Ma plus grande joie de l'année 1931: le Mont Rose | Club Alpino Svizzero CAS
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Ma plus grande joie de l'année 1931: le Mont Rose

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Par Michel Corlin.

Le 29 juillet 1930, vers 10 heures du matin, je me déclarais prêt à jurer que je ne retournerais plus jamais en montagne: c' était en descendant du Schreckhorn, immédiatement au-dessous du Schrecksattel: 1e fœhn soufflait atrocement, nous étions trois dans un couloir de mauvaise neige, les crampons ne mordaient pas, la neige y adhérait par paquets, l' énergie était au plus bas ( la mienne surtout ); je pensais — avec quelle envie — à tous ceux des miens qui devaient être en train de se rôtir paresseusement sur le sable de quelque plage ensoleillée — ceux mêmes qui me considèrent comme raisonnable et normal pendant la plus grande partie de l' année, mais qui estiment que, pendant mes quelques semaines de vacances, je deviens un insensé qui se donne un mal terrible pour escalader des pics couverts de neige, alors qu' il pourrait jouir de son loisir si tran-quillementOui, me disais-je, ils ont cent fois raison et la montagne ne m' aura plus!... quelques heures plus tard, dans la Strahlegghütte, je discutais avec mon fidèle guide, Heinrich Brunner, nos projets alpins... pour l' année suivante; je voulais aller dans le Valais et venger l' échec subi l' année précédente au Cervin, où le mauvais temps nous avait forcés à nous retirer sans combattre... Et ce fut bien long d' attendre pendant de longs mois l' été 1931; enfin juillet, puis août arriva: la Suisse se rapprochait. J' appris ici la splendide victoire des frères Schmid sur la face nord du Cervin: combien je les enviai, modeste alpiniste que je suis!

Enfin, le 14 août, je pars pour la Suisse; le 19 j' arrivais à Trachsellauenen, où je retrouvais mon cher Brunner, as parmi les as des guides oberlandais. Le temps, malheureusement, était épouvantable. Il le resta durant toute une semaine et c' est sous une pluie battante que je fis mon entraînement. Enfin, le 27, il cessa de pleuvoir et le vent sembla changer: et le 28, à 6 heures du matin, Brunner frappa à ma porte. Temps magnifique; ordre de marche: Rottalhütte par la Rote Fluh et 1e glacier du Rottal; retour par la voie normale. Arrivés à la Rottalhütte, après une course splendide, nous déjeunâmes de notre bel appétit habituel et nous tînmes dans la cabane un conseil décisif: l' été était déplorable, il fallait saisir l' occasion: le lendemain nous prendrions ma voiture, nous passerions la Grimsel, nous la laisserions à Stalden, nous nous rendrions à Zermatt. Objectifs: Cervin et Mont Rose, nous déciderions sur place par lequel commencer. Rentrés à Trachsellauenen, nous annonçons notre décision et nous préparons tout pour partir le lendemain 29.

Ainsi fut fait: ma 19 C.V. monta allégrement la Grimsel, et à midi nous étions à Stalden. Nous décidâmes alors de commencer par le Mont Rose, pour laisser le temps de fondre à la neige fraîche qui recouvrait l' arête du Hörnli.

Vite en route pour Zermatt, puis le Riffelberg, enfin la cabane Bétemps que nous atteignons à 8 heures, après avoir traversé le glacier du Gorner au crépuscule. C' est splendide: 1e ciel est sans nuages et le panorama depuis Bétemps me ravit en ce soir de pleine lune: l' énorme masse du Lyskamm, Castor et Pollux, le Breithorn sont dans l' ombre bleue, jusqu' à l' altitude de 3900 m. environ, et argentés au-dessus. Dans le fond vers le sud-ouest, le Cervin se détache en noir... La cabane est pleine, l' atmosphère y est joyeuse; mais bien vite nous nous couchons — et nous oublions tout pour quelques heures — jusqu' au moment, où une secousse énergique me tira hors des couvertures: Brunner m' apprend qu' il est 3 heures, il faut se lever; le temps est radieux, trop doux pourtant, semble-t-il.

Préparatifs, déjeuner dans un demi-sommeil, puis, enfin, départ: il est 3 h. 45. Une autre caravane part en même temps que nous: l' ascension du Mont Rose est commencée.

A 5 heures, nous sommes « Auf' m Felsen »; nous nous encordons; nous marchons, marchons, marchons dans la bonne neige du glacier du Mont Rose, et je pense que c' est une ascension bien facile; nous passons l' Obere Plattje; chaque pas nous découvre un peu plus des montagnes d' Italie et du massif du Mont Blanc à l' ouest et de nos chers sommets de l' Oberland au nord-est: parmi eux, le Finsteraarhorn semble être le roi. Nous atteignons le point 4200 m. et nous y faisons une petite halte pour nous restaurer; il est 7 h. 30. Depuis 4 heures nous marchons dans la neige, sans qu' aucune difficulté se soit présentée, et je pense que, vraiment, le Mont Rose est peu intéressant! J' en fais part à Brunner qui m' invite à avoir un peu de patience: l' ascension n' est pas commencée, me dit-il.

Nous bouclons les sacs et repartons en direction du Sattel: une pente de neige assez inclinée et glacée par endroits nous y conduit, mais là aussi, nulle difficulté. Nous atteignons le Sattel ( 4354 m .) à 8 h. 35 et nous chaussons les crampons pour grimper l' arête: l' ascension va, paraît-il, commencer — et c' est là, je crois, ce qui rend le Mont Rose quelque peu pénible et ce qui le différencie essentiellement des montagnes de l' Oberland: alors que, là-bas, lorsqu' on a dépassé 4000 mètres, l' ascension est virtuellement ter- rainée, excepté peut-être au Finsteraarhorn, ici on aborde seulement la difficulté à plus de 4300 mètres, alors que l'on est déjà fatigué par cinq heures de marche dans la neige, que seul le panorama grandiose sauve d' une grande monotonie. Le début de l' arête est facile, toutefois; les crampons mordent bien et la neige est bonne. Puis, voici les premiers rochers: ils sont mal commodes, on ne s' assure que difficilement à la main: l' arête est très étroite et très aérienne: à gauche, précipice et glacier du Mont Rose; à droite, précipice et Grenzgletscher: tous deux semblent terriblement bas! L' arête est tantôt de neige, tantôt de rocher; les passages de l' un à l' autre sont très délicats. J' évalue de temps en temps l' altitude à laquelle nous devons être en me servant du Lyskamm comme point de repère; enfin nous dépassons sûrement 4500 mètres; tout de même, j' aimerais que le sommet fût proche...

Puis, le clou de l' ascension: à 4550 mètres environ; l' arête à cet endroit est formée par l' angle d' une dalle très inclinée de chaque côté et de 6 à 8 mètres de longueur. Je veux passer à cheval, mais Brunner n' est pas de cet avis: il craint une rupture d' équilibre au moment où il s' agira de se remettre debout pour atterrir sur la neige au bout de la dalle: il y a, en effet, une dénivellation, il faudra sauter un mètre environ: il faut donc passer à la façon d' un danseur de corde, avec je ne sais combien de centaines de mètres de chaque côté: Brunner passe et dispose ses pieds en oblique par rapport au fil de l' arête, coinçant celui-ci entre les pointes de ses crampons — il a bientôt terminé, il saute sur la neige et s' assure. A mon tour! Eh bien! l' avouerai, j' hésite quelques imperceptibles secondes; puis, allons! Je commence, fixant mes pensées sur tout ce qui n' est pas l' arête du Mont Rose; en moins d' une minute j' ai traverséMais que c' est loin, ce sommet! Quelques mètres plus haut une très courte, mais difficile cheminée, où je me félicite de mesurer 1 m. 82; je pense que nous devons être à peu près à 4600 mètres; tant mieux! Ah! encore quelques pas de rochers difficiles; nous en venons vite à bout, toutefois; puis, enfin la récompense: le sommet est devant nous, à nous! Nous l' escaladons en courant et nous connaissons la béatitude; toutefois, je ne pousse pas de yodel: les derniers mètres, depuis la dalle en lame de couteau, m' ont quelque peu éprouvé, et j' ai besoin de récupérer par un repos complet de quelques minutes. Je regarde ma montre ( à boîtier en verre des deux côtés !): il est 10 h. 40. Le temps est partout splendide, sauf quelques nuages qui montent d' Italie; je renonce à analyser la vue, elle est pratiquement illimitée. La joie et l' émotion que j' éprouve d' être au sommet de la Suisse sont intenses; et combien petites m' apparaissent les mesquineries des humains qui habitent les plaines et les vallées, dans de tout petits cubes de pierre semblables à ceux que je reconnais être les maisons de Macugnaga! Tout à coup, j' entends parler anglais au-dessous de nous, vers le Grenzgipfel: je vois une caravane qui en vient sans doute et monte vers nous; il y a deux hommes et une femme au milieu d' eux; je veux prendre mon appareil pour les photographier: hélas, je fais un mouvement trop brusque et instantanément mon appareil n' est plus qu' un point noir, roulant à grande vitesse vers le Grenzgletscher! Voici la caravane qui atteint le sommet: je suis ici le maître de maison, je dois faire les honneurs du Mont Rose. Je me présente donc et je présente Brunner; lès deux hommes sont des guides valaisans, la femme est une Américaine intrépide, qui passe son été de cabane en sommet: elle arrive au Mont Rose depuis l' Italie, après avoir, la veille, traversé le Lyskamm en partant de Bétemps! Nos objectifs immédiats sont les mêmes: itinéraire Bétemps-Zermatt-Hörnli-Cervin. Elle veut en plus descendre du Cervin par l' arête de Zmutt; moi, j' hésite: il y a tant de neige, cette année!

Après une demi-heure passée au sommet, il nous faut enfin entreprendre la descente et quitter le point auquel j' ai pensé tous les jours pendant un an! Les passages difficiles de l' arête me sont maintenant connus, il n' y a plus d' effet de surprise; c' est donc aisément que je les franchis. Nous marchons en tête, et Mrs. M. C.... suit avec ses guides. La neige est devenue très molle au-dessous du Sattel, et 1a descente vers le point 4200 m. demande quelque attention: nous y arrivons vers 1 heure; nous nous y arrêtons pour déchausser les crampons. Dès lors commence une descente sans histoire, dans la neige molle, qui éprouve beaucoup les genoux et au cours de laquelle nous souffrons vraiment de la chaleur. Nous arrivons enfin « Auf' m Felsen », quittons la corde; vers 3 h. 30 nous rentrons à Bétemps.

Lorsque nous quittons la cabane Bétemps le lendemain à 8 heures, il n' y a plus du tout de bleu dans le ciel. La traversée du Gorner, toutefois, est agréable par ce temps gris. Au Riffelberg, les nuages nous rejoignent et la pluie commence à tomber, tandis que le train nous emporte vers Zermatt: il faut encore renoncer au Cervin pour cette année!

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