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Deux grands itinéraires dans les Dolomites: Cime ouest du Lavaredo, paroi nord

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Cime ouest du Lavaredo, paroi nord

PAR YVETTE ATTINGER, GENEVE

Avec I illustration ( 28 ) Est-ce leur appartenance à l' Italie ( depuis 1919 ) qui leur donne tant de séduction et de mystère?... Mystère peu à peu dévoilé, celui par exemple de la Cime ouest à l' arrogante face nord, ouverte par Desmaison et Mazeaud en juillet 1959 ( voie Couzy ): face imposante, jaune d' abord sur 300 m et noire plus haut.

C' est à peine le petit matin, et déjà la grande réalité de notre marche d' approche. Soudain, sur le sentier, derrière nous, se précisent deux formes humaines, armées de planchettes... comme nous. Pourvu que!... Nous atteignons le pied de la paroi, nos deux gars aussi - deux Allemands -avec un projet identique au nôtre. Michel prend les devants et leur propose la voie suisse ( ouverte par Schelbert et Weber en 1959 ), voisine de notre itinéraire d' environ 100 m. Echange de bons procédés: Michel Vaucher se laisse montrer l' attaque de la directissime française, alors qu' il conduit la cordée allemande vers le point de départ de l' itinéraire suisse.

Et ça commence. On n' en finit plus de fouiller cette face: elle offre à gogo, dès la première vue, surplombs et traversées. Les cordes sont préparées, dont une pour le plus gros sac; puis encordé, harnaché, assuré, de sa grâce alourdie, mais toujours féline, Michel attaque.

Première fissure surplombante et premier relais, sur une vire; c' est aussi le départ d' une première traversée. Ensuite, ce sont encore des fissures, des traversées, des toits et tous les relais établis sur étrier, c'est-à-dire sur planchettes. L' installation de chaque arrêt est minutieusement mise au point. Ces nombreux zigzags rendent l' assurage très difficile. La corde qu' on croit tendue est souvent coincée au tournant. Mais, sûrement, patiemment, notre progression cliquetante continue. Le rocher est plutôt bon. Michel promène sa force tranquille, sa virtuosité indéniable, des heures et des heures durant, sur des pitons parfois bien fragiles.

C' est peut-être la fin de la journée. Nous n' avons pas de montre, ni de cadran solaire. De toute façon, il y a longtemps que le soleil a effleuré la paroi et que sa lumière ne se reflète plus dans les trois petits lacs impassibles, au pied des Tre Cime. Nous savons que deux bivouacs sont nécessaires. Sur nos têtes l' immense suite de la face. Entre nos pieds, les pierriers. Au bout d' une corde, le sac qui se balance et ne touche le rocher qu' aux surplombs. Trêve de rêverie sur étrier!

Nous voilà dans la traversée de 50 m. Le ventre du rocher nous cache totalement pieds et jambes et je trouve les pitons bien éloignés les uns des autres. C' est tuant! Agréable, quand même, de penser qu' au de cette traversée, après un dièdre surplombant, ce sera notre premier bivouac... sur planchette, le corps un peu coincé dans une fissure.

La température est agréable, mais nous avons soif. Nous avons emporté deux litres pour deux jours: du café, que Michel déguste, et du the trop sucré. Oh! bénédiction, des fruits écrasés, mais frais! Ce doivent être des pêches ou des prunes. Bien attachés l' un au-dessus de l' autre, nous ne sentons plus la fatigue. On se laisse aller au sommeil, tandis que monte la nuit silencieuse. La lune, elle aussi, bivouaque.

Le lendemain, l' acrobatie continue. A une demi-longueur du départ, c' est une vire magnifique, d' au moins 50 cm, où nous aurions pu bivouaquer également. Après de nouveaux zigzags, traversées, surplombs, etc., Michel annonce triomphalement le dernier toit. Incroyable dernier toit! Pour y parvenir, une éprouvante traversée; tout y est fragile: le rocher, les pitons, le beau temps... Il pleut. Nous sommes à l' abri; faut-il en sortir?

En emportant un piton, qu' il replace de la main, Michel attaque ce toit immense et dégoulinant. Le rocher est délicat. Clou après clou, mon leader s' éloigne et tout à coup disparaît. Il est dehors; il vient de le crier; ça redonne des forces; alors péniblement j' y vais. L' ombre attaque, elle aussi, la paroi; c' est l' heure du second bivouac, sur une grande vire, avec eau courante et chutante. Petit à petit, nous nous imbibons. Le vent violent tente vainement de nous sécher et ne peut nous distraire des pensées que nous avons pour les gars du Mont Blanc. Michel prétend n' avoir pas dormi. J' ai surpris pourtant, venant de lui, un ronflement de fauve...

Avec l' aube glauque du troisième jour d' escalade commence l' assaut final des derniers 150 m pour rejoindre la vire de sortie. La température est descendue ( avant nous ). Tout est froid et mouillé. Michel se charge du sac pesant qu' il a tire pendant deux jours. Nous ne grimpons plus en « artif ». C' est du V. A tellement monter, j' ai l' impression qu' il n' existe pas de descente.

Pourtant, Michel, notre abominable homme des cimes, reconnaît le sentier, les vires, les couloirs qui nous ramènent doucement vers des civilités pendant deux jours oubliées, vers un confort malgré tout non regretté. Avec la joie pour moteur, nous rentrons au refuge Locatelli. Rencontrés en chemin, nos deux petits Allemands d' il y a trois jours nous apprennent qu' ils ont renoncé après une longueur. C' était trop pénible!

Nous étions partis grimpeurs, nous revenons trapézistes après ce festival d' A. 1, A. 2, A. 4, 6, 7, 8, 9 ( 70 m de dévers sur 300 m de face !). A la cabane, c' est l' évocation de nos souvenirs tout neufs et - déjàla ronde d' autres projets.

Dehors, c' est presque la tempête.

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