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Arête SE du Nesthorn

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR DANIEL BODMER, BERNE

Avec 2 illustratiom ( 61 et 62 ) Voici dejä longtemps que nous faisons de la gymnastique sur les dalles sombres de gneiss et de schistes noirätres entre l' Unterbächhorn et le Nesthorn; elles semblent n' avoir pas de fin. Plus nous avancons dans ce dedale de rocs, veritables brisants, plus nous sommes saisis par la solitude et l' immensite de la montagne, ä la fois bienfaisantes et oppressives. Lä-haut, le sommet du Nesthorn, teinte d' ocre, ressemble ä un bouledogue accroupi. Seules ses dernieres pentes sont striees d' hermine. La limpidite de l' air et l' epaisse couche de neige qui tapisse les flancs NE de notre arete indiquent que la saison est dejä fort avancee. Comment nous sommes-nous risques dans cette entreprise gigantesque, pour nous trouver maintenant engages sur cette crete en dents de scie qui, sans etre particulierement interessante, reclame une attention soutenue? Sans cesse, l' idee nous hante de faire demi-tour et... la decision est renvoyee.

Notre but original n' etait que l' Unterbächhorn ( 3554 m ), et c' est dans cette intention que nous avons quitte Beialp ä 3 heures du matin. A la lueur incertaine des lanternes, nous remontons les pentes adoucies du päturage, longeant le petit lac Lusgen devine dans la penombre, et atteignons le P.2317, puis le P.2852. La fraicheur de la nuit accelere nos pas. Le silence nocturne est ä peine trouble par le tintement grele de la clochette d' une brebis solitaire ou par le gargouillement d' un bisse. Subitement, une nappe blanche de brouillard, montant de la vallee, a voile les premieres lueurs de l' aube. Un peu plus tard, assis sur les falaises rocheuses qui bordent le glacier d' Unter, nous assistons ä la naissance d' un nouveau jour, baigne de lueurs pourpres.

Avancant rapidement sur le névé durci, nous gagnons le bras occidental du glacier, d' où un couloir bénin conduit facilement à l' arete SE de l' Unterbächhorn. Les belles dalles de gneiss exigent si peu d' effort que nous sommes presque decus de poser le pied sur le sommet, après à peine cinq heures de marche. Comment occuper dignement le reste d' une si belle et encore si jeune journee?

Nous sommes en proie à un tourbillon de pensées contradictoires: Là-bas, semblant inaccessible dans la distance, le Nesthorn se dresse dans sa royale majesté, et la grande aventure alpine nous tente. Par le guide, nous savons que ce n' est rien moins que le célèbre G.W. Young qui a parcouru en 1909, pour la première fois à la montée, cette arete-marathon. ( A la descente, elle avait été suivie en 1895 déjà. ) La description qu' il en a faite 1 parle de tours et de gendarmes capables d' inspirer le plus profond respect, et surtout d' une très longue marche d' approche. Un moment, la voix de la prudence essaya de « contrer » l' attrait de la montagne: songez à la brièveté des jours de la fin de septembre, à la neige qui recouvre les rochers! Finalement l' exclamation de Hütten: « Je le tente » a emporté la décision, et nous sommes partis le long de l' arete. Sans etre à proprement parler difficile, elle nous a tenus constamment en haleine avec ses dalles brisées inclinées au NE. Ce n' est qu' à partir de la selle qui précède la plus haute bosse de l' arete que le rocher devient plus « calme »; mais il se cabre de nouveau à partir du P. 3621. Il s' agit d' abord de descendre une centaine de metres dans la brèche la plus profonde, où commence l' arete SE proprement dite du Nesthorn. Des l' abord, un double gendarme nous barre la route. Faut-il le tourner par la droite ou par la gauche? Les entassements de vaisselle du flanc SW ne nous disent rien qui vaille; encore moins les plaques enneigées du versant oppose. Parvenus à ce point mort, faudra-t-il déjà abandonner? Pas avant d' avoir essayé. Précautionneusement, je m' engage en hésitant sur les dalles verglacées. Et voilà, ca va! Ce premier obstacle est bientöt derrière nous. II est vrai que d' autres se présentent et se succèdent coup sur coup sans répit, mais la confiance nous est revenue, et nous ne nous laissons plus desarconner. Le plus souvent, nous évitons ces tours par une traversée dans le flanc SW. A 11 h. 30 nous sommes au pied de la cime de nos reves, au début d' une course nouvelle, greffee sur celle pour laquelle nous sommes partis. Pour emprunter une image à la musique, jusqu' ici ce ne fut qu' un long prélude; maintenant va commencer la fugue.

A partir de ce point, le gneiss foncé fait place à un granit brun, plus solide. Il se présente en masses sans failles, d' une puissance presque écrasante. Les quatre grandes tours mentionnées dans le guide ne sont pas faciles à identifier; l' arete n' est pour ainsi dire qu' un hérissement continu de gendarmes, de clochers, de pinacles grands ou petits, que l'on peut tourner plus ou moins facilement par leur flanc sud ensoleillé. Pour gagner du temps, nous utilisons largement cette possibilité. La dernière tour, toutefois, menace de nous barrer sérieusement le chemin. La tourner par le flanc NE, comme l' indique le guide, s' avere aujourd'hui trop dangereux avec la neige qui recouvre le rocher, d' autant plus que nous n' avons pas le moindre piton pour l' assurage. Tandis que nos yeux explorent désespérément les parois de granit de la tour, nous nous sentons de nouveau tout près du point mort. L' interminable et effrayante longueur du chemin de retour nous oblige à « fuir en avant ». C' est avec une intense satisfaction que je vois mon ami Otto aborder la muraille d' un air énergique et decide. Il se faufile dans une étroite fissure verglacée, à droite du fil de l' arete et, après de durs efforts, il réussit à atteindre un premier relais. Suit une traversée descendante dans le flanc SW de la tour. Cette variante en terrain neuf nous menage-t-elle une sortie? Par une vire, 1 Dans son livre On High Hills ( 1927 ), dont la première partie est traduite en francais, Mes aventures alpines, Young était accompagné de G. L. Mallory et de D. Robertson.

nous gagnons une chaire de roche, sorte d' oriel colle comme un nid d' hirondelle à la paroi convexe. La longueur de corde suivante, sur des dalles pauvres en prises et redressées à la verticale, jusque près du sommet du campanile, peut etre considérée, à mon avis, comme constituant le veritable passage-clé de toute l' ascension. De la petite échancrure où nous sommes parvenus tout haletants, il serait facile d' achever l' ascension du clocher, mais cela n' aurait pas de sens pour nous, puisqu' il s' agit maintenant de descendre dans la brèche qui suit. Mon camarade est mal récompense du morceau de bravoure qu' il vient d' exécuter: en descendant en rappel, il est atteint à la tete par une pierre delogee par la corde. Je suis effrayé à la vue de la blessure qui saigne abondamment; il se remet peu à peu, tandis que je panse la plaie et, après quelques soins, il peut continuer lentement la grimpée. Notre situation n' en est pas moins critique, car entre temps l' aiguille de la montre a dépasse 14 heures. Si nous devions rencontrer les memes difficultés dans les deux tiers supérieurs de l' arete, le bivouac serait inevitable. Heureusement, la suite semble devenir peu à peu plus facile, bien que la varappe sur le beau granit riche en prises reste fatigante et stimulante. Pas à pas nous nous élevons, effectuant de temps en temps une traversée dans la paroi enneigée du flanc NE. Le dernier ressaut est sérieux: comme la ligne intérieure de defense dans une forteresse, une citadelle rocheuse nous tient de nouveau en respect. A mon premier assaut direct, une prise casse sous ma main, ce qui, naturellement, diminue ma confiance D' autres tentatives par la gauche et par la droite sont sans résultat. Finalement, à ma grande admiration, mon camarade Otto, la tete enturbannee de pansements, se rend maître du passage recalcitrant. Voici enfin devant nous, franche de corniches, l' ultime coupole neigeuse du sommet Quel spectacle lorsque noüs émergeons des dernières pentes dans les rayons obliques du soleil déjà bas sur l' horizon: il est 15 h. 15. Depuis le depart de Belalp, soit pendant douze heures, nous avons marche presque sans arret.

La vue sur les hauts plateaux neigeux, avec le contraste des ombres dures qu' y projette le Loetschen-taler Breithorn, et, comme rideau de fond, de gros nuages en boule, est féerique. Une paix indicible nous Monde; toutefois un leger frisson nous avertit que le jour tire à sa fin. Une sorte d' angoisse me gagne, si fort que je m' en défende, à la pensée du trajet que nous avons encore devant nous, et vient temperer ma joie débordante. Après quelques photos, et un bout de chocolat, nous quittons le sommet et descendons en courant vers le Gredetschjoch. Les crampons, emportés par prudence, ont fait le long voyage sur notre dos, inutilement; ils ne seront pas mis ä contribution.

La large croupe neigeuse descend en trois rampes vers le col, avec une légère contre-pente au début. Dans la dernière partie, nous obliquons à gauche dans les rochers en bordure du névé. D' ici, la descente par neige et rocher sur le Gredetschgletscher est facile. Un excellent poudrain, lubrifiant ideal, reposant sur une couche de fond solide, nous permet une glissade merveilleuse et rapide de 300 m du P.2999 au dernier promontoire de l' arete sud du Nesthorn. A 17 heures, nous foulons, près du P. 2223, le plancher de l' étroit vallon, encore encombre d' énormes trainees d' avalanches, et constitue par une suite de cuvettes entre celles-ci et les cönes d' eboulis.

Ici commence pour nous la course contre la nuit. Le skieur de haute montagne connaît bien la longueur de la vallée de Gredetsch. Un vague sentier de moutons facilite notre marche. L' obscurité se fait totale entre l' Inner et l' Äusser Senntum, où l'on traverse encore, à 1400 m, des restes d' ava recouverts de debris. Heureusement la clarté de la lune à son deuxième quartier vient à notre rencontre, compagne bienvenue. Ainsi s' achève, dans la paix froide et limpide d' une nuit d' automne, cette course de 17 heures.

En penetrant dans la salle enfumée et bruyante de la pinte de Birgisch, nos yeux sont éblouis, et nous ressentons durement le retour dans la vie journalière; mais cette journée a été d' une telle richesse qu' elle nous nourrira longtemps encore.Traduit par L.S. )

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