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Nuit de folie à Bertol

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Marthe Marchon

Je connais Ariane depuis une semaine. Rentrant du Valais, moi en « Deux chevaux », elle à pied, je l' ai tout naturellement embarquée jusqu' à Bex, où elle habite.

Nous sympathisons tout de suite et faisons des projets pour le week-end qui vient. Elle sera encore en vacances, et moi, je serai de nouveau en vacances! Nous énumérons les courses, faciles, des environs d' Arolla et optons d' un commun accord pour Tête Blanche. Un petit problème: je travaille le samedi. Ariane me demande alors si nous arriverons avant la nuit à Bertol. Je calcule 1 15-16 août 1981 le temps: ça devrait aller; et puis, je me souviens tout à coup et lui dis: pas de souci, ce sera la pleine lune!

La semaine passe, légère, dans la perspective de la course. Rendez-vous à Bex, sur le quai de la gare: nous jubilons. Soif rapidement étanchée aux Haudères, jupe fleurie troquée contre les knickers, nous partons joyeuses et pressées! Nous pensons en effet être les toutes dernières à remonter le sentier conduisant à Bertol, mais non, une colonne entière de jeunes nous précède. Au milieu, quelques moins jeunes, suant bien fort: le Fendant, sans doute!

Nous arrivons à la cabane avec les derniers rayons de l' astre du jour, s' évaporant lentement dans une poussière rose, mauve et dorée. Beaucoup de monde au refuge. Bonjour Jean!

Reconnaissance des lieux, du dortoir. On se change, on se restaure, on tend l' oreille aux projets de ceux qui nous entourent. On se sourit, on engage la conversation avec nos deux voisins les plus proches. Le temps passe, dans le brouhaha habituel des refuges en saison. Puis on sort, et là, mon Dieu, quel spectacle! La pleine lune! Déjà, quelques-uns sont dehors, regardent, admirent, commentent. Il y a de quoi! C' est le début de la nuit et ce n' est pas vraiment la nuit. Une lumière argentée baigne les étendues de neige et tous les sommets alentour. Les Bouquetins se dessinent; là, à notre droite, cent petites sentinelles qui montent la garde, silencieuses, dans ce ciel étrangement illuminé.

Aucun nuage, plus de poussière d' or, ni rose, ni mauve, mais le scintillement de mille étoiles faisant la fête à cette lune si grosse, si ronde, si pleine et si rouge.

Au-devant de la scène, des invités d' honneur et une spectatrice de première, la Dent Blanche, en grande coquette, sa blanche cape retombant très bas sur l' arête de Ferpècle. Le Cervin, plus énigmatique, plus orgueilleux qu' à aucun autre moment, plus majestueux encore, éclairé par le fabuleux astre des mille et une nuits. Un peu à droite, la Dent d' Hérens sous son tricorne immaculé, sa cuirasse ruisselante d' argent sous le clair de lune.

On va, on vient, on rentre dans la cabane, on en ressort, on est sous le charme, comme envoûtés. Une sorte de folie s' est emparée de chacun de nous. Des jeunes sont là, fous dans leur jeunesse et plus fous encore pendant cette soirée.

- Et si on faisait Tête Blanche cette nuit?

Il ne se passe guère plus d' un quart d' heure, et déjà tout un petit monde est rassemblé. En tout, deux équipes sont en partance pour la course magique. Nous rions à leurs plaisanteries, nous rions de leurs rires fous, et longtemps nous suivrons des yeux ces deux cordées, petites silhouettes sombres et rapides s' égrenant dans la glorieuse nuit.

A l' entrée de la cabane, le téléphone sonne: c' est Mireille! elle a « fait » le Cervin par l' arête du Lion, rien que ça! C' est donc la réussite pour la toute jeune Mireille.

Dans le réfectoire, folie encore. Jean déclare à la ronde:

- Depuis quelque vingt ans que je suis gardien, toujours ces nuits de pleine lune sont un enchantement. Toujours, elles me surprennent par leur étrange et fascinante beauté.

Et avec quelques amis, il célèbre l' événement. Le vin est à la hauteur de la célébration, puisque le lendemain, au lieu de nous réveiller à 4 heures et demie, c' est à 5 heures et demie qu' il entre dans le dortoir, on chacun est déjà debout en train de préparer son sac!

Folie encore... C' est bien cette nuit-là que nos yeux émerveillés ont contemplé le dieu des cimes, le roi solitaire des hivernales, le guide André Georges. Géant blond, beau - comme Jésus-Christ a dit quelqu'un — des muscles terrifiants, félin. Dans quelques jours, nous serons avec lui au Pigne d' Arolla; mais cela est une autre histoire, une autre course, une autre nuit on d' ailleurs, déjà, la lune sera oblongue...

Reste notre course. Nous aimerions, Ariane et moi, de Tête Blanche, passer sur le refuge des Bouquetins, que nous ne connaissons pas encore; et là, ô miracle, tout est arrangé prestement par l' entremise souriante de Jean. Son commissaire pour la cabane est ici avec son fils, et ils descendent sur les Bouquetins. Nous pouvons donc nous joindre à eux. C' est merveilleux, d' autant plus que les deux Neuchâtelois se révéleront de parfaits compagnons.

Et puis, nous avons pris une option sur cet original refuge, petit hexagone tout brun. Cet hiver, nous viendrons pour y hiverner un temps. Nous faisons tout de suite des projets et calculons:

un voyage de bois, un autre de livres, un autre encore de nourritures... terrestres. Et que viennent alors les copains, et la pleine lune, nous cé- lébrerons!

Oh! je sais, on me reprochera peut-être mon récit trop anecdotique. Mais la montagne, ce n' est pas seulement des difficultés de degrés divers à surmonter. La montagne, c' est également un regard, des émotions.

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