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Le Cervin au seuil de l'AVS

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Georges Curral, Täsch Ce mercredi 8 septembre 1982, les prévisions sont excellentes pour le jeudi et le vendredi, l' en est au point, et c' est décidé, j' y vais.

A Zermatt, le temps est splendide mais, surprise, le Cervin me toise, superbe, plâtré de neige et marbré de glace. Je pense alors à cette remarque de Walter Schmid dans son ouvrage Au vent des quatre mille:

" Lorsque l' arête est enneigée ou verglacée - ce qui arrive souvent — non seulement des spécialistes du Cervin, mais encore la plupart des alpinistes chevronnés sont obligés de rebrousser chemin. » A mon très grand regret, je dois faire mienne cette sage résolution.

Samedi i au soir, un coup de téléphone au Bureau des guides m' apprend que les ascensions ont repris ce jour même, mais dans des conditions encore précaires.

— Venez à Zermatt la semaine prochaine me dit-on - et nous verrons quand il y aura possibilité de vous donner un guide.

Je commence à croire que le plus difficile n' est pas d' y monter, à ce fameux Matterhorn, mais d' y accéder.

Lundi 13, nouveau voyage à Zermatt. A 18 h oo, au Bureau des guides, on m' inscrit sur une liste d' attente et on me donne rendez-vous pour le lendemain. Je passe donc la nuit à l' hôtel, avec vue sur le Cervin ( c' est toujours çaet sur le cimetière, histoire de conjurer le sort.

Mardi, on me confirme que c' est bon pour le mercredi. Je téléphone à ma femme pour la renseigne " et lui dis que le guide sera désigné vers i t h oo. Sur quoi elle a ce mot gentil: J' espère que tu tomberas bien!

L' après, dans le téléphérique du lac Noir, deux paysans sont armés de râteaux rafistolés avec du fil de fer et contrastant étrangement avec l' équipement sophistiqué des touristes.

Sur le sentier qui, en deux heures, conduit au Belvédère, des groupes, allemands en général, m' arrêtent pour me demander si je vais au Cervin. Tous m' envient, et chargé ( en plus ) de leurs vœux, j' arrive à la cabane on je fais la connaissance de mon guide: Beat Julen, un jeune homme de 25 ans. Nous décidons de nous tutoyer comme le veut la coutume, et nous nous entretenons en Schwyzerdütsch. Après un certain temps, je lui propose d' utiliser le français. Avec un rire sonore, il me dit que l'on commutera ( umschalten ) à mi-parcours.

Dans la soirée, il me rejoint pour les dernières instructions. Equipement: les crampons qu' il s' in de savoir bien adaptés, pas de piolet, pas de casque, mais la lampe frontale. Alléger le sac au maximum. Compte tenu de la saison, le déjeuner est prévu à 05 h oo. En revanche, il me recommande d' être prêt à sortir parmi les premiers pour éviter les embouteillages dans les passages obligés.

- Combien de temps pour la montée?

- 4 heures pour monter... et 4 heures pour descendre.

Je le trouve bien optimiste, car un couple de Français dans la quarantaine, apparemment pas des mauviettes, accompagnés d' un guide des Diablerets ( tiens! les guides de l' extérieur prennent deux clients ), ont mis cinq heures et demie pour monter et six heures et demie pour le retour.

Mercredi 15 septembre, jour J. Notre troisième rang seulement ( sur une douzaine de cordées ), au sprint de départ, ne m' est pas imputable.

A une centaine de mètres de la cabane déjà pend une grosse corde de chanvre. On s' y accroche et se renverse pour passer une vire: c' est l' entrée en matière et le test d' admission. Après une incursion sur le flanc est, le sentier se transforme bientôt en escalier de granite dont les marches atteignent souvent plus de 60 cm de hauteur. Puis c' est au tour des mains et des pieds de trouver les prises parfois évidentes, parfois fort discrètes dans les couloirs qui se superposent, reliés par de vagues sentiers enneigés. La progression est un peu rapide, à mon gré, mais je soupçonne Beat de ne pas vouloir se laisser rattraper par les suivants.

Après deux heures de grimpée tantôt sur la face, tantôt sur l' arête, et la Moseleyplatte franchie, le refuge Solvay apparaît et nous apprend que nous avons atteint les 4000 mètres et effectué la moitié du temps de montée.

C' est un peu plus haut que, mettant à profit un très relatif replat, nous chaussons les crampons et que j' avale ma première « golée » de thé.

Déjà, l' exercice a repris. Le sentier, sur une dizaine de mètres, se trouve exactement sur l' arête. Il est enneigé, large de 30 centimètres à peine, et le vide de mille mètres de chaque côté nous incite à regarder où nous mettons les pieds.

Voilà les fameuses cordes fixes. Le guide me conseille de les utiliser comme assurage, mais de ne pas me hisser à la force des bras, ce qui deviendrait vite exténuant. Et pourtant, ce mur de 2,50 mètres est équipe à droite d' une corde, à gauche d' une chaîne en forme de boucle qu' il faut saisir et bel et bien tirer jusqu' à ce que les crampons aient prise sur le haut du rocher. De relais en relais, la partie la plus raide est ainsi franchie, et c' est sur un versant enneigé dont la pente va en s' atténuant que nous atteignons, au bout de quatre heures, la cote de 4478 mètres, sans nous être arrêtés une seconde fois, mais avec la satisfaction que l'on devine.

Nous sommes seuls; il fait un froid supportable, puisque je n' ai pas conservé mes gants. Le contact du gobelet de thermos rempli de thé chaud est néanmoins agréable. J' essaie de manger la moindre, mais ça ne passe pas. Le guide prend une portion qui suffirait à gaver un moineau. Admirons plutôt le panorama fantastique qu' il serait trop long de décrire, et Zermatt qui se prélasse, 2873 mètres plus bas!

A io h oo, comme le veut la règle, j' attaque la descente en premier, et l' absence de fatigue du moment me permet une cadence assez rapide. Nous croisons les cordées montantes, tout au long des cordes fixes, ce qui exige quelque gymnastique. Puis c' est à nouveau Solvay et l' instant de quitter les crampons.

Un redoublement d' attention s' impose, car la neige qui fond au soleil de midi favorise les glissades. A chaque dérapage amorcé, je sens la corde qui se tend instantanément. Sur le rocher, les semelles mouillées n' assurent pas non plus l' ad souhaitée, et je constate en passant que Beat n' est pas non plus à l' abri de toute surprise, ce qui me console un peu.

Dans les passages délicats, j' assure à mon tour le guide qui me remercie par une tape sur l' épaule en disant: - Das hast du gut gemacht, Georges.

Ce qui est moins bien, c' est certainement le choix de l' itinéraire. De très nombreuses fois, la voie qui paraît la plus évidente est un traquenard, un cul-de-sac que l'on évite grâce aux corrections de Beat qu' il ordonne généreusement avec son accent zermattois inimitable. Le problème serait le même à la montée, mais comme on est sur les traces du guide, on ne s' en soucie guère, d' où l' avantage certain et appréciable d' être accompagné d' un parfait connaisseur de ce labyrinthe.

La descente a dure trois heures et demie. J' ai droit aux félicitations de Beat qui ne cache pas son étonnement, compte tenu du fait que mes fils ont une quinzaine d' années de plus que lui.

Ce qu' il ne voit pas, en revanche, grâce à mes lunettes de glacier, c' est la larme d' émotion due à la réalisation d' un très beau rêve auquel je n' avais jamais entièrement renoncé.

( Bulletin de la Section de la Gruyère, octobre-novembre 1982 )

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