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Souvenirs d'un patrouilleur alpin

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Par Albert Dunant

Avec 3 illustrations ( n08 106—108 ) Au D. H. M. ( 14-18 septembre 1942 ). J' ai dû rejoindre cette fois-ci le Détachement de Haute Montagne ( D. H. M. ), et c' est par un jour gris peu engageant que je fais connaissance avec mes nouveaux camarades. Ils sont très occupés à préparer différentes expéditions qui leur ont été assignées: chaque groupe composé de quelques hommes se rendra pour une semaine dans une des cabanes des environs pour tenter l' ascension des sommets qui la dominent, sous la conduite d' un chef expérimenté. Les soldats sont contents de cette aubaine après un dur été de travail en montagne, corvées de bois et de vivres, organisation des cours alpins, patrouilles de surveillance.

Nous sommes cinq qui, dans l' après, prenons le chemin qui monte, déplorant le temps qui menace, la pluie même, tandis que le beau n' a cessé de régner ces derniers quinze jours. Nous avons de grands projets! Le lendemain mardi, nous faisons une jolie varappe sur un sommet voisin et peu élevé, histoire de nous entraîner pour la suite. Mercredi matin, nous sommes prêts de bonne heure, mais il pleut. Nous décidons alors de faire un transport de bois, en attendant que le temps se remette. Avec deux camarades venus mardi soir d' un autre vallon, nous descendons le glacier avec nos sacs vides, abrités par nos carrés de tente, et nous prenons à son pied une bonne charge de grosses bûches.

Après-midi de repos au soleil revenu, dans l' air limpide et bleu prometteur d' une superbe journée pour le lendemain.

Jeudi matin, nous ne sommes plus que quatre pour remonter à la lanterne la moraine qui conduit au pied de notre montagne; les autres ont décidé d' aller ailleurs. Après la traversée du haut du glacier et la montée raide d' un couloir neigeux dans l' ombre froide, nous atteignons l' arête rocheuse et débouchons au soleil. En même temps nous avons devant nous le versant opposé, une vallée aimée avec ses alpages, ses forêts, ses glaciers et ses géants.

Nous déjeunons là, et nous nous reposons un instant avant d' entreprendre la varappe de l' arête. Le caporal Ch. est pleinement heureux, rayonnant il va s' offrir un bien beau cadeau pour son anniversaire, ce sera son premier 4000 qui le consacrera « alpiniste ». Son allure tranquille d' homme grand et sûr de lui, le sourire si accueillant de ses yeux bleus en font un excellent et dévoué camarade. Il s' encorde avec Louis T., un solide gars du Val d' Hérens, et revendique pour l' occasion de passer premier de cordée, ce que son compagnon accepte volontiers. Je pars en tête avec B. à ma corde, excellent garçon, bon grimpeur déjà, mais pas encore très expérimenté.

L' arête nous enchante tous par son bon rocher solide et franc, les passages variés qui se suivent sans que l' intérêt se relâche; certains demandent une attention soutenue, et d' autres plus faciles nous font gagner de la hauteur rapidement en nous permettant d' admirer les environs sans que les nerfs 1 Voir le numéro des Alpes de septembre 1944, p. 262.

soient trop tendus par les difficultés. Combien cette ascension est plus intéressante que la voie ordinaire du versant est que nous avons sous les yeux et que j' ai parcourue il y a bientôt trois mois. Des touristes la suivent et sont environ à notre hauteur; arriveront-ils avant nous à la « fourche », où les deux voies se soudent? Un passage sur la face nord passablement enneigée exige des précautions et nous prend du temps; puis nous descendons sur l' en ci-dessus, où nous arrivons bons derniers. Ce qui ne nous empêche pas de devancer une caravane peu avant le sommet. En cette saison tardive les touristes ne sont plus gens de la plaine, mais habitants de la vallée: un guide et sa femme, qui s' embrassent gentiment au sommet, et quelques amis libérés des gros travaux de l' été.

C' est une cime aérienne s' il en fut, une montagne à deux faces presque parallèles qui plongent à des profondeurs énormes jusqu' aux glaciers qui s' étalent au bas.

Nous descendons l' arête nord-ouest, elle porte des noms connus: la « bosse » qui nous réserve des difficultés inattendues avec sa neige fraîche traîtresse et nous oblige à faire deux ou trois rappels de corde, et le « rasoir », moment de voltige spectaculaire et peu difficile 1. Les rochers deviennent moins raides, plus faciles, nous sautons d' un bloc sur l' autre, et nous arrivons enfin au bout; il ne reste plus devant nous qu' une fine crête de glace qui plonge en une courbe harmonieuse. Nous chaussons les crampons, contents de changer de genre d' exercice. La marche n' est pas difficile, la neige tient bon sur la glace et nous allons confiants... En un rêve, je me vois à plat ventre, glissant les pieds les premiers, et me disant: « Nous sommes partis; je freine correctement avec le bec du piolet, la pente n' est pas longue, nous n' arriverons donc pas trop vite sur le glacier... » Le réveil n' a pas été pénible, mes compagnons parlaient; j' étais couché sur le dos, assez confortablement, mais incapable de remuer, chaque respiration, très courte, me faisait un peu mal au côté et il y avait un drôle de bruit dans ma gorge. T. est resté auprès de moi; B., qui s' est fait bien mal au genou, est parti seul, boitant bas sur son piolet, car il a compris qu' il risquait de passer la nuit à attendre de l' aide. Ch. est parti en courant pour chercher du secours. Le soleil va se coucher; en tournant légèrement la tête, je l' observe qui se rapproche de la ligne de crêtes. Un petit souffle d' air froid se lève, court sur le glacier et me fait frissonner. Cela me rend inquiet, car je ne « dois » pas avoir froid. Quand il commence à faire un peu sombre je demande avec insistance à T. s' il ne voit rien venir; le pauvre ne sait que répondre. Aussi quelle joie, quand, tournant la tête, je vois pointer les longs bâtons du brancard.

Je somnole par moments, bercé au pas des porteurs, réveillé douloureusement quand ceux-ci sont obligés de poser le brancard à terre parmi les blocs de la moraine; souvent l' un d' eux s' enfonce dans mon dos et me fait crier jusqu' à ce qu' on ait trouvé une bonne place. Le transport est très pénible, aussi ce ne sont guère que T. et le guide Rémy T., vrais montagnards, qui sont capables de me porter dans la nuit, là où il n' y a pas de chemin. Ils sont 1 Cette traversée a été magnifiquement réalisée à l' écran par mon ami André Roch dans son film « Front à 4000 m. ».

si fatigués que, pendant la dernière heure, ils me posent très souvent, et j' ai l' impression que la cabane devrait être là, mais qu' elle s' éloigne à mesure que nous avançons. Des flambeaux viennent à nous, c' est le salut; des bras frais m' empoignent, et bientôt je suis dans une maison, à l' abri; un docteur se trouve là, il se penche sur moi, me fait une piqûre, et je m' endors.

Au matin suivant, la cabane est pleine de soldats, venus pendant la nuit des hauts villages du val, mobilisés d' urgence par l' officier alpin de la brigade de montagne pour nous secourir. Le transport est rapide et bien organisé; douze hommes se relaient autour de moi, et six autres portent à tour de rôle mon compagnon d' infortune sur un cacolet de secours. En quatre heures nous sommes à la base et bientôt à l' hôpital de plaine, où j' arrive environ 24 heures après l' accident.

Ma reconnaissance va à tous mes sauveteurs, à mes camarades de course, au guide Rémy T. et à tous ceux qui m' ont porté secours et que je ne connaissais pas alors, ne les ayant qu' à peine aperçus. Certains me reconnaîtront l' année suivante au cours alpin et seront bien heureux de me savoir aussi bien remis, après m' avoir vu en si piteux état.

Traversée ( 9-11 août 1943 ). Une section après l' autre, nous nous mettons en route pour gagner un haut pâturage, où nous irons camper ce soir. Il s' agit pour moi de me prouver que je suis de nouveau apte après l' accident de l' année dernière; ce sera en effet le premier gros effort à faire depuis lors. Je viens de rejoindre le cours alpin d' été 1943 comme instructeur cette fois-ci, et on m' a confié une patrouille de débutants. Au début de la dernière semaine nous quittons notre base pour passer dans une autre vallée alpestre, en franchissant d' immenses glaciers.

Dès notre arrivée au camp, nous sommes accueillis par le commandant qui nous dit mi-sérieux, mi-souriant: « Vous trouvez vos sacs trop lourds, et vous n' avez que trois jours de vivres avec vous, que serait-ce en cas d' opéra? Une semaine de vivres, chacun une arme, des F. M. et de la munition. Vous voyez que le patrouilleur doit commencer par être un porteur. » Le camp s' organise pendant que la nuit tombe, chaque patrouille cherche un emplacement pour monter sa tente et pour faire son feu. Elle est indépendante, car entre les sept à dix hommes qui la composent, elle possède tout le nécessaire: équipement alpin et de campement et ravitaillement. La camaraderie et l' entr sont automatiques au sein de cette cellule, car la vie et le bien-être de chacun dépendent de tous les autres.

A 2 heures du matin, brouillard compact, froid vif, nuit noire. Des ombres s' agitent autour des lanternes, elles parlent bas; en peu de minutes, les tentes ont disparu, il ne reste là que des hommes et des sacs, groupés dans l' obscurité, attendant de prendre à leur tour la suite dans la colonne qui s' enfonce et disparaît quelques pas plus loin. Les premiers, qui avaient pour mission de partir au plus vite, firent le début du trajet avec le carré de tente sous un bras et le sac de couchage sous l' autre, pensant boucler leurs sacs à la prochaine halte. Nous arrivons sur la langue du glacier au petit jour, et nous nous encordons, nous réjouissant d' être sortis du brouillard SOUVENIRS D' UN PATROUILLEUR ALPIN et d' avoir devant nous une journée aussi belle et pure. D' un col que nous franchissons vers 6 heures, nous commençons la longue marche en légère montée dans le frais matin. Ma section est en queue, j' en vois d' autres échelonnées devant nous, montant lentement sur la surface ondulée de ces grands glaciers; leur petitesse nous fait mesurer la distance à parcourir encore. Les hommes sont nombreux, qui ne sont encore jamais venus en ces parages; ils sont saisis par la majesté des lieux, par la grandeur de la haute montagne qui ramène l' homme à sa vraie mesure. L' arrivée sur le plateau est grandiose; enfin tous ces grands sommets, tous ces 4000 dont on parle tant sont là qui nous entourent et attirent les regards des connaisseurs et des novices.

Une compagnie est déjà installée sur la neige pour un déjeuner bien gagné, et la deuxième s' achemine pour prendre sa place un peu plus loin. Spectacle émouvant de voir les glaciers ainsi habités, cela leur donne une vie et un relief insoupçonnés; les distances prennent une tout autre valeur quand on voit relativement près de soi des hommes qui paraissent si petits, comme des points noirs dans l' immensité de l' espace que l' œil perçoit.

Mon ami Ch. est parmi les premiers arrivés, il pourra réaliser un ancien désir: il part avec quelques camarades pour faire un 4000 voisin, auquel il avait dû renoncer l' an passé pour aller relever le cadavre d' un accidenté.

De notre place nous voyons l' autre compagnie qui, de sa mince colonne, dessine un grand huit droit devant la sombre paroi du sommet d' en face. Et nous amorçons la longue descente, sans histoire sauf dans le bas, où une pente de neige assez raide met à l' épreuve ceux qui n' étaient pas encore assez familiarisés avec la neige, ainsi que les chefs de cordée chargés de leur sécurité. ( Certains nœuds de corde furent ensuite très durs à ouvrir !) Enfin arrivés au but, nous éprouvons un bonheur qui nous récompense de toutes les peines passées: c' est de poser le sac encore alourdi de la corde mouillée et de se mettre à l' aise, pieds nus sur l' herbe rase pour préparer le plus beau camp qui soit. Nous resterons trois jours parmi les vieux arolles et les mélèzes à la lisière supérieure de ce bois; les tentes sont disséminées de façon que chaque patrouille ait son camp bien à elle, sa propre source, il y en a tant, avec son feu et sa cuisine. Le bois mort est abondant, et le chalet n' est pas loin, où l'on va chercher le lait pour enrichir le chocolat du matin. Les fumées montent et imprègnent l' air du soir de leur bonne odeur.

Quand le soleil est couché, nous nous rhabillons chaudement. Le souper est presque terminé, et bientôt le sommeil nous prendra tous, allongés côte à côte sous la tente. Quelque solitaire enroulé dans son sac de couchage et son carré de tente, en un creux entre deux massifs de genévriers, veut admirer les étoiles plus à loisir, au hasard de ses courts réveils nocturnes.

Dominant tout et tous, le Mont est là, impressionnant dans sa courbe hardie, sentinelle qu' on ne se lasse pas de contempler, qu' on sent toujours présente. Les yeux fermés dans la nuit le voient encore et se rappellent la pureté de sa ligne.

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Einsiedeln

Gravure de Matthäus Merian ( 1650 ) 109 - Collection Muriset, Genève Orali Füssli Arts Graphiques S.A.Z.uricb Die Alpen - 1944 - Les Alpes

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