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Horace-Bénédict de Saussure et les glaciers

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Avec 2 illustrations ( 74/75par André Renaud

A l' occasion du deuxième centenaire de sa naissance, Les Alpes ont déjà rappelé la contribution considérable que le savant genevois H.B. de Saussure ( 1740—1799 ) a apportée à l' avancement des sciences. Ce « créateur de l' alpi scientifique », comme l' a écrit très justement M. Albert Roussy l, est un des fondateurs de la géologie et l' un des précurseurs de la météorologie. Mais on méconnaît encore trop la part importante qu' il a consacrée, dans ses observations, aux glaciers, ces « miracles de la nature » comme se plaisaient à les rappeler les anciens naturalistes.

1 Albert Roussy, Horace-Bénédict de Saussure. 1740—1799. Les Alpes, 1940, N° 3.

A l' époque de de Saussure, la littérature glaciologique ne comportait guère que les ouvrages de Scheuchzer 1, Altmann 2 et Grüner 3. Mais, bien qu' in, l' œuvre de ces précurseurs était encore rudimentaire, car leurs explorations ne les avaient jamais conduits dans les régions supérieures des glaciers qu' ils ne connaissaient que par les récits souvent fantaisistes des rares bergers qui s' étaient aventurés dans les parages des « glacières maudites », et leurs théories n' étaient guère plus que des vues hasardeuses ne résistant souvent pas au contrôle des faits. Il est très probable qu' elles furent sans influence sur de Saussure, lorsqu' il entreprit en 1760 son premier voyage aux glaciers de Chamonix, car il ignorait encore l' ouvrage de Grüner: « Je n' en eus aucune connaissance; je n' entendais même point alors la langue dans laquelle il était écrit; et la traduction française 4 ne parut que dix ans après. Ignorant donc que ce sujet eût été si approfondi, je l' étudiai avec soin en 1760 et 1761; je fis même en 1764 un troisième voyage aux glaciers, au milieu de mars, saison qui est encore l' hiver dans les hautes montagnes, pour observer leur état dans cette saison et pour tirer des lumières nouvelles sur les causes de la formation et de la durée de ces amas de glaces. Trois mois après mon retour, je lus dans une assemblée publique des promotions de notre Académie, un discours qui contenait une description succinte des glaciers et la théorie générale de leur formation. » Cette citation montre que de Saussure étudia les glaciers pour son compte et l' esprit dégagé de tout préjugé.

A rencontre des naturalistes de son époque qui décrivaient trop souvent les glaciers par procuration, le savant genevois accordait une importance essentielle à l' examen sérieux de la nature et « refusait de soumettre ses conclusions avant de les avoir assises sur des bases suffisantes»5.

Les observations de de Saussure sur les glaciers ont paru, éparses, dès 1786, dans ses mémorables « Voyages dans les Alpes », et c' est sans doute à cette dispersion qu' il faut attribuer le fait que ses idées sur les glaciers ont trop peu retenu l' attention de ses contemporains et que, plus tard encore, des savants tels que de Charpentier 6 et Agassiz ° au début de ses campagnes sur le glacier de l' Aar, n' en avaient pas encore reconnu tout l' intérêt. Il n' en reste pas moins qu' elles ont influencé les théories glaciaires d' une façon décisive, sinon immédiate, ainsi qu' en témoigne le célèbre mémoire du Chanoine Rendu 8 dont l' auteur se réfère largement aux observations du savant genevois.

De Saussure est donc le premier observateur scientifique des glaciers, et c' est lui aussi qui introduisit dans la littérature scientifique les termes de 1 J.J. Scheuchzer, Iter alpinum quartum. 1705.

2 J.G. Altmann, Versuch einer historischen und physischen Beschreibung der helvetischen Eisbergen. 1751.

3 G. S. Grüner, Beschreibung der Eisgebirge des Schweizerlandes. 1760.

4 M. de Keraglio, Histoire des glaciers de Suisse. 1770. ( Traduction de l' ouvrage de Grüner. ) 5 D.W. Freshfield, Horace-Bénédict de Saussure. 1924.

6 J. de Charpentier, Essai sur les glaciers. 1841.

7 L. Agassiz, Etudes sur les glaciers. 1840.

8 Chanoine Rendu, Théorie des glacières de la Savoie. 1840.

glacier ( auparavant on disait glacière ), de moraine et de sérac empruntés au parler des Savoyards. Il créa l' expression de roches moutonnées pour désigner les rochers arrondis et polis par les glaciers. Il substitua enfin aux anciennes conceptions de l' expansion des glaciers sous l' effet de la congélation des eaux d' infiltration ( théorie de la dilatation de Scheuchzer ) sa théorie du mouvement progressif des glaciers sous l' action de leur poids.

A vrai dire, Altmann avait déjà réfuté la théorie de la dilatation et entrevu les causes réelles du mouvement des glaciers. La théorie de de Saussure n' était donc pas entièrement nouvelle; mais, avec lui, elle fut enfin solidement étayée par des observations sûres, telles que le charriage, par les glaciers, des débris rocheux qui participent du mouvement de la glace qui les porte vers les régions inférieures, l' éboulement constant, en été, des glaciers suspendus sur leurs escarpements, et bien d' autres. Une seule citation suffit à montrer qu' il avait acquis, sans recourir à des mesures, la certitude d' un mouvement dont personne ne doute plus aujourd'hui, mais qui, à cette époque, était difficile à déceler dans l' apparente immobilité des solitudes glacées. « Une autre cause qui s' oppose avec beaucoup d' efficacité à un accroissement excessif des neiges et des glaces, c' est leur pesanteur, qui les entraîne avec une rapidité plus ou moins grande dans les basses vallées, où la chaleur de l' été est assez forte pour les fondre. » L' évidence que « le poids des glaces les entraîne vers les basses vallées » était pour lui si grande qu' il dédaignait de répondre à ses contradicteurs. L' un d' eux, nommé Plouquet1, qui avait prétendu « que le mouvement progressif des glaciers est une chose physiquement impossible », s' attira cependant l' ironique réponse dont voici la fin: « Mais il y a plus; c' est qu' on les voit ( les glaces ) se mouvoir et pousser devant elles des rochers, souvent même au péril de sa vie; non pas à la vérité de Tübingen, mais quand on passe immédiatement au-dessous, comme au glacier des Pèlerins, au glacier de Miage, et en tant d' autres lieux. Aussi n' ai pas vu un seul habitant des Alpes qui eût le moindre doute sur la réalité de ce mouvement progressif, et le doute éphémère élevé par cet auteur passera comme les glaces qui fondent... » Si de Saussure avait clairement reconnu dans la pesanteur la cause du mouvement des glaciers, il est certain, par contre, qu' il exagérait l' importance de la fusion au contact de leur lit, donnant prise ainsi à certaines critiques. Mais ceux qui, comme de Charpentier, réfutaient sa théorie, affirmant que « les glaciers ne se meuvent pas par l' effet de leur propre poids », étaient plutôt des partisans attardés de la théorie de la dilatation. Quant à Agassiz, il reconnut plus tard 2 que la pente était aussi une des conditions de la progression.

Le mouvement du glacier n' est cependant pas un simple glissement analogue à celui d' un corps rigide sur un plan incliné, mais bien plutôt l' écoulement d' une masse semi-fluide qui avance en se déformant. Cette propriété n' avait pas totalement échappé à l' observateur attentif qu' était de Saussure. Décrivant le Glacier du Rhône, il remarquait en effet que « ce glacier descend hérissé de pyramides de glaces, variées par leur grandeur et par leurs formes; il se resserre ensuite pour passer entre deux rochers, après quoi il s' élargit de nouveau en 1 Allg. Litt. Zeitung, léna. 1792.

2 L. Agassiz, Nouvelles études et expériences sur les glaciers actuels. 1847.

éventail, et vient former un immense segment de sphère... » Mais il n' en tira aucune déduction explicite sur les propriétés physiques de la glace, et ce n' est que vers 1840 que l' hypothèse de la plasticité et de la viscosité du glacier s' imposa au monde scientifique à la suite des publications de Rendu, du physicien anglais Forbes 1 et du second ouvrage glaciologique d' Agassiz. Rappelons à ce propos qu' en 1773, le ministre genevois César Bordier 2 avait déjà considéré les glaciers « non point comme une masse entièrement dure et immobile, mais comme un amas de matière coagulée, ou comme de la cire ductile jusqu' à un certain point », mais cette suggestion remarquable n' avait pas attiré l' attention de de Saussure et resta longtemps ignorée.

De Saussure a reconnu d' autre part la véritable nature de maints phénomènes glaciaires. Citons la transformation naturelle de la neige en glace, la stratification du névé et la pression exercée par ce dernier sur les parties inférieures du glacier. Il a reconnu la fusion hivernale des glaciers dont témoigne l' existence des torrents « qui, même pendant les plus grands froids, ne dis-continuent jamais de sortir de tous les glaciers ». Le fait que, de nos jours, cette fusion n' est pas imputée entièrement à la chaleur terrestre, n' enlève rien au mérite de de Saussure. Le mouvement hivernal des glaciers et leurs périodes de crues et de décrues n' avaient enfin pas échappé non plus à sa sagacité. Signalant que les habitants des Alpes attribuaient à ces variations une périodicité de 14 ans, il contestait plaisamment cette régularité: « L' exis des périodes est un fait certain, leur régularité seule est imaginaire; mais, comme on le sait, la régularité plaît aux hommes... » De Saussure avait également reconnu l' existence des dépôts glaciaires abandonnés par les glaciers en décrue, et cela dans plusieurs vallées; mais on sait aussi que cette observation des charriages à courte distance ne lui suggéra jamais d' analogie avec le transport à grande distance des blocs erratiques qu' il attribuait, avec les savants de son temps, aux grands courants diluviens qu' il supposait être descendus des Alpes à d' anciennes époques de l' histoire de la terre. Il appartenait à d' autres que lui de découvrir plus tard les anciennes extensions et périodes glaciaires: « Sans prétendre donc nier, ni l' existence de quelques nouveaux glaciers, ni l' augmentation d' étendue de quelques anciens, j' aurais penché à croire que, dans la totalité, il ne se fait pas beaucoup de changements. » Néanmoins, il n' excluait nullement l' éven d' anciennes extensions glaciaires: « Il est possible... que les périodes de leurs accroissements et de leurs décroissements soient beaucoup plus longues qu' on ne l' imagine. » Mais il faut reconnaître que Buffon avait raison lorsqu' il disait de lui: « Il ne concluait pas assez3. » De Saussure fit enfin, bien avant Desor 4, le compagnon d' Agassiz, la découverte des podurelles des glaciers, lors de son ascension du Breithorn 5 1 J.D. Forbes, Sixth Letter. Edinb. n. philos. Journ. 1844.

2 Mr. B. ( César Bordier ), Voyage pittoresque aux glacières de Savoie. 1773. s Cité par Freshfield ( Cf. 6 ).

4 E. Desor, Excursions et séjours dans les glaciers. 1844.

6 Il s' agit en réalité du sommet du Petit Cervin, contrefort du Breithorn, dont il fit l' ascension en 1792.

près de Zermatt. Voici comment il décrit ces curieux insectes qui sont les seuls êtres vivants propres aux glaciers: « Nous en vîmes qui habitaient ou paraissaient du moins habiter, par plaisir, la neige qui s' était conservée sur place, sur la cime du Breit-Horn. Ces insectes sont noirs, brillants, très-petits et couverts sur le dos d' écailles pointues; ils sont pourvus d' antennes assez longues et recourbées en dehors; ils sont souples, agiles et sautaient lorsqu' on voulait les prendre;... Cette espèce paraît là très-vive et très-bien portante; elle courait avec beaucoup de vivacité entre les grains de neige. Comme cet insecte n' a point d' ailes, il faut qu' il naisse et meure sur ce rocher, et l'on ne voit là que des lichens qui puissent lui servir d' aliment, à moins qu' ils ne se nourrissent de terre ou de neige... »

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