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J. D. Forbes dans les Alpes

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d' après sa correspondance avec A. Gautier

Par CI.E. Engel Le rôle joué par le professeur J. D. Forbes dans la découverte des Alpes et de l' alpinisme dans la première moitié du XIXe siècle ne saurait être exagéré. Grand savant, esprit à la fois profond et délié, humaniste au sens le plus large du mot, il a fait faire un pas considérable vers la solution de nombreux problèmes scientifiques, en particulier à ceux qui ont été posés par la marche des glaciers.

Né à Edimbourg en 1809, il s' est intéressé aux sciences dès l' enfance. Il avait étudié le droit, à la requête de son père, et passé ses examens d' avocat, mais, parallèlement, il avait fait des études scientifiques, et c' est à une chaire de Natural Philosophy qu' il fut appelé, à l' âge de 24 ans, à l' université d' Edim. A cette date — 1833 — il avait déjà pris contact avec les Alpes. En juin 1826, revenant d' Italie avec ses parents, il avait passé le Simplon; puis, de Genève, il était allé visiter Chamonix où il avait retrouvé l' un des anciens guides de Saussure. Désormais, sa passion pour les montagnes ne devait que croître et lui désigner la vocation de son existence. On connaît son rôle alpin: ses rapports, qui devaient vite devenir orageux, avec Agassiz et Desor, son ascension de la Jungfrau, sa traversée de la Haute Route, du Val de Bagnes au Simplon, à une époque où nul ne s' y risquait, les saisons qu' il a passées au Montenvers pour étudier les glaciers de la chaîne du Mont Blanc.

Durant la plus longue partie de sa vie, J. D. Forbes a été très lié avec l' astronome genevois Alfred Gautier. Ce dernier, né en 1793, avait étudié les mathématiques, d' abord à Genève, puis à Paris, sous la direction de Laplace, Lagrange, Legendre, tous les grands maîtres du début du siècle. Licencié ès-sciences à dix-neuf ans — ce qui était très tôt, à cette date — il passe encore l' année suivante une licence ès-lettres, puis, en 1817, soutient son doctorat en Sorbonne. Il va ensuite en Angleterre et, au cours d' un séjour de deux ans, fait la connaissance de plusieurs savants, dont Sir John Herschel, le grand astronome qu' il recevra à Genève en 1821. Gautier rentre en 1819 et il est nommé professeur honoraire à l' Université de Genève; en 1821, on lui confiera la chaire d' astronomie. Sans doute est-ce par l' intermédiaire de Sir John Herschel qu' il a connu Forbes: le jeune savant écossais était très lié avec ce dernier.

De 1842 à 1868, date de la mort de Forbes, Gautier et lui n' ont cessé de correspondre, se rencontrant chaque fois que Forbes venait sur le Continent. Gautier a légué ses archives à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève. Au cours de recherches que je faisais sur un sujet voisin, j' ai été amenée à chercher de tous côtés les papiers d' Alfred Gautier, dont le sort semblait assez mal connu. Grâce à l' intervention obligeante et efficace de l' un de ses descendants, M. Paul-Edmond Martin, directeur des Archives de Genève, le conservateur des manuscrits de la Bibliothèque Publique et Universitaire, M. Bernard Gagnebin a eu l' amabilité de me communiquer différents dossiers des archives Gautier, qu' il avait retrouvées dans le fond de la Bibliothèque: elles ne sont pas encore cataloguées; je ne puis donc pas donner de cote.

De la longue correspondance entre Forbes et Gautier — correspondance en grande partie scientifique, je détache ici les fragments de lettres qui se rapportent aux expéditions alpines de J. D. Forbes. Les grandes années de sa carrière alpine ont été 1839, où il parcourt le Dauphiné et visite La Bérarde; 1841, où il séjourne à l' Hôtel des Neuchâtelois et gravit la Jungfrau; 1842, où il passe le Col du Géant et parcourt la Haute Route; 1844, où il explore les abords du Simplon; puis 1851, où il va en Norvège. La correspondance avec Gautier commence en 1842, au moment où il est sur le point d' arriver à Genève, pour poursuivre sa route vers Chamonix. Le 24 juin 1842, Forbes écrit de l' Hôtel de l' Union, à Chamonix:

« Grâce à votre obligeance et à la lettre de M. de Magny, j' ai passé la douane sans l' ombre de difficultés et en recevant toutes les politesses possibles. J' ai couché à St-Gervais et je suis venu ici à pied avec un temps délicieux, et je continue pour aller coucher ce soir au Montenvers... Le curé se charge de me procurer un guide et je n' ai pas de doute qu' il me conviendra parfaitement. M. de Charpentier m' a recommandé au curé 1 ».

Je traduis les lettres, dont le texte original est anglais.

John de Charpentier, naturaliste et géologue, avait attiré l' attention de Forbes sur le phénomène des blocs erratiques, qui allait jouer un rôle définitif dans ses théories sur la marche des glaciers. Forbes était allé lui rendre visite à Bex.

Le 24 juillet 1842, Forbes écrit du Montenvers:

« Je viens de rentrer de Courmayeur, prenant la voie la plus courte, le Col du Géant, ce que j' avais désiré faire depuis longtemps et c' est un col extrêmement intéressant. J' ai eu une journée singulièrement belle et une vue sur les Alpes méridionales des plus splendides que j' aie jamais eues. J' ai eu la chance, à Turin, de pouvoir trouver la carte que j' avais tant admirée chez vous.

M. Necker sera heureux d' apprendre que j' ai visité le site de la maison de ses illustres ancêtres 1... A Aoste, grâce à votre obligeance, j' ai fait la connaissance de M. Carrel que vous verrez certainement sous peu, car il a l' intention de visiter Genève...

J' ai l' intention de rester ici pendant quelque temps, pour poursuivre mes observations qui m' ont déjà donné quelques très intéressants résultats. Je compte rester qu' aux environs du 12 août, puis faire un tour dans le Valais et autour du Mont Rose, pour revenir ici dans la seconde quinzaine de septembre et ensuite à Genève. Mais je ne tiens pas à ce que mes plans soient connus au delà du cercle de votre famille et de M. Necker. » M. Necker est Louis A. Necker, fils de Mme Necker-de Saussure, ami intime de Forbes, qu' il avait connu en Ecosse. Passionné de géologie et de botanique, il s' était lié avec John Playfair, Sir James Hall et la plupart des savants de son temps. A une époque où les grands voyages scientifiques dans les Alpes étaient encore extrêmement rares, il avait parcouru toute la chaîne, même Zermatt où l'on n' allait presque jamais. C' était un original, presque un neurasthénique, et il recherchait la solitude. Il la trouvait surtout en Ecosse, où il se fixa bientôt, s' installant même définitivement en 1841 à l' île de Skye. Il y mourut en 1861, à soixante-seize ans.

La Haute Route se dessine dans une nouvelle lettre du Montenvers, datée du 6 août 1842:

« J' ai eu le plaisir d' avoir la visite de M. Studer de Berne, géologue qui, d' après moi, n' est pas suffisamment connu dans ce pays ou ailleurs. Je lui ai expliqué mes méthodes et j' ai accepté de l' accompagner au cours d' un voyage à travers les vallées les plus reculées situées entre le St-Bernard et le Mont Rose, qui abondent en glaciers. Je partirai d' ici le 11 courant pour aller le rejoindre et je compte être absent environ quatre semaines; pendant ce temps, mes lettres devront être adressées „ poste restante ", Martigny... J' ai l' intention de passer la plus grande partie du mois de septembre ici, si le temps est favorable. » Le 13 août, le groupe est à Orsières:

« Je suis sur le point de partir avec M. Studer pour les vallées de Bagnes et d' Erin ( Hérens )... Depuis Evolène, nous irons à Zermatt et, par le Col du Cervin, nous ferons le tour du Mont Rose. » Le 6 septembre, Forbes, revenu au Col de Balme, relate son expédition:

« Une série de lettres reçues à Viège et à Martigny m' ont rendu le titre de citoyen du monde, après une absence de quatre semaines... Vous m' avez fait un trop grand honneur en citant mon article sur le Col du Géant à la Société de Physique. Si M. Théodore de Saussure a les textes originaux des observations de son père, j' estime qu' il serait très utile de les imprimer dans le plus grand détail: j' entends les observations barométriques, thermométriques et hygrométriques. Croyez-vous qu' il ferait quelque objection?

1 La cabane de de Saussure au Col du Géant.

Mon récent voyage m' a fourni plus de détails nouveaux et plus d' aventures que l' autre * et, si vous trouvez que cela en vaut la peine, je vous autorise à mentionner ce qui suit à la Société. M. Studer et moi nous sommes rencontrés au St-Bernard, nous sommes descendus à Orsières et avons accumulé un stock de provisions pour plusieurs jours; avec deux porteurs et un guide nous avons remonté le Val de Bagnes et traversé le Col de Fenêtre sur l' Italie, à Val Pelline où nous avons été reçus de la manière la plus hospitalière grâce à une lettre du Chanoine Biselx, à qui nous devons encore de la reconnaissance pour avoir fait bouillir le mercure du thermomètre de M. Studer la veille de notre départ pour Orsières. Nous avons remonté le Val Pelline et le Val Biona jusqu' à leur sommet et nous avons dormi dans le plus haut chalet. Puis traversé le Col Collon et le glacier d' Arolla, dans la vallée d' Hérens, un très beau col alpin. C' est là que trois paysans se sont perdus l' année dernière. Nous avons trouvé le cadavre de l' un d' eux sur la neige, ses habits en parfait état de conservation, et les os de deux autres hommes, qui s' étaient perdus plus tôt, sur la glace, un peu plus loin. Nous avons couché à Evolène. De là, M. Studer est allé par le Val d' Anniviers à Sierre, Viège et Zermatt, tandis que je traversais directement sur ce dernier village par le glacier — une traversée beaucoup plus longue et quelque peu plus élevée que le Col du Géant. Ce col n' est connu que d' un ou deux paysans de chaque vallée et j' ai eu la chance de trouver un bon guide qui l' avait traversé quatre ans auparavant. Nous avons couché aux chalets d' Abricolla, au-dessus du glacier de Ferpècle, qui sont déjà à l' altitude du Grand St-Bernard, et, après environ onze heures sur le glacier, nous sommes arrivés sur la terra firma à Zmutt, à deux heures de Zermatt. C' est un superbe col, le plus beau que j' aie vu dans les Alpes 2. La journée était splendide et j' ai déjeuné tranquillement en plein soleil à une altitude pas inférieure, je crois, à 11 000 pieds ( français ) avec un magnifique panorama dans lequel la chaîne du Mont Rose, le Mont Cervin, la Dent d' Hérens et la Dent Blanche, tous à portée de la main et, tous, je crois hauts d' environ 13 000 pieds, étaient absolument frappants. A Zermatt, j' ai dû garder la chambre une semaine, ayant mal au pied. M. Studer m' y a rejoint. Puis nous avons traversé le Col du Mont Cervin ( 10 400 pieds ) 3 sur Val Tournanche et de là à Gressoney. Là, j' ai visité le glacier en compagnie de M. Zumstein * et M. Studer a poursuivi son voyage. Puis j' ai traversé les cols d' Olen et de Turlo sur Macugnagna où j' ai passé une journée délicieuse, et traversé le glacier dans toute sa largeur. J' ai ensuite traversé le Monte Moro sur Saas et je suis revenu ici par le Valais. Je suis en train d' examiner les glaciers de Trient et d' Argentière en me rendant à Chamonix. J' ai l' intention de rester au Montenvers jusqu' à la fin de septembre si le temps est possible. » En 1843, Forbes se maria, tomba malade au cours de son voyage de noces en Allemagne. Il vient achever sa convalescence à Bex; puis, quoique faible encore, il va à Chamonix par le Col de Balme, monte à la Mer de Glace, passe la Gemmi pour visiter encore les glaciers de Grindelwald. En 1844, revenant d' Italie, il passe quelques jours à l' hospice du Simplon dont il explore les alentours. Il écrit à Gautier le 24 juillet de Brigue:

« Votre aimable lettre m' a trouvé à l' hospice du Simplon, où Mrs. Forbes et moi avons joui pendant cinq jours de l' hospitalité des bons moines tandis que je faisais des excursions dans les environs qui sont très mal connus et qui m' ont vivement intéressé. Nous avons aussi passé quatre jours au village du Simplon et, le délicieux air vif nous a bien revivifiés tous les deux. Le prieur Barras désirerait vivement un assortiment d' instruments de météorologie, et tout particulièrement un baromètre. » Au cours de ces quelques jours au Simplon, Forbes rencontre John Ruskin qui séjournait là avec ses inévitables parents. Forbes donne des conseils à Ruskin pour ses dessins et ce dernier a raconté l' épisode dans son journal:

1 La traversée du Col du Géant.

2 Col d' Hérens, 3462 m. C' est Forbes lui-même qui a proposé ce nom. » Col du Théodule.

4 Qui a fait la première de la Zumsteinspitze, au Mont Rose.

« Je désirais gravir la haute pointe qui se trouve immédiatement à l' ouest du Simplon, pensant que, de là, j' aurais une vue sur la chaîne qui va du Fletschhorn au Mont Rose. J' avais fait des dessins pendant la majeure partie de l' après et venais de rapporter des études minutieuses du Fletschhorn lui-même et de la grande pyramide qui se trouve loin au delà à l' ouest1, dont je ne savais pas le nom mais que, d' après son allure, je prenais pour le Cervin, que je n' avais jamais vu.

Depuis, j' ai perdu ces deux dessins... Ils auraient une grande valeur pour moi, car ils me valurent ce soir-là la sympathie et l' aide de James Forbes. Car son œil s' éveilla et son visage devint attentif en examinant les dessins, et il m' envisagea immédiatement comme un collègue aussi fidèle à la nature que lui-même... Il écouta avec bonté ce que je voulais lui demander, me disant seulement avec un sourire empreint d' un peu d' orgueil, à propos du pic que je prenais pour le Cervin: „ Noni et lorsque vous aurez vu le Cervin, vous ne prendrez jamais rien d' autre pour lui !"... Mais je ne savais alors rien des glaciers et il avait du travail à finir et je ne l' ai jamais revu. » La santé de Forbes n' avait jamais été très bonne et elle avait été gravement compromise par la maladie contractée en 1843. Forbes n' avait jamais pu reprendre ses longues expéditions2. En 1851, il part pour la Norvège, pour vérifier sur les glaciers nordiques les théories qu' il a élaborées sur ceux des Alpes. Le 6 juillet, de Kartfjord, il écrit à Gautier:

« Vous ne vous attendiez pas à recevoir une réponse à votre charmante lettre du .5 mai, datée du 70e. Et cependant, il en est ainsi. Mon voyage de Norvège, dont j' ai si longtemps parlé est enfin en train de s' effectuer et j' ai pu, grâce aux nouvelles facilités fournies par le bateau à vapeur, unir le voyage que je me proposais de faire à l' observation de l' éclipsé totale, et le glacier de Bergen à un tour au Cap Nord. Le superbe paysage des côtes m' a vivement plu... Nous avons en ce moment un petit orage. J' ai déjà eu plusieurs fois l' occasion de voir admirablement le soleil à minuit. L' effet est celui d' un coucher de soleil prolongé et c' est très impressionnant. Près de Trondheim, 21.

Nous avons traversé vers le sud plusieurs degrés de latitude depuis que je vous ai écrit et nous avons dépassé le cercle polaire hier soir. Le paysage n' est pas aussi intéressant que plus au nord. J' ai vu une quantité considérable de glaciers, bien que je n' ai pas marché sur aucun d' eux. Leur ressemblance avec ceux de la Suisse est telle qu' elle me donne une excellente idée de leur constitution et de leur nature. J' espère examiner de plus près ceux des environs de Bergen. J' ai traversé par terre de Christiania 3 à Trondheim et j' ai gravi le Snackhathan qu' on estimait jadis la plus haute sommité norvégienne. Il a moins de 8000 pieds et n' offre rien de remarquable. » Jusqu' à sa mort, il restera en relations épistolaires avec Gautier, le tenant au courant de ses recherches et de ses publications.

1 Le Weisshorn.

2 Cependant, désireux de vérifier l' existence d' un passage direct entre la vallée de Chamonix et le Val Ferret, dont son guide Mugnier lui avait parlé, il entreprend et réussit le 20 juillet 1850 la première traversée du massif du Trient par le glacier du Tour, la Fenêtre et le glacier de Saleinaz; une forte journée de douze heures et demie du Col de Balme à Orsières.

» Oslo.

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