De Brigue à Meiringen par les sommets et les cols des Alpes bernoises | Club Alpino Svizzero CAS
Sostieni il CAS Dona ora

De Brigue à Meiringen par les sommets et les cols des Alpes bernoises

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Par E. Notz.

C' est avec la ferme idée d' accomplir une belle traversée, mais sans un but bien défini, que nous quittons la gare de Brigue, ma compagne et moi, par une belle fin d' après de juillet 1927.

Les sacs sont bien un peu lourds, mais nous nous sentons des ailes et les cœurs sont légers, car nous avons quinze jours de liberté. Quel enchantement que cette montée de Naters à Blatten! A chaque tournant, le chemin réserve une surprise. Les vieux chalets noircis par les ans, parsemés sur les pentes de la montagne, le torrent qui murmure comme fatigué de son effort, charment le touriste et l' invitent à se reposer en ces lieux. Arrivés à Blatten, nous décidons d' y rester et d' y passer la nuit dans l' unique auberge, rustique mais accueillante et sympathique.

Blatten! lieu charmant, plein de poésie et de douceur! Lieu de piété et de simplicité. Ta blanche église invite au recueillement. Tes chalets, au seuil usé par des générations de travailleurs braves et rudes, abritent des hommes fidèles aux traditions des pères.

Le lendemain matin, vers 8 heures, nous quittons notre auberge et montons vers Belalp et la cabane d' Oberaletsch, terme de notre étape d' au. Cette montée est pénible, car le soleil est chaud, le sentier raide et les sacs sont comme toujours trop lourds. Aussi n' est que vers 15 heures que nous faisons notre entrée dans la cabane d' Oberaletsch. Elle est déserte, la petite cabane; aussi nous nous empressons d' occuper les meilleures places et de commencer à vaquer aux soins de notre ménage.

Le reste de la journée se passe à somnoler près de la cabane, avec un peu d' herbe comme matelas et un rocher comme oreiller. Vers le soir arrivent encore trois cordées, dont une du Bureau topographique fédéral qui va poser un signal trigonométrique au sommet du Weisshorn.

Le jour suivant est pour nous un jour de repos. Tandis que les autres caravanes montent au Nesthorn et au Weisshorn, nous nous contentons de flâner dans les environs d' Oberaletsch. Nous poussons une pointe jusqu' à l' emplacement de la cabane Bernoud détruite par une avalanche et dont il ne reste plus que quelques rares débris épars dans la rocaille.

Le cirque d' Oberaletsch est peut-être un des plus beaux que les Alpes puissent nous offrir. Comment décrire la splendeur qui se dégage du Nesthorn, le roi de la contrée?

Le départ pour l' Aletschhorn est décidé pour le lendemain à 2 heures.

A 1 heure je me lève et prépare notre déjeuner. Puis je réveille ma compagne qui ne paraît pas très enchantée d' être tirée si brusquement de son bon sommeil. Nous nous encordons et, silencieusement, à la clarté de notre lanterne, nous nous glissons dans la nuit froide, nous frayant un passage au travers des blocs peu stables de la moraine.

Le grand calme de l' alpe qui dort agit sur nous et nous sommes silencieux. Il semble que ce calme nous intimide au point de nous empêcher de parler à haute voix. Bientôt nous abordons le glacier et nous avançons rapidement dans la direction d' un rocher qui termine l' arête sud de l' Aletschhorn et que nous voyons indistinctement dans l' ombre.

Nous sommes un peu embarrassés pour sortir du glacier, mais avec un peu de patience on finit par atteindre les premiers rochers qui constituent la base de l' Aletschhorn. Les premiers pas sont faciles et nous nous élevons rapidement jusqu' au moment où une paroi de glace haute d' une quinzaine de mètres se dresse devant nous. Nous éteignons la lanterne et, comme nous sommes en avance, nous faisons une halte prolongée ( point 3404 A. S. ). Le jour est arrivé et déjà les plus hauts sommets sont touchés par les premiers rayons du soleil qui apparaît bientôt au-dessus de l' arête du Sattelhorn.

Les crampons sont chaussés et au moyen de quelques marches rapidement taillées nous escaladons la paroi qui nous domine. Une demi-heure d' efforts nous amène sur un névé peu incliné que nous traversons dans la direction d' un cône rocheux qui doit nous mener sur l' arête sud-est, par où nous terminerons notre ascension. La rimaye nous donne un peu de fil à retordre. La grimpée dans les rochers est facile, mais nous arrivons bientôt au pied d' une grande pente de glace assez inclinée où il nous faut tailler une centaine de marches, car la glace est trop dure pour que les crampons puissent y mordre. Malgré ce travail pénible et la lenteur de mouvement qui en résulte nous arrivons au point 3966 sur l' arête sud-est.

Cette arête est mauvaise, car elle est recouverte de verglas. Il faut user de ruses et de prudence pour venir à bout d' une succession de plaques assez inclinées. Enfin, vers 10 h. 30, nous atteignons la cime.

Un vent terrible, venant du sud, se met à souffler et rend le séjour sur le sommet moins qu' agréable. Nous en profitons cependant pour prendre quelques vues. Déjà, vers l' ouest, de gros nuages s' élèvent, annonçant la pluie, faisant disparaître les uns après les autres l' Altels, la Blümlisalp, le Bietschhorn et, même, plus près de nous, le Sattelhorn, le Gspaltenhorn et l' Ebnefluh. Le groupe Jungfrau-Mönch-Eiger reste découvert et brille au soleil, mais, impitoyables, les nues, déferlant par-dessus le Rottalhorn, emprisonnent les trois montagnes et les font bientôt disparaître à nos yeux.

Comme la tempête ne va pas tarder à éclater, nous nous hâtons de reprendre notre arête sud-est pour fuir devant les éléments. Au point 3404, l' orage éclate soudain, et c' est dans un désordre indescriptible que nous continuons à descendre. Les coups de tonnerre, le grésil et le vent nous accompagnent et nous n' avançons plus très sûrement, car la route n' est pas facile à trouver. Au moment de descendre sur le glacier d' Aletsch, nous nous trompons de cheminée. Notre situation n' a rien d' enviable, car nous nous trouvons bientôt tout à fait hors de la route suivie le matin. Enfin, après bien des efforts, nous parvenons à retrouver sur la glace un petit banc de sable où nous voyons encore assez distinctement nos traces de montée.

Enfin, vers 18 heures, soit environ 16 heures après l' avoir quittée, nous retrouvons avec satisfaction notre sympathique petite cabane d' Oberaletsch.

Un souper copieux nous fait oublier les ennuis d' une marche forcée sous la pluie et le vent. Puis, tout en séchant nos habits, nous nous entretenons, ma compagne et moi, des faits de cette belle journée. C' est son premier 4000 et vous savez quelle joie on ressent lorsque pour la première fois on a atteint cette altitude.

Pendant les deux jours suivants le temps est déplorable, et il ne nous est pas possible de gagner la cabane Concordia comme il avait été convenu.

Le troisième jour enfin nous pouvons faire nos préparatifs de départ...

Vers midi, nous arrivons au lac de Märjelen, où nous faisons une longue halte pour savourer avec délices tout le charme de ce paysage. Sur les eaμx du lac flottent des icebergs aux teintes du bleu sombre au vert le plus délicat. Au loin, par-dessus le glacier d' Aletsch, le regard se perd sur les précipices de glace du Dreieckhorn. Vers 18 heures, nous sommes à Concordia, où l' affluence des touristes est très grande.

Le lendemain, nous montons tranquillement au Jungfraujoch. A 11 heures, confortablement installés dans la salle à manger du Berghaus, nous savourons un excellent déjeuner. Dans l' après, nous traversons successivement les cols supérieur et inférieur du Mönch et à 17 heures nous posons nos sacs dans la cabane Bergli ( 3299 m. ).

Elle est toute solitaire, cette cabane, et cela fait un contraste frappant avec Concordia et le Jungfraujoch, où se presse la foule cosmopolite des touristes. Perchée sur son rocher, la cabane Bergli est un peu à l' écart des grandes voies d' ascensions. Depuis la construction du chemin de fer, le gros des touristes préfère stationner au Jungfraujoch dont le Berghaus leur offre tout le confort des grands hôtels. Mais nous autres, alpinistes qui recherchons surtout le calme et la solitude, nous préférons la cabane Bergli qui domine la mer de glace de Grindelwald et dont la vue sur le Schreckhorn, le Wetterhorn et les Fiescherhörner est superbe.

Le 1er août est pour nous un jour de repos. Depuis hier nous n' avons pas vu un seul être humain. Nous nous levons tard et nous déjeunons sur la petite terrasse de la cabane.Vers midi, nous découvrons une caravane venant du Zäsenberg et se dirigeant vers Bergli. Elle avance lentement et n' arrive à la cabane que vers 17 heures. Ce sont trois clubistes de Schaffhouse. Entre temps, une autre caravane, composée de cinq membres de la section d' Aarau, arrive du Grossfiescherhorn par le col du Mönch inférieur. Nous sommes donc dix représentants de diverses régions de la Suisse pour fêter dignement et simplement notre fête nationale. Après le souper, nous nous réunissons tous devant la cabane et, alors que le soleil se retire, admirant les Fiescherhörner et 1e Schreckhorn tout roses qui se détachent sur un ciel violet, nous entonnons, après nous être recueillis: « Mein Heimatland, mein Vaterland, mein Schweizerland ». Le dernier couplet terminé, l' écho répète: « mein Schweizerland ». Nous restons tous muets, émerveillés, en contemplant ce coucher de soleil, et nous sommes reconnaissants de pouvoir habiter une si belle patrie.

Les quelques bouteilles amenées du Jungfraujoch sont ensuite vidées et cette soirée de 1er août se passe, joyeuse, agrémentée de chants, chansons et anecdotes de toutes sortes. Pendant la nuit, le temps se gâte et au réveil la neige tombe à gros flocons. Le 3 août, le ciel est encore chargé de gros nuages, mais, l' inaction me pesant, je me décide à quitter la cabane et, seul, je monte au Walcherhorn ( 3705 m .), le premier sommet du groupe des Fiescherhörner en venant du col inférieur du Mönch.

Je suis seul et je jouis intensément de cette solitude. Sur l' Ewigschnee, de gros brouillards se traînent, poussés par le vent, le grand vent de la montagne qui hurle et se lamente, se ruant sur moi, comme pour me précipiter au bas des rochers de la Fiescherwand. Sans me lasser, je regarde les nues monter à l' assaut du Trugberg et du Mönch. Aussi loin que le regard peut aller il y a des brouillards, d' où émergent, comme des îles, les plus hauts sommets. J' ai l' illusion de me trouver sur une mer houleuse, voguant sur un radeau à la recherche d' un bon port. Mais il faut songer à rentrer au logis et je me mets à descendre, brassant la neige jusqu' aux genoux.

Dans l' après de cette journée, le vent du nord dissipe les nuages et nous pouvons faire nos préparatifs pour l' ascension du Mönch ( 4105 m. ).

Cette grimpée se révèle relativement facile. Nous sommes un peu gênés par la neige fraîche qui ralentit considérablement notre marche. Nous faisons un séjour de deux bonnes heures au sommet. La vue est magnifique. La chaîne des Alpes valaisannes se détache très pure dans le ciel. Plus près, notre Aletschhorn est resplendissant. Du côté du nord-est, derrière le Brienzerrothorn, on voit le Pilate et le Righi, puis on reconnaît les Alpes centrales avec le Titlis. Nous visitons encore la maison de neige, construite sous le sommet du Mönch pour faciliter des observations scientifiques.

La descente s' effectue sans accidents, malgré les chutes fréquentes de gros paquets de neige qui vont s' écraser avec fracas sur l' Ewigschneefeld. C' est avec une grande prudence que nous abordons les corniches de l' arête sud, car la neige fraîche des deux derniers jours les a mises dans un très mauvais état. A 13 heures, nous nous retrouvons à la cabane Bergli.

Le vendredi matin, 5 août, nous sommes de nouveau à l' Obermönchjoch vers 5 heures. Notre but est la Jungfrau. Au Jungfraujoch, nous ne voyons personne, on dort encore. C' est bon signe, car nous serons, vraisemblablement, les premiers à atteindre le sommet aujourd'hui. La neige du Jungfraufirn porte bien et nous marchons sans peine. Nous mettons les crampons pour faire la montée du Rottalsattel. La rimaye située à une dizaine de mètres du col nous arrête un instant, car ma compagne, ayant mal calculé son enjambée pour atteindre la marche que je viens de tailler sur l' autre bord, tombe dans la crevasse. Heureusement que mon piolet est bien planté; la corde se tend, quelques morceaux de neige tombent encore dans le gouffre, puis on n' entend plus rien. Il me faut un bon quart d' heure pour arriver à la tirer de cette fâcheuse position.

Depuis le Rottalsattel, le vent du nord nous gêne beaucoup en nous gelant les mains et la figure. Il nous faut tailler quelques marches sur l' arête pour atteindre les rochers verglacés qui se trouvent sous le sommet. Cependant nous atteignons la cime ( 4166 m. ). C' est un plaisir pour nous de contempler de là-haut toutes ces montagnes connues. Tout au loin, là-bas du côté de l' est, je cherche et découvre les cimes aimées des Alpes vaudoises.

De retour au Berghaus du Jungfraujoch, nous vidons une bonne bouteille de Dézaley en l' honneur de nos deux dernières victoires et, après avoir expédié notre courrier, nous repartons pour la cabane Bergli où nous devons encore passer une nuit avant de descendre sur Grindelwald.

Dans la matinée du 6 août nous quittons la Bergli. Nous traversons le Fiescherfirn dans la direction du Kalliband, et nous arrivons enfin au glacier inférieur de Grindelwald et à Stieregg, où nous pouvons enlever la corde.

Au tournant de la Bäregg, notre regard plonge dans la vallée verdoyante de Grindelwald. C' est une joie pour nous, car depuis 15 jours nous ne voyons que de la neige et des rochers. Cette vallée est pareille aux autres vallées alpestres, mais nous éprouvons un plaisir particulier à la voir aujourd'hui.

Le sentier descend rapidement, longeant les rochers du Mettenberg, s' éloignant des glaciers pour gagner les riantes prairies. Enfin, voici le village avec son église, ses chalets et ses hôtels. Voici, le long d' un mur, des fleurs et encore des fleurs. Quel plaisir de se retrouver dans ce berceau de mes premiers pas dans les hautes montagnes!

Le 7 août, nous traversons, en flânant, le col de la Grande Scheidegg pour atteindre Meiringen.

Et bientôt le train nous entraîne loin de ce beau pays, où nous venons de vivre, pendant deux semaines, la vie rude et pénible, mais saine et belle de la haute montagne.

Feedback