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Première cabane des Diablerets

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR EUGÈNE RAMBERT

Louis Seylaz a retrouvé dans ses papiers la copie faite il y a quelques années de l' article qu' on va lire. Il nous a paru intéressant de les proposer aux lecteurs, qui en feront eux-mêmes le commentaire.

Est-il une histoire plus monotone que celle de nos montagnes depuis 50 ans? C' est partout la même aventure.Voici un pic qui passait pour inaccessible. Jamais chasseur de chamois n' en avait foulé le sommet Arrivée le flot des touristes. Le pic dédaigneux subit un siège en règle. On fait le tour de ses flancs, on en scrute les pentes, les couloirs, les corniches. Pendant quelque temps il résiste à toutes les tentatives. Mais les grimpeurs ne se rebutent point. Plus les difficultés sont grandes, plus ils redoublent d' ardeur. Un touriste heureux profite de toutes les expériences de ses devanciers et gagne enfin le sommet désire. Une petite pyramide, un homme de pierre comme on dit en allemand, garde pour les saisons futures le souvenir de cet événement. Une fois le chemin trouvé, les caravanes s' y suivent à la file, et bientôt les traces de leurs pas forment un sentier sur la roche nue. Mais le génie de l' aventure ne se contente pas à si bon marche. Il doit y avoir quelque autre chemin. On cherche, on trouve encore, et la cime vaincue devient un lieu de passage, un 1 Supplément du dimanche de la Gazette de Lausanne, 15 et 22 octobre 1871.

col où se rencontrent les voyageurs qui vont d' une vallée à l' autre. Cependant les guides, les aubergistes, les clubs alpins rivalisent de zèle pour faciliter la besogne aux explorateurs toujours plus nombreux. Des hôtels se construisent à portée de la montagne, des cabanes se suspendent aux flancs des précipices, on fixe des barrières aux endroits vertigineux, on suspend aux rochers des échelles de corde, on y enfonce des crochets de fer pour servir de points d' appui au pied ou à la main, et le jour vient où les dames elles-mêmes peuvent sans danger suivre la route hardie dont la découverte a demandé des années de travail et peut-être coûté la vie à plus d' un voyageur.

Telle est l' histoire du Mont Blanc, du Mont Rose, du Cervin; telle est aussi l' histoire de la plus haute montagne de nos Alpes vaudoises, les Diablerets. Il y a vingt ans, c' était une question douteuse de savoir si jamais voyageur en avait touché le sommet. Vainement on eût cherché un chasseur de chamois qui pût dire: « J' y ai été, suivez-moi. » On allait depuis longtemps à l' Oldenhorn, au Muveran, à la Dent de Mordes, mais les Diablerets étaient une montagne à part, que protégeait la superstition populaire. Elle inspirait un vague effroi à cause des hôtes mystérieux qui y ont élu domicile et dont on entend le sabbat dans les entrailles des rochers.

Quelques touristes en avaient tenté l' escalade, mais sans succès, et leurs récits n' étaient guère plus encourageants que ceux des montagnards. L' un d' eux parlait d' une sorte de passerelle d' une demi-lieue de longueur, formée par une crête de rochers surplombant des abîmes sans fond. Un autre n' était revenu qu' en faisant un saut périlleux du haut d' une paroi perpendiculaire mesurant cinq ou six hauteurs d' homme.

La première ascension de nous connue, dont le succès soit authentique, fut accomplie en 1855 par trois amateurs de Lausanne 1. Ils ne trouvèrent au sommet aucune trace d' ascensions antérieures; inutile d' ajouter qu' ils n' eurent ni passerelle à franchir, ni parois à sauter. Partis des hauts pâturages d' Anzeinde, ils étaient montés droit devant eux, et voyant la paroi rocheuse, qui de loin semblait inaccessible, se transformer en un escalier gigantesque, ils l' avaient gravie de gradins en gradins. Un peu de gymnastique avait été nécessaire partout; nulle part ils n' avaient eu de pas décidément mauvais. Leur seule hardiesse avait été d' attaquer de front les rochers du Pas du Lustre, comme on les appelle aujourd'hui, ceux sur lesquels repose la cime, et d' y monter par le plus court. Heureuse inspiration! Car le chemin le plus court et en apparence le plus impraticable est en réalité le meilleur.

Le bruit ne tarda pas à se répandre que le chemin des Diablerets était ouvert, et dès lors les ascensions se multiplièrent rapidement d' été en été. C' était chose curieuse, les premières années, de voir les vachers d' Anzeinde, armés de longues-vues, suivre du seuil de leurs chalets les caravanes des grimpeurs. Leur surprise augmenta quand ils virent des vieillards et des dames aborder sans peur le sentier de leur montagne, et quand ils purent constater de leurs yeux que les plis d' une robe de femme flottaient sur les sommets. A vrai dire, la robe ne revenait point telle qu' on l' avait vue au départ, et l'on avait pour longtemps à s' en raconter les aventures. On parlait aussi de glissades malencontreuses. Celui-ci l' avait risqué belle; celle-là n' avait échappé que par miracle; tel autre, au retour, s' était jeté à genoux sur la première motte de gazon pour remercier la Providence de l' avoir tire sain et sauf de tant de périls. Néanmoins, après un nombre d' ascensions qui ne se compte plus, cent, deux cents, peut-être davantage, il n' a pas été ramené des Diablerets le moindre membre cassé, et les plus malheureux en ont été quitter pour de vulgaires écorchures et des bleus insignifiants.

Cependant le pâturage d' Anzeinde n' avait plus le monopole des ascensions des Diablerets. Les mêmes voyageurs qui, les premiers, en avaient atteint le sommet, ne tardèrent pas à explorer les 1 Eugène Rambert, Ch. Bertholet, forestier, et A. Koella avec le guide Philippe Marlétaz. 300 vastes champs de glace des plateaux supérieurs jusqu' à l' Oldenhorn et au Sanetsch; ils réussirent à les franchir dans toute leur longueur, et dès lors la route des Diablerets s' y relia avec toutes celles qui y aboutissent, tant des Ormonts que de la Reusch, de Gsteig et des vallées valaisannes de la Morge et de la Luzerne. Une nouvelle découverte compléta ce réseau de hautes voies alpestres. M. le pasteur Bernus réussit à gravir presque directement le cirque de Creux de Champ, et vint déboucher sur l' arête au pied de la plus haute cime, à l' endroit même où le chemin d' Anzeinde en aborde les premières et sauvages assises. Peu s' en fallut qu' il ne payât cher son audace. Un ami à qui il faisait un jour les honneurs de sa conquête, glissa sur la pente du glacier et ne s' arrêta qu' à quelques cents mètres du point de départ, au milieu des blocs des moraines. On ne put le tirer de là que le lendemain, après une nuit d' orage et de grêle, passée dans des anxiétés plus faciles à comprendre qu' à décrire.

Les Diablerets ont donc failli avoir leur tragédie, comme le Cervin; comme lui, ils sont devenus un lieu de passage, un col en forme de pointe. On passe par le sommet des Diablerets pour aller de Bex aux Ormonts, de Bex à Gsteig, de Bex à Sion. Une demi-douzaine de routes se croisent sur ce rocher. Ce que voyant, le Club alpin décida d' y faire construire une cabane aussi haut que possible. La section vaudoise, dite des Diablerets, en prit l' initiative, et un subside fut voté par la Caisse centrale. La première tentative eut peu de succès. On se contenta d' un refuge à ciel ouvert, protégé par une roche surplombante et un simple mur d' abri, qui s' effondra sous les neiges de l' hiver. C' est à peine si aujourd'hui, après quatre ou cinq ans, on retrouve la trace de cette ruine. Trois chevilles de fer, plantées au Pas du Lustre, sont tout ce qui reste de ces travaux. Mais à quelque chose malheur est bon. On comprit dans quel style il fallait bâtir si l'on voulait, à cette hauteur, résister au poids des neiges et la fougue des vents. Un nouveau plan fut adopté; un montagnard intelligent, Philippe Cherix des Posses, se chargea de l' exécuter; les travaux commencèrent en juillet; pendant plusieurs semaines, des ouvriers partirent chaque matin d' Anzeinde et allèrent gagner leur journée au haut de la montagne; en août, tout était fini; en septembre, les travaux étaient reconnus par des délégués du Club alpin, et aujourd'hui la cabane des Diablerets défie l' hiver et ses tempêtes.

Les Diablerets ont donc leur cabane. Située à 3050 m au-dessus de la mer, elle commande une vue immense, avec un premier plan à la fois sauvage et gracieux, les abîmes du Creux de Champ et les vertes prairies de la plaine des les. Plus loin, les Basses Alpes déroulent leurs chaînes successives; puis les ondulations du Plateau vont s' amoindrissant jusqu' à la ligne du Jura, qui flotte à l' horizon comme une longue vague morte, à peine immobilisée. A gauche, les eaux du Léman dorment au pied des monts de Savoie. Si l'on fait quelques pas, de manière à gagner l' arête et à dominer à la fois le versant d' Anzeinde et celui des Ormonts, on voit s' ajouter à ce panorama tout le cercle des Alpes Pennines, du Mont Blanc au Mont Rose.

Mais si la vue est grande, la cabane ne l' est guère. Du dehors, elle fait l' effet d' une redoute en miniature, blottie sous un rocher. Un mur semi-circulaire, percé d' une petite meurtrière carrée, repose sur la pente ardue et s' élève jusqu' aux masses surplombantes qui le protègent de leur monstrueux avant-toit. C' est ici que l' architecte a déployé toutes les ressources de son art: il a fait de la maçonnerie romaine, et l'on pourrait croire que ce pan de mur est destiné à soutenir la montagne qui croule. Mais une porte basse, tout au coin, à droite, nous avertit qu' on peut entrer. Entrons donc. Au premier moment on ne voit rien, tant est faible le rayon qui pénètre par la petite ouverture en forme de meurtrière. Mais au bout de quelques instants, l' œil s' habitue à cette lumière diffuse et l'on se trouve dans une sorte de grotte, dont les parois humides brillent vaguement, ce qui lui donne quelque ressemblance avec un four à cristaux. Elle en a la forme arrondie et la voûte régulière, sauf qu' elle s' allonge en pointe à l' opposite de la porte. Qu' y a-t-il dans cet enfoncement obscur? Quel meuble étrange? Quelle stalactite impossible? On va tâtant de la main, et l'on découvre un fourneau en fonte, un vrai fourneau, avec sa marmite et son tuyau. Le Club ne fait pas les choses à moitié; sa cabane est un garni, et les appartements sont meublés.

Cependant les délégués du Club alpin ne franchirent pas le seuil sans inquiétude. De mauvais bruits avaient couru tant sur l' humidité qui y règne que sur l' exiguïté des proportions. On a beau être rompu aus fatigues de la montagne, on se résigne malaisément à passer une nuit sur un sol détrempé, exposé aux gouttières d' un rocher spongieux. Or on disait que le rocher de la cabane, en apparence compact, était traverse d' imperceptibles fissures où l' eau s' infiltrait en abondance. « Mais aussi, disait-on, quelle folie de choisir un emplacement pareil! L' exposition nord à 10000 pieds de hauteur! Un lever de soleil vaut-il une nuit dans la boue? » Ils en parlaient fort à leur aise. Le fait est que sur ces pentes ardues, avec ces arêtes vives et ces masses en décomposition, on n' a pas le choix des emplacements. Avant tout, il fallait un abri solide, de peur qu' un coup de vent n' emportât une belle nuit cabane et voyageurs. Quant à l' humidité, on avisera. On avait déjà tout avisé. Un plancher rustique, posé sur un lit de cailloux et de copeaux, préservait de tout contact avec ce sol réputé boueux. D' autres planches, debout contre la paroi, permettaient de s' asseoir et de s' appuyer sans toucher la pierre, et tout un réseau de coulisses, taillées au-dessus du rocher, cimentées et bien recouvertes, conduisaient les eaux traîtresses loin des fissures qui pénètrent dans la grotte. Bref, l' ingénieur avait si bien travaillé que c' est à peine s' il restait une pauvre petite gouttière, en souvenir des difficultés vaincues. En revanche, à deux pas de l' entrée, un filet d' eau tombait en cascade, à raison de quelques gouttes par seconde et pendant que le feu s' allumait au-dedans, une bouteille recueillait au dehors l' eau qui devait bouillir dans la marmite.

La question des dimensions n' était pas moins controversée. Le cahier des charges, si l'on peu donner ce nom à un chiffon de papier, portait que la cabane devait être suffisante pour que les clubistes puissent y passer la nuit; mais on avait oublié de donner à l' ingénieur la mesure du clubiste moyen, et il se trouva, quand on voulut préciser, que chacun avait la sienne... Il fut procédé à trois épreuves, debout, assis et couché. La première ne fut pas la plus heureuse. Il y avait largement place pour six paires de pieds sur le plancher de la grotte; mais le mouvement de la voûte cintrée obligeait les six têtes à une immobilité désespérante, penchées les unes contre les autres. La seconde donna des résultats inattendus; tous les recoins furent utilisés et les voyageurs, commodément assis sur des sièges improvisés, burent un grog généreux à leur santé réciproque et celle de leurs commettants. Quant à la troisième, on y mit de la bonne volonté; on se fit petits, et le dernier entra comme un coin dans la masse déjà compacte... Ainsi dorment les sardines dans leur boîte et leur jus.

Chose bizarre, l' accord difficile à obtenir sur les articles de nécessité première, tel que l' air à respirer et la place pour s' étendre, s' établit de lui-même sur les questions secondaires. Une table fut votée à l' unanimité, et un coin de mur fut désigné pour recevoir une console où se suspendront des cuillers en bois sculpté comme en ont les vachers. D' autres vœux encore seront transmis à qui de droit.

Mais où donc allons-nous avec ce débordement de luxe? Si le Club alpin meuble ses cabanes comme des chalets, il faudra que les chalets se meublent comme des hôtels. C' est en effet ce qui arrive.Voyez là-bas cette construction nouvelle, dont le toit a déjà reçu son bouquet de fête, c' est un hôtel, un véritable hôtel qui se construit sur la pelouse d' Anzeinde. Un hôtel à Anzeinde et une cabane aux Diablerets! Encore une fois, où allons-nous? Nous allons où vont toutes choses. Aux cabanes succèdent les petits hôtels, aux petits hôtels les grands, de même que les chemins succèdent aux sentiers, les routes aux chemins, et les voies ferrées aux grandes routes. Tôt ou tard la locomotive sifflera dans la vallée d' Anzeinde, et l'on discutera le tracé d' un embranchement montant droit à la cime.

Hâtez-vous donc, voyageurs, vous qui aimez les montagnes pour elles-mêmes, non pour les caravansérails qu' y établit la spéculation et où les badauds s' entassent en vrais moutons de Panurge. Allez aux Diablerets. Le moment est favorable. Ce n' est plus la montagne inhospitalière que redoutaient les bergers d' autrefois, et malgré le luxe qui menace d' envahir la cabane, ce n' est pas encore un rendez-vous pour touristes efféminés.

On ne peut s' empêcher de sourire du jugement de Rambert sur ce qu' il appelle un « débordement de luxe ». Que dirait-il du point où nous sommes arrivés dans une évolution qu' il savait fatale, mais dont Une pouvait imaginer le cours?

Les espoirs qu' on plaçait dans le nouveau refuge et la sagacité des constructeurs devaient être bientôt déçus. L' humidité des parois, qui les faisait briller « comme un four à cristaux » - S poésie con-solatricese transforma, à l' abri du vent qui l' aurait dissipée, en une masse de glace qui eut bientôt envahi tout le refuge. On dut l' abandonner à la nature, qui n' a laissé aujourd'hui que quelques pierres et de menus débris de planches. Il y a peu d' années, la porte traînait encore dans le pierrier, pour l' étonnement des gens non avertis.

L' un des compagnons d' Eugène Rambert dans sa première ascension, G.A. Koella, publiait une semaine plus tard, dans le Conteur Vaudois du 28 octobre, un article sur le nouveau refuge. On y trouve les précisions suivantes:

ABRI DES DIABLERETS C' est le guide Philippe Cherix, des Posses sous Gryon, ancien mineur des Salines de Bex, qui s' est chargé de ce travail pénible et difficile, et il s' en est acquitté de la façon la plus intelligente et pratique. Il a fallu 38 journées de travail et faire, pour ainsi dire, chaque jour l' ascension des Diablerets ( à peine à 20 minutes du sommet ) par des temps souvent mauvais ou très froids.

L' abri est creusé dans un rocher saillant qui domine la voie au point où se rencontrent les deux chemins, venant l' un du Plan les Iles et l' autre d' Enzeinde. Le pas du Lustre y touche presque. Avec son mur ovale, lisse, d' un jaune pâle, recouvert horizontalement par le rocher qui le dépasse, cet abri ressemble à un nid d' hirondelle colossal. Sur le second plan s' élève une paroi verticale qui ajoute à la hardiesse de ce site et masque en grande partie la corne occidentale des Diablerets.

Le travail pour creuser le roc, au moyen des mines et du marteau, a été fort long, vu le peu de compacité du rocher et son humidité. Un maçon a travaillé 7 jours avec Cherix à la construction du mur, qui n' a pas moins de 3 pieds d' épaisseur à la base et 2 en haut. La porte, solide et fermant bien, est solide et à l' abri de la bise; il y sera pratiqué une fenêtre, le jour pénétrant par la lucarne percée dans le mur épais n' éclairant pas suffisamment. Un plancher en bois et un petit fourneau en fer, garni d' une respectable marmite, forment tout le confort de la cabane. L' ad de quelques objets indispensables comme table, tasses, pot et cuillers doit porter ce confort au plus haut degré possible.

Le transport des objets susmentionnés, plus 5% quintaux de ciment, naturellement à dos d' homme depuis Enzeinde, est compris dans le nombre des journées déjà indiqué.

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