Première ascension hivernale de la face nord-est du Tödi | Club Alpino Svizzero CAS
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Première ascension hivernale de la face nord-est du Tödi

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Albert Schmidt, Engi

La première hivernale de la voie Lauper — ou couloir du Rôti - dans la face nord-est du Tödi, a été réussie les n et 12 janvier 1969 par les guides Heinz Leuzinger et Hans Fischli et les alpinistes David Schiesser et Albert Schmidt.

Mes amis avaient fait, peu avant Noël, une tentative qui s' était terminée, déjà sous la cabane, dans la tempête de neige qui marqua le début de cet hiver tardif. Le lendemain, Heinz vint me rendre visite, et il n' eut aucune peine à m' enthousiasmer aussi pour cette aventure. Les problèmes de la course furent discutés en détail. Mais, avec les fortes chutes de neige qui s' an, je n' osais pas espérer un succès dans un avenir prochain.

Trois semaines plus tard, le vendredi soir, David me téléphone:

- Tu viens au Tödi?

La surprise me coupe la parole. Mais lui aussi a subi le même traitement; en rentrant du travail il a trouvé un billet sur sa porte: « Nous sommes à la cabane Fridolin et vous attendons demain. Salut! Heinz et Hans. » Bon, je viens. Oui mais... le temps? Et les conditions? Mais nos si et nos comment fondent rapidement devant la façon décidée dont nos amis ont agi. Le samedi amène un peu de föhn. Des nuages dessinent des voiles chiffonnés dans un ciel bleu clair, et un soleil pâle couvre les montages. A midi, l' auto nous conduit à Tierfed. Tierfed, disent les étrangers, est le bout du monde, bloqué par de grandes parois grises qui enserrent même le ciel, par des gorges infranchissables et une forêt abrupte. Mais, pour les Glaronnais, c' est le début du monde des montagnes, la source de nombreuses légendes qui se rattachent aux Alpes, et depuis quelques années, avec le barrage de la Limmern et les grands téléphériques, c' est le monde de la technique. Pour les grimpeurs, c' est la porte étroite qui conduit au royaume du Tödi ( 3614 m ).

Les téléphériques sont une fois de plus en panne, aussi nous chargeons-nous nous-mêmes de sacs aussi lourds que d' habitude. Mais nous bouclons avec satisfaction nos skis courts et légers.

Dans la neige poudreuse, nous suivons le fond de la gorge de la Linth dont les parois étouffantes nous dominent. Peu à peu, la gorge s' ouvre dans la vallée en U où sont blottis Vorder Sand et Hinter Sand. Le Tödi occupe lentement notre champ de vision, jusqu' à ce que ses promontoires massifs et sa tête neigeuse régnent sur toute la vallée. Nous passons de l' ombre à un soleil éclatant. Un edelweiss pointe à côté de la trace. Surpris, je me penche pour cueillir ma découverte, quand je m' aperçois que la tige en est coupée. Le föhn doit avoir arraché la petite plante à une arête et l' avoir soufflée jusqu' ici.

A mesure que, pas à pas, nous progressons sur le chemin de Hinter Sand sans nous lasser de contempler le Tödi, je me sens envahir par une joie tranquille: une nouvelle aventure a commencé, sans aucune incertitude, mais avec une attente confiante qui me lie à cette montagne puissante. Elle me rappelle des souvenirs: ma première ascension, sans soucis, avec l' OJ par la cabane Pianura et le versant ouest, puis une ascension en partant du Val Russein, lors de la mémorable « opération Tödi » du bataillon 85, à ski, en septembre, avec un mètre de neige poudreuse! Je pense aussi à l' escalade mouvementée de l' arête nord qui mérite sa mauvaise réputation, et à une ascension hivernale avortée qui se termina en un bivouac aussi drôle qu' imprévu.

Mais je suis ramené aux questions du jour par la montée pénible entre Hinter Sand et Tentiwang, une combe sous le petit glacier de Biferten. Le dernier talus sous la cabane est soufflé au point que nos skis ont de la peine à tenir. Nous les enlevons pour gravir une côte abrupte, libre de neige. C' est alors seulement que nous nous apercevons que l' herbe rase cache du verglas.

Nous nous traînons à quatre pattes pour finir par mettre les skis sur le sac et utiliser le piolet. Nous ne pouvons remettre les skis que pour le dernier quart d' heure.

La cabane Fridolin est déserte. Pendant que David allume le feu, nous nous demandons où nos amis peuvent être Mais il n' y a pas besoin de réfléchir longtemps. Ils sont sans doute partis en reconnaissance, puis, favorisés par de bonnes conditions, ils auront marché très vite jusqu' à un point où il aura été plus court de rentrer par-dessus le sommet qu' en reprenant leurs traces... Cette découverte nous « dégonfle » un moment. Puis nous nous disons qu' ils ont bien fait de profiter du beau temps d' aujour. Qui sait ce que demain nous réserve?

Nous sortons devant la cabane. La nuit tombe. Le vent souffle par rafales sur les arêtes où se maintient un ciel de plomb. Pas trace de nos amis. Rentré au chaud, David saute de joie:

- Les l' air vont avoir un bivouac hivernal. Voilà leur punition! dit-il en se frottant les mains.

Une heure plus tard, je sors à nouveau, et j' aperçois aussitôt deux petites lumières dans la nuit. Nous appelons, et deux yodels pétulants nous répondent. Ils sont au refuge du Grünhorn ou sur le glacier, juste derrière. Tranquillisés, nous remettons de l' eau sur le fourneau.

Une demi-heure passe. Ils devraient être arrivés. Nous sortons encore, mais on ne voit rien, on n' entend rien. Soudain, un appel... Ha! ha! les guides victorieux cherchent la cabane! Nous plaçons une bougie dans l' encoignure d' une fenêtre, et faisons des signes avec une lampe de poche. Enfin on entend tinter de la ferraille, et les « égarés » surgissent derrière une bosse. Ils ont l' air fatigués, mais leurs yeux brillent:

- Bonsoir. Vous n' êtes pas fâchés, non? Nous rions. Nous sommes camarades, et pas concurrents.

- Non, non. Entrez!

Pendant qu' ils ôtent leurs vestes et leurs chaussures tout en avalant du thé et de la soupe, ils nous racontent leur ascension avec enthousiasme. La grimpée sous la menace du grand glacier suspendu les a fortement impressionnés. Pendant ce temps, nous bouclons nos sacs pour demain, puis nous bavardons un peu et nous glissons bientôt sous les couvertures. Malgré ses 30 sous zéro à l' intérieur, la cabane nous semble chaude et confortable dans son sommeil hivernal.

Sans sonnerie, nous nous éveillons à 3 h et demie comme prévu. Ciel étoile: debout donc! Nos amis jouissent maintenant du plaisir rare de rester allongés sous les couvertures et de nous observer dans nos préparatifs. Us apprécient leur confort et se paient nos têtes...

Ils nous accompagnent pourtant devant le refuge une heure plus tard, quand nous sommes prêts au départ. Le silence d' une nuit splendide nous empoigne. Il fait clair, et le froid nous rassure. La face du Bifertenstock se dresse, immense et sombre, mais derrière la neige de son sommet, le ciel est légèrement plus clair et trahit la lune dont la lumière mystérieuse rend la masse du Tödi lointaine et immensément haute.

Hans et Heinz retournent à la chaleur de la cabane, et nous amorçons la montée à la lumière des lampes frontales. Nous traversons une combe sur la neige dure, en direction du glacier de Hinter Röti, pour gravir sa moraine latérale droite. Sa crête aiguë et libre de neige nous conduit directement au grand éperon proéminent que nos amis nous ont chaudement recommandé. Le Biferten, lui, cache la lune, et il se présente noir, raide et secret. Nous pourrions l' éviter par une longue traversée oblique sur la neige en direction de l' arête de Biferten, mais les rochers promettent une escalade intéressante, et nous nous décidons à suivre les traces. Encordés, nous atteignons une encoche devant un mur. Les prises sont très petites, et saupoudrées de neige folle. Je ne peux guère appuyer les semelles à plat sur le rocher, et je me trouve assez démuni sur les aspérités. Mais je découvre une fissure, j' y coince le marteau-piolet, grimpe dessus avec précaution, et d' un rapide mouvement d' opposition franchis le plus mauvais pas. Les traces obliquent bientôt à droite dans le flanc de l' arête qui disparaît dans l' ombre, et nous conduisent à une traversée délicate dans des rochers enneigés et un éboulis glacé. Ensuite, la difficulté baisse d' un ton, et une escalade variée nous permet de gagner lentement de la hauteur. Heinz nous a signalé que les roches de cette arête sont belles et pleines d' intérêt, mais nous varappons à la lampe frontale, et n' y voyons malheureusement pas assez. C' est à l' aube seulement que nous atteignons la zone éclairée par la lune. En deux heures et demie, nous arrivons au bout de l' arête, à une bosse qui précède la terrasse sous la masse sommitale. Contents de nous et de l' heure, nous nous accordons notre première halte.

Il fait plutôt froid, et le superbe lever du jour laisse présager que le föhn maintiendra le beau. Les conditions sont merveilleuses. La tempête de föhn qui a sévi au début de la semaine passée a balayé toute la neige fraîche et l' a dispersée au loin. Cela nous enchante, et nous examinons la suite de l' ascension avec confiance. Nous avons d' ici un admirable coup d' œil sur la face, où les séracs se dressent dans toute leur grandeur.

Nous nous glissons dans nos pantalons de nylon et bouclons nos crampons. Quand je me redresse, je vois que le soleil a déjà peint d' un rose tendre les rochers et la glace du sommet.

— Nous devrions déjà être dans le couloir, dis-je à David, en suivant un raisonnement d' été.

A ce moment précis, on entend un grondement lointain. Il enfle rapidement en un bruit sourd qui semble sortir de la montagne. Enfin, loin audessus de nous, sur la terrasse entre les séracs, nous apercevons des blocs de glace qui roulent. Ils sont de plus en plus nombreux, ils se pourchassent, et finalement ils passent par un entonnoir et sautent dans le vide. Une avalanche de glace! Les blocs se multiplient, ils canonnent les parois rocheuses du couloir, un nuage de poussière se déploie comme un parachute gigantesque et se précipite dans le couloir pendant que le bruit devient assourdis- sant. Puis le nuage de poussière balaye la pente suivante, bondit par-dessus un ressaut rocheux, s' étale sur le glacier de Röti, et se dégonfle également comme un parachute qui s' affaisse dans ses propres plis.

Nous sommes restés interdits sur notre bosse à 300 mètres de distance, d' où nous avons, comme des premières loges d' un théâtre, suivi sans un mot le spectacle de la montagne. Le charme est soudain rompu et remplacé par une tempête d' émotions. Avec une heure d' avance, nous aurions été à l' endroit le plus étroit! Et quel risque est resté suspendu hier sur la tête de nos camarades! Et comment vont être les conditions dans le couloir? Allons voir de près ce qui nous attend... J' admire en silence le calme de David, car il n' y a pas longtemps que, au Liskam, il s' est tiré d' une chute de glace avec des blessures. Il sait aussi bien que moi que la secousse peut avoir « déchaussé » encore plus de glace.

Le vacarme a sûrement attiré Hans et Heinz hors de la cabane. Nous huchons de toutes nos forces pour calmer leurs craintes. Puis nous suivons leurs traces dans le névé large et raide. A mi-par-cours les pas sont recouverts de poudre de glace, et finissent par disparaître complètement. En approchant du couloir, nous nous apercevons que nous avons quitté la protection des parois rocheuses du Sand. Nous sommes dominés par une puissante barre de séracs qui déborde de la paroi à gauche, au milieu, et même à droite. Non, ce n' est pas l' endroit indiqué pour de longs arrêts! L' as directe par le goulet du couloir serait le plus court chemin, mais le danger nous pousse à faire un détour. Nous descendons un peu, franchissons en vitesse un chenal glacé, et pouvons grimper un talus abrupt, vaguement protégé par une tête rocheuse. La neige durcie est ravinée par l' avalanche.

Nous atteignons ainsi l' immense cirque qui donne son caractère au Tödi. La masse de la montagne se dégage de ce vaste bassin. Les parois et les angles y sont construits de dalles noires, lisses et imbriquées, couvertes de verglas et rayées de che- minées, de rainures et de fissures pleines de neige qui dessinent de blanches pattes d' araignée dans le rocher. Le tout est couronné du gris et du bleu froid des tranches de séracs, dont seule la toute dernière brille au soleil dans un ciel clair. La pente centrale plonge avec audace dans l' entonnoir de rocher, où elle s' interrompt un peu au-dessus de nous. L' alpiniste enregistre ses impressions avec un mélange d' admiration et de crainte; il reste silencieux parce qu' il sent qu' il est petit et négligeable, tout juste toléré dans une maison de nobles...

Heureusement, la tête rocheuse forme ici un surplomb, à l' abri duquel nous sortons notre équipement glaciaire. L' appareil de photo s' en va remplacer le matériel au fond du sac: son emploi nous prendrait trop de temps! Le passage-clé qui nous attend est constitué par un ressaut rocheux couvert de vingt à trente centimètres de verglas. L' endroit réclame une technique bien au point, mais aussi beaucoup de rapidité, car il n' est pas abrité et se trouve dans l' axe de l' avalanche. Nous observons les pentes: à part des éclats de glace arrachés par le vent, rien ne descend. Je m' engage rapidement sur la glace vive, et monte droit en haut. Les marches de nos camarades sont encore partiellement marquées, et elles m' aident; je dois pourtant les recreuser. Je ne place que deux vis à glace, et pour le reste je me sers d' un piton légèrement planté comme prise pour la main gauche. La glace est bonne, et je peux souvent me confier à l' extrémité de mes pointes frontales. D' un relais incliné, j' assure David à un piton. Il suit rapidement et calmement, comme il en a l' habitude. Dès qu' il me rejoint, je continue par des rochers abrupts recouverts de glace et de neige qui adhèrent mal. Je ne perds pas de temps à essayer de placer un assurage intermédiaire, mais c' est seulement depuis le relais que je me rends compte de la raideur extraordinaire du passage. Pendant que David récupère son piton, je ne peux pas m' empêcher de prendre rapidement une photo plongeante de ce passage impressionnant. Puis nous continuons par une rigole de neige dure inclinée à 50 degrés. En quelques longueurs, ce couloir exposé nous amène à une côte rocheuse.

Ici, nous sommes hors des dangers immédiats, et nous nous accordons une petite pause. A côté de nous, le glacier plonge dans le vide comme une cascade, gris-bleu et verdâtre, avec des crevasses et des fissures sombres. Nous regardons aussi la vallée lointaine, les promontoires qui l' enserrent, et les sommets blancs qui scintillent sous l' éclat du soleil. Et soudain la beauté de cette vue étrange me frappe. Je garderai toujours en mémoire ce contraste entre l' ombre morne du désert de rochers et de glace où nous nous trouvons et le paysage ensoleillé que ce jour de föhn offre sous son ciel bleu.

Bientôt nous reprenons la montée par la côte qui, après quelques rochers, se perd dans la partie supérieure de la rampe. Cela continue par un petit mur glaciaire; la neige est ferme, et un bon coup de pied y fixe la chaussure comme dans un étau. On trouve rarement de si bonnes conditions en été dans une face glaciaire. Les traces d' hier réapparaissent clairement.

Enfin la rampe se termine en se perdant brusquement dans une gorge tortueuse de la face est. Nous traversons à droite dans un flanc très raide jusqu' à un verrou rocheux, et, par une descente oblique en sautant une rimaye, atteignons enfin la terrasse glaciaire. De là, la voie sort des séracs pour rejoindre le toit sommital.

Les deux barres supérieures de séracs nous dominent et nous menacent de nouveau. Nous voyons bien le point de départ de l' avalanche, dont le trajet est parsemé de débris. Nous le traversons en courant. Au-dessous de nous, la terrasse se termine sur le vide. On voit aussi sur son bord plusieurs fissures fraîches. La voie nous conduit de nouveau droit en haut entre des séracs, sur une grande pente coupée de quelques crevasses. Effa-cées par le vent, les traces de pas disparaissent à nouveau, mais, à aucun endroit, nous n' enfon plus haut que la cheville. Notre allure s' est ralentie, et quand la pente faiblit et que le sommet du Sand apparaît à notre droite, nous nous instal- lons dans la neige pour manger. Il semble enfin que nous soyons à l' altitude du Bifertenstock!

Un vent froid souffle du sommet et nous asperge de neige. L' endroit devient bientôt inconfortable, et nous nous secouons de nouveau. Les pentes s' étendent sans fin en direction des deux sommets. Nous gagnons de la hauteur lentement, mais sans problème; de petites crevasses donnent un peu de distraction, et la neige, ravagée par des vents incessants, est de nouveau plus ferme. A mesure que nous montons, les limites de notre espace reculent, nous émergeons de la paroi et de son ombre austère dans une clarté floue, faite de bleu tendre, d' or et d' argent, et les formes sauvages des rochers et des glaciers se résolvent dans les pentes paisibles de la coupole sommitale et dans les lignes pures des arêtes qui y convergent.

A 15 h, rayonnants de joie, nous nous serrons la main sur le Simlergrat, la selle qui relie les deux sommets, avant de gravir encore la tête ronde du Glarner Tödi ( 3586 m ).

Le jour a perdu son éclat et sa chaleur. Le soleil est déjà bas, et des nuages lui prennent sa force. Nous sommes entourés d' une armée innombrable de sommets blancs qui brillent sous les derniers rayons, mais vers le sud une barre gris-noir s' étend sur les chaînes de montagnes, et les ombres montent des vallées. Il est temps de descendre.

Du Simlergrat, nous plongeons sur le glacier. Sur les pentes supérieures, nous devons faire la chasse à un gant de nylon que j' ai laissé tomber, et que le vent s' amuse à nous souffler plusieurs fois sous le nez. Dans la tombe glaciaire, les conditions restent bonnes, et c' est à peine si nous enfonçons parfois jusqu' au genou. En revanche, les crevasses sont encore très mal pontées et demandent une grande attention. A mesure que nous descendons, nous sommes plus souvent conscients de leur profondeur. Ici et là, un pied s' enfonce. Une fois, je plonge jusqu' à la ceinture, mais je peux me lancer en avant. Le vent grandit, ses coups sont plus fréquents et plus violents. Soudain, comme lance par un fantôme, un nuage déchiqueté coiffe le Piz Urlaun. Un labyrinthe de crevasses nous oblige à de pénibles manœuvres pour rejoindre la côte rocheuse de la Place du déjeuner.

Il nous faut maintenant faire une traversée raide pour rejoindre la rimaye. Neige poudreuse — neige dure - puis de la glace. Je suis oblige d' abandonner mes bâtons de ski pour reprendre le piolet. La tempête s' abat sur nous, chante dans les rochers, hurle dans le couloir, et fait tourbillonner la neige folle. J' observe David en train de me rejoindre par les rochers. Paupières plissées, il varappe avec calme et concentration sur ce flanc abrupt, dans la sarabande des cristaux de neige. Il a presque le double de mon âge, et la dernière assemblée générale de la section lui a offert l' insigne de vétéran!

Une autre aventure au Tödi me revient un instant en mémoire: c' était à l' arête nord. Je formais la première cordée avec Fritz Stüssi, quand la corde devant moi délogea un caillou plus gros que le poing. Un instant d' inattention, et déjà la pierre avait passé à côté de moi et tombait en plein sur la tête de David. Une chance qu' il ait eu un casque! La terreur me glaça les veines, les autres se mirent à hurler et jurer. David resta sur place, et tâta son crâne sans dire un mot. Il est comme ça!

A la rimaye, nous trouvons une neige ferme. Nous sautons, puis courons à travers les débris tout frais d' une chute de glace. Des crevasses mal couvertes nous obligent encore à des précautions et des détours, puis une brève contre-pente conduit au refuge du Grünhorn. 5 heures. La grisaille du crépuscule fait peu à peu place à l' obscurité, et la tempête tombe des arêtes avec des coups rageurs. La combe glaciaire et les parois qui l' entourent s' allient à la muraille du föhn en une masse noire, prodigieuse et sauvage.

La combe suivante est le passage le plus pénible de la descente. Nous enfonçons souvent qu' au ventre, et seules quelques plaques soufflées par le vent nous offrent un soulagement. Nous nous réjouissons de retrouver la cabane, sa tranquillité et son abri. Nous en approchons avec lassitude. Sa silhouette se détache en noir sur le ciel plus clair, et quand nous refermons sa porte, nous laissons une nuit sombre derrière nous.

( Traduit de l' allemand par Pierre Vittoz )

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