Noël 1948 | Club Alpino Svizzero CAS
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Noël 1948

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Avec 1 illustration ( 8Par Betty Favre

La descente du Hundsrück sur Abländschen fut merveilleuse. Nous plongions dans vingt centimètres de poudre impalpable et de cristaux longs comme ça... L' herbe poussait dans nos élégants virages.

Obscures sont toutes les demeures.

Le grand-père qui fabriquait la lumière électrique pour tout le village est mort... et, avec lui, la lumière s' est enfuie. Tous sont en souci pour l' avenir, car son fils ne veut pas s' occuper d' une machine aussi primitive. ( Si je pense aux tonnes de glaçons entourant ses installations, je comprends son sentiment d' impuissance et sa rancœur contre cette machine. Il fallait bien toute la ruse et la patience d' un vieux, son amour dirai-je, pour la faire marcher. ) Dans l' auberge où nous entrons, autant d' ampoules, autant d' yeux jaune sale, clignotants et vitreux. J' en ai encore les frissons, et pour fuir cette atmosphère visqueuse et tous ces yeux cafardeux, nous partons à l' église avec les paysans des quelques maisons éparses... une toute petite église, avec son enceinte et ses morts tout autour; on l' approche en brassant cette même poudre jusqu' aux genoux.

Toute la lumière est là.

Un grand sapin qui vient de sortir de la forêt est à l' entrée, il touche la voûte, seules les bougies plus deux pommes en font l' ornement. Sur les premiers bancs, une douzaine de gosses, empreints déjà du grand calme que donnent les montagnes. Leurs gentilles frimousses fraîchement lavées, un brin inquiètes de ce qu' ils devront réciter tout à l' heure.

On se salue de part et d' autre; il y a ceux qui sont montés de la ville pour passer Noël au village.

Pendant ce temps — qui dure — la cloche égrène son message de Noël sur la montagne endormie; deux bras vaillants de montagnard, inlassablement, régulièrement, avec force et souplesse lui donnent son envolée de fête.

Le jeune pasteur, qui est régent tout à la fois, s' est donné beaucoup de peine. Sous sa direction paternelle les gosses y vont de leur poésie et de beaucoup de chants. Même les tout petits s' avancent vers le sapin pour nous dire leur verset et, pour la dernière, qui avait un formidable rhume, tout le monde riait. Il y eut aussi le chœur d' Abländschen devant le sapin... trois dames, deux messieurs et le pasteur qui charment nos oreilles de leurs belles voix. Quant aux paroles, je dois dire que je n' y comprends rien. Je suis peu versée dans les choses de l' Eglise et encore moins dans l' allemand.

J' admirais aussi de grands garçons timides, plein de foi toute neuve, récitant gravement leur morceau de poésie, que je ne pouvais comprendre, mais que je sentais.

Tout de même... j' étais à l' aise dans cette petite église. Elle sentait bon l' écurie; je cherchais l' âne et le bœuf, mais ce n' étaient que les vêtements des montagnards qui apportaient l' odeur de leurs troupeaux. Je remarquais la pauvreté des enfants et voulus faire quelque chose pour eux. Pendant que déferlaient sur nous les paroles solennelles et vibrantes de la prière, nous avons marchandé, et je t' empruntai, oh! mon ami, un billet... C' était Noël. Tout le monde sortait, emportant un paquet, tendait la main au pasteur que celui-ci secouait chaleureusement, mais personne ne donnait... J' étais inquiète, je cherchais où pouvait bien se trouver la crousille et dans ma tête passait l' image qu' on me fit voir autrefois, d' un Jésus en colère chassant avec une corde les marchands d' un temple. Je pensais que cela pourrait bien m' arriver, et toute l' ironie qu' il y aurait pour une alpiniste d' être chassée avec une corde, m' amusait. Mais rien n' est arrivé. J' ai secoué joyeusement la main du pasteur et j' ai pris la jolie pièce d' un franc, que tu m' avais donnée, pour pousser... le billet dans une toute petite crousille. J' étais follement joyeuse, pauvre comme Job, mais la nuit m' appartenait avec ses ombres sur la neige et son ciel noir plein d' étoiles de feu.

Sur le chemin nous avions plaisir à répondre aux paysans qui nous saluaient cordialement.

Noël est passé... Là-haut, c' était un Noël comme il y a presque 2000 ans.

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