Gaspard Coquoz
Par O. Nicollier.
Le 20 décembre dernier est mort aux Granges-sur-Salvan, après une très longue et douloureuse maladie, le guide Gaspard Coquoz, âgé de 75 ans. Comme porteur au début, puis très tôt comme guide, il avait exercé sa belle profession pendant plus d' un demi-siècle.
Gaspard Coquoz était né à Salvan le 3 août 1860. Tout jeune garçon ( il était alors petit berger dans le Val d' Illiez ), son père, grand ami de François Fournier, pria celui-ci de le prendre en courses en qualité de porteur. C' est ainsi qu' à l' âge de dix-sept ans il fit avec Emile Javelle sa première ascension au Mont Blanc ( traversée d' Italie en France ) et en 1879, avec le même entraîneur, une active campagne dans le massif du Trient ( entre autres première traversée du Col Droit ).
Détail intéressant: trois ans plus tard, le maître François Fournier et l' élève Gaspard Coquoz obtinrent, à la même date du 16 juin 1882, leur officiel brevet de guide.
En écrivant ces lignes j' ai sous les yeux, et je le feuillette pour la dernière fois, le livret de guide de mon vieil ami et compagnon de courses. Si l'on pouvait reproduire ici ces pages éloquentes, ce serait rendre à sa mémoire le plus bel hommage qui soit. Force, endurance, amabilité, franchise, prudence, « délicatesse extrême », tels sont, au cours des pages, les mots qui traduisent la reconnaissance de tous ceux qui ont été guidés pendant 50 années par Gaspard Coquoz!
Il faudrait ajouter: solidité et modestie. Gaspard Coquoz, dès l' abord, donnait cette impression de solidité physique et morale qui lui attirait une confiance immédiate, impérative, irraisonnée. On était gagné par ce regard droit et tranquille, par cet accueil tout simple, empreint de tant de dignité naturelle. Beaucoup de ceux qui ont été conduits occasionnellement par Gaspard Coquoz ne se sont peut-être pas doutés qu' ils étaient en compagnie d' un « grand » guide. C' est que sa modestie était extrême, presque bizarre. II ne parlait pour ainsi dire jamais de certaines expéditions hardies et difficiles que d' autres eussent exploitées avec un sens de la réclame qui lui était parfaitement étranger. Au retour d' une ascension, on avait mille peines à lui faire sortir son livret; il s' en défendait par toutes sortes de petites manœuvres, il temporisait, promettait, et le livret restait dans son sac, si même il ne l' avait pas laissé à la maison! C' est pour cela que ses cinquante années de courses y sont représentées en tout et pour tout par une trentaine de certificats. Mais quels certificats!
Quelques jours après l' obtention de son brevet de guide, Gaspard Coquoz est engagé par MM. Güttinger et Wagnon. Ils font ensemble ( n' ou pas qu' à cette époque le Dauphiné n' était pas encore très couru ) les traversées de la Brèche de la Meije, du Col des Ecrins et l' ascension du Pelvoux.
L' année suivante, c' est la première ascension de l' Aiguille de la Varappe, aux Aiguilles Dorées ( MM. Wanner, Güttinger et Thury ).
En 1890, avec M. L' Hardy, première de la Tour Sallière par la voie exposée du Grand Revers. Cette même année, il mène à bien « par une tempête horrible », dit le livret, l' escalade de l' Aiguille du Géant, avec le Dr Werner, secrétaire général des Clubs alpins allemand et autrichien.
M. Julien Gallet l' engage en 1893 pour une campagne dans l' Oberland bernois. Ils font la première ascension de la cime ouest du Lonzahorn ( 3598 m .), la première aussi des deux cimes du Torberg, et M. Gallet loue « la solidité et les services intelligents » de son excellent guide.
La même année, première encore du Mont Rouge de Triolet.
En septembre 1898, il mène au Mont Blanc un touriste de 72 ans, M. Aug. Dubois. « Montée et descente en 16 heures! » Mentionnons ici que Gaspard Coquoz était devenu l' un des guides suisses les plus demandés pour le Mont Blanc. Il l' avait gravi par toutes les voies possibles, en connaissait toutes les traîtrises, y avait subi les pires conditions atmosphériques et, toujours, avait ramené ses compagnons sains et saufs.
Un de ceux-ci déclare: « Les cimes encore non visitées par lui le trouvent aussi sûr que dans son domaine habituel. » Et, en effet, étant en septembre 1900 au sommet du Weisshorn avec Mlle Eugénie Rochat, celle-ci le prend au dépourvu en lui proposant la descente par le Schalligrat. Ce qui fut accepté et mené à bonne fin sans une hésitation ni un tâtonnement.
Enfin, au cours des années, c' est, comme seul guide ou comme guide-chef, une série de tournées dans l' Oberland bernois, les Alpes d' Uri, le massif du Dammastock, des Aiguilles du Mont Blanc. Puis de nouveau le Dauphiné avec le Pelvoux, la Barre des Ecrins et la difficile traversée de la Meije. Près de chez lui, et comme Salvanin, il était, bien entendu, un de ceux qui connaissaient le mieux les cimes de la Dent du Midi, de Barberine et du massif du Trient.
Bien qu' il ait été souvent engagé par des touristes novices ou trop ambitieux, il les a toujours conduits et ramenés sans le moindre accident. Cela dit tout, et cela justifie la considération dont il était entouré dans le cercle de nos sections romandes du C.A.S.
Terminons par le bel hommage que lui rend l' un de ses fidèles compagnons, un Hambourgeois enthousiaste: « Je ne connais pas dans les Alpes de guide que je préférerais à Gaspard Coquoz; à la montagne, c' est mon homme d' aujourd et de l' avenir. Je l' aime de tout mon cœur! » Ce touriste n' était pas le seul à l' aimer de tout son cœur. Ceux qui l' ont connu de près, lui, sa famille si unie et si sympathique, qui ont goûté son hospitalité chaude et cordiale dans son beau chalet des Granges, garderont toujours de Gaspard Coquoz le souvenir bienfaisant d' une amitié que ni les années ni la mort ne peuvent effacer.