Protection de la nature et plans d'aménagement du territoire | Club Alpino Svizzero CAS
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Protection de la nature et plans d'aménagement du territoire

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Christian Leibundgut, Langenthal

Le terme de « protection de la nature » éveille chez nos contemporains les associations d' idées les plus diverses, du romantique étang cache dans les bois, aux eaux nauséabondes du canal d' évacua de l' usine.

Aujourd'hui encore, une bonne partie de l' opi publique est d' avis que le rôle de la protection de la nature consiste, par exemple, à assurer la survie du vénérable tilleul qui ombrage la fontaine du village, ce qui permettra de conserver le cadre usuel des traditionnels discours du premier août, ou encore, à cause d' un joli petit étang, à s' opposer à la construction d' une route dont la nécessité est indiscutable. La protection de la nature doit, certes, œuvrer pour le maintien des beautés naturelles, mais ce n' est pas là, de loin, son unique tâche.

C' est seulement depuis quelque dix ans que l'on commence à se rendre compte que la protection de la nature poursuit des buts dont la réalisation est indispensable pour la communauté tout entière. Cela a été compris, en tout premier lieu, en ce qui concerne la protection des eaux. Le robinet de cuisine qui débite une eau « potable » sale et malodorante, comme aussi, au bord des lacs, le jus opaque qui a remplacé l' eau claire invitant à la baignade, ont convaincu même les sceptiques les plus obtus. Le bon sens, et parfois la seule peur de la conséquence de la pollution des eaux, ont décidé maint électeur à accorder les crédits demandés pour une station d' épuration. L' état déplorable, visible à l' œil nu, de nos cours d' eau était si évident que la notion de « protection de la nature » cessa, peu à peu, d' être la lubie de quel-ques-uns pour devenir l' affaire de tous. En d' au termes, la protection de la nature, de plus en plus, est considérée comme une nécessité. L' élément sentimental perd de son importance.

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^,'V :;V- » L' évasement de la vallée à Pian Segno, au-dessous d' Acquacalda, l' endroit où Von vent extraire le gravier pour la construction de la nouvelle route. A droite de l' illustration, le flanc suivi par la route actuelle. La croupe boisée, au milieu, clôt Pian Segno vers l' amont. Du côté gauche de l' illustration, le long de Selva Secca, la nouvelle route doit monter vers le tracé actuel.

A la lisière de la forêt d' aroles de Pian di Casascia: vue vers le Piz Rondadura et vers le Piz Blau. Un petit paradis pour les campeurs.

Photos Val. Binggeli, Langenthal Avec bien des lustres de retard, la notion de protection de la nature est donc admise - mais, soyons c' est parce que nous craignons les conséquences de nos atteintes brutales et irréfléchies à l' ordre naturel des choses.

Au début, la protection de la nature ne s' inté qu' aux menaces pesant sur certains sites ou sur des objets isolés. La conservation des curiosités naturelles était l' essentiel. L' énorme développement de la technique, la demande toujours plus forte de terrains à bâtir, l' incessante extension du réseau routier, etc., poussèrent la protection de la nature vers une deuxième étape, l' amenant à lutter contre un état de choses menaçant la vie elle-même ( notamment la pollution des eaux ).

Il s' agit maintenant, en conservant et en créant des zones de repos et de délassement, de résoudre aussi les problèmes de la troisième étape; donc de dépasser la deuxième, qui est celle du maintien des éléments vitaux, et de créer quelque chose qui aurait plus de rapport avec la culture et la civilisation. La réalisation n' en sera pas populaire, c' est vrai: si l'on prétend donner corps à une idée sans qu' elle rapporte de bénéfice tangible, l'on se heurte le plus souvent à une incompréhension totale. Si nous échouons dans l' accomplissement de cette tâche, ce n' est pas avant tout matériellement que nous en souffrirons, mais bel et bien moralement. Or, il n' y a pas de raison pour approuver et pratiquer une hygiène corporelle et pour considérer, du même coup, comme inutile toute hygiène de l' âme et du cœur. C' est donc aujourd'hui que nous devons nous décider à franchir ce pas, car, pour les générations futures, le manque d' espace propice au repos constituera une menace mortelle.

Nous avons aujourd'hui la possibilité de démontrer que nous avons compris la leçon tirée des fautes du passé, c'est-à-dire d' avoir reconnu trop tard la nécessité de la deuxième étape. Maintenant, nous pouvons entreprendrede résoudre le problème des zones de repos et commencer par en dresser les plans nécessaires, ce qui donne encore de vastes possibilités, tandis que, plus tard, nous ne pourrons intervenir que pour essayer de corriger les erreurs commises. Ce qui est essentiel, c' est que la population tout entière se rende compte de cette nécessité, et que la connaissance n' en reste pas l' apanage de quelques isolés, passionnés de la nature ou hommes de science. De même que la deuxième étape n' a pu trouver un début de réalisation que lorsque la majorité des électeurs en a reconnu la nécessité, cette troisième étape ne pourra être réalisée, dans notre régime démocratique, que lorsque la majorité des citoyens sera convaincue de son caractère indispensable.

Je désire montrer, par l' exemple du secteur menace de la zone CPS de Piora—Lukmanier-Dötra, comment nous pouvons procéder dans un cas concret ( feuille n° 266 de la CN au i :50000 ). A la mi-juin de 1969, dans les milieux de la protection de la nature, on fit opposition au projet de la nouvelle route du Lukmanier qui, dès Campra, suivant le flanc droit de la vallée, devait également longer ce flanc près de Pian Segno pour rejoindre la vieille route juste au-dessous d' Acqua. Ces mêmes milieux s' opposèrent aussi aux extractions de gravier près de Pian Segno, car l' aspect du haut plateau aurait été irrémédiablement abîmé par les blessures causées par les gravières ( ill. 2 ).

Voir ces oppositions couronnées de succès, et créer simultanément une vaste réserve naturelle, telle qu' elle figure au CPS, aurait été certes idéal du point de vue de la protection de la nature, mais ne correspond plus aujourd'hui aux réalités. J' irai même plus loin, et dirai que nous avons ici un exemple classique des conséquences de l' interven tardive de la protection de la nature. Emp&cher la réalisation du projet « rive droite » de la nouvelle route du Lukmanier ne semble plus guère possible, et cela pour trois raisons: des millions de francs ont déjà été investis dans la nouvelle route sur le versant grison, et d' Olivone à Campra; les conditions géologiques sont en faveur du nouveau tracé; et enfin le flanc gauche de la vallée est plus exposé aux avalanches.

Si nous avions voulu prendre position contre une nouvelle route du Lukmanier, c' est il y a quinze ans que nous aurions dû le faire. d' hui, c' est incontestablement trop tard. Mais cela aurait-il jamais pu être une des tâches de la protection de la nature? Guère: le Lukmanier, dont l' altitude est inférieure à celle de tous les autres cols permettant de franchir les Alpes, est trop important du point de vue routier. Protéger la nature veut dire qu' il faut le faire pour le bénéfice de l' homme, pour le bien-être des humains. Que souvent la protection de la nature doive être, aujourd'hui, une protection contre l' homme est conforme aux temps que nous vivons et résulte de ce que nous avons toujours trop tardé à reconnaître les périls. Gardons-nous cependant de pratiquer une protection de la nature qui serait une fin en soi.

Mais revenons à notre exemple: il paraît plus judicieux—plutôt que de faire opposition à ce projet routier - de travailler à conserver le contrôle des importantes conséquences qu' aura sa réalisation. C' est aujourd'hui que nous devons chercher des solutions pour l' avenir, et non pas demain on il sera, une fois de plus, trop tard pour agir!

On doit admettre que, par l' amélioration de la viabilité due à la nouvelle route, la construction de chalets de week-end et de vacances augmentera considérablement. Malheureusement les clairières de la forêt d' aroles de Pian di Casascia sont déjà menacées par la prolifération, sans aucun plan directeur, de maisonnettes de week-end. Il faut admettre aussi que l' hôtellerie et les constructeurs de téléphériques feront de leur mieux pour lancer un boom touristique.

Bien qu' il s' agisse d' une zone qui mériterait d' être entièrement protégée, nous estimons que, dans l' avenir, ce sera impossible. Bien plus, un « développement touristique ordonné, contenu dans certaines limites », semble être acceptable pour le paysage et conforme à l' intérêt général. Il en résulte les propositions suivantes:

1. Interdiction absolue de construire des chalets de vacances dans la région au-dessus d' Acqua.

2. Création d' une zone de chalets de week-end à Pian Segno. Eventuellement, projet d' un petit centre de vacances. Pian Segno a déjà beaucoup perdu de son caractère primitif, et de ce fait, c' est là qu' une modification de l' état de choses naturel serait la moins malvenue. Une solution, qui pourrait combiner harmonieusement la construction de la nouvelle route avec ses conséquences, serait de construire des maisons de vacances dans la zone des gravières prévues à Pian Segno. Un architecte habile sera certainement capable de trouver, ici, une solution donnant satisfaction à tout le monde.

3. Etablissement d' une place de camping dans la forêt d' aroles de Pian di Casascia ( ill. 3 ).

Le camping « sauvage » avec tous ses inconvénients pourrait ainsi être éliminé, et en même temps on donnerait à un nombre relativement important de personnes la possibilité de découvrir, par la promenade, cette magnifique région. Des installations sanitaires avec ravitaillement en eau potable, une fosse septique, une clôture naturelle en conifères et éventuellement un petit bureau d' accueil combiné avec un kiosque devraient suffire. Il conviendrait de renoncer délibérément à tout confort supplémentaire.

4. Obtenir l' interdiction de construire des moyens de remontée mécaniques. Si les Tessinois tiennent beaucoup au Lukmanier comme nouvelle région de ski, il faudra peut-être concéder un petit remonte-pente. Cette question doit être tout particulièrement étudiée, car, dans la région de tourisme pédestre et de ski de Dötra, l' évolution est déjà beaucoup plus avancée.

Je me rends parfaitement compte que tout cela est beaucoup plus facile à écrire qu' à réaliser. Il conviendra de surmonter plus d' un obstacle, moins du point de vue technique que du point de vue juridique. Ce serait cependant une grave erreur que d' écarter ces propositions sous prétexte qu' elles ne sont que la vision d' un idéaliste! Celui qui n' en tiendrait nul compte serait un esprit critique bien négatif. Et rien de valable ne saurait être réalisé de cette manière. Nos propositions ne sont conçues que comme base de discussion. Il convient d' utiliser au mieux et entièrement - c' est là l' idée maîtresse - les possibilités qui existent encore aujourd'hui.

La présente étude doit être un appel aux urbanistes, aux architectes et aux autres hommes du métier: qu' ils apportent leur collaboration pour que devienne effective une « protection réaliste de la nature » et qu' ils fassent œuvre de pionniers en créant un ensemble harmonieux qui servira de modèle à nombre d' autres régions.

Adapté de l' allemand par G. Solyom

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