilisant le reste de nos forces pour enfiler les souliers gelés durs comme pierre. Traînant ensuite nos corps figés cinq mètres plus loin, nous atteignons la sortie de l' antre, cherchant en vain des traces fraîches pour identifier l' hôte habituel du lieu.

De jour, la cabane n' est pas difficile à trouver; nous avons bien inconfortablement passé la nuit à 200 mètres d' elle!

Le lendemain, reposés et fortifiés, nous partons pour la traversée consécutive de trois chaînes parallèles pour atteindre une cabane du Club Alpin Canadien située dans la vallée du Little Yoho. Il s' agit en premier lieu de descendre en slalom parmi les sapins. C' est une vraie corvée que d' atteindre le lac de Peyto à travers une forêt presque impénétrable. Nous nous frayons un chemin non sans rester tantôt accrochés à quelque branche ou coincés entre deux sapins, ou pire encore plongeant, la tête la première, dans des murs de sapelots et de neige. Quelques traces de martres, de porcs-épics, de lapins et de perdrix nous prouvent qu' ils se sentent en sécurité; les coyotes, les loups ou les cougars ne s' aventurant guère dans un tel fouillis de branchages. La limite des forêts dans les Rocheuses Canadiennes se situe à 2300 mètres d' altitude et elle étend sur des milliers de kilomètres carrés sa virginale splendeur.

D' une clairière, parmi les rochers, notre regard glisse par-dessus quelques lacs gelés, entourés de sommets de 3000 mètres. C' est la vallée de Mistaya s' ouvrant en direction nord, dont la rivière se jette dans le North Saskatchewan River. A cette jonction, à 40 km. de notre point de vue, habite un gardien de parc, l' être humain le plus proche. Direction sud, il faut suivre la route profondément enneigée sur une distance de plus de 50 km. pour arriver à Lake Louise, la localité la plus proche. Tout ce vaste territoire est recouvert par la même forêt à travers laquelle nous nous frayons péniblement un passage.

La surface solide du lac nous permet d' avancer à vive allure, et nous suivons maintenant le torrent provenant du glacier de Peyto. La langue de ce géant descend presque jusqu' au niveau du lac à 1840 mètres. Nous pouvons nous représenter ses dimensions colossales d' antan. D' anciennes moraines gigantesques qui dressent leurs festons dans le ciel sont les seuls témoins du recul. Selon les rapports topographiques officiels le front du glacier se retire de 17 mètres annuellement.

Nous nous élevons rapidement et atteignons un premier replat qui mène vers des séracs impressionnants. Tournant sur la droite nous avançons vers la base même de plusieurs sommets dont les arêtes rocheuses tranchent avec l' immensité blanche du névé. On croirait voir des biscuits émergeant d' une coupe de crème fouettée.Vers midi nous atteignons la crête. Une courte sieste au soleil, sur un rocher, nous permet d' admirer la beauté indescriptible de ces gigantesques solitudes glaciaires. Tout autour de nous le Wapta Icefield s' étend telle une mer de brouillard d' où s' élèvent des sommets facilement accessibles. De fait nous nous trouvons au point de partage des eaux. A gauche, le bassin de l' Atlantique et la province Alberta, à droite celui du Pacifique et la Colombie Britannique. Assis sur le faîte même du continent nord-américain, jetons aussi un regard derrière nous: dans le lointain d' autres chaînes de montagnes avec d' innombrables glaciers ferment l' horizon. Par-dessus ces étincelantes surfaces immaculées nos pensées s' en vont vers les torrents tributaires de l' Océan Arctique qui y prennent source.

Un coup d' œil sur la carte qui, une fois de plus, s' avère inexacte et nous fixons le tracé de descente grâce à nos inséparables jumelles. Dans une poudre légère comme un duvet nous évoluons sur la pente raide. Un long virage sur la gauche suivi d' un schuss enivrant et nous voilà « ramant » sur un immense plateau neigeux, en direction de la chaîne du Mount Collie. Les conditions pour le ski sont excellentes. Le soleil est radieux; nous avançons rapidement par une température juste au-dessus de zéro degré C. Nous abordons maintenant un glacier adjacent et commençons à zigzaguer entre les séracs vers le dos de la montagne. L' inclinaison de la pente diminue progressivement et d' une telle régularité qu' il nous semble ne jamais devoir atteindre le point culminant. L' horizon fuit devant nous à mesure que nous avançons. Nous sommes impatients de jeter un coup d' œil sur l' autre versant de ce que nous supposons être un col. Nous sommes partis à la découverte... Nous nous trouvons à proximité du sommet du Mount Collie ( 3150 mètres ) sur le large dos que forme son arête sud. Plus bas et plus loin s' étend devant nous l' immense glacier des Poilus dont plusieurs bras sertissent solidement le sommet du même nom. Le passage qui doit rejoindre le dit glacier est encore invisible. La pente est sûrement raide.

Avant de plonger dans l' inconnu, nous prenons quelques minutes pour contenter nos estomacs. Nous pouvons jouir de la vue imprenable, sous un ciel merveilleusement bleu, dans lequel se traînent mollement quelques minuscules nuages. Des sommets familiers forment la chaîne au delà du glacier des Poilus. Nous reconnaissons maintenant le dernier col que nous devrons encore franchir, l' ultime obstacle de la journée. De ce point une longue glissade nous amènera 500 mètres plus bas au seuil de la cabane de l' ACC ( Alpine Club of Canada ). Nous contemplons à l' horizon la chaîne du Président, magnifique rangée de pyramides que nous saluons en copains, et nos pensées se reportent à l' été dernier quand nous les avons gravies par le beau et par le mauvais temps. Nous forgeons des plans pour les jours suivants, car nous avons envie de leur rendre une petite visite. Les conditions d' enneigement sont telles que nous sommes enchantés. Ces régions sont particulièrement propices à l' alpinisme hivernal. Il est vrai que le trajet est long et parfois pénible pour s' y rendre et l'on ne rencontre pas une âme sur des milliers de kilomètres carrés. D' autre part, les cartes géographiques ne sont pas toujours exactes dès qu' on s' éloigne des vallées accessibles par route ou rail.

La deuxième grande descente a commencé.... Nous glissons de plus en plus vite sur la pente inconnue qui s' avère être juste ce qu' il nous faut. Quelques brusques christianias, puis le schuss vertigineux dont l' élan nous emporte loin sur le glacier que nous contemplions quelques instants auparavant. C' est partout le même problème, Suisse ou Canada, il faut grignoter les montées pendant de longues heures pour avaler la descente en un clin d' œil!

Au lointain, les eaux du glacier coulent dans une vallée fortement boisée et se frayent un passage à travers une gorge sauvage pour atteindre la vallée principale. Sur son versant nous faisant face, les jumelles nous permettent d' apercevoir les trois tronçons superposés de la ligne du chemin de fer transcontinental. Les trains franchissent cette barrière par le moyen de tunnels hélicoïdaux.

Encore une grimpée de deux heures. Deux heures pendant lesquelles nous sentons dans nos jambes tout l' effort d' une longue étape. A l' instar de chevaux sentant l' écurie toute proche nous montons d' un pas accéléré. La pente est raide, le col juste au-dessus de nos têtes. Dix minutes, cinq minutes... nous y voilà. Quel sentiment de joie en cette fin d' après que d' enlever les trimas pour la dernière fois, de dire adieu aux derniers rayons de soleil avant de se lancer sur la pente et se griser de vitesse encore une fois en cette radieuse journée.

Nous avons franchi une distance d' environ 30 km. ne comptant que sur nous-mêmes, isolés du monde, mais combien heureux. Il y a deux ans, la même semaine de mars, tous deux, nous faisions la Haute-Route valaisanne. Sous un même ciel, par un même soleil éblouissant, nous nous sommes retrouvés à 10 000 km. de la patrie dans un paysage qui ne le cède en rien à nos Alpes si ce n' est par l' immensité des glaciers et la solitude.

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