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Esquisse d'histoire naturelle de la région biennoise

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Avec 2 illustrations.Par M. Thiébaud.

C' est de la Montagne de Boujean que l'on jouit de la vue la plus complète et la plus caractéristique des environs de Bienne. Le regard embrasse d' abord le Jura avec la chaîne du lac, le Spitzberg, 1e riant et fertile vallon d' Orvin et enfin la chaîne de Chasserai profondément entaillée par les cluses de la Suze.Vers l' ouest se dessinent raccourcis par la perspective les lacs de Bienne, Neuchâtel et Morat, séparés par les modestes collines du Seeland, 1e Jolimont, l' île de St-Pierre, le Jensberg, couronnés de forêts et s' élevant des plaines d' alluvions où l'on voit miroiter quelques méandres de l' Aar et de ses affluents. Beau paysage varié, riche en contrastes réservant à qui aime et observe la nature foule de faits intéressants.

Quelques notions géologiques sont tout d' abord nécessaires pour expliquer le modelé de la région. Commençons par la bordure jurassique du Seeland. La chaîne du lac, sur une longueur de 27 km ., de St-Blaise à Longeau se détache nettement de la plaine seelandaise.

Ses bancs calcaires, fortement redressés et alternant avec des couches marneuses riches en fossiles, appartiennent au Jurassique supérieur avec un placage de crétacique disposé non pas en manteau continu mais en lambeaux isolés plus ou moins étendus, épargnés par l' intense érosion postglaciaire. La pierre jaune de Neuchâtel, l' Hauterivien, est exploitée dans quelques carrières près de Daucher. Elle a été employée dans la construction de plusieurs beaux bâtiments modernes de Bienne, la Banque populaire et l' Hôtel Elite, et dans la vieille ville on la retrouve formant l' encadrement de portes et de fenêtres. Par contre le grand mur et l' escalier d' accès du temple allemand ainsi que les bassins des vieilles fontaines sont en calcaire de Soleure, le Kimmeridgien des géologues. Les produits de décomposition de ces couches du crétacique mélangés à ceux des dépôts glaciaires forment le meilleur terrain pour la culture de la vigne le long du lac.

Les cluses de la Suze présentent un vif intérêt. Elles comprennent deux sections, le Taubenloch et les gorges de Rondchâtel. La première, étroite entaille dans les bancs calcaires du Portlandien et du Kimmeridgien, laisse voir avec une netteté parfaite la courbure anticlinale de ces assises puissantes. Dans les gorges de Rondchâtel l' érosion a entamé plus profondément encore le Jurassique moyen jusqu' à la dalle nacrée. Le complexe marneux de l' Ox ayant été atteint, l' érosion s' est aussi exercée latéralement et a produit ESQUISSE D' HISTOIRE NATURELLE DE LA RÉGION BIENNOISE.

un cirque imposant bordé de parois calcaires verticales et richement boisé. Des sources, au fort débit, jaillissent au contact des couches marneuses. Les gorges du Taubenloch, accessibles aux promeneurs par l' établissement d' un sentier romantique, montrent nettement la technique du travail de l' eau courante: érosion, affouillement là où la pente est accentuée, comblement du lit de la rivière par le dépôt de sables et de graviers dès que la pente s' atténue la sortie des gorges, dans leur partie la plus étroite, on peut constater encore maintenant l' action de l' érosion qui polit les roches, y creuse des « marmites » par le frottement de cailloux et de sable entraînés par le mouvement giratoire de l' eau. Dans cette partie des gorges le sentier a été creusé dans le « travertin », couches concentriques de tuf déposées par des eaux chargées de calcaire autour de racines qui pénétraient dans des cavités faisant partie, autrefois, du domaine des eaux souterraines. La flore et la faune des gorges sont aussi intéressantes. On y trouve encore la langue de cerf ou Scolopendre, belle fougère aux feuilles luisantes, entières, étalées sur le sol. L' impatiente ne-me-touchez-pas et l' impatiente parviflore, d' introduction plus récente, se rencontrent à maints endroits au bord du sentier en compagnie de la lunaire, belle crucifère aux fleurs rosées. Sur le fond de la rivière on peut assister au manège du cincle aquatique ou merle d' eau voletant de bloc en bloc, courant sur le sable ou plongeant même dans l' eau rapide, à la recherche de sa nourriture.

Si le calcaire est la roche fondamentale du Jura, la mollasse forme l' os du Seeland. On y trouve tous les étages classiques de cette formation, mollasse marine alternant avec la mollasse d' eau douce. Mais les terrains qui intéressent le plus les alpinistes ce sont les dépôts glaciaires si variés, témoins de l' ancienne extension des glaciers hors de leur domaine actuel. On sait que ce phénomène s' est renouvelé à quatre reprises mais, naturellement, c' est la dernière glaciation qui a laissé les traces de son passage. Toutefois, dans la région biennoise, aux Prés d' Orvin, des dépôts morainiques et surtout le beau bloc erratique protégé du Jobert à 1350 m. d' altitude appartiennent à l' avant glaciation. C' est le glacier du Rhône dont la langue jurassienne s' est avancée jusque près de Wangen s. Aar qui a laissé sur les flancs du Jura un abondant matériel de moraines plus ou moins entamées par l' érosion postglaciaire et de blocs erratiques de toutes dimensions et où se retrouvent les roches les plus caractéristiques du Valais, protogine du Mont Blanc, gneiss d' Arolla, archésine et conglomérat de Valorsine. Les plus connus sont le Hohlstein près de Douanne, le Graustein à Beaumont sur Bienne, le Heidenstein de la forêt de Madretsch. Tous ces blocs sont protégés et appartiennent soit au canton, soit à la Société helvétique des sciences naturelles ou encore au Club Alpin, tel celui qui se trouve derrière la fabrique d' horlogerie Aegler à Bienne. Quand on étudie la répartition de ces blocs, petits et grands, sur les flancs du Jura, on constate la présence de quatre séries superposées, particulièrement nettes sur la Montagne de Boujean, la série la plus élevée se trouvant à 920 m. vers l' hôtel, la deuxième à 700 m ., la troisième à 550 m. et la dernière à 450 m. Sur Macolin ces quatre séries se retrouvent, mais à une altitude légèrement supérieure. La première à Macolin même forme vers 930 m. plusieurs séries de petites collines dues à la présence de moraines tandis que l' inférieure s' observe au-dessus du gymnase et au Ried à Bienne même. La présence de ces séries de moraines est due au fait que le retrait du glacier ne s' est pas produit régulièrement d' une manière continue mais qu' il a procédé par à-coups avec des phases de régression et de progression et de longues périodes d' arrêt, suffisantes pour expliquer la formation de dépôts morainiques importants dont il ne reste plus actuellement que des vestiges épargnés par l' érosion postglaciaire.

La contrée biennoise présente encore d' autres formations de cette époque. Ce sont les importants dépôts fluvio-glaciaires, d' âge divers, des périodes interglaciaires ou postglaciaires. Ce sont des amas de cailloux roulés, de graviers alternant avec des sables formant des terrasses situées à trois niveaux différents, les plus anciennes se trouvant à 90 m. au-dessus du niveau actuel des eaux. A Sutz une de ces gravières présente une paroi de 30 m. Ces dépôts atteignant jusqu' à 50 m. d' épaisseur sont les plus importants de la Suisse occidentale. A Studen où elles sont exploitées intensivement, elles ont livré un beau fragment de défense du Mammouth déposé au Musée Schwab à Bienne. Dans les couches sableuses de ces formations I' hirondelle des rivages creuse son nid. Le Seeland doit sa fertilité à tous ces dépôts glaciaires qui recouvrent la mollasse qui, elle, en se décomposant, ne donne qu' une terre siliceuse très pauvre.

Un mot encore des dépôts à' alluvions qui ont comblé les anciennes vallées et forment actuellement la grande plaine de Bienne à Soleure. Des sondages faits près de Safnern en 1933 ont montré une épaisseur de 65 m. de ces dépôts de sables, de marnes, de graviers, de débris morainiques recouvrant le fond herbeux d' une ancienne vallée datant de la dernière période interglaciaire et reposant directement sur la mollasse aquitanienne. Les études, très poussées, de toutes ces formations d' alluvions ont permis de reconstituer l' histoire postglaciaire de toute la région subjurassique. Après le retrait du glacier du Rhône tout ce fossé forma un grand lac s' étendant du Mormont dans le canton de Vaud à Soleure. Puis, par la percée de la moraine frontale de retenue à Wangen, le niveau s' abaissa et le lac de Soleure se subdivisa en les trois lacs actuels de Bienne, Morat et Neuchâtel. Le lac de Bienne recouvrait alors une surface beaucoup plus étendue; un de ces bras étroits pénétrait entre la Montagne de Boujean et le Büttenberg. C' est dans ce lac de Pieterlen que se jeta d' abord la Suze. Elle y forma un delta important. Grâce aux études du Dr Antenen qui a relevé les coupes de ces dépôts à l' occasion de sondages ou de travaux d' affouillement du sol, on a pu constater la présence de bancs de craie lacustre à quatre niveaux différents. Le niveau du lac de Bienne a donc subi d' importantes variations qu' on peut expliquer, en partie, par l' action du delta de l' Aar qui se jetait dans le lac de Soleure près d' Aarberg et a pu former pendant une certain temps barrage de retenue des eaux.

Après cet aperçu géologique, voyons ce que la région biennoise présente de particulier dans sa couverture végétale et dans sa faune. Le fait qu' il s' y trouve trois réserves botaniques ou zoologiques en prouve la richesse et l' intérêt. Il s' agit de la réserve du Pavillon Felseck à Bienne, de celle de l' Ile de St-Pierre et de la plus récente de la région de Meienried près de Büren.

La réserve du Pavillon fait partie de cette zone en bordure du lac, au climat chaud et sec, au cachet déjà méridional. Sur les rochers dénudés surchauffés par le soleil, la forêt devient taillis broussailleux et tout rappelle la « garrigue » méditerranéenne avec sa végétation de plantes adaptées à la sécheresse: feuilles grasses de plusieurs espèces d' orpin et de la joubarbe des toits ( Sempervivum tectorum L. ), feuilles très découpées de plusieurs ombellifères, de l' achillèe noble ( Achillea nobilis L. ), feuilles étroites de l' œillet des rochers ( Dianlhen silvester ) qui tapisse de rose de grandes surfaces. On y trouve abondamment le lys des rochers ( Anthericum Liliago L. ). C' est là aussi que Chodat a découvert son Ophrys Botteroni, sous-espèce de l' ophrys abeille. Dans cet étage inférieur du Jura, les orchidées sont nombreuses et intéressantes comme Torchis bouc, Torchis pyramidal, Torchis homme-pendu ( Loroglossum hircinum L., Anacamptis pyramidalis L., Aceras Anthro-pophorum L. ), espèces qui, malheureusement deviennent d' année en année plus rares. Au printemps, la forêt de cette zone présente par-ci par-là les taches d' un jaune verdâtre dues aux fleurs de l' érable à feuilles d' obier ( Acer Opalus ). Le sous-bois est alors constellé des touffes de l' anémone hépatique et de la primevère vulgaire.

Le Seeland héberge, lui, toute une série de plantes aquatiques ou de marais disparues ou en train de disparaître d' autres contrées de notre pays. C' est à Meienried près de Büren dans des anciens bras de la Thielle ou de l' Aar résultant des travaux de correction des eaux du Jura qu' on rencontre la plus riche collection de ces plantes. Dans ces eaux dormantes envahies par les laîches et les phragmites, les nénufars ( Nymphxa alba L. et Nuphar luteum L. ) étalent leurs grandes feuilles en cœur, ovales ou rondes, et leurs fleurs blanches ou jaunes, la sagittaire ( Sagittaria sagitifolia L. ) dresse ses belles feuilles luisantes en fer de lance à trois pointes tandis que l' hottonie des marais ( Hottonia palustris L. ) dont les feuilles submergées sont étroitement découpées, présente, en juin, le parterre de ses fleurs d' un rose tendre. Dans la forêt marécageuse séparant la Vieille Thielle de la Vieille Aar subsiste sans doute la dernière station suisse de la perce-neige d' été ( Leucojum œstwum L. ) portant au sommet d' une assez longue hampe un groupe de quelques clochettes d' un blanc crémeux. La photographie si nette prise par M. Ritter donne une image fidèle de cette grande rareté. D' autres plantes spéciales intéressent non seulement le botaniste mais tout ami de la nature. Ces étangs à végétation très dense servent de refuge à de nombreux oiseaux aquatiques, canards sauvages, oies, foulques noires et poules d' eau, ainsi que de nombreux échassiers. Le cygne sauvage y construit son nid dans les roseaux et en défend l' approche par une vigilante et agressive surveillance. Au point de vue de leur faune microscopique, domaine un peu spécial il est vrai, ces eaux renferment aussi bien des espèces rares surtout parmi les crustacés inférieurs, cladocères et copépodes. Aussi comprend-on les motifs qui ont engagé la Société bernoise des sciences naturelles à transformer cette région en une réserve protectrice. Espérons que dans les études préliminaires pour une nouvelle correction des eaux du Jura, on se préoccupe de la conserver et qu' on ne la sacrifie pas aux nécessités économiques ou techniques, si impérieuses qu' elles le paraissent.

Enfin l' île de St-Pierre, ce joyau du lac de Bienne, a aussi été érigée en une réserve ornithologique malgré l' opposition déclarée ou latente de certains pêcheurs. Dans les grands champs de joncs et de phragmiles du Heidenweg, terrain marécageux reliant l' île à Cerlier, le butor fait entendre son rauque appel et le grèbe huppé y dissimule son nid flottant. En automne les étourneaux du Seeland s' y rassemblent pour y passer la nuit, préludant au repos par un assourdissant concert. Accrochés par les longs doigts de leurs pattes flexibles, les jeunes blongios y exercent leur talent acrobatique. La petite éminence mollassique dite l' Ile des lapins héberge encore quelques lapins de garenne, descendants de ceux que J. J. Rousseau avait introduits lors de son séjour dans l' île et qui sont poursuivis par les renards dont le nombre a bien augmenté depuis que la chasse a été prohibée.

Je ne voudrais pas terminer cette esquisse sans rendre hommage à la population campagnarde du Seeland qui a fait preuve d' une telle ténacité dans l' effort, d' une telle persévérance pour transformer cette région en une des plus prospères du canton. Les véritables forêts d' arbres fruitiers sur les collines au sud du lac, les champs et les cultures qui ont remplacé les terrains marécageux autrefois inondés chaque année par les hautes eaux de l' Aar, témoignent de l' ampleur de cet effort.

« Va et découvre ton pays », tel est un des slogans de l' heure. C' est très bien, mais il y a la manière! Mieux que la traversée de notre Suisse en une quelconque « flèche » rapide, la découverte patiente et quotidienne de la contrée où l'on vit fortifie les liens qui nous attachent au pays aimé.

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