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Le Cervin

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Par Rod. Töpffer.

.. .La rampe se recourbe en sommité arrondie, et soudainement se montre, voisine, proche à la toucher du bout de sa canne, la cime tronquée du Cervin. Ce spectacle est d' autant plus neuf que l' immense pyramide, coupée obliquement par la ligne noire de la montagne que nous achevons d' escalader, est encore isolée dans l' espace, et y forme dans le vide des cieux la plus fantastique apparition. A mesure que l'on avance, l' appa grandit, domine, menace, écrase, jusqu' au moment où, parvenu au haut du Heibalmen, tout à coup l'on mesure d' un regard la large vallée de glace qui vous en sépare encore. En même temps l'on retrouve à gauche la continuité de la chaîne, mais, sur la droite, rien que le ciel ne se fait voir entre l' arête du Cervin et quelques pentes rocheuses qui se dressent à l' opposite, pâlissantes et comme diaphanes des reflets que leur jette l' éclatante pyramide.

D' où vient donc l' intérêt, le charme puissant avec lequel ceci se contemple? Ce n' est là pourtant ni le pittoresque, ni la demeure possible de l' homme, ni même une merveille de gigantesque pour l' œil qui a vu les astres ou pour l' esprit qui conçoit l' univers. La nouveauté sans doute pour des citadins surtout, l' aspect si rapproché de la mort, de la solitude, de l' éternel silence; notre existence si frêle, si passagère mais vivante et douée de pensée, de volonté et d' affection, mise en quelque sorte en contact avec la brute existence et la muette grandeur de ces êtres sans vie, voilà, ce semble, les vagues pensers qui attachent et qui secouent l' âme à la vue de cette scène et d' autres pareilles. Plus bas, en effet, la reproduction, le changement, le renouvellement nous entourent; le sol actif et fécond se recouvre éternellement de parure ou de fruits, et Dieu semble approcher de nous sa main pour que nous y puisions le vivre de l' été et les provisions de l' hiver; mais ici où cette main semble s' être retirée, c' est au plus profond du cœur que l'on ressent de neuves impressions d' abandon et de terreur, que l'on entrevoit comme à nu l' incom faiblesse de l' homme, sa prochaine et éternelle destruction, si, pour un instant seulement, la divine bonté cessait de l' entourer de soins tendres et de secours infinis. Poésie sourde mais puissante et qui, par cela même qu' elle dirige la pensée vers les grands mystères de la création, captive l' âme et l' élève. Aussi, tandis que l' habituel spectacle des bienfaits de la Divinité tend à nous distraire d' elle, le spectacle passager des stérilités immenses, des mornes déserts, des régions sans vie, sans secours, sans bienfaits, nous ramène à elle par un vif sentiment de gratitude, en telle sorte que plus d' un homme qui oubliait Dieu dans la plaine s' est ressouvenu de lui aux montagnes.

Mais à cette poésie de pensées que suscitent ces spectacles vient s' ajouter bientôt l' attrait de la magnificence, et, par une autre voie encore, par celle des sens charmés, émerveillés, l' esprit s' humilie avec je ne sais quel enivrement devant les éclatantes beautés que le Très-Haut a prodiguées jusqu' au sein de ces inaccessibles domaines de la glace et de la foudre. A ne considérer que cette seule pyramide du Cervin, quelle hardiesse inconnue dans l' effort remassé de ce torse immense, et que les saphirs, que les diamants des hommes sont pauvres de facettes, de couleurs et d' éclat en comparaison des puretés, des scintillements, des diaphanes fraîcheurs, des métalliques reflets dont ce pic est tout entier paré dans sa hauteur et dans son pourtour! Noyée dans la lumière, sa cime sans ombre reluit doucement au plus lointain des profondeurs éthérées; ses épaules tourmentées, ses flancs sillonnés, se dessinent en muscles nerveux: puis semblable à une blanche robe, qui simple de plis et somptueuse de broderies, tombe noblement de la ceinture pour flotter avec grâce sur les carreaux des parvis, à mi-hauteur du géant la glace voile, recouvre, tombe en ondes majestueuses, qui refoulent leurs derniers replis sur les carreaux d' une morne allée de rochers chauves et brisés. Sous l' impression de ces magnifiques choses, des accents s' élèvent de l' âme que le langage ne sait pas dire, et certaines expressions des prophètes dont la superbe ampleur et l' étrange sublimité nous surprennent plus encore qu' elles ne nous émeuvent lorsque nous lisons les Ecritures dans le recueillement de la retraite, se présentent alors à l' esprit et errent seules sur les lèvres.

Assis sur l' herbe sauvage de cette sommité, aux charmes si vrais de la contemplation, nous mêlons les agréments pas du tout mensongers de la bonne chère, et c' est sans perdre un coup de dent que nous éprouvons ces poétiques ravissements. Par malheur, l' eau manque partout à la ronde, et le plaisir que nous goûtons à engloutir des quartiers de jambon s' en trouve diminué d' autant. C' est pourquoi, dans la prévision qu' il faudra tout à l' heure redescendre jusqu' aux sources que nous avons dépassées en montant, nous nous hâtons de dresser au plus tôt la lunette, pour faire chacun à notre tour et sans bouger de place un facile pèlerinage sur les glaces qui sont en vue. Cette lunette est forte, précise, limpide, en sorte que, braquée sur les crevasses béantes, elle en met à notre portée et comme devant nos pas les caverneuses profondeurs.

C' est là un spectacle bien curieux; et, faute d' avoir fait cette épreuve du rapprochement, l'on quitterait ces hauteurs sans se douter seulement de l' infinité d' objets, de formes, d' accidents que présentent ces mêmes surfaces glacées qui, de loin et à l' œil nu, paraissent unies comme la neige des prés.

( Extrait de: Voyagé autour du Mont Blanc, 1843. « Nouveaux voyages en zigzagt, par R. Töp f f er. ) Die Alpen — 1936 — Les Alpes.25

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