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Paroi sud du Cervin

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR FRANCESCO CAVAZZANI, MILAN

Avec 2 illustrations ( 76-77 ) A la mi-septembre commence en montagne une période de carême. On ne voit plus les files de cars aux couleurs vives, le flot bigarré des touristes exubérants a disparu et aucun vacancier ne flâne plus dans les rues du petit village. Finies les longues théories de promeneurs sur les sentiers rapides, plus de cabanes encombrées jusqu' au moindre recoin!

C' est une période de détente pendant laquelle la montagne retrouve sa solitude primitive, sauvage et majestueuse. C' est un moment que l' alpiniste apprécie, car il sait que la montagne présente alors des conditions très favorables pour les grandes ascensions: le temps est plus stable et les voies nouvelles peuvent être parcourues loin des télescopes indiscrets et des oreilles attentives aux grands projets.

Le refuge de Lo Riondè di Cervinia semble abandonné. Les volets sont fermés et le drapeau ne flotte plus au mât de la cabane.

Une légère fumée s' échappe pourtant de la cheminée. Deux hommes préparent un frugal souper à l' intérieur de la petite construction. Tous deux sont nés au pied du Cervin: le premier, Renato Daguin, jeune électricien, est un passionné de montagne; le second, Giovanni Ottin, est guide, mais un guide comme on en rencontrait autrefois. Il n' est pas instructeur de ski, il ne s' est pas laissé entraîner dans le tourbillon de la vie moderne qui a bouleversé les conditions d' existence. Il est guide par passion, parce qu' il aime grimper sur les sommets de sa vallée, parce qu' il recherche des itinéraires nouveaux et des escalades difficiles. A pratiquer le métier de guide de cette façon, on ne gagne guère de quoi vivre toute l' année. Aussi, durant de longs mois, Ottin pratique-t-il le métier de maçon.

Il est curieux de constater comme la vie moderne a inversé les rôles: il fut un temps où le citadin, poussé par le seul plaisir de grimper, liait sa destinée à celle d' un professionnel, le guide. Celui-ci, tout en retirant un gain substantiel de son activité, devenait un compagnon et un ami de l' alpiniste, dont il partageait souvent l' enthousiasme. Il était fier de lui révéler le monde enchanteur des hautes altitudes. De nos jours, nous voyons des citadins abandonner les villes pour s' établir en montagne où ils deviennent guides. Mais ils n' en font pas un métier, et ils escaladent les sommets seulement pour satisfaire leur plaisir de grimper.

- J' espère, dit Daguin, pouvoir me reposer cette nuit. Les semaines dernières, je me suis souvent tourné et retourné dans mon lit sans parvenir à m' endormir. Il me semblait que j' étais déjà dans la paroi... A propos, crois-tu qu' elle sera plus difficile que la paroi ouest?

- La paroi ouest, répond Ottin, tu t' en souviens? Un mois à peine s' est écoulé depuis que nous avons réussi cette ascension et tous les détails sont encore frais dans notre mémoire. Les faces ouest et sud sont fort différentes. Sur le versant de Tiefmatten, nous avions à compter avec le verglas; maintenant, nous devons redouter les chutes de pierres. La mi-septembre est toutefois passée et les nuits sont fraîches. Nous grimpons rapidement et formons une cordée homogène. Nous tâcherons de gravir aussi vite que possible la partie inférieure où le danger est grand.

Après avoir ouvert une nouvelle voie très directe dans la paroi ouest du Cervin' le 12 août 1962, Ottin et Daguin ont gagné petit refuge, car ils projettent une autre ascension audacieuse: la paroi sud du Cervin.

Cette paroi inspire une crainte respectueuse, une peur bien compréhensible. Resserrée entre les arêtes Muzio à l' est et Deffeyes à l' ouest, elle a l' aspect d' un grand V et, véritable entonnoir, elle canalise, dans sa partie inférieure, toutes les pierres qui se détachent de la tête du géant et des rochers de la paroi: une artillerie formidable, à faire réfléchir les grimpeurs les plus téméraires. Cette face fut vaincue en 1931 par Luigi Carrel ( le Petit ), Maurizio Bich et Enzo Benedetti. Ils durent leur victoire à une préparation minutieuse, à une observation attentive de la paroi durant de nombreuses années et un plan d' attaque précis. Carrel chercha longtemps le point faible de cette paroi mitraillant sans relâche tout alpiniste qui s' y aventurait. Il lui semblait que c' était une ascension où l'on jouait avec la mort, face à des périls inévitables.

Aussi décida-t-il de renvoyer l' entreprise en octobre, époque de l' année où le soleil est plus doux et les décharges moins fréquentes. Cependant la cordée fut exposée aux chutes de pierres sur plus d' un passage2. Une deuxième ascension aurait été réussie par deux alpinistes biellois en août 1942, mais ce succès a été contesté3.

Deux autres jeunes Biellois firent une tentative en août 1957, mais une avalanche de pierres les précipita dans le vide déjà au début de l' ascension. Ainsi se confirmaient d' une manière sanglante les affirmations de Luigi Carrel, vainqueur de la paroi.

Il fait encore nuit, le 23 septembre, quand Ottin et Daguin se dirigent vers les moraines conduisant à la base de la paroi. Ils s' élèvent rapidement sur la vire et traversent le couloir qui fait irrésistiblement penser à un concasseur, tant il contient de pierres détachées de la paroi. A bon entendeur... et la suite! Ils s' encordent, puis, au lieu de bifurquer sur la droite, ils montent verticalement en se tenant aussi près l' un de l' autre que possible. Parvenus à la base de l' arête Muzio, ils s' arrêtent indécis: au sud, le ciel se couvre de nuages noirs et menaçants; or, il ne s' agit pas de se lancer dans la paroi sud avec de mauvaises conditions atmosphériques. Au bout d' une demi-heure, le temps semble s' améliorer légèrement; ils se remettent en marche et, pour gagner du temps, grimpent ensemble sans rencontrer de grandes difficultés. Ils s' élèvent directement vers l' Epaule de Furggen en s' éloignant passablement de la voie tracée par les premiers grimpeurs qui, elle, se déroule plus à gauche. Ils trouvent de grandes dalles solides, mais dont la déclivité augmente avec l' altitude. A 3600 m, ils s' accordent un bref repos; il est 8 heures et le temps continue à s' amé.

Immédiatement au-dessus, ils franchissent de nouvelles dalles qu' interrompent parfois de petits névés ( et pourtant l' année a été incroyablement sècheles grandes dalles se redressent toujours plus et sont souvent recouvertes de verglas, ce qui rend l' escalade délicate. La paroi est plissée de grandes nervures verticales au-dessus desquelles se découpent sur le ciel le Pic Muzio ( 4191 m IGM et 4187 m Kurz ), l' Epaule de Furggen ( 4243 m ) et la tête du Cervin. A cet endroit de l' ascen, Ottin suit le premier itinéraire ouvert dans la paroi. Vers 9 h. 30, ils parviennent à une étrange 1 Cf. article précédent.

2 RM 1932, 6; Bergsteiger 1931, 190; AJ 1932,75; Mazzotti, Grandi imprese sul Cervino 119; Cavazzani, Uomini del Cervino II, 86.

3 RM 1956, 216 et 288; 1957, 103.

petite arête de neige, qui conduit à la base de la grande vire d' où, obliquant nettement vers la gauche, l' itinéraire rejoint la tête du Cervin.

Ils ont salué de leurs cris deux cordées gravissant le Pic Tyndall, puis ont atteint la crête de neige d' où ils découvrent toute la partie supérieure de la paroi. L' itinéraire le plus logique, le plus évident et le plus recommandable, est celui des premiers grimpeurs: suivre la vire et tourner les surplombs de la paroi en progressant sous la tête sommitale. Cependant, le temps s' est rétabli et l' heure est encore matinale; aussi, décident-ils de tenter une variante et de vaincre presque verticalement la paroi tout à fait inexplorée qui les domine. C' est là que les attendent les plus grandes difficultés de la journée: les dalles, gigantesques, offrent souvent des prises sûres; mais à chaque aspérité de la roche pendent des stalactites de glace et ces saillies sont recouvertes de terre et de débris; il faut procéder à une sérieuse opération de nettoyage pour éviter que mains et pieds ne viennent à glisser. L' assurage est indispensable et Ottin plante les premiers pitons que le second de cordée récupère au passage. Après deux longueurs de corde très difficiles, Ottin s' engage dans une délicate traversée sur la gauche, où il progresse par la seule force de ses poignets, même si ses mains glissent dangereusement sur la boue et la terre recouvrant les aspérités. C' est un passage très ardu; Daguin le surmonte en se débrouillant comme il peut, et quand, tout essoufflé, il rejoint son camarade, Ottin repart déjà vers le haut; Daguin l' observe et constate que, contrairement ce qu' il avait cru, les difficultés ne sont pas terminées. Encore deux longueurs de corde et Ottin trouve un autre passage très délicat dont il vient à bout grâce à l' aide inespérée d' un piton fixé là probablement par une cordée qui, suivant la voie Piacenza de Furggen, s' était égarée dans la paroi sud.

Maintenant c' est une autre chanson: il s' agit de couper sous le sommet suisse pour rejoindre le couloir entre les deux sommets. La cime se dresse quelque deux cents mètres plus haut, jaunâtre et superbe dans le doux soleil d' automne. Il est à peine 12 h. 45, les deux grimpeurs s' accordent un long arrêt et contemplent toute la paroi à leurs pieds, le pic Muzio et l' Epaule de Furggen, l' Epaule italienne, le Pic Tyndall et la crête De Amicis. Ils sont vraiment en plein cœur de la grande montagne et le versant sud, majestueux, puissant et effrayant s' offre tout entier à leur vue.

Ottin et Daguin reprennent leur escalade. Ils avancent détendus - maintenant tout danger est écarté - et rejoignent la base de la grande cheminée recouverte d' une épaisse couche de glace. Ottin en gravit le côté gauche, puis une vingtaine de mètres plus haut oblique à droite. Et voici qu' ils aperçoivent une espèce de serpent blanc qui se balance au-dessus de leur tête. C' est une corde très ancienne, usée et blanchie par les intempéries. Et pourtant, combien d' alpinistes ont lié autrefois leur sort à cette corde et l' ont bénie? Il s' agit probablement là d' un vestige de la main courante du passage Aymonod; après la rupture de l' échelle qui ne fut pas remplacée, les guides de Valtournanche découvrirent cet itinéraire conduisant au sommet et équipèrent la cheminée d' une corde.

L' ascension se poursuit tantôt dans la cheminée, tantôt dans la paroi de droite. Ottin sent déjà le souffle du vent et suppose que la crête sommitale est proche. Peu après, Daguin le voit disparaître; le premier de cordée a atteint la petite selle entre les deux sommets et de là, à quelques mètres sur la gauche, il distingue la Croix. A 15 h. 25. Daguin rejoint son compagnon et une forte poignée de main scelle la victoire.

Cet itinéraire présente trois importantes variantes par rapport à celui des premiers grimpeurs: 1° Au-dessus du glacier d' attaque et de la vire, il évite la déviation habituelle sur la droite et continue au contraire, au-delà du couloir dans les rochers jusqu' à la base de la crête Muzio.

2° De là, il traverse en diagonale toute la paroi pour rejoindre le premier itinéraire une centaine de mètres au-dessous du Pic Muzio.

3° A partir de la grande vire, l' itinéraire se poursuit verticalement en direction du sommet suisse, jusqu' au moment où il atteint les rochers moins inclinés situés immédiatement au-dessous dudit sommet. Il les traverse au-dessus de l' ancien itinéraire, avant de rejoindre la cheminée entre les deux sommets.

Cette ascension a confirmé, indirectement du moins, le danger extrême des chutes de pierres. Pendant toute la journée, Ottin et Daguin ne furent pas inquiétés par les décharges, si bien que leurs casques ont semblé inutiles. Cependant, cela ne doit tromper personne; la journée était très froide et, durant les premières heures, le soleil cache par les nuages n' a pas réchauffé la paroi; en outre, en cette année exceptionnelle, il y avait très peu de neige, d' où peu de fonte et par conséquent peu d' éboulements.

L' ascension de la cordée Ottin-Daguin fut particulièrement rapide ( 4 h. 45 à 15 h. 25 ). Les premiers grimpeurs durent leur retard au fait qu' ils étaient trois et que la paroi n' était pas aussi sèche qu' en 1962.

Quelques mois après ce bel exploit, Renato Daguin disparut au cours d' une tentative hivernale à la voie Welzenbach ( Dent d' Hérens ). Il m' avait chargé de rédiger le compte rendu de leur ascension de la paroi sud du Cervin et m' avait adressé ses notes et photographies. Je me suis acquitté de cette tâche tout en voulant rendre hommage à ce jeune alpiniste sur lequel la montagne exerçait un véritable envoûtement. Il a tout risqué pour satisfaire à l' idéal qui l' animait et non pour s' attirer une publicité facile ou par esprit de lucre.Traduit de l' italien par P. V. )

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