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Les alpinistes anglais, mythe et réalité

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Claude Défago, Monthey

II est une tradition qui veut que les alpinistes anglais soient rangés, à I' exception de quelques maîtres, parmi les grimpeurs curieux et originaux. On les imagine généralement mal équipés, perdus, aux prises avec des voies au-dessus de leurs possibilités.

Aussi nous a-t-on regardés avec une certaine ironie lorsque, en 1973, nous avons annoncé à nos amis que nous allions grimper en Angleterre. On nous parlait, un sourire sur les lèvres, des célèbres voies du Trèfle à quatre ou du Pissenlit. On nous dépeignait les faces nord vertigineuses des vertes collines britanniques. On nous rassurait en nous parlant de ces grands guides dont nous brossions un rapide portrait plus haut.

Pour les dix chefs OJ, invités en Grande-Bre-tagne par les membres britanniques du CAS, la croisade en terre hérétique prit vite un caractère enchanteur. Andy, petit gars de 14 ans, fut le premier à nous envoûter et à infliger un cinglant démenti aux noires prédictions de nos prophètes helvétiques:

- « Grad four, five, six »? demanda-t-il en nous regardant dans les yeux. Surpris et timides, nous répondîmes « four ».

Nous avions quitté le matin même notre petite cabane au bord du Wast Water. La veille nous avions gagné le district des lacs, dans le Cumberland, un des paradis de l' escalade Outre-Manche. Dix heures d' autoroute pour parvenir dans cette région sauvage et en apparence hostile. Les hauts sommets nous manquaient. Le point culminant de l' Angleterre, le Scafell Pikes, nous dominait pourtant de ses 960 mètres. La cabane se trouvait, elle, à quelques pieds au-dessus du niveau de la mer avec pour conséquence une dénivellation assez importante. Autre élément surprenant, le jour. Nous nous trouvions dans le Wasdale à la fin du printemps et déjà très au nord, presque à la frontière de l' Ecosse; aussi la nuit ne tombait-elle que très tard le soir et elle ne durait que quelques heures.

Le soleil brillait depuis longtemps lorsque nous quittions, vers to heures, notre refuge. Rapidement la sueur perlait sur nos fronts. L' atmosphère était lourde de la moiteur du Gulf Stream voisin. Après une marche d' approche relativement longue, nous étions heureux de sentir le granite chatouiller nos doigts.

Andy commence déjà à grimper. Casqué, serré dans son baudrier, bicoins et mousquetons à la ceinture, il confie son corps à ses muscles d' acier. Les légères et souples chaussures d' escalade desservent à merveille son agileté de félin. Nos derniers doutes sur la valeur des varappeurs britanniques s' évanouissent au même rythme que la corde qui file, rapidement et régulièrement, dans nos mains. Le relais atteint, quelques sangles glissent dans une fissure, derrière un bloc. Il n' y a plus de doutes, plus du tout. La preuve est faite. Le « grand alpiniste suisse » halète, tire, s' interroge. Sa fierté en prend un coup. Pendant plusieurs jours, bien que la forme revienne à grands pas, il en sera de même. Toujours la même facilité, toujours la même peine.

Nous voudrions tirer de ces lignes et de nos souvenirs quelques grands traits qui nous paraissent, à la lumière de notre brève expérience, définir le grimpeur anglais. L' image de marque qu' on lui attribue généralement dans les Alpes s' en trouve considérablement modifiée. Nous essayerons également d' expliquer ce fait.

Le varappeur britannique est jeune. Nous n' avons rencontré que fort peu de seniors. Il jouit d' une condition physique assez exceptionnelle, nécessaire dans ces escalades athlétiques que réclame le granit des parois. Les voies n' ont qu' une faible hauteur: cent, deux cents ou quatre cents mètres dans le Pays de Galles et en Ecosse, mais la même cordée en parcourt toujours plusieurs dans la même journée, souvent voisines les unes des autres.

Le matériel surprend. Le piton est interdit par une sorte de code d' honneur qui bannit cet aveu de faiblesse. Cela ne signifie pas pour autant que la sécurité soit négligée. Bien au contraire. Le casque et le baudrier ont depuis longtemps droit de cité. Les clous sont remplacés par des sangles et des bicoins que l'on coince derrière des becquets ou dans des fissures. Une telle assurance permet de franchir les passages les plus durs. Malheureusement - et là nous nous défions un peu du système — il n' est pas rare que, le mauvais pas franchi, la traction de la corde vers le haut retire bicoins et sangles. Le risque en devient aussi grand que la folle impression qui s' en dégage. Les relais, en revanche, font l' objet d' un soin tout particulier. La montagne peut tomber. Le grimpeur restera amarré au rocher. Dernier élément, les chaussures ressemblent étrangement au célèbres « baskets » de nos enfants. Très souples, légères, à semelle lisse, elles permettent un style d' escalade base essentiellement sur l' adhérence et non pas sur l' appui sur les grattons.

Tous ces éléments, aujourd'hui de plus en plus fréquents également chez nous, font de l' escalade un jeu plus proche de la nature. On ne défigure pas un itinéraire en le « surcloutant », on grimpe plus en souplesse, en technique, en refusant les artifices mécaniques. Tout moyen jugé inutile est banni. Il n' y a bien sûr pas de règlement, mais un esprit que chacun se fait un honneur de respecter. La conséquence, logique, réside dans l' exception qualité du varappeur anglais. Son palmarès dans les Alpes le prouve le jour où il quitte son île.

Le problème est là, qui nous fait imaginer des plaisantins plus que des alpinistes lorsque nous parlons de nos camarades britanniques. Les moyens financiers manquent à cette génération autant que l' expérience des dures conditions de l' alti. Pourtant, dès que les premiers sont réunis, la seconde suit de peu. Nous avons ainsi rencontré quelques jeunes possédant un tableau de chasse alpin absolument remarquable: Walker, Pilier Bonatti, face ouest des Drus, grandes faces nord. Le jeune alpiniste anglais ne quitte ses merveilleux terrains d' entraînement que lorsque son porte-monnaie et sa technique le lui permettent. Nous pouvons garantir qu' il est nettement plus exigeant avec la deuxième. Ajoutons à cela qu' il fait preuve de beaucoup de simplicité et de modestie, et nous comprendrons que ceux que les colonnes de secours récupèrent ne représentent pas, et de loin pas, les grimpeurs anglais. Voici qui apporte un démenti catégorique à nos clichés.

Dix jours ont suffi pour que nous fassions connaissance avec des alpinistes qui méritent autant que nous, peut-être plus, ce titre. Nous sommes revenus convaincus, émerveillés. La tradition des pionniers a franchi le cap de l' Histoire. Les portes de l' actualité sont aussi ouvertes aux Britanniques, quoi qu' en disent les mauvaises langues.

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