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Bivouacs

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR EMILE GOS, LAUSANNE1

Avec le recul des ans, il ne me reste, de mes nombreux bivouacs en montagne, que de merveilleux souvenirs. On oublie facilement, en effet, la longueur interminable des nuits inconfortables, le froid, l' inaction et l' appréhension d' un lendemain plein d' incertitudes.

Je repense à ce bivouac, passé avec deux camarades en pleine paroi d' un quatre mille dont nous n' avions atteint la cime que fort tard. La nuit nous talonnait, et de sourds grondements de tonnerre retentissaient au loin. Le ciel était couleur de plomb. Agrippés aux rochers, nous descendions aussi vite que possible, dans la mesure où les risques de l' accident pouvaient encore être évités, quand, dans un dangereux passage, ce fut brusquement l' obscurité, puis la flamme aveuglante d' un éclair jaillit, suivi du fracas terrifiant de la foudre qui nous cloua sur place.

La peur fige notre sang dans les veines, et nous n' avons pas échangé une parole que déjà un second coup de tonnerre, aussi violent que le premier, nous secoue de nouveau. C' était le prélude à un terrible orage qui allait durer une bonne partie de la nuit. Devant et derrière nous, à droite et à gauche, la foudre éclate, tandis que des ruisselets de feu courent le long des parois. Pour comble de malheur, il se met encore à neiger!

Tremblants, nous restons là, debout, serrés tous les trois sur une étroite vire surplombant le précipice. Prudemment, nous avons caché dans une fente nos piolets qui « chantaient ». Aveuglés par les éclairs, assourdis par le tonnerre, nous attendons, immobiles, sacs au dos, la corde emmêlée à nos pieds. A la lueur des éclairs, nous pouvons distinguer parfois, près de nous, des parois plâtrées de neige. Il semble que l' orage prenne un matin plaisir à s' acharner sur nos têtes. Nous souffrons beaucoup de cette immobilité, du froid et surtout de ne pouvoir changer de position, ni boire, ni manger quelque chose.

Il neige toujours, le froid se fait plus mordant, la tempête sévit dans toute sa fureur. Sortirons-nous vivants de cet enfer? Les grondements du tonnerre s' espacent. Est-ce la fin de l' ouragan? Nous n' osons l' espérer. Au fait quelle heure peut-il bien être? Nous parions qu' il est minuit. Hélas! il est à peine dix heures! Arriverons-nous à tenir jusqu' au matin? Personnellement, j' en doute, convaincu de ne pas risquer grand-chose en jurant de payer une bouteille de champagne, si nous arrivons en bas, sains et saufs.

Il neige toujours. Les flocons tourbillonnent, chassés par un vent glacial. L' orage s' est déplacé et gronde maintenant plus loin. Les roulements du tonnerre prennent une ampleur et une majesté extraordinaires, prolongés indéfiniment par l' écho qui les répercute d' une paroi à l' autre.

Le sommeil, malgré nos efforts pour rester éveillés, nous gagne insensiblement, et nous luttons contre la torpeur envahissante, car un assoupissement serait fatal.

1 Le photographe Emile Gos ( 1888-1969 ) est décédé le 8 juillet dernier. Il nous avait remis ce dernier texte, quelque temps avant sa mort ( réd. ) - Ah! c' est beau la montagne, parlons-en!

Nous décidons, d' un commun accord, que, une fois arrivés en bas ( si jamais nous y parvenons, nous ferons un feu de nos piolets, jurant de ne plus jamais remettre les pieds en montagne!

Il neige moins fort, et pourtant une couche de trente centimètres recouvre déjà les rochers. Les minutes passent, et nous n' osons plus regarder l' heure. Un détachement total nous empêche de réaliser le tragique de notre situation.

Bientôt cependant une lueur blafarde s' annonce dans le ciel. Serait-ce enfin le jour qui pointe? Cette lueur grandit, et Von distingue déjà l' emplacement de notre bivouac. C' est vraiment dantesque! Autour de nous, ce ne sont que parois hostiles et couloirs glissants où roulent déjà les avalanches. Tout disparaît sous la neige. Nos habits en sont recouverts, et nos chapeaux sont pointus comme celui du père Noël!

Cette fois, il fait à peu près jour.

- Allons-y! bougeons! sinon nous n' en sortirons jamais!

Difficulté de s' attacher, car la corde est gelée. Nos corps sont lourds, nos muscles raidis, mais il faut pourtant descendre. Avec une lenteur désespérante, nous perdons quelques mètres d' altitude dans la muraille, puis la marche devient moins dangereuse. Tout à coup, à travers les brumes, un rayon de soleil apparaît et réchauffe nos membres engourdis. Le cauchemar de la nuit s' efface lentement, et nous devinons la fin de l' aventure. En effet, la pente s' adoucit progressivement, et bientôt nous repérons le dernier escarpement qui rejoint le glacier, puis c' est la moraine, et enfin les premiers gazons, le sentier... le village.

Le lendemain, sur une colline ruisselante de soleil, trois joyeux garçons blaguent, en manches de chemise, et narguent leur montagne qui, diaphane, se dresse dans un ciel immuablement bleu. Ils rient et se passent une bouteille d' Asti qu' ils boivent au goulot! C' est en vain qu' on chercherait autour d' eux les traces d' un feu de piolets...

- Alors, l' autre quatre mille du programme, c' est pour quand? questionne l' un d' entre eux.

- Mais pour demain, bien sûr, répondent les deux autres.

- Alors, qu' attendons pour aller préparer les provisions, si nous voulons coucher, ce soir encore, à la cabane?

Par contraste, j' aime évoquer cet autre bivouac, solitaire celui-là, au bord d' un petit lac de moraine, entouré de gazon parsemé de fleurs.

J' avais aménagé mon campement à même la terre encore tiède de la journée ensoleillée. C' était le crépuscule, l' heure exquise où la nuit, lente à venir, enveloppe la nature de son envoûtant mystère.

Soirée d' extase où j' ai vécu l' âme passive de la montagne endormie dans le silence, trouble seulement, de temps à autre, par le bruit sourd provenant du glacier tout proche.

Tel un cadran solaire qui ne marque que les heures claires, les derniers vestiges de la lumière s' effacèrent sur l' eau limpide du petit lac, et ce fut bientôt la nuit. Sous la voûte du ciel criblé d' étoiles, étendu sur le gazon, la tête reposant sur mon sac, je rêvassais... Le petit feu de brindilles, que j' avais allumé par plaisir, se mourait lentement.

Il faut croire que j' avais fini quand même par m' endormir, puisque c' est le premier rayon de soleil qui me réveilla, redonnant quelque chaleur à mon corps engourdi.

J' eus de la peine à quitter ce bivouac improvisé, où je venais de passer une nuit en étroite communion avec la montagne et dans l' apothéose de la lumière irradiant le roc fauve des aiguilles qui me dominaient.

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