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Autour du Grand Muveran

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Avec 2 illustrations ( 16, 17Par Marc-Aurèle Nicolet

II est des alpinistes qui prennent les Alpes pour un terrain de jeu, où le jeu consisterait à gravir tous les sommets — tous les quatre mille —, à visiter toutes les cabanes. Quoi d' étonnant si leurs souvenirs s' embrouillent parfois avec les années. D' autres, au contraire, se cantonnent dans un massif, près d' une montagne, dans une vallée; ils y retournent presque chaque année, n' en ignorent aucune particularité. La montagne devient « leur » montagne, et il s' établit entre elle et eux une telle affinité qu' on ne les conçoit plus l' un sans l' autre. Est-il besoin de dire que ma sympathie va plutôt à ces derniers? Oui, j' ai ma marotte, et cette marotte, c' est le Grand Muveran ou, si l'on veut, et par extension, les Alpes vaudoises, qui sont encore un secteur bien restreint, et bien à part.

J' avais onze ans quand mon père me fit mettre pour la première fois le pied sur un glacier. C' était le glacier de Paneyrosse. L' excursion, avec le vieux guide borgne Fontanaz, d' Anzeinde, consistait à monter au Col des Chamois; au retour permission de cueillir quelques edelweiss sur les contreforts de Pierre Cabotz. C' était modeste, mais, pour moi, ce fut le coup de foudre.

Quelques années plus tard, volant de mes propres ailes, mon premier désir fut de revoir ce Col des Chamois; le moutonnier de la Vare, seul être humain qui se trouvait à cette saison dans ces parages, était d' accord de m' accompagner. Mais comme il arrive souvent, cet homme ne se sentait bien que sur le plancher des vaches. Aux premières taches de neige il me planta là, prétextant devoir s' occuper de ses moutons. Je montai seul jusque sous le Gros Scex, mais n' osai m' aventurer plus avant sur ce versant inconnu. La neige était encore très abondante et donnait au cirque de Plan Névé une allure de haute montagne qu' on ne lui voit plus guère qu' au printemps. Les années passèrent. Le hasard, disons plutôt une bienveillante Providence, me ramena sur le plateau d' Herberuet avec l' intention de gravir Sex Percia. J' avais quitté les Plans au milieu de la nuit en disant à ma femme que je serais de retour pour le dîner. Je dois avouer ici ma prédilection pour les départs nocturnes. Qui saura dire le charme de ces premières heures de marche, dans le grand calme de la nuit, et celui tout aussi prenant de l' aube, où l'on épie le premier cri d' oiseau. C' est à cette heure qu' il fait beau rencontrer le premier chamois, descendu pâturer dans les régions des gros blocs épars ou sur les vires gazonnées. Le temps était radieux: à 6 heures du matin Plan Névé dormait encore dans l' ombre, tandis que les rayons joyeux du soleil éclairaient déjà le sommet et la crête du Muveran. A ma droite se trouve Sex Percia, jolie arête et point de vue remarquable. On y accède par la Beudanne, petite selle reliant les deux cuvettes de Plan Névé. L' affaire est dans le sac, me dis-je, et, sans plus, mes regards se tournent vers l' arête du Pacheu. Tout de même, si on allait voir comment on y monte, sur cette arête... rien que pour voir. Le problème est à peine posé que la solution saute aux yeux de Die Alpen - 1951 - Les Alpes4 quiconque a un tout petit peu l' expérience de la montagne. Le couloir du Pacheu raye toute la paroi d' un seul trait oblique. Le Guide des Alpes vaudoises d' Eug de la Harpe, seul en ma possession à cette époque, était resté au chalet; qu' importe, il ne m' aurait rien appris que je ne pusse voir de mes propres yeux. Tout en dialoguant avec moi-même, j' avance rapidement. La neige est dure, bientôt les premiers rochers sont atteints. C' est ici que la tentation se présente. Les rochers de droite offrent une occasion excellente — semble-t-il — de sortir du couloir. Si j' essayais, toujours, bien entendu, rien que pour voir? Et me voilà, non seulement hors du couloir, mais en train de gravir une jolie crête de rochers solides; je me revois ensuite dans une ravine montant tout droit dans la direction du col qui échancre l' arête faîtière immédiatement au SW de la Tête du Pacheu. Plus on monte, plus c' est facile. Hurrah! Voici l' arête! A ma gauche, la Tête du Pacheu dresse ses rochers plissés comme de la pâte feuilletée. A ma droite, la crête s' abaisse d' abord légèrement, puis remonte d' un jet jusqu' à Tête aux Veillon, et au delà jusqu' au Grand Muveran. Devant moi enfin, le Valais, le beau, le grand Valais avec son fleuve dans la brume et tous ses sommets dans un ciel méridional. C' est le moment de casser la croûte et de regarder, oui regarder sans arrêt ce vrai paradis. Une heure passe comme quelques minutes. Je m' avoue n' avoir aucune envie de redescendre par le même chemin. Le re-trouverai-je en sens inverse? retrouverai-je la sortie, et tous ces petits passages que j' ai gravis trop rapidement? J' en suis si peu sûr que je décide de rentrer par la cabane Rambert.

Le col de la Forclaz est facile à repérer, grâce à la Dent de Chamosentse qui le domine. De là à Crettaz Morez, c' est connu ou presque. Certains alpinistes éprouvent une profonde aversion pour tout ce qui est caillasse, pierrier, moraine. Je les comprends, s' il faut les affronter avec un sac trop lourd et des jarrets fatigués par de longues heures de marche. Mais à 8 heures du matin, le cœur et l' esprit légers comme le sac presque vide, c' est autre chose. Je dirais même que c' est assez amusant de choisir à l' avance le cheminement le meilleur, celui qui fera éviter creux et bosses et profiter des oasis de gazon ou des taches de neige. Sans courir, j' étais à 10 heures à Rambert où le brave Jules-Alexandre Crettenand m' interpellait par mon nom et me souhaitait le bonjour, ainsi qu' à un vieil ami. Comme je lui dis arriver des Plans par le Pacheu, il me regarde d' un air sceptique. Effectivement le Pacheu, le col, le haut du fameux couloir, est au NE de la Tête, par conséquent passablement plus éloigné encore de la cabane. Mais alors, par où diable ai-je passé? Par le col aux Veillonnon plus. J' ai appris plus tard que ce passage était encore anonyme 1 ou du moins est-il donné pour tel dans le nouveau guide des Alpes vaudoises. Pour ne pas inquiéter les miens, je redescendis ce jour-là en quatrième vitesse; mais mes pensées étaient 1 L' auteur propose de le baptiser Col de Plan Névé. Si ce passage est resté délaissé jusqu' ici, c' est peut-être à cause de la méchante réputation que lui a valu la catastrophe de septembre 1906. Quatre Lausannois, H. Gachet, H. Haller, Schserer et Kleinert, furent retrouvés morts dans la rimaye au pied de cette paroi. Les circonstances de l' accident n' ont pu être précisées. L. S.

ailleurs; elles rôdaient quelque part du côté du Pacheu que j' avais vu de si près. En arrivant aux Plans, un nouveau projet avait germé, et ce rêve devait me hanter jusqu' au jour de sa réalisation. Il s' agissait de traverser Tête aux Veillon ( ou Tête à Veillon ) par l' arête faîtière et pousser, si possible, jusqu' au sommet du Grand Muveran. Une première tentative se mua, pour cause d' orages ininterrompus, en une fuite à Rambert, et une reconnaissance, le lendemain, de l' arête du Muveran, jusqu' à la cime orientale; reconnaissance point inutile et pas déplaisante du tout. Il me fallut attendre l' année 1949, l' année du beau temps, pour avoir ma revanche. Les renseignements glanés çà et là étaient sommaires, voire inexacts. Le guide des Alpes vaudoises ignore cette arête pourtant bien visible pour qui regarde la chaîne d' un point quelconque du versant vaudois. Un bon connaisseur de la région m' avait parlé de rochers délités, en « piles d' assiettes »; j' ai pu vérifier qu' il n' en est rien. L' arête est formée tout au contraire par un pli dressé qui détermine des dalles magnifiques sur tout le versant sud. C' est en somme la structure de l' Arête Vierge ( voir Les Alpes, 1943 ou 1947, ou Tête à Pierre Grept par le flanc sud, par P. Vittoz ). L' itinéraire pourrait se résumer en ces mots: Du col anonyme précité, suivre l' arête jusqu' à la Tête aux Veillon; en effet, c' est sur le fil de l' arête qu' on est le mieux. Moyennant les précautions d' usage, la marche est très sûre; plus on avance, plus l' escalade devient aérienne, tout en restant facile. Deux brèches bien accusées défendent le sommet; mais chaque fois on trouve... la clef sous le paillasson.

De Tête aux Veillon au Muveran, il faut encore deux heures bien remplies de jolie varappe. Le cheminement est aisé à trouver, sauf peut-être à cet endroit où un vieil anneau de chanvre marque un rappel; c' est au tiers environ de ce qui reste à faire après la cime orientale. Je préfère éviter le rappel en tournant l' obstacle par la gauche. Le passage est marqué de blanc, si l'on ose dire, par la présence de calcite sur les dalles. Ce calcaire cristallin extrêmement dur, qui fait penser à du sucre en morceaux, donne immédiatement l' impression de solidité. On descend obliquement de quelques mètres dans le versant sud pour remonter à l' arête par un véritable chemin de ronde. Le parcours de toute cette arête m' a paru valoir la peine d' être tiré de l' oubli; combien, en effet, de visiteurs du Muveran ignorent les possibilités de cette montagne dont j' ai fait mes délices.

Mais revenons au Pacheu. Voici encore un petit tuyau destiné à ceux que rebuterait soit la montée soit la descente directe du col anonyme. Une vire facile, légèrement festonnée et bien dessinée par la neige quand il y en a permet de tourner la tête du Pacheu sur le versant Plan Névé. Le détour dans le flanc sud serait beaucoup plus long et fastidieux. Cette vire présente encore l' attrait de croiser le plus bel itinéraire de la Tête du Pacheu, celui du versant nord, qui aboutit directement au sommet. D' autres variantes sont certainement possibles; chacun peut y trouver son compte avec l' impression d' être hors des chemins battus.

Après ce vagabondage, redescendons à Plan Névé. Les dernières nouvelles nous apprennent la prochaine construction d' une cabane dans ces parages. Faut-il pour cela dire adieu pour toujours à ces belles solitudes?

Vont-elles être envahies, d' un jour à l' autre, par la foule anonyme des touristes indifférents? Plaise au ciel que non! Certes, les gens pressés y trouveront leur compte. L' Arête Vierge, celle de la Beudanne, les Vires du Régent auront leurs visiteurs tous les dimanches. Les solitaires et les rêveurs, s' il en reste, devront venir avant les uns ou après les autres. Et toi, chère vieille cabane Rambert, tes jours aussi sont comptés. Nos pères venaient à la Frête de Saules comme en pèlerinage; ils connurent tes couchettes inégales, tes bancs branlants, ton dortoir à courants d' air, toute cette rusticité qui n' est plus de mise aujourd'hui; ils t' aimèrent cependant. Tu es vieille, eux, ne sont plus, mais ils nous ont transmis le flambeau et nous sommes encore beaucoup qui le conserveront. Alors même qu' on te reconstruira — ô ironie, on te démolira, on te brûlera à petit feu — dit-on, plus belle et plus grande, le souvenir des jours heureux passés sous ton toit ne s' effacera pas. Telle tu fus dans nos rêves d' adolescent, telle tu es encore aujourd'hui, telle tu resteras dans nos rêves, au déclin du jour.

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