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Les premières des Wetterhörner

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Avec 1 illustration ( 12Par G. R. de Beer et R.M.orrison

Un des résultats les plus curieux des recherches effectuées récemment dans la littérature et l' histoire alpestres est la constatation qu' à plusieurs reprises la vérité sur les premières ascensions de certaines cimes a été étouffée, de sorte que plusieurs personnes, les unes après les autres, se sont cru en droit de s' arroger l' honneur de la conquête. Ce phénomène s' est produit assez souvent dans l' Oberland bernois et surtout avec les Wetterhörner dont il sera question ici.

Avant d' essayer de dégager les causes qui sont à la base de cette succession de supercheries accidentelles ou organisées, il convient de préciser les faits, non seulement dans leurs grandes lignes avec l' établissement de la liste chronologique des personnages qui ont tenté ou réussi l' ascension du Rosenhorn, du Mittelhorn et de la Haslejungfrau, mais aussi dans leurs détails en ce qui concerne la situation telle qu' elle se présenta à chaque ascensionniste, la nature de l' objet, bâton en bois ou « étendard » en fer planté sur le sommet comme preuve de réussite, et les témoignages de ceux qui les y ont vus.

Le mérite d' avoir déterré et signalé le récit des premiers touristes ayant achevé la conquête de la Haslejungfrau revient à M. C. Egger qui l' a reproduit dans cette revue ( ELA ) et qui dans l' Alpine Journal ( EAJ ) a dressé la liste des premières ascensions des trois sommets des Wetterhörner. Toutefois, pour des raisons que nous développerons dans la suite, nous ne sommes pas tout à fait d' accord avec M. Egger sur un petit détail, à savoir l' ordre des ascensions faites par un des touristes, Blackwell.

D' autre part M. Arnold Lunn a démontré aux Anglais que l' ascension de la Haslejungfrau par Alfred Wills était loin d' être la première ( LTA ). Nous pensons cependant qu' il s' est trompé dans le déchiffrage difficile des mouvements de Blackwell. Nous nous voyons obligés de revenir sur ce problème parce que nous considérons que cette erreur a été cause d' une injustice envers l' auteur d' une tentative sur la Haslejungfrau dont Je nom, du Pontavice de Heussey, ne figure jusqu' ici dans aucun ouvrage sur l' histoire de cette cime. Notre reprise de cette étude nous a également permis d' offrir une solution d' un problème présenté par le récit d' Alfred Wills ( WWHA ).

Nous commencerons donc par établir la liste chronologique des ascensions des trois sommets des Wetterhörner que l'on est obligé de traiter ensemble, vu qu' il y a quelques fois confusion sur laquelle des trois cimes dont il est question.

1° Première ascension du Rosenhorn par E. Desor, Dollfus, Dupasquier et Stengel, avec les guides J. Währen et J. Jaun du Grimsel, le 28 août 1844, par le chemin du Grimsel et le Col du Lauteraar ( DNESG ).

L' équipe planta un bâton en bois au sommet, que Dollfus eut le plaisir de voir de Meiringen. Mais l' incrédulité prévue des habitants de Grindelwald conduisit à l' entreprise de l' ascension décrite immédiatement ci-après.

2° Première ascension de la Haslejungfrau par les guides M. Bannholzer et J. Jaun du Grimsel, le 30 août 1844, par le chemin de Rosenlaui ( DNESG ).

Les guides plantèrent un bâton en bois au sommet. Cette ascension fut reconnue dans la suite par les guides du Grimsel puisque 1° M. Speer fut averti l' année suivante que la Haslejungfrau avait déjà été gravie, 2° un bâton vu sur cette cime par M. Speer lui fut ( peut-être à tort ) démontré comme ayant été posé par les guides ( SPTA ), et 3° M. Vogt reconnut l' année suivante que l' ascension effectuée par lui-même et ses compagnons avait été précédée par celle des deux guides ( VJSAC ). A Grindelwald, par contre, on ne reconnut jamais cette ascension et l'on affectait de n' en rien savoir, ainsi qu' il ressort du récit de l' ascension qui suit.

3° Deuxième ascension de la Haslejungfrau, première touristique et première par le chemin de Grindelwald, par Gottfried Roth et F. Fankhauser, avec les guides Johann Bohren, Peter Bohren et Christian Michel, de Grindelwald, le 7 juillet 1845 ( ELA ).

L' équipe planta un bâton sur le sommet.

Cette ascension, entreprise selon Studer ( StUES, 1, p. 238 ) pour devancer un Anglais ( Speer ) est qualifiée ( EDA ) de toute première: « Zum ersten Male die höchste Spitze des Wetterhorns erstiegen... Niemals aber noch hatte es gelingen wollen, die höchste Spitze zu erklimmen. » Il convient de rappeler qu' à cette époque la Haslejungfrau passait pour la plus haute cime. Il s' ensuit qu' à Grindelwald on ne reconnaissait pas l' ascension de Bannholzer et Jaun de l' année précédente.

Il est probable que le succès de l' entreprise de Roth et de Fankhauser se trouva vérifié deux jours plus tard par Speer, car du Mittelhorn il vit sur le sommet de la Haslejungfrau un bâton que ses guides prétendaient être celui qui avait été planté par Bannholzer et Jaun l' année précédente, mais qui était plus probablement celui de Roth et Fankhauser planté l' avant.

Presqu' aussitôt, cependant, le succès de Roth et Fankhauser fut démenti. Par exemple, Studer ( StPB p. 233 ) en 1850 qualifiait l' expédition Roth et Fankhauser de « misslungener Versuch... ( ob aus Ermattung oder lokaler Schwierigkeiten, ist dem Verfasser unbekannt ) ». Et l' année suivante, 1845, Vogt dit que la Haslejungfrau n' avait jusqu' alors été gravie que par les deux guides Bannholzer et Jaun.

L' ascension de Roth et Fankhauser tomba donc sous le coup d' une conspiration de silence pour des raisons qui restent mystérieuses. Peut-être la politique radicale que poursuivait Roth y était-elle pour quelque chose; il avait pris part aux « Freischarenzüge » contre les cantons catholiques et avait été emprisonné à Lucerne. Les journaux conservateurs de la Suisse ne publièrent pas sa mise au point qui établissait le succès de son expédition ( ELA ). Une autre raison possible se dégage du récit de Speer que nous considérerons immédiatement ci-après.

4° Première ascension du Mittelhorn, par Stanhope Templeman Speer, avec les guides J. Jaun, Kaspar Abplanalp et un autre, du Grimsel, le 9 juillet 1845, par le chemin du Grimsel et du Col de Lauteraar ( SpTA, MS p. 83 ).

Speer raconte qu' au Grimsel Zybach lui avait dit que le Rosenhorn et la Haslejungfrau avaient déjà été gravis et que seul le Mittelhorn était vierge, ce qui était exact. Speer ajoute que du sommet du Mittelhorn il vit un bâton sur le Rosenhorn, et un autre sur la Haslejungfrau que son guide Jaun prétendait être le sien de l' année précédente. C' est possible, mais comme nous l' avons déjà remarqué, il est plus probable, vu l' enneigement et les tempêtes auxquels la cime de la Haslejungfrau est exposée dans le courant d' une année, que le bâton était celui de Roth et Fankhauser. Speer était au courant de leur tentative, mais il précise ( donc ses guides le lui avaient dit ) que Roth et Fankhauser avaient échoué. Ceci cadre bien avec l' assertion rapportée par Egger ( EPA p. 35 ) selon laquelle Jaun voulait « réserver » la « première touristique » de la Haslejungfrau pour Agassiz. Pendant ses fréquents séjours à « l' Hôtel des Neuchâtelois » et au Grimsel, Agassiz s' était acquis un prestige énorme aux yeux des guides du Grimsel, et c' était probablement pour cela qu' ils ne voulaient pas reconnaître le succès de Roth et Fankhauser. De plus, cela aurait été admettre un succès pour les guides de Grindelwald qui, eux, niaient celui des guides du Grimsel.

5° Troisième ascension de la Haslejungfrau, deuxième touristique, par L. Agassiz, A. Vogt et Bovet, avec les guides J. Währen, J. Jaun et M. Bannholzer, du Grimsel, le 31 juillet 1845, par le chemin du Grimsel et le Col de Lauteraar ( VJSAC ).

L' équipe planta un bâton au sommet.

Comme on le verra dans la suite, cette ascension ne fut pas reconnue à Grindelwald et, chose curieuse, elle fut même ignorée par Studer en 1850 ( StPB ).

6 A. Tentative infructueuse d' ascension de la Haslejungfrau par Eardley J. Blackwell avec les guides Christian Bleuer et Peter Bohren de Grindelwald, le 13 juin 1854, par le chemin de Grindelwald ( HS p. 131, DJSAC ).

Dans un brouillard épais et par une tourmente de neige, une sommité fut gravie et un drapeau planté, après quoi, à sa descente le lendemain 14 juin, Blackwell consigna de bonne foi dans les carnets de ses guides un certificat de réussite ( DJSAC p. 375 ) attestant que le drapeau avait été placé sur la plus haute pointe « qui n' avait jusque là jamais été atteinte ». Mais bientôt, sans doute après la dispersion des nuages, on distingue de Grindelwald le drapeau de Blackwell sur une pointe en arrière de celle du Mittelhorn et inférieure à celle-ci ( StUES, 1, p. 236 ). D' après la chronique du Glelschermann de Grindelwald ( GG ), « es war das Rosenhorn, das die Partie nach der Aussage Almers erreicht hatte ». On n' était donc pas très bien fixé sur le but atteint.

M. Arnold Lunn a essayé de prétendre ( LBSYB ) que cette tentative de Blackwell sur la Haslejungfrau par la route de Grindelwald ( que M. Lunn place à tort après celle que Blackwell fit par la route de Rosenlaui ) avait réussi. La preuve du contraire est l' aveu que Blackwell fit lui-même à Heathman ( HS p. 132 ) que cette première tentative par la route de Grindelwald échoua tandis que sa seconde, entreprise par la route de Rosenlaui, réussit.

6 B. Quatrième ascension de la Haslejungfrau, troisième touristique, par Eardley J. Blackwell, avec les guides Christian Bleuer et Peter Bohren de Grindelwald, à la fin du mois de juin 1854, par la route de Rosenlaui ( HS, DJSAC ).

L' équipe planta un bâton sur le sommet.

Si cette ascension ne figure pas dans les carnets des guides, c' est sans doute parce que Blackwell s' était déjà exécuté le 14 juin, à faux comme il dut bientôt le constater. " La reprise de la tentative s' imposait donc, et sa réussite ne faisait que vérifier après coup ce qu' il avait déjà écrit. Il est d' ail évident que Blackwell croyait que son ascension de la Haslejungfrau était la première, et son interlocuteur Heathman était du même avis puisqu' il parla de cette ascension comme d' un « fait jamais accompli jusqu' ici ». Il est vrai que le guide de Murray nous informe que l' ascension avait été réussie par un jeune Ecossais ( Speer ) quelques années auparavant, mais tous les guides s' accordaient pour dire qu' il n' avait pas atteint la plus haute pointe. » En ce qui concerne l' ascension de Speer, les guides de Grindelwald parlaient de bonne foi, car à cetfe époque le Mittelhorn que gravit Speer passait pour moins élevé que la Haslejungfrau. Mais du même coup ils balayaient trois ascensions antérieures à celle-ci.

7 A. Deuxième ascension du Mittelhorn, par M. du Pontavice de Heussey, avec les guides Peter Bohren et Christian Almer, de Grindelwald, le 20 août 1854 ( StUES, DJSAC ).

L' équipe planta un drapeau au sommet, fait attesté par Wills. 7 B. Tentative infructueuse d' ascension de la Haslejungfrau, par M. du Pontavice de Heussey, au mois d' août 1854 ( StUES, DJSAC, WWHA ).

Lors de son ascension de la Haslejungfrau le 17 septembre de la même année, Wills aperçut un drapeau métallique planté à dix pieds en dessous de la cime de la Haslejungfrau. Dûbi ( DJSAC ) et Lunn ( LBSYB ) ont supposé que ce drapeau fut planté par Blackwell. Or, c' est impossible, parce que Blackwell planta sur la Haslejungfrau lors de son ascension renouvelée et réussie non un drapeau métallique ( et Wills précise que c' en était un ), mais un bâton en bois. La clef de l' énigme est fournie par Wills ( WWHA p. 302 ). De la Haslejungfrau Wills avait vu sur le Mittelhorn un drapeau ( celui de du Pontavice de Heussey ), et il précise que le drapeau à dix pieds en dessous de la cime de la Haslejungfrau fut planté par le touriste qui avait gravi le Mittelhorn et qui avait fait une tentative sur la Haslejungfrau. Donc du Pontavice de Heussey figure au tableau d' honneur de la Haslejungfrau, à dix pieds près. Un des guides de Wills, Balmat, rencontra plus tard « cet alpiniste hardi et intrépide » ( WWHA p. 302 ) qui lui expliqua qu' ils plantèrent leur drapeau sans soupçonner qu' ils étaient si près de la cime. Elle leur était cachée par la corniche décrite par Wills.

Cette tentative de du Pontavice de Heussey à la Haslejungfrau n' a jamais été relevée par les historiens de l' alpinisme et des Wetterhörner. Elle explique en fait la tradition embrouillée rapportée par Studer ( StUES, 1, p. 237 ), selon laquelle « auch das Rosenhorn soll im Jahre 1854 von Hrn. Dupontave de Heussey mit den Führern Thomann, Bohren und Ahnen bestiegen worden sein. » On savait par conséquent que du Pontavice de Heussey s' était attaqué à plus d' une cime, sans savoir au juste laquelle.

8° Cinquième ascension de la Haslejungfrau, quatrième touristique et deuxième par le chemin de Grindelwald, par Alfred Wills, avec les guides Peter Die Alpen - 1949 - tes Alpes5 Bohren de Grindelwald, Ulrich Lauener de Lauterbrunnen et A. Balmat et A. Simond de Chamonix, le 17 septembre 1854 ( WWHA ).

Avant de partir pour son ascension, Wills avait interrogé Ulrich Lauener et lui avait demandé si la Haslejungfrau était possible. « Il me répondit tout de suite: ,Ja, ja, Herr ', en ajoutant que personne n' avait encore réussi à en faire l' ascension mais qu' il la croyait possible et que de toute façon cela valait la peine d' essayer. » A Grindelwald on ne reconnaissait aucune des ascensions réalisées par les guides du Grimsel, et on avait renié, oublié, ou étouffé les ascensions de Roth et Fankhauser et de Blackwell. Wills apprit que celui qui avait gravi le Mittelhorn ( du Pontavice de Heussey ) s' était aussi attaqué à la Haslejungfrau, et le lendemain de sa propre ascension il interrogea un des guides de cet « alpiniste hardi et intrépide ». Dübi ( DJSAC ) pense que ce dut être un des guides de Blackwell, probablement Bleuer. Mais d' après ce que nous venons de démontrer, il est évident que ce fut un des guides de du Pontavice de Heussey, et probablement Thomann, puisque Bohren faisait intégralement partie de l' expédition de Wills et qu'«Almen » ou Aimer fut un des deux « chasseurs de chamois » qui s' y rattachèrent. Quoiqu' il en soit, Wills ne trouva pas de ressemblance entre le récit du guide et ses propres expériences et fut porté à révoquer en doute son témoignage qui, du reste, ne revendiquait pas de succès. Quand il en vint à rédiger son livre, Wills constata que ce que lui avait dit Lauener sur le caractère vierge de la Haslejungfrau n' était pas strictement vrai. Il savait que Desor avait décrit l' ascension des deux guides, et Murray avait parlé de l' ascension de Speer. Wills soupçonna avec raison que la cime gravie par Speer était le Mittelhorn, ce qui fut bientôt confirmé par Speer lui-même. Puis, Wills continue: « Plusieurs cas de tentatives infructueuses furent citées... On nous traita à Grindelwald et dans les alentours comme les premiers à réussir l' aventure » ( WWHA, lre éd., p. 271 ). Dans la seconde édition de son livre ( WWHA, 2e éd., p. 264 ), cependant, Wills revint sur la priorité de Bannholzer et Jaun: « exception faite des guides de Desor, nous fûmes les premiers à mettre pied sur la cime du Wetterhorn proprement dit. » Même cinquante ans plus tard, personne n' avait détrompé Wills qui écrivait le 23 décembre 1904 à Lady Monkswell ( MVD ): «... savez-vous que c' est l' année jubilaire de mon ascension ( la première ) de cette cime remarquable? J' assistais au dîner de l' Alpine Club le 13 de ce mois, et je fus étonné et touché des choses qui en furent dites, surtout par des hommes sérieux et qui connaissent à fond l' histoire de l' alpinisme. Ils en parlèrent, ainsi que du récit que j' en donnai dans mon petit livre Wanderings among the High Alps comme l' origine de l' essor moderne de ll' alpinisme » A un certain point de vue, cette conclusion est juste, car Wills lança la mode alpiniste anglaise et son livre fit époque, tandis que les lettres envoyées aux journaux par Roth et par Vogt et le livre de Desor ne furent connus que d' un cercle restreint ou rapidement oubliés. Mais cette conclusion ne fait pas justice de la série d' erreurs historiques qui jusqu' à la parution des ouvrages de Lunn ( LTA ) et d' Egger ( ELA ) a pesé lourdement sur le passé des Wetter-hörner.A suivre )

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