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La face N de Pierre Cabotz

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19 septembre 1948Par pau|.E Avec 1 illustration ( 31Section des Diablerets ) Mon père blâmait les audacieux qui osent s' aventurer hors des chemins battus. Cette influence persista assez longtemps puisque je m' encordai pour la première fois à 32 ans.

La découverte tardive des plaisirs alpins déclencha en moi un désir toujours plus vif de parcourir des trajets difficiles. Très vite la varappe m' attira. Préférant le rocher à la glace, je délaissai inconsciemment les itinéraires où cette dernière prenait trop d' importance.

Au fur et à mesure de mes progrès, j' accentuai les difficultés pour atteindre la limite de mes possibilités. C' est dans cet esprit que j' abordai l' année dernière, à 37 ans, en compagnie du guide Xavier Kalt et de son frère, la montée du Miroir de l' Argentine par le couloir est, puis le même jour, la descente sous le Cheval Blanc avec les impressionnants rappels de l' Y sur la cheminée Moreillon.

C' est donc en néophyte et en curieux avide de découvertes que je formai cette année le projet de m' attaquer à la voie Müller de la face nord de Pierre Cabotz.

Le Guide des Alpes vaudoises, extrêmement concis dans ses explications, laisse l' impression qu' il s' agit d' une course de difficulté moyenne. C' est pourquoi, sans hésiter, nous partîmes le jour du Jeûne, dans cette direction. M. et Mme Aeschlimann, de La Chaux-de-Fonds, nous accompagnaient.

Dès 4 h. 30, nous nous élevons depuis l' ancienne glacière de Pont de Nant par le sentier qui conduit à Plan Névé.

Xavier, désireux de nous mettre en forme, varie les plaisirs en empruntant partiellement l' itinéraire du Col des Chamois pour atteindre l' arête du Gros Scex. Après avoir suivi quelques minutes la vire dominant Herbéruet, nous remontons directement la pente herbeuse, parsemée de rocs blancs, qui termine l' éperon du Gros Scex. Je ne comprends pas encore pourquoi on ne s' encorde pas dans des endroits pareils, alors que la moindre glissade serait fatale. Il faut croire que les véritables alpinistes ont une confiance que je ne possède pas.

A 7 heures, nous quittons l' arête du Gros Scex et ses gazons, pour suivre, encordés maintenant, la grande vire qui, de l' épaule du Gros Scex, traverse obliquement la paroi nord de Pierre Cabotz.

Le regard légèrement anxieux, je scrute la paroi vertigineuse, en essayant de repérer le passage. Il semble relativement facile d' atteindre le pied de la grande cheminée qui sépare l' arête du sommet proprement dit. Xavier, qui a étudié son affaire, préfère suivre la vire pour rallier l' itinéraire venant des chalets de la Vare. Cette sage décision nous fait perdre de la hauteur, mais gagner du temps. En effet, au moment de franchir le banc inférieur que nous longions, je constate que la rareté des prises et la friabilité de la roche nous promettent du beau travail.

Pour la première fois, je m' aperçois que le manque de technique me gêne dans l' impossibilité où je me trouve d' avancer simultanément mes pieds et mes mains. L' aide de la corde bien tendue m' évite le ridicule d' un pendule au début de l' escalade. Au-dessus de ce premier mur, nous trouvons une succession de paliers très inclinés, où le rocher délité risque à chaque instant de mitrailler la deuxième cordée.

Alors que je m' attendais à rejoindre une longue fissure s' élançant d' un jet jusqu' au sommet, Xavier file sur la droite par une traversée relativement exposée. Ceci fait, nous nous installons sur une plate-forme sise au pied du grand ressaut. La deuxième cordée ne suit pas. Xavier descend aux renseignements et, fort à propos, la guide de ses conseils. Une fois réunis, nous nous approchons le plus possible du ressaut afin d' éviter les chutes de pierres. Il est 9 h. 30.

Tous trois collés dans une niche étroite, nous entendons le leader se hisser au-dessus de nos têtes. Vu l' impossibilité de l' assurer, nous attendons patiemment que la corde continue sa progression. Bien qu' attaché à 35 mètres, le guide réclame encore de la corde. Comme il arrive toujours, elle s' em, alors que Xavier s' impatiente dans une position des plus inconfortables. Enfin, après des minutes longues et chargées d' anxiété, nous l' enten hurler sa satisfaction. A 60 mètres de nous, il enfonce un piton avec un bruit à fendre la montagne ( un vieux clou des premiers ascensionnistes ne permet qu' un assurage illusoire ). N' ayant pu suivre son parcours des yeux, ma stupéfaction augmente au fur et à mesure de mon ascension. Où et comment a-t-il passé? Voilà la question lancinante qui m' obsède. Entre mes jambes, j' aperçois les chalets de la Vare, baignés dans les premiers rayons du soleil matinal. En haut, je ne vois que surfaces lisses et un dièdre embrion-naire qui s' élève rapidement sur la gauche. Nul doute, c' est là qu' il faut passer. De nouveau, ma situation devient précaire. Chaque aspérité que j' empoigne me reste dans les mains ou risque de lâcher lorsque j' y appuie la pointe de mes vibrams. A gauche et à droite, c' est le grand vide. La corde du couple qui nous suit, à ma ceinture, pèse comme un guiderope. Je crie constamment l' intention de Xavier: tendez la corde! Je sens venir le moment où je décrirai un arc de cercle le long de la paroi. Cette satanée corde s' accroche par surcroît au-dessus de moi, alors que le dièdre file sur le côté. Enfin j' arrive à la dégager. Pleinement confiant dans le piton et la poigne de Xavier, je me hisse avec lenteur, les mains dans le dièdre, les vibrams cherchant un appui illusoire contre les dalles, et j' arrive enfin à rejoindre le premier.

Grâce à notre assurage, M. et Mme Aeschlimann arrivent bientôt. Nous apercevons déjà la crête de l' avant sud. Mais, une deuxième partie, presque aussi ardue que l' autre, se profile sur la droite.

Gravissant rapidement un couloir où les nombreuses traces de chutes de pierres nous alarment quelque peu, nous suivons une nervure qui paraît se casser avant de s' élancer d' un seul jet jusqu' à l' arête sommitale. Grimpant directement sur le fil de la nervure, aux prises très rares, nous longeons la grande cheminée qui aboutit au pied de la dalle de la face sud-est. Un petit balcon se trouve à point pour nous permettre d' assurer la deuxième cordée. La nervure se redresse de plus en plus. Le précipice de la cheminée exige une tête solide. L' escalade, très aérienne, commande la plus grande prudence.

Xavier file en avant vers la cassure. C' est une arête fine et courte qui conduit à une dalle inclinée au-dessus de la cheminée et munie d' un piton. Derechef, Xavier nous montre son expérience et sa hardiesse. Saisissant en opposition deux fissures qui courent le long de cette dalle, il atteint le piton, y passe son mousqueton, gravit les quelque trois mètres qui le séparent du sommet de la dalle, longe un surplomb sur la droite, puis revient sur l' arête avec aisance. Après un tel exemple, le second ne peut que suivre. Lorsque je suis au piton, le guide, qui a disparu, donne l' ordre d' assurer la deuxième caravane. En équilibre instable, j' essaie de lancer le solde de ma corde à M. Aeschlimann. Après deux essais, il peut la saisir et me soulager. Nous sommes à quelques pas de la crête finale. Une dernière épreuve nous attend. Au lieu de continuer par le fil de l' arête, Xavier corse la difficulté en sortant à droite en direction de la cheminée qui aboutit au-dessus de la dalle de l' itinéraire ordinaire. Cela exige la traversée d' un mur vertical, de flanc d' abord, puis en descendant obliquement. Il m' avertit gentiment que lâcher prise en cet endroit ne serait pas une plaisanterie. Je fais de mon mieux et parviens à me glisser le long du mur sans perdre contact. Mme Aeschlimann essaie, puis, arrivée à proximité du sol, saute.

A 12 h. 30, le sommet nous accueille. Nous nous penchons vers les chalets de la Vare, tout à nos pieds, et pouvons apprécier la paroi redressée que nos cordées viennent de parcourir.

Dans un bon rocher, une course de ce genre peut être considérée comme difficile. Avec la qualité défectueuse de la roche de Pierre Cabotz, elle devient très difficile, même dangereuse.

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