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Juste Olivier à Zermatt, 1839

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Par L. Seylaz

Jusqu' en 1839, les rares voyageurs qui passaient à Zermatt devaient aller demander l' hospitalité à la cure, où l' accueil n' était pas toujours des plus bienveillants ( voir de Saussure: Voyage autour du Mont Rose, 1789 ). En 1839, le médecin du village, que ses combourgeois appelaient pompeusement Herr Doktor, bien qu' il n' eût passé par aucune Faculté, aménagea dans son chalet quelques chambres pour les voyageurs. Le premier registre de cet hôtel, par grande chance, a été récemment retrouvé; M. E. d' Axcis l' a présenté aux lecteurs de cette revue, et on peut le voir au musée de Zermatt. Il y manque malheureusement les premières pages; mais nous avons d' autre part sur les débuts de cette auberge rustique des témoignages de première main.

C' est d' abord celui de Desor, l' ami, compagnon et collaborateur d' Agassiz, qui s' est fait l' historiographe des voyages et recherches glaciologiques de ce dernier.

Le 11 août 1839, une nombreuse caravane de savants naturalistes, composée de Louis Agassiz, Ed. Desor, L' Hardy, Nicolet, Pasche, avec le dessinateur Bettanier et le géologue bernois Bernard Studer, arrivait à Zermatt, venant de Berne par la Gemmi. Laissons la parole à Desor:

« On nous avait dit que nous pourrions loger chez le docteur, le curé ayant reçu la défense d' héberger. Nous avions hâte de faire la connaissance de ce médecin hospitalier... ,Où demeure M. le docteur? ' fut la première question que nous adressâmes à la première paysanne que nous rencontrâmes. C' est là tout près. ' En effet voilà une enseigne. ,Est-ce ici la maison de M. le docteur? ' demanda Studer à un individu qui vint au-devant de nous.,Oui, Messieurs, c' est moi qui suis le docteur..Comment, c' est vous ?! Au reste, pourvu que vous nous logiez bien. ' Sa femme était aussi accourue à notre rencontre. Elle a l' air bien plus dégagée que son docte époux... elle nous fit voir plusieurs chambres proprement tenues dans lesquelles nous prîmes nos quartiers 1. Dans le livre des étrangers, qui en était à sa première année, nous reconnûmes parmi les cinq ou six voyageurs qui nous avaient précédés plusieurs personnes de notre connaissance; c' étaient des botanistes et des zoologistes suisses. Décidément les touristes n' ont pas encore infesté cette vallée2. » Les Neuchâtelois restèrent cinq jours à Zermatt, excursionnant aux environs, observant les glaciers, recueillant des plantes et des minéraux.

1 Note sur l' auberge Lauber à Zermatt en 1839:

Lorsque j' y passai il y a 17 ans ( 1839 ) Zermatt était tout fier de posséder une auberge qui venait de s' ouvrir - chez Madame Lauber - qui avait construit une annexe en bois à son chalet, annexe accessible aux grimpeurs expérimentés et non sujets au vertige. Là, je me fis du thé dans un pot à barbe et me lavai les mains dans un seau à laver la vaisselle. Comme au temps des patriarches, on tua un mouton pour me restaurer. Madame Lauber était navrée que je ne reste pas jusqu' à ce qu' il fut entièrement consommé, ne s' attendant pas à voir arriver chez elle d' autres hôtes. Mais elle était obligeante et gaie. J' espère qu' elle continue à faire de bonnes affaires à l' Hotel du Mont Rose qui a remplacé aujourd'hui ( 1856 ) son humble établissement. Il y a un autre grand hôtel, le Mont Cervin, et à eux deux ils comptent probablement une centaine de lits, qui sont souvent tous occupés.

Diary of T. Malkin, 1856.Alpine Journal, 1890, Vol. XV, p. 206.

2 E. Desor, Excursions et séjours dans les Glaciers, Neuchâtel, 1844, p. 64. Auparavant, Desor avait publié un récit, illustré d' un dessin de Bettanier, de leur voyage à Zermatt dans la Bibliothèque Universelle, 1840, tomes 27/28, sous le titre « Journal d' une course faite aux glaciers du Mont Rose ».

Lorsqu' il corrigeait en 1843 les épreuves de son livre, Desor a ajouté en note: « Depuis lors la petite maison du docteur de Zermatt a fait place à un grand et bel hôtel où l'on est fort bien logé, dit-on. La cuisine s' est singulièrement perfectionnée; on y dîne confortablement et le mouton n' est plus le seul et unique mets. Mais comme balance de ces agréments, on a - des touristes. » Op. cit ., p. 114.

Die Alpen - 1954 - Les Alpes15 « Ce fut avec un vif regret que nous fîmes nos préparatifs pour le retour. Il n' y a pas jusqu' à la petite auberge du docteur que nous ne regrettâmes. Elle n' est sans doute pas somptueusement meublée, mais elle n' en est que plus en harmonie avec le caractère du lieu... Nos hôtes ont fait, pour nous être agréables, tout ce qui était en leur pouvoir. Madame surtout s' est montrée fort prévenante. C' est une Valaisanne très intelligente, qui parle un assez bon allemand... Je ne saurais assez engager mes collègues, les naturalistes, à visiter ce lieu... Quant aux touristes, fasse le ciel que la vallée de St-Nicolas en soit encore longtemps préservée! » Mal gré qu' en ait Desor, ils vont néanmoins apparaître, et bientôt affluer. Le branle est donné. Jusqu' ici, deux ou trois centres avaient bénéficié, si l'on peut dire, du tourisme européen: Chamonix, FOberland bernois, la Suisse centrale. Mais on commence à prononcer les noms de Zermatt et de l' incomparable Cervin, et Tœpffer peut écrire en 1840: « Déjà on parle de la vallée de Zermatt... et des glaciers du Mont Cervin, comme offrant des beautés et des horreurs d' un caractère plus grand et plus intéressant que ce qu' on va voir à Chamonix et dans FOberland1. » Quinze jours ne s' étaient pas écoulés depuis le départ de Desor qu' une caravane purement touristique s' engageait dans la vallée de St-Nicolas pour aller visiter Zermatt et ses merveilles: précisément celle de Juste Olivier.

Le nom de Juste Olivier ( 1807-1876 ) est gravé, avec ceux de Jean Muret et d' Eugène Rambert, sur les rochers de Pont de Nant. Le Club alpin suisse a voulu honorer par là le chantre des Alpes vaudoises. Il n' avait toutefois rien d' un conquérant de cimes. Pour lui, comme pour la génération des romantiques à laquelle il appartenait, les Alpes, asile de liberté, devaient être avant tout une source d' inspiration poétique. Pour en convaincre Sainte-Beuve et le convertir à cette esthétique, il l' a emmené couchei; au chalet de la Sarze, et le lendemain l' a entraîné maugréant jusqu' aux créneaux de la Tour d' Aï; puis il a voulu lui faire admirer le Lac Lioson, espérant que l' illustre critique parisien sentirait lui aussi le charme et la beauté de nos montagnes et qu' il en parlerait. Peines d' amour perdues!

Depuis dix ans Olivier passe à Aigle et à Cergnemin une bonne partie de ses vacances d' été. Il a parcouru en tous sens les sentiers et les vallons des Alpes vaudoises; il a gravi le Muveran et la Dent de Mordes. Pendant son séjour à Neuchâtel ( 1830-1833 ), il s' est lié d' amitié avec Agassiz, son contemporain, à qui ses études sur les glaciers sont en train de faire une renommée universelle. En 1842, il sera avec Lèbre l' hôte du savant glaciologue au célèbre Hôtel des Neuchâtelois sur le glacier de l' Aar, et peu s' en fallut, dit Rambert, qu' il ne participât à l' ascension de la Jungfrau en 1841. Il était donc, sinon un alpiniste avant la lettre - le mot ni la chose n' existaient encore - du moins un fervent admirateur et coureur de montagnes, à la mode du temps. Et pas plus que le grimpeur d' aujourd, il ne pouvait résister au « démon des courses alpestres, lutin opiniâtre, dont il faut s' attendre tous les ans à subir les tentations... Parfois, abîmé de fatigue, le pèlerin se couche, vaincu, à l' ombre d' un roc, au bord du chemin; il ferme les yeux, rentre en imagination sous le toit familial, jure de n' en plus sortir... Mais au retour tout s' oublie, tout redevient attrayant dans ces hautains séjours d' où nous appellent les blanches fées des Alpes ».

Dans le cas particulier, la blanche fée s' était incarnée en Adolphe Lèbre, ami et disciple préféré de Juste Olivier, et son compagnon de maintes randonnées, qui avait fait l' année 1 Voyages en zigzag, 1844, p. 307.

précédente l' excursion de Zermatt. Ses récits n' avaient pas manqué d' éveiller la curiosité et les désirs d' Olivier, et de faire germer les projets. Ceux-ci étaient ambitieux: monter d' abord à Zermatt; de là s' ouvrir un passage ( lequel ?) par-dessus les glaciers dans le Val d' Anniviers, puis de là à Evolène dans le Val d' Hérens, d' où l'on regagnera la plaine. Le beau-frère d' Olivier, Louis Ruchet, forestier du Grand District, plus tard conseiller d' Etat, et la femme de ce dernier, Isaline née de Loès, seraient du voyage.

On se met en route, en char, le 25 août 1839, vers la fin d' une belle après-midi. Profitant du clair de lune, on roulera toute la nuit, puis le jour suivant, jusqu' à Viège. Le temps, très beau au départ, se gâte peu à peu, et c' est par la pluie qu' on vient frapper à la porte de l' auberge de Stalden le soir du deuxième jour. Une grosse fille vient leur ouvrir. Souper, arrosé de bon vin muscat. L' auberge ne dispose que d' une seule chambre, avec trois lits à colonnes, et l' un d' eux est déjà occupé par un Genevois. D' où manœuvre délicate pour permettre à Isaline de gagner le lit de son époux sans que le Genevois s' en aperçoive. Mais celui-ci fait semblant de dormir et la pudeur est sauvée.

Le 27, ils remontent la vallée de St-Nicolas jusqu' à Zermatt, pourchassés par des hordes de nuées épaisses qui les menacent depuis la veille. Suivons maintenant Juste Olivier1:

« L' auberge, d' ailleurs très propre, était tenue par un habitant de l' endroit, M. Läuber, que l'on appelait ,Herr Doktor ', parce qu' il était vétérinaire; de par la Faculté j' en doute, mais de par lui-même, et ses compatriotes l' acceptaient comme tel. Cela ne l' empêchait pas de cumuler deux autres fonctions, celle d' aubergiste, avec sa femme, très bonne hôtesse malgré la médiocrité de ses ressources, et celle de boucher. Il est majestueux et solennel. On peut dire de lui qu' il règne et ne gouverne pas. Sa femme est seule chargée de l' adminis. Lui n' apparaît qu' aux instants critiques, dans les grandes négociations et les opérations financières. Il tuait lui-même les moutons que sa femme cuisait pour notre dîner. Ces dîners, quoique simples, étaient fort appétissants; du moins la montagne les faisait on ne peut mieux apprécier. Un gigot donc, de la soupe, un plat de légumes, du vin muscat de M. le curé, car on n' en trouvait que chez lui, et pour dessert, outre le fromage, un autre fruit du pays, des amandes de cônes d' arolle, voilà notre menu. » « Les chambres aussi étaient très propres, mais dans toute l' auberge il n' y en avait que deux, vernies du haut en bas, parois, plafond et tout, sauf pourtant le plancher. L' une était en rouge, l' autre en bleu, aussi vif que le permet cette couleur. » « A l' arrivée, nous n' avons vu que le village, tapi au fond d' une prairie, et des forêts sur les premières pentes à gauche et à droite, et nous avons toutes sortes de raisons de craindre de n' en pas voir davantage. Les brouillards nous ont suivis pas à pas; deux heures après nous le gros de leur armée était à Zermatt. C' est une nuit complète sur toutes les pentes. Ils sont lourds, acharnés, opaques; ils remplissent la vallée et viennent d' en bas. Nous pensions que c' était bon signe; au contraire, les pronostics des gens du village sont lugubres: ,Quand le temps est tel, il pleut quelquefois une dizaine de jours de suite. ' De plus, c' est la fin des canicules, et ce mauvais temps vient après une longue période de sécheresse. » Tristement, les trois voyageurs passent leur soirée à récapituler les charmes de leur situation, les présages, les augures, ce qui leur fait broyer du noir avec une telle intensité 1 J. Olivier a noté de sa fine écriture, dans un petit carnet, tous les détails, observations et impressions de ce voyage. Son neveu, le Dr Jean Olivier de Genève, a bien voulu me confier ce précieux carnet; nous l' en remercions. Il en a fait ensuite un long récit qui parut dans le tome VII de la Revue suisse ( 1844 ) sous le titre de « Zermatt, le Chamonix du Mont Rose ». Trente ans plus tard, il a utilisé ces notes pour une étude de caractère plus général, « La montagne et les montagnards », qu' il publia dans la Si»1« illustrée ( Berne 1872 ), hebdomadaire dont il assumait alors la direction. J' ai puisé à ces trois sources pour la rédaction du présent article.

que cela finit par les endormir, avec le secret espoir de s' éveiller avec un beau soleil sur les paupières.

Mercredi 28 août Le temps est affreux, trop mauvais même pour songer à redescendre. « Nous voilà donc enfermés, assiégés par la pluie et le brouillard dans ce cul-de-sac, à une journée des grandes routes, sans livres, sans ressources... Pas plus de montagnes autour de nous qu' en Hollande, seulement d' infranchissables murailles de cachot, tendues d' un crêpe couleur du temps. La brumeuse cavalerie continue à déboucher d' en bas, comme de la gueule infernale. Mais il fait plus froid qu' hier soir. Vers 9 heures, nous avons vu qu' il neigeait sur les premières pentes, et maintenant il neige abondamment. » Pour tuer le temps, Louis taille dans des morceaux de bois les pièces du jeu d' échecs, tandis qu' Isaline dessine l' échiquier. Pendant ce temps, Olivier erre par la maison, observe tout ce qu' il peut, c'est-à-dire pas grand' chose, car on ne voit pas même le clocher de l' église qui est à quelques pas. Il copie l' enseigne de l' auberge, et y met une telle application que l' hôtelier le regarde d' un œil soupçonneux. La voici:

HOTEL CERVIE BON LOGE A PIES ET CHWAL - 1839 Après quoi il s' amuse à rimer une chanson, sur l' air de Cadet Roussel:

Le Mont Cervin est un beau picLe Mont Rose est un grand gaillard, Mais savez-vous où est le hicQui domine sur le brouillard.

C' est que par grand' mésaventureSeulement ce qui nous chagrine, Nous n' avons point vu sa C' est que le brouillard nous domine.

Ah! ah! ah! oui vraiment,Ah! ah!... Le Mont Cervin est bon enfant!

Ainsi pendant dix strophes. Et pour finir:

Praborgne à la fin je t' ai vu, Et je me dis: « Si j' avais su! » Car tu nous fais si bien la guerre.

Qu' on peut te voir et ne voir guère.

Ah! ah! ah! oui vraiment.

Ce Praborgne est un bon enfant.

« Cela ne nous a égayés qu' un moment. La neige continue avec abondance, une neige étouffante, implacable, monotone, qui tombe sans répit, ensevelit tout, abolit tout, fait glisser dans les veines un froid mortel qui glace jusqu' à l' imagination. Nous sommes en plein hiver. Si elle se soutient à proportion, nous en aurons demain deux pieds. La cloche du soir perce ce rideau avec peine, d' un son émoussé, morne, annonçant la nuit. A 8 heures du soir, après d' innombrables tours de chambre, exclamations et doléances, tout est tellement épuisé, même la désespérance, même l' ennui, même l' oisiveté, qu' il n' y a plus de possibilité pour aucune chose, sinon pour s' aller coucher. » Jeudi 29 Tant de misère, même impatiemment supportée, méritait sa récompense. Au matin la neige avait cessé; le brouillard se déchira, se souleva comme rideau de théâtre, dévoilant enfin le village aux toits encapuchonnés. Bientôt le Cervin laissa entrevoir tantôt son torse, tantôt son épaule, sa tête, avant d' apparaître, seul sur son large socle, prodigieux de hau- teur et de hardiesse, tout rutilant dans la gloire retrouvée du soleil matinal, dressant entre les nuages un obélisque d' un effet unique.

Un grand sujet de discussion chez les touristes, à cette époque où l'on découvrait Zermatt, était de décider si ce village avec son cadre l' emportait sur Chamonix. Olivier répond à la question:

« Zermatt est tout différent de Chamonix, et je dois dire que jusqu' ici je préfère ce dernier. Zermatt est une espèce de cul-de-sac limité par une muraille au sommet arrondi, composée à gauche du dos du Riffel qui laisse passer une langue du Grand Glacier1 que l'on voit d' ici; en allant du milieu vers la droite, les hauteurs un peu plus accidentées du Lac Noir; et tout à droite, enfin, où l'on voit s' ouvrir la gorge de Zmutt, le pic du Cervin. il est sûr que ce pic est d' un grand effet... mais il n' y a que ceci à Zermatt, et Chamonix, adossé à l' un des versants, a aussi l' Aiguille du Dru et ses sœurs; de plus, il y a le Mont Blanc en face, et je trouve le grand mur qui s' étend à droite en venant du Col de Balme ( Aiguilles Rouges-Brévent ) bien supérieur à l' entourage de Zermatt.

Le Cervin ne nous a pourtant pas paru si taillé à pic, si coupé, si tranché que ne le disent les descriptions ordinaires2. On exagère ce qu' il a de brusque et d' inopiné, en le dépouillant de toute transition dans l' idée qu' on en donne; il en a, de peu prononcées, il est vrai, mais il en a. En outre sa pointe est légèrement recourbée, avec une sorte de grâce capricieuse qui ne lui messied pas. Son image prosaïque serait un bonnet de matelot napolitain ou, pour ne pas lui manquer de respect, un bonnet phrygien 3. Toutefois, pour en finir dignement sur son compte, ce qui montre qu' il est bien grand, c' est que plus on le regarde, plus on le trouve beau. Nous en avons fait tous les trois la remarque. » Olivier notait cela à 9 heures du matin. A 10 heures, il rouvre son petit carnet et écrit: « Le Cervin, qui de nouveau se découvre et toujours mieux, est une beauté suprême, si elle est ici unique à ce degré... Sa face de gauche, qui se présente largement de trois quarts, est teintée de neige et de soleil. Une brume légère flotte sur cette paroi et s' évanouit au sommet. D' autres fois, un grand flot de brouillard marche sur la tranchante arête de droite et est aussitôt rompu; ou bien, tournant tout entier par devant, ne nous laisse voir que la cime. » Et un moment après:

« Nous venons de voir le Cervin sous un aspect tout différent, sublime. Ses deux faces découvertes, blanches comme le plus beau marbre. Une écharpe de nuages en drape la base, s' écartant à droite et à gauche, de manière à laisser deux jours profonds de sombre azur, et se nouant autour de la cime. Décidément, c' est une beauté pour Zermatt que le Cervin y soit seul. » A 11 heures, partis pour une simple promenade, sans but ni provisions, nos trois libérés traversent le pont près de l' église et s' engagent sur une piste ouverte dans un pied 1 Glacier du Gorner, qui descendait alors beaucoup plus bas qu' aujourd, et dont la pointe terminale était visible de Zermatt.

2 En 1939, il n' y avait guère que celle de de Saussure dont Olivier pût avoir connaissance; il se réfère aussi sans doute aux récits de Lèbre.

3 Rappelons la comparaison beaucoup plus prosaïque de Whymper qui, lors de son premier passage à Zermatt en 1860, note dans son journal: « Cette montagne peut être comparée à un pain de sucre dressé sur une table; la tête du pain de sucre est inclinée d' un côté. Grandiose, certes, elle l' est, mais je ne puis pas dire qu' elle soit belle. » — II est curieux de constater que lorsque Ruskin vit le Cervin pour la première fois, en 1844, celui-ci ne lui plut pas. Cependant plus tard, il le proclama « le plus noble rocher de l' Europe ».

de neige par le bétail chassé des alpages. Encouragés par le beau temps qui s' affirme, et par une bonne femme qui leur dit qu' au Riffel il n' y a pas plus de neige qu' à Zermatt, ils persévèrent. Cette piste les amène jusqu' aux chalets où leur arrivée fait sensation.

« Arrivée aux chalets du Riffel, dramatique. Moutons et vachers nous entourent; on s' apitoie sur notre sort et notre équipage, surtout sur celui d' Isaline, et l'on finit par lui coudre autour de la jambe de bonnes guêtres de montagnards. Nous prenons deux hommes pour nous montrer et frayer le chemin. Ils tiennent un bâton par les deux bouts et Isaline marche entre eux deux... En temps ordinaire, la course du Riffel est une bagatelle; mais nous l' avons faite par un pied de neige, ce qui n' est peut-être arrivé à aucun touriste ( puisque touristes il y a ). Les arolles et les mélèzes secouaient la neige de leurs branches.

« Réparation au Cervin, si nous en avons pensé quelque mal ou si nous n' en avons pas assez dit de bien ( ici, nouvelle description de la montagne sous cet angle particulier ). Nous contournons assez longuement le Riffel et tout-à-coup nous voyons se dresser et s' élargir le Breithorn avec ses champs de neige éblouissants, suspendus les uns au-dessus des autres... C' est quelque chose d' indescriptible, un monde à part... » C' est sur cette apothéose que s' acheva la visite de Juste Olivier à Zermatt.

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