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Cervin

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Par Pierre Soguel.

Un ciel serein sur Zermatt!

Ce matin personne ne regarde le baromètre. Les boutiques, bazars et magasins regorgent de monde. Et la bonne dame ajoute une rose au kilo de fruits qu' elle nous sert. J' ai trouvé Zermatt affable, hospitalière, centre varié et par là même intéressant. J' ai trouvé Zermatt jeune parce que pleine de vie, parce que tolérante à souhait. Derrière les hôtels cosmopolites qui, vus d' en haut, disparaissent sous leurs toits gris et se confondent avec l' ombre de l' alpestre vallée, il y a un peuple plié, confiant, sous l' austère vie, un peuple qui voit passer trop vite les fortunes étrangères à ses chalets bruns, à ses abris durs mais chauds, un peuple qui accueille les victimes frappées par l' impassi de la nature. Le cimetière de Zermatt n' est pas une terre de toutes les nations, une unité mondiale réalisée, gardée, sacrée par une piété sincère, qui terrasse même les incrédules?

Un ciel serein, et nous quittons ce village charitable. Et je monte vers le Cervin!

Une montagne comme les autres; un monde où pour beaucoup la vie n' existe plus; un monde qui aide à d' autres à retrouver des énergies idéales, qui leur donne une force aussi impénétrable et invincible que la puissance de la nature elle-même. Partie intégrante de cette nature, ce n' est qu' en luttant contre elle que nous en découvrons la grandeur, que nous nous révélons à nos propres yeux.

Cette montagne, célèbre parmi les montagnes, violée plus que toutes les autres, chantée par d' innombrables profanateurs, grossièrement vulgarisée, se dressait dans sa simplicité et dans la sûre modestie de ses tons sincères, de ses tons reflétant la chaleur du soleil ou la froideur des vallons et des gouffres glacés.

Cette montagne m' était apparue pour la première fois de l' Adlerpass, un matin extraordinairement froid, toute mauve dans les premières lueurs roses d' une aube surnaturelle. La montagne était suspendue au-dessus du val bleu creusé de vert foncé. Image réapparue.Vision irréelle, inconsciente.

Cette montagne, je l' avais admirée de sommets modestes, du lointain Nadelhorn, du romantique Besso; des Aiguilles Rouges elle affinait sa tête par-dessus son épaule, et de l' hivernale Rosa Blanche, le même profil s' estom dans la distance bleue; de la Dent Blanche, elle montrait un dos dé-graissé 1928, de l' Obergabelhorn, c' était un Cervin hivernal, inaccessible.

La montagne vivait.

Lac Noir. Au-dessus des mélèzes au vert transparent, au-dessus du sentier serpentant sous les aroles.

Lac Noir. Au-dessus de la fraîcheur.

Lac Noir. Plus près de la lumière, plus près de la chaleur.

Lac Noir. Plus près du soleil.

Cette chaleur voluptueusement brûlante, reflétée par l' eau, élément romantique pour les uns, complément de l' être physique moderne pour nous, cette chaleur caresse, entoure chaque muscle, berce l' esprit replié derrière deux verres jaunes encerclés de celluloide.

L' air déjà rude mais si limpide, permet de mieux distinguer chaque sensation, et les accentue. Nous sommes dans le monde des géants; une suite énorme d' amoncellements de glace d' un côté, des parois de rocher à pic de l' autre, des demi-cercles, des angles droits, un tourment harmonisé par une unique intelligence, le tout recouvert par la voûte brûlante, et nous, les yeux et tout notre être tendus vers la lumière dont les rayons sont absorbés par la verdure qui nous entoure!

Sans y penser on regarde le Cervin qui fume, familier au-dessus de Notre-Dame des Neiges.

Tout autour, des cris, des mouvements, des gestes naturels; tous se promènent selon leur liberté, selon la liberté qu' ils acceptent. Mais la liberté que nous donne la montagne d' altitude moyenne est trop grande; nous n' osons pas y croire et ne savons la saisir. Seule la rudesse du souffle qui passe nous fait réaliser que cette liberté idéale, égoïste et cependant ne nuisant pas à autrui, existe.

Lumière, chaleur, harmonie, liberté, et cela toute une journée.

Pourquoi seulement une journée?

Vers 5 heures, je prends congé de ma mère et de nos amis. Eux restent dans les pâturages, retournent vers des chalets serrés et nombreux.

Je monte solitaire — mais non —, vers une cabane froide, et de là vers un monde chaque fois renouvelé, inaccessible à l' esprit.

De ces divergences naît un doute, un doute touchant, un doute d' un instant.

Mais l' espace, c'est-à-dire l' espace de quelques minutes, l' efface.

Désarmé, et pourtant plus fort!

Solitaire, je montais à la cabane du Cervin.

Une cabane et un petit hôtel, simple. Cependant contraste nous aidant à saisir combien notre âme est changeante. Chaque changement est pour nous une sensation nouvelle, parfois un plaisir. Plus le changement est fort, plus la sensation nous charme.

De la terrasse on entend les sons d' un grammophone. Encore monde de contrastes.

Et le soleil se couche. D' énormes nuages chassés d' ouest n' arrivent pas à passer le Col d' Hérens; la Dent Blanche fume et les brouillards se dissipent au-dessus de la Pointe de Zinal; plus haut fuse une lumière blanche très pure. Le Cervin fume toujours. Un vent endiablé refoule les nuages qui cherchent à passer depuis l' Italie. A l' est le Weisshorn et les Mischabel baignés de sang, ruisselants de carmin; fournaise effrayante, lumière tragique en ébullition.

Les parois du refuge reflètent avec éclat ce flot de colère. La montagne flamboie. Les ombres de la vallée semblent sinistres, et les vides se creusent plus profonds de tous côtés. Au milieu de cette scène wagnérienne, le grammophone égrène ses notes, lance ses dissonances, son atonalité, et les guides rient.

Ainsi l' homme possède en lui tant de rythme; simultanément il sera secoué par la force lente, profonde, quasi-éternelle de la nature, par la symphonie mouvante du jour qui meurt, l' agonie de la lumière, par la force renouvelée des courants de haute altitude,.. et les notes gaies, irréfléchies du grammophone faisaient renaître en moi les subtilités de la vie mondaine. Ainsi à la veille de monter au Cervin, le rythme des soirées d' hiver, en ville, le rythme de l' habitude, me promenaient dans un monde opposé, d' où je revenais inconsciemment pour tomber dans l' extase du dernier rougeoiement du couchant.

En ne pensant à rien, j' errais, et mon esprit diverti croyait s' arrêter avec douceur à tous les heureux moments de mon existence.

3 heures du matin. Amandus Supersaxo, guide, me donne la lanterne à allumer, pendant qu' il serre le nœud de la corde qui nous reliera toute la journée.

Aussitôt tremblotte une flamme, pâle sous les étoiles. L' espace restreint éclairé fait paraître plus immédiat le précipice. Une dizaine de cordées nous ont devancés.

Quelques pas faciles, sur un vague sentier, puis vingt mètres de neige, et un mur se dresse devant nous. On l' entend battu de pieds mal éveillés, et de temps en temps une lumière apparaît, vacille et disparaît. Ce mur c' est le Cervin.

Une première vire où le piolet dressé au dos avertit qu' il faut se baisser. Un avertissement qui se répétera tout le jour.

Des pierres, de petites, de grosses, des cheminées faciles, une ascension dans le noir étouffant d' une nuit étoilée mais sans lune; toujours une lumière qui monte devant moi, et me laisse dans l' obscurité aux grandes enjambées. Mais la montagne n' est ici point difficile.

En arrivant sur l' arête, un mur aux trois quarts démoli, et une poutre à moitié pourrie. Les restes de l' ancienne cabane.

Aux premières clartés de l' aube nous atteignons une paroi plus raide, offrant peu de prises, encombrée de trois cordées qui cherchent à se devancer. Amandus passe le premier et je le suis, en répondant par un signe de tête évasif aux aménités dont on me comble dans un dialecte tudesque que je ne comprends pas. Mais nous avons gagné un bon quart d' heure et c' est satisfaits que, les pieds ballants dans un vide déjà respectable, nous regardons.

Le refuge Solvay devant lequel nous restons est rempli de touristes, de sommeil et de poussière.

Dehors, le soleil se lève.

Pas un souffle d' air, bien qu' il fasse frais.

En bas, dans le léger brouillard qui surélève notre montagne, mes parents dorment probablement.

Et après une léthargie de deux heures, je vis, en même temps que le jour naît. Je me réveille dans un monde nouveau, transporté à mon insu à quatre mille mètres, sur l' arête du Cervin. A mesure que mon corps réagit, mon esprit contemple, étranger d' abord, collaborant ensuite, ébloui par tout le jaune en fusion, si puissant que les contours des montagnes les plus éloignées se creusent d' imprécision, débordés par la lumière aveuglante du soleil glorieux.

Notre rocher se teinte de rose, pâle éclat en face de celui de l' orient.

Et l'on sent la froideur de la vallée, la crudité de la nuit, l' humidité exhalée par les torrents, monter, absorbées par le miracle de la lumière.

Notre immobilité nous fait réaliser que la neige qui fond, sur laquelle nous sommes assis, est cruellement froide.

Le mouvement nous appartient, notre intérêt est stimulé par l' approche des difficultés, et nous attaquons la seconde plaque Moosley.

Nous montons absolument sans nous en douter, et cette ascension de mille deux cents mètres faite partie de nuit, partie au lever du soleil, me paraît une des plus courtes que j' aie jamais effectuées.

A l' épaule suisse, une neige épaisse, uniforme, gelée à la surface, et d' où sortent quelques pitons de fer. Grâce à deux paires de gants, en enfonçant les bras dans la neige jusqu' au coude, en marchant sans hésitation, nous avançons rapidement, tout en nous grisant de la vue du précipice se creusant du côté de Zmutt. La pente qui se perd à quelques mètres, nous rappelle la merveilleuse architecture du chaos d' où nous sortons.

Une plaque lisse, raide et verglacée, recouverte de neige piétinée, puis une petite chaîne.

Une corde et plusieurs ressauts de rochers fauves, verticaux, en plein soleil.

Nous retrouvons les caravanes parties les premières. Pourquoi s' arrêter à cet endroit? Comment résister même une minute à l' appel de ces rocs chauds, vigueur communicative, enivrante, au-dessus du vide écroulé, vigueur et volonté soumise, volonté d' arriver, puissance et domination du monde physique par l' être physique, jaillissement de joie indicible en notre être intime, vision de forces spirituelles non encore atteintes, tout cela en face de rochers rouges, sous le ciel ruisselant de lumière et d' azur.

Une pente de neige et, sans arrêt, presque en courant, nous arrivons au sommet suisse.

Personne encore n' est ici.

Pendant dix minutes, un touriste et un guide ami, seuls au sommet du Cervin! Combien j' aimerais avoir près de moi de connaissances, de parents et d' amis. Mais seulement ceux qui ont un noble caractère. Ceux qui comprennent, ceux qui excusent tout.

Rarement du sommet d' une haute montagne, mes songes ont autant vagabondé que du sommet du Cervin.

Puis d' autres touristes sont arrivés. Ces quelques minutes furent une vie.

Nous avpns mangé deux pêches. Il y avait du thé chaud dans une gourde. Il était exactement 7 heures du matin et 10 minutes. Il y avait beaucoup de neige, partout. Mais nous étions assis sur quelques cailloux bien secs, le soleil semblait nous caresser, et il faisait bon se laisser faire.

Le panorama, cette chose parfois secondaire, du sommet du Cervin plus que de partout ailleurs, atténue le vide et donne un soutien au regard; il fut énorme. Cependant on ne va pas sur une montagne pour la vue, on y va pour une ambiance, ambiance qui d' en bas se développe jusqu' au sommet, qui rend les heures d' ascension comme celles de descente, vivantes et merveilleuses, une ambiance où palpite un rythme sauvage et nouveau. Et les lignes verticales à monter sont souvent plus belles que la ligne horizontale de la crête du sommet.

Mais au Cervin, cette ligne plane à près de quatre mille cinq cents mètres, c'est-à-dire qu' elle est suspendue — tant ses flancs sont abrupts —, haut au-dessus de la plupart des chaînes et contraste avec les plaines en les fuyant dans l' austérité de son azur.

Ici les couleurs n' existent plus, seul l' éther flotte, coupé par les profils étrangers des cimes connues; sous le ciel noir coulent des vallées bleu clair.

Cimes lointaines, triangles étranges, flottant au-dessus des torrents de glace.

Et nous, plus haut, sans vertige, dans le ciel noir.

Nous nous penchons; les lois de l' équilibre semblent disparaître; des carrés clairs, deux mille mètres plus bas: les toits du Breuil.

Extase, étonnement; surtout étonnement. A quoi servons-nous? Spectateurs. Notre être physique vit, réagit.

Mais l' esprit erre éperduement. Pourquoi ne pas continuer à monter? Limites, quelle est votre utilité? Un mot semblable à celui d' anarchie susurre ses charmes à l' azur.

Pourquoi seul l' élan nous est-il donné?

Sur le plus haut sommet du Cervin, ils se levèrent, et firent un vœu, puis indécis, ils parcoururent l' étroite crête de neige et de rocher, jusqu' à une croix; deux mille mètres au-dessus de la vallée de Zmutt; deux mille mètres au-dessus des pâturages du Breuil; de ce côté ils se penchèrent, et tournèrent le dos au sommet du mont.

Ce jour-là, seuls quatre hommes passèrent par là.

En haute montagne, les vivants ne sont que passagers, et les détails et les sites défilent devant leurs yeux, mais il faut continuer, continuer sans cesse; le chemin est long, et l'on n' avance pas vite; le vide se creuse toujours, et chaque mètre demande une énergie de plus.

L' alpiniste la donne volontiers; elle lui sera rendue multipliée.

Les premières parois du Cervin italien sont excessivement rapides, et même surplombantes. C' est une voie historique, tant elle fut décrite. Ainsi que dit Guido Rey, lors de sa première ascension: « Le Cervin fut tel que je me l' étais représenté, et Dieu sait si je me l' étais représenté beau. » Presque immédiatement des cordes. Et l'on hésite entre deux modes: la varappe pure ou la gymnastique; mais cette dernière nous fait gagner du temps et nous permettra d' être de retour à Zermatt 1e même soir.

Puis une échelle, qui crisse sous les pieds, et qui se ballotte bien haut, et de nouveau des cordes, une longue corde pendant le long de rochers robustes, de formes géométriques simples mais énormes, fissurées de neige et luisantes de verglas.

Et pendant des heures, c' est la même architecture, élancée mais solide, rugueuse mais froide. Le mont se fait sérieux, et chaque mouvement demande beaucoup d' instinct et d' adresse. Les cordes deviennent faciles et l'on regrette que quelques-unes soient là; le Cervin serait plus grand encore, et nous plus éloignés de l' habitude.

Depuis plus d' une heure nous descendons, le sommet est encore tout près. Malgré les cordes, ces roches sont immenses, et réclament notre complète attention. Ce n' est pas le monde hivernal, ce n' est pas le monde estival, c' est un monde rare, aujourd'hui celui du Cervin, monde parfois bien heureux, parfois sinistre. Aujourd'hui, malgré les brouillards qui se forment tout en bas, et malgré la neige fraîchement tombée, il est lumineux, reflétant une confiance sans limites.

Après les parois courtes franchies en de longs instants, le mont s' élargit et avance vers l' Italie une arête formée de tours chancelantes où pendent des glaçons, tours faites de rocs instablement entassés. Cette arête, à peu près horizontale, nous oblige à de délicats détours et à une gymnastique calculée. Puis après quelques cents mètres les lignes fuient de nouveau toutes vers le précipice.

Sur ce haut promontoire, nous nous arrêtons quelques minutes, et contemplons.

Cette montagne est tellement intéressante que l'on ne peut que l' aimer; jamais on ne saura apprécier cette descente à sa valeur. En regardant le chemin déjà parcouru, une vague de nostalgie me prend, et je regrette les instants passés, je regrette l' échelle de corde, je regrette les étroites plateformes où finissent les cordes, je regrette la neige cristallisée, perdue là-haut. Et j' en viens à apprécier le moment présent.

Le Pic Tyndall n' est pas dans le voisinage immédiat du sommet du Cervin; n' en est-il pas la dernière marche. Et la plaque de rocher où nous sommes, jetée sur une étroite arête de neige, n' est pas encore, vers l' ouest, haut dans le ciel, en dessus de toutes les autres cimes?

Ainsi que des danseurs de corde nous nous levâmes pour descendre dans le vide, dans une arène sévère, saisissant notre chance. Dès ce moment il fallut aller plus vite, car les brouillards nous rejoignaient, et nous savions que notre chance était moins grande que la leur. Quand il faut marcher et descendre toujours, en accélérant son allure, on ne voit plus que la minute présente, le roc ou la pente de neige immédiats, et toutes les lignes générales s' effacent dans le temps comme dans l' espace.

Dès lors ce fut une clarté blafarde, une lumière blanche à travers une enveloppe lourde de vapeurs; les rochers même paraissaient informes et lointains; ils n' avaient plus rien de cette vigueur communicative d' il y a quelques heures; ces rocs devenaient fiers, froids; une antipathie sincère naissait entre eux et nous. Leur monde se fermait, et à mesure que les minutes s' écoulaient, nous sentions les difficultés s' accumuler derrière nous, tout en mesurant la paroi qu' il nous restait à descendre.

Au refuge Amédée de Savoie, nous nous arrêtâmes peu; quelques mots échangés en italien, un coup d' œil jeté sur l' étroite plateforme qui entoure la construction allongée, et ce fut tout. A l' intérieur, où nous ne pénétrâmes pas, c' était la chaleur du bois, le confort des lignes horizontales. Je réalisai que la vie du Cervin ne se voit pas depuis l' une des cabanes, même du refuge italien. Le plus bel orage n' est pas vécu s' il est contemplé d' un lieu abrité.

Après la rudesse des parois verticales de la Tête du Cervin, la répulsion des pentes sans équilibre de la crête Tyndall ou du Linceul, cet îlot de bois est une énigme, un étranger. Bien que notre curiosité nous suggérât d' y chercher l' habitude nous restâmes dehors, dominant de près le col du Lion.

Splendeur de l' être physique, apologie de l' instinct qui nous repose et nous unit à un heureux destin.

Fatalité que nous ignorons, devant laquelle nous fuyons, qui nous aiguillonne, nous excite et nous persécute.

Domination de l' être humain, du corps, dompté mais bouillonnant de vie.

VolontéNon.

Domination sauvage, domination magnifique du corps par le corps; toutes forces prodigieuses éclatant de plénitude.

Envisager l' éternelNon. La raison est absente.

Mouvement païenNon, il y a de la soumission.

DéterminismePeut-être.

Mais que l' être est parfait, seul en face du destin, seul sous son fardeau, et seul, glorieusement conservé.

L' angoisseLe monde de l' invisible appartient à l' éternel. Le corps instinctif n' y pénètre pas.

La mortIl y a la soumission; s' incliner, signe de respect de tous les temps.

Soumis!

PourquoiNul ne peut savoir.

Cet être-là de nouveau se leva, tourna et descendit.

Parois lisses, luisantes de brouillard.

Couloirs, fissures, creusements verticaux.

Pierriers, désordre, caries au pied d' un surplomb.

Crêtes de rochers, plates, sous la neige.

Névés, fuyants, gris-bleu.

Reflets faux et transparents, glace, verglas.

Nature sans lois, a—nar—chie.

Mais non. L' être passager ne peut comprendre l' esprit du mont.

A ce moment une coupure, formidable, sépare la montagne.

Lignes verticales, cachant le ciel, lignes verticales, empêchant de voir la terre.

Coup de hache surhumain, vision surnaturelle.

Lion, symbole d' une puissance rêvée mais non accessible. Col du Lion, désordre symphonique, résolution titanesque.

Etre humain, assez parfait pour le contempler.

Le rideau des nuées se baisse, l' ocre transparent de lumière s' alourdit. La nature pour unifier son œuvre, la fait disparaître.

Plus austère que le son des orgues remplissant une cathédrale, notre bien-être vibre à l' infini dans l' éther qui nous entoure. Toutes choses sont fixées d' avance, mais ne nous sont révélées qu' une fois accomplies.

Et nous réalisons d' autant plus la beauté de notre destin que nous avons lutté fidèlement.

Le rideau des nuées se baisse en nous voilant le passé. Le présent nous reste.

Toute l' arête parcourue disparaît dans l' ocre transparent de lumière lourde.

Blanche la neige, mais lourde. Lourde la neige et brutale. Cette nappe inclinée nous persécute; c' est un monde nouveau, inconfortable, avec lequel il faut dialoguer.

Après avoir tourné la Tête du Lion, par des vires et des pentes de neige, nous sommes parvenus à des pierriers. Par des cheminées en ruine nous sommes parvenus au glacier, tout en bas, où c' est presque plat.

Le ciel tonnait; il grêlait.

Mais c' est si confortable de marcher à plat, alors que le sac se balance régulièrement au dos, et qu' on a les mains dans les poches. Vivre sans penser, uniquement pour continuer d' être!

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