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Le métier de guide

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guide de Chamonix, membre de l' Expédition française à l' Himalaya 1950 Le métier de guide est parmi les plus beaux. Parce que l' homme qui l' exerce est en contact direct avec la Terre restée vierge.

De nos jours peu de choses subsistent; la nuit n' existe plus, ni le froid, le vent et les étoiles, ni parfois même notre propre poids d' homme; tout est neutralisé.

Quelle curieuse rencontre entre la pâte humaine et les reliefs de la planète! Des hommes dans un silence d' oubli. Une pente de neige raide comme une vitre: ils l' escaladent en signant leur travail; une trace irréelle. Un rocher beau comme un obélisque: ils détruisent la pesanteur et gagnent le droit de passer n' importe où. Ils ne courent pas une aventure. Ce ne sont pas des aventuriers. Ils vivent la vie, ils font leur métier.

Chaque jour de l' été ils se lèvent à 2 heures du matin pour interroger le ciel et le vent. Hier soir ils étaient inquiets: quelques nuages longs rayaient l' ouest. Ils craignaient une nuit gâtée: la Voie Lactée scintillait trop crûment, le froid se faisait attendre. Mais maintenant le vent du nord a pris le dessus, la neige et le ciel sont en ordre, ils peuvent réveiller leurs clients et partir. Alors, une corde lie deux êtres qui n' ont plus qu' une vie; le guide pour quelques heures épouse un inconnu qui va devenir un ami: quand deux hommes partagent le meilleur et le pire ce ne sont plus deux étrangers.

Par la répétition des mêmes ascensions le métier pourrait devenir fastidieux, mais le guide n' est pas seulement une machine à bien grimper les rochers et les pentes de glace, à connaître le temps et l' itinéraire. La haute montagne est toujours un cadre merveilleux; escalader procure un plaisir qui ne lasse pas, mais surtout le guide est payé par le bonheur de celui qu' il emmène. Il sait d' avance que tel passage d' escalade est particulièrement intéressant, qu' à tel détour la vue est soudainement belle, que telle arête de neige est une pure dentelle; il ne dit rien mais sa joie est dans le sourire de son compagnon quand celui-ci découvre: c' est la loi de l' échange.

Parfois le second hésite devant une difficulté, mais le guide est là, qui, par la corde transmet son pouvoir. Parfois la tourmente se lève, mais le guide connaît tous les secrets, son instinct le dirige, sa responsabilité décuple ses forces et il ramène tout le monde au refuge. Il aime la difficulté mais déteste le danger, ces deux choses à ne pas confondre. Parfois il meurt, tué par la foudre, les chutes de pierre où l' avalanche, c' est aussi son métier. Mais tant qu' il est en vie, il lutte pour ramener sa cordée.

Au pied des rochers du Cervin il y a une croix: « Ici est mort le guide Jean-Antoine Carrel le 26 août 1890, âgé de 62 ans. Une prière pour le repos de son âme. » Quelques jours avant, le 23 août précisément, Carrel, le pionnier du Cervin, voulait gravir encore une fois la cime qu' il aimait tant et dont il avait fait la conquête par l' arête italienne vingt-cinq ans plus tôt. Il est parti, mais au refuge de la Grande Tour le mauvais temps se déclenche avec une extrême violence, le bloquant avec ses compagnons Gorret et Sinigaglia. Cette cabane devient une prison: dehors la tempête sévit, ébranlant, quand la foudre claque, la montagne entière. Au matin du 25, ils n' ont plus de bois, ils ont épuisé leurs pro- visions; ils décident de descendre. Six heures plus tard, ils arrivent au Col du Lion; plus d' une fois le vent et la neige ont failli les basculer. Gorret a une main gelée, il a perdu un gant. Malgré la tourmente, malgré son âge et sa fatigue, Carrel descend le dernier, surveillant ses compagnons; malgré la nuit aussi qui les a surpris. Tout se ressemble sur ces rochers, plâtrés de neige, mais Carrel, sans défaillance et sans erreur, conduit sa cordée dans le noir et le vent.

Vers minuit, ils arrivent à la dernière pente de neige. Tandis qu' il la traverse, Carrel glisse deux fois. Qu' a?

- « Un faux-pas? » Carrel n' a jamais fait de faux-pas.

Maintenant la tempête peut redoubler: les difficultés sont finies. Ils sont sur le dernier ressaut de rocher, à quelques mètres des pâturages. Gorret qui descend le premier va mettre le pied sur l' herbe quand la corde se tend brusquement entre Sinigaglia et Carrel. Sinigaglia appelle, crie, hurle, le vent emporte ses paroles; il tire un peu sur la corde, mais Carrel ne descend plus. Ce n' est plus la peine: le vieux guide a lutté jusqu' ici, jusqu' à la limite de ses forces pour ramener ses compagnons. Maintenant ils sont arrivés, ils n' ont plus besoin de lui: il peut mourir.

A l' automne le guide est content de retrouver sa maison. Durant l' été il a fait ascension sur ascension, couchant presque toujours en refuge enroulé dans une couverture, allant d' un sommet à l' autre sans arrêts que ceux imposés par le mauvais temps. Et pourtant sous d' autres formes la montagne l' attire encore: c' est la chasse au chamois, la recherche de cristaux, la coupe de bois.

Puis vient la neige et les longues veillées. L' hiver autrefois ennemi est maintenant vaincu. Presque tous les guides sont moniteurs de ski, c' est le complément normal à leur métier. Tout au cours de l' année, l' homme de la montagne vit avec les saisons. L' hiver est fait pour le ski de piste et le printemps pour le ski de montagne: quand la neige se retire, l' homme la suit en altitude là où elle dure.

Puis à nouveau l' été est là pour la réalisation des plus beaux désirs de l' hiver: les grandes courses projetées au cours des veillées. Quelle joie alors, quand pour la première fois de l' année on retrouve le granit rugueux et qu' ignorant le vide et la pesanteur, on s' élève en plein cieL

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