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L'odyssée de quelques plantes valaisannes

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Avec 3 illustrations et 5 croquis.Par G. Beauverd.

( Contribution à l' histoire naturelle du Valais. ) Si les apparences autorisent à prétendre que l' une des caractéristiques du règne végétal réside en son incapacité d' articuler toute notion pratique de langage, il n' en est pas moins certain que les végétaux possèdent à leur façon une éloquence discrète, susceptible de nous livrer maints détails intéressants sur divers faits d' histoire naturelle; à plusieurs reprises, d' ailleurs, la rédaction des Alpes a entrepris d' initier ses lecteurs à certaines questions de cet ordreau surplus, ce même point de vue a été limité en d' autres contrées et, pour ne citer que les revues de langue française, rappelons brièvement les travaux analogues publiés par MM. J. Offner, Ch. Bonnet, P. Le Brun, etc., dans La Montagne, organe du C.A.F.

Afin de ne pas alourdir davantage ce préambule, reconnaissons que n' importe quelle région, tant des neiges ou des roches que des forêts ou des tourbières, pourrait nous tenir lieu de champ d' investigation particulièrement instructif. Pour aujourd'hui, choisissons le Valais, cet Eldorado botanique de la Suisse, où l'on moissonne des plantes spéciales telles que l' Adonis vernalis, YEphedra helvetica, VAstragalus exscapus, l' Erica carnea, le Saxifraga cernua, le Dispermotheca viscosa et vingt autres, trente autres, cent autres végétaux dont la structure, la nuance ou les détails biologiques sont bien qualifiés pour capter l' attention de l' observateur.

mAdonis vernalia L.

* Aux Follaterres de Martigny, comme aux abords des sombres pinèdes s' étirant de Charrat à Saxon, puis aux environs de Longeborgne et jusque dans le Haut-Valais, où un pittoresque calvaire agrémente le cadre des mélèzes séculaires dominant le village de Tourtemagne, XAdonis vernalis constelle le printemps pascal de ses grandes étoiles de satin doré, dont les reflets exquis ne peuvent qu' exciter la tentation des promeneurs et des amateurs de jardins d' agrément. Aussi bien la police valaisanne, bonne gardienne de la nature, en a-t-elle inscrit le nom en tête de sa liste de plantes dont elle surveille la cueillette et interdit l' arrachage.

x ) Voir Les Alpes, vol. I, p. 101—114 ( 1925 ); id. vol. VI, p. 151—160 ( 1929 ); id. vol. VIII, p. 148—160 ( 1931 ); id. vol. XV, p. 197 ( 1939 ).

Die Alpen — 1941 — Les Alpes.16 L' ODYSSÉE DE QUELQUES PLANTES VALAISANNES.

Si l'on cherche où l' Adonis vernalis est dispersé dans le monde, on constatera qu' il s' agit d' une plante européenne dont le foyer actuel est site principalement dans le bassin danubien, avec densité graduellement atténuée en abordant la Russie méridionale; au nord, on la trouve dans les îles d' Oeland et de Gotland ( Mer Baltique ); à l' Occident, dans le bassin moyen du Rhin en Alsace, la région des Causses dans les Cévennes, et quelques très rares localités en Espagne; le Valais constituerait, comme unique région du bassin du Rhône, le terminus méridional alpin marquant les singulières pérégrinations de cette plante dans le passé. Mais l' Adonis vernalis compte aussi une nombreuse parenté orientale, dès que l'on élargit les investigations relatives à son histoire. C' est ainsi qu' en prenant en considération le groupe naturel des espèces qui lui sont les plus voisines, c'est-à-dire tous les Adonis à fleurs jaunes et à racines vivaces groupés par A.P. de Candolle dans la section des « Consiligo », nous constaterons que leur total comprend une dizaine d' espèces dont l' une habite l' Himalaya ( Adonis chrysocyathus Hook. & Th. ), une autre le Péloponèse ( A. cyllenea Boissier ), une troisième, les Apennins ( A. distorta Ten .), tandis qu' une quatrième, exclusivement occidentale, est VA. pyrenaica DC, étroitement apparentée à notre A. vernalis; quant aux six autres, distinctes par l' absence de feuilles basilaires, deux sont localisées en Extrême Orient, trois habitent la Sibérie et l' Asie centrale* ), alors que la sixième, seule, constitue un endémisme de l' Europe centrale: c' est précisément notre Adonis vernalis L. dont la présence par petites colonies en Valais pose un problème qui, à notre connaissance, demanderait quelques compléments d' enquête avant de laisser entrevoir une solution: avis aux alpinistes amateurs de géographie botanique!

Ephedra helvetica A. Mey L' éphèdre de Suisse ( Ephedra helvetica C. A. Mey .) est bien l' un des plus intéressants végétaux de la flore valaisanne. Il s' agit du représentant d' un groupe de plantes primitives — géologiquement parlant — établissant, ou plutôt simulant une vague transition entre les prêles et les casuarinées australiennes. Mais, tandis que ces deux catégories de végétaux sont représentées dans les couches géologiques antérieures à notre époque, il n' existe pas à' Ephedra fossile à notre connaissance:

A gauche, échantillon mâle, avec fleur en m; à droite, échantillon femelle, avec fleur en /.

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la vingtaine d' espèce vivantes, actuellement décrites dans cette famille, à pour patrie des territoires ensoleillés comprenant le bassin méditerranéen prolongé jusqu' aux Canaries, au Sahara et au Turkestan. Nous rencontrons encore l' Ephedra vers l' Orient, au-delà de l' Altaï et de l' Himalaya, tandis qu' à l' Occident, ces plantes revêtent de tout autres formes, notamment dans les Andes du Chili, de l' Argentine, voire jusqu' au Texas et en Californie.

Comment ce végétal étrange est-il venu en ValaisOn pourrait relever les traces de ses migrations dans un lointain passé en pointant sur la carte les localités qu' il occupe entre le littoral méditerranéen et le coteau féodal de Rarogne* ). C' est ainsi que de la Côte d' Azur, YEphedra ne remonte le Rhône que jusqu' à Crest ( Drôme ). De là, quittant l' axe rhodanien en faveur du bassin de la Durance, on le retrouve à Embrun ( Hautes-Alpes ) d' où il gagne le Haut-Valais en empruntant les territoires plus favorables des vallées de Susa et d' Aoste: le climat de ces deux vallées, plus sec que celui du bassin moyen du Rhône, convenait mieux, en effet, à la colonisation sporadique de ce témoin d' une végétation des déserts 2 ).

De même que pour les deux plantes précédentes, l' Astragalus exscapus L. n' est pas à proprement parler une espèce JrAstragalas exscczpuj L.

alpine car, si elle s' élève parfois jusqu' à 2150 m. d' altitude à l' Eggerhorn ( Haut-Valais ) et même jusqu' à 2200 m. dans la vallée d' Aoste, elle n' en représente pas moins un ressortissant des landes danubiennes apparenté à d' autres Astragales de l' Asie Centrale. Ces astragales, à partir d' Odessa, ont disséminé leurs stations jusque dans la pouszta hongroise et la Transylvanie, avant de gagner les bassins inférieurs de l' Elbe, de la Moldau, 1a Moravie, la Basse-Autriche, le Valais, la vallée d' Aoste et quelques oasis en Espagne, sans toucher au territoire français.

D' aspect frileux, sous une épaisse couche de fourrure revêtant de longues feuilles grisâtres, cette plante, par sa présence sur les talus ensoleillés auprès des pins convulsifs de la forêt de Finges, n' est pas sans vous donner un moment de surprise. Elle rappelle si peu la souriante livrée à laquelle ses compagnes nous ont accoutumé que, du coup, le paysage revêt une allure qui n' a plus rien d' helvétique!... Des éboulis d' Ecônes, près de Riddes, aux antres mystérieux des gorges de Riedji, sur Visperterminen, ou aux croulants ravins de la Saltine, sur la route du Simplon, le paysage prend un cachet qui rappelle autant celui de certains sites des Alpes Maritimes que des plus farouches repaires de la Calabre ou de l' Oural... C' est que l' aspect même de cette papilionacée, hirsute, grisâtre et souffrée tout à la fois, est comme une ricanante évocation des longues périodes géologiques vécues bon gré mal gré par cette singulière relique végétale. C' est vraisemblablement à partir de la surrection des montagnes tertiaires qu' elle a progressivement contrôlé la translation du pôle nord vers le sud de la Scandinavie, puis contemplé la débâcle des glaces valaisannes succombant au contact ardent des souffles du Midi: tels des témoins vivants, les jalons actuels de la vallée d' Aoste et du Simplon retracent la dernière étape parcourue par ces émigrés du Pont Euxin, que la faveur d' un régime aquilona ire a pu conduire à solliciter un droit de cité avantageux sous les caresses bucoliques du soleil valaisan!

L' Erica carnea, la charmante « bruyère incarnate » ou « bruyère du printemps » qui, à l' exception de l' Erica vagans, est l' unique représentant en Suisse du groupe — africain, celui-là — des 450 Erica du globe terrestre 1 ), n' aura pas grand' chose à ajouter à ce qu' elle nous avait fait dire à son sujet en 1929 dans un article illustré 2 ). Toutefois, puisque nous l' avons inscrite au cours de ces pages, bornons-nous à exposer un fait d' histoire naturelle justifiant la présence de cette bruyère sur la rive gauche du Rhône, dans la forêt de Finges: il s' agit là d' un argument botanique en faveur d' une théorie relative à l' histoire géologique du Rhône en Valais et que M. Jules Favre avait exposée sur place d' une manière lumineuse aux participants de l' excursion botanico-géologique de mai 1939:

Lors d' une importante régression glaciaire, la puissance des couches de glace en amont de Sierre représentait une force suffisante pour résister à la pression d' un glissement de roches plaquant les déclivités dallées du versant méridional des Alpes calcaires bernoises; le déclin du glacier ayant progressé, les couches superficielles du placage se trouvèrent privées du mur de soutènement naturel jusqu' alors constitué par la carapace du glacier, et se mirent en mouvement vers le fond de la vallée, comblant le lit du fleuve avant de venir s' adosser au pied du chaînon de l' Illhorn où elles formèrent, au cours des temps, le bourrelet constituant le secteur occidental de la forêt de Finges.

En s' éboulant au travers de la vallée, ces couches transportèrent avec elles les touffes d' Erica carnea qui les décoraient, car cette espèce est très fréquente sur les versants vaudois et valaisans des Alpes calcaires bernoises.

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Mais il paraît vraisemblable qu' à l' amont des bois de Finges, les quelques stations que l' Erica carnea possède dans le Haut-Valais en terrain siliceux ( Brigue, Simplon, vallée de Binn, etc. ) s' expliquent plus facilement en adoptant l' hypothèse d' une voie de migration constituée par l' axe des Centovalli, étant donné que dans le Tessin, notre bruyère se comporte en plante franchement acidophile, contrairement à ce que l'on observe dans les Alpes vaudoises et bernoises, où cette plante est la seule calcicole d' entre les bruyères: encore un mystère à approfondir1 ).

Le saxifrage incliné ( Saxifraga cernua L. ) n' est connu en Suisse que dans la région valaisanne du Wildhorn, entre le Rawyl et le Sanetsch, d' où le « bisse » de Savièse l' a entraîné vers le bas jusqu' à 1100 m. d' altitude, aux environs de Chandolin: c' est, chez nous, la station la plus basse de cette plante dont les lieux de séjour normaux sont situés entre 1800 et 2500 m. d' altitude, alors qu' elle a été notée à 4000 m. dans les Montagnes Rocheuses ( Amérique ) et plus haut encore dans l' Himalaya.

D' après sa répartition géographique actuelle, cette plante occupe, exception faite de l' Hima, les régions circumpolaires tant américaines qu' eurasiatiques; elle atteint le 80° N au Spitzberg et le 82° à la Terre de Peary. Pour notre flore, elle constitue une rescapée arctique dont la présence en quelques rares stations des Alpes et des Carpathes date de l' époque où les glaciers du nord voisinaient avec ceux de l' Europe centrale, c'est-à-dire aux siècles lointains de la période glaciaire.

Détail particulier à noter: dans les régions arctiques aussi bien qu' en Valais le lieu de prédilection où prospère le Saxifraga cernua est constitué par des sortes de cavernes où hivernent certains ruminants tels que le renne dans le nord, la chèvre ou le chamois en Valais.

Scaùjraga

Le groupe des euphraises comprend diverses catégories de Scrophula-riacées offrant avec les mélampyres, les pédiculaires, les rhinanthes, etc., cette particularité d' avoir successivement deux phases dans leur existence: une enfance parasitaire, suivie d' un âge viril dont l' honnêteté des moyens de subsistance résiste à toute épreuve...

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Les classificateurs modernes ont reconnu dans ce groupe un certain nombre de genres distincts d' après la structure de leurs fruits combinée avec divers détails de leurs /organes génitaux. Tels sont les Si-phonandium, les Ortantha, les Odontites, auxquels je n' ai éprouvé aucun scrupule d' avoir, dès 1911, ajouté une entité nouvelle, celle des Dispermotheca, groupe méconnu de Linné qui l' avait baptisé « Bartschia viscosa » 1763, puis Euphrasia viscosa en 1771; Reichenbach en avait fait un Odontites viscosa en 1830, tandis qu' en 1897, Wettstein subordonnait cette plante aux Parentuciella. Pour ma justification, qu' il me soit permis d' observer que le Dispermotheca est une herbe dont le fruit ne présente jamais que deux ovules par loge, en même temps que le développement de l' in est sur le mode « basiscope », c'est-à-dire procédant du sommet vers la base, exactement l' in de ce qui s' observe chez les vrais Euphrasia et genres voisins où il est « acroscope », c'est-à-dire procédant de la base au sommet.

Pour ne pas exagérer ce qu' il pourrait y avoir de fastidieux dans cette dissertation, bornons-nous à affirmer que divers autres détails anatomiques ont été ajoutés en leur temps pour renforcer notre manière de voir1 ).

Mais là n' est pas la question: ce qui fait l' in de l' existence d' un Dispermotheca en Valais, 0hDispermotheca viscosa ( L. ) Beauverd.

En a, autopsie d' une corolle; en t>, fleur de profil; en c, poils glanduleux du calice; en d, poils simples de la tige; e, semence, coupe longitudinale du fruit, avec ses deux ovules.

c' est qu' il s' agit d' une exilée de la Méditerranée occidentale, tant africaine qu' espagnole.

Sur le territoire suisse, elle ne se trouve qu' en Valais; son voyage en nos contrées est jalonné par des stations qui relient l' Atlas algérien et l' Espagne au Midi de la France, aux Alpes Maritimes puis au Dauphiné; de là, elles gagnent le Haut-Piémont par les cols conduisant du cours de la Durance à celui de la Doire ( vallées de Susa et d' Aoste ) avant de finir en beauté dans les forêts de pins du Valais central, par des sentiers d' un autre âge qu' il conviendrait de préciser... à l' avenir!

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