Téléphériques, tourisme étranger et protection du paysage | Club Alpino Svizzero CAS
Sostieni il CAS Dona ora

Téléphériques, tourisme étranger et protection du paysage

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Hans Weiss, Coire

Les téléphériques, leur rôle important pour l' in, et leur influence vivifiante sur l' écono de régions dépendant elles-mêmes du tourisme, voilà des thèmes souvent repris et rebat-tus. Le nombre toujours plus grand de nuitées et le volume croissant des constructions ont été - et sont toujours — des conséquences tangibles de l' implantation du tourisme dans de nouvelles régions. Mais on se demande plus rarement dans quelle mesure les aspects et le rythme de ce développement conviennent à la nature d' un sol inextensible et aux valeurs irremplaçables du paysage. Et l'on élude volontiers le problème essentiel: la majorité de la population verra-1-elle cette évolution servir, à longue échéance, ses véritables intérêts? En d' autres termes: on voit dans cette expansion touristique, et en particulier dans celle qui a lieu aujourd'hui un moyen d' augmenter notre chiffre d' affaires, mais on ne comprend pas encore ce développement comme un événement global qui porte en lui, à l' état aigu, le danger de détruire les bases mêmes sur lesquels il repose.

Il semble donc opportun que, se fondant sur l' exemple des téléphériques, des skilifts et autres installations mécaniques propres au tourisme, l'on dénonce les dangers de cette haute conjoncture persistante. A vrai dire, plus ses symptômes se manifestent longuement, plus ils font naître d' inquiétude, au point que, par endroits, ils finissent par conduire à l' application de remèdes efficaces. Mais on ne veut pas reconnaître ouvertement ces maux comme la conséquence d' un développement qu' on ne se lasse pas de réclamer.

Pourquoi les nouveaux projets de téléphériques ou de skilifts se heurtent-ils très souvent au refus des ligues pour la protection de la nature et du patrimoine ainsi que des organismes spécialement chargés de la.sauvegarde du paysage? C' est que, en premier lieu, les installations de transport touristiques portent une atteinte plus ou moins visible, mais définitive, à la beauté d' un site. Mais ce n' est pas là la raison essentielle. Bien plus important est le fait que l' expansion touristique est contagieuse et que, suivant sa propre loi, elle déclenche un véritable courant concurrentiel dont les conséquences indirectes causent des empiétements bien plus graves que les installations elles-mêmes. Le début en est presque insensible, ce qui pousse à minimiser le danger. Une unique maisonnette de week-end, « qui ne gâte rien », à la lisière d' un bois, peut être à l' origine d' une hausse des prix du terrain qui, augmentant d' elle, rendra impossible, plus tard, une répartition judicieuse des zones à bâtir, et réduira à l' état d' illu la protection légale du paysage. Ce n' est pas là une vue de l' esprit. Dans la plupart des stations de notre pays où les étrangers sont nombreux, la vente comme terrain à bâtir gagne et envahit à toute vitesse des régions dont l' accès n' est pas encore ouvert. Le lotissement progressif du territoire, la pollution de l' air ( chauffage au mazout, gaz d' échappement ), celle de la nappe d' eau souterraine et des sources ( fosses septiques individuelles au lieu de station centrale d' épuration des eaux usées ), le morcellement du sol pour les installations mécaniques peu rationnelles, et enfin la destruction du milieu écologique naturel de la communauté: voilà des conséquences - nul ne les a souhaitées - d' un développement dont les signaux d' alarme n' échappent plus à personne, jusque dans les vallées les plus retirées, et dont on ne peut prétendre que les dangers étaient imprévisibles et qu' on ignorait les causes de leur apparition. L' atteinte à la beauté du paysage qui en est résulté n' est cependant pas l' indispensable prix à payer pour améliorer l' économie publique. Au Le paysage primitif et son utilisation traditionnelle.

Photo Hans Weiss, Coire 2... et ce qu' il peut devenir. N' y a-t-il que cette alternative?

Photo Furter, Davos contraire, dans les villages entiers nés de cette manière, on ne trouve aucune vie véritable, et les charges d' équipement qui croissent à toute vitesse ne sont pas couvertes par le produit des impôts, comme le montre si souvent le budget d' une communauté qui a pourtant participé au « boom » de ces vingt dernières années. A Verbier, par exemple, un parc à voitures de 40000 mètres carrés, dont le plan se fait actuellement, coûte à lui seul 4 millions. Et ce projet ne résout que partiellement le problème. Pour des raisons incompréhensibles, on n' a jusqu' ici exigé des maîtres d' œuvre l' amé d' aucune place de parc. Aujourd'hui, il en manque 1500 devant les magasins, les auberges et les restaurants, sans compter les 1000 à 1200 qui font défaut autour des chalets privés.

En peu d' années, le prix du terrain, ici, a centuple: un bouillon de culture idéal pour les spéculateurs! Ces prix élevés ont trouvé leur répercussion non seulement dans les expropriations au profit de parcs à voitures, mais aussi dans celles qu' ont entraînées les pistes de ski, puisque la commune tient beaucoup à les ouvrir jusqu' au centre de la station. Ajoutons qu' il faudra encore pour cela acheter des constructions isolées et les vouer à la démolition.

Le président de la commune, l' ingénieur Ferrez, déclare: « Bagnes aurait dû dépenser, au cours de ces quinze dernières années, 90 millions pour équiper Verbier. On n' a pu faire que pour 50 millions d' investissement, si bien qu' aujour il manque les infrastructures pour 8000 personnes. » ( Nouvelle Gazette de Zurich du 7 novembre 1970, n° 519, page 13 ).

II.

Outre l' empiétement directement constata-ble, dû à l' installation de téléphériques - et qu' on peut pallier la plupart du temps par un trace approprié et du camouflage - outre les conséquences indirectes qu' on vient de mentionner, se fait jour un autre danger plus général: la forme du tourisme subit, du fait de l' évolu technique, un changement de structure qui souvent échappe à la plupart des organismes officiels, ainsi qu' aux représentants de leurs intérêts, parce que, ordinairement, il ne s' agit pas de ces gens qui cherchent à s' établir dans un lieu à l' écart de la mécanisation précisément en raison de ses propriétés spécifiques: absence totale de bruit ( à l' exception des avions !), absence de moyens de communication pour une durée librement choisie, environnement peu ou pas influence par l' homme, et autres qualités favorables au repos et la détente.

Si on l' ouvre à la pénétration humaine, un coin de pays perd complètement les qualités susmentionnées. Il en prend d' autres qui sont plus comparables à celles du milieu ambiant organisé ou urbain, quand bien même cela n' apparaît pas à l' observateur qui ne voit que du dehors. Et ses fonctions changent aussi. Un secteur qui n' est pas ouvert au trafic ou qui n' est desservi que par des chemins pour piétons, des sentiers de cabane, des voies de dévestiture forestière ou d' économie alpestre, peut accueillir un plus grand nombre de touristes que ceux qu' il reçoit communément, tout au moins de ceux qui apprécient la tranquillité, le caractère intact d' un paysage et, dans le sens le plus large, sa beauté. La capacité de tels se-teurs alpestres exploités extensivement et encore fermés à la technique mécanisée, n' a jusqu' ici, à ma connaissance, pas encore été étudiée, ce qui contribue encore à déprécier leur valeur économique et explique du même coup leur rendement moyen. C' est aussi la raison pour laquelle, aujourd'hui encore, manque une péréquation qui, en rapport avec leur surface, favorise l' aménagement et l' entretien de zones étendues vouées au repos de l' homme et la protection de la nature. Ces territoires sont aujourd'hui mis gratuitement à la disposition du tourisme de cure, la plupart du temps par des communes économiquement faibles, des communautés montagnardes ou des particuliers isolés. En dehors des pentes, rien ne reste invendu. Aussi le reproche adressé à l' équipement touristique de grignoter peu à peu et toujours plus loin le En maintenant un* partie du monde alpin dans son intégrité, on fait plus W idéal dont la pureté sera appréciée par les générations futures: on répond au qui recherche le repos et la détente Montée à Allein ( au-dessus d' Arosa ) en direction du Valbellahorn Photo Hornberger, Arosa Si à la suite du boom dans la construction et d' une planification trop tardive, la sécurité est compromise sur les pistes de ski et dans les places de part, une protection efficace du paysage est tout à fait illusoire.

Photo Hans Weiss, Coire.

territoire, et par suite d' altérer la beauté des sites, s"adresse-t-il moins à leurs souverains propriétaires qu' à cette situation, devenue intenable, où l'on déplore l' absence d' une péréquation des bénéfices financiers et des charges au sens mentionné plus haut, et qui fait que des gens concernés n' ont plus d' autre alternative que la vente de leur sol ou une conversion de son exploitation.

A l' argument qui veut que la tendance du tourisme rende précisément nécessaire cet équipement à une échelle toujours plus vaste s' oppose aussitôt le fait que chaque téléphérique nou- ue la proliférante « perforation » des Alpes, nui in de l' homme veau, chaque route touristique nouvelle altèrent un morceau de l' environnement, à tel point que, par contrecoup, la nature même des besoins s' en trouve changée.

Quand un secteur se développe, le besoin de repos, l' aspiration à une vie pas trop organisée ne se manifestent plus, non point qu' il s' agisse là d' une forme de tourisme « périmée », mais on ne trouve plus nulle part alors de possibilité de les sauvegarder pour les générations suivantes: ils sont sans rémission condamnés à disparaître.

Voilà pourquoi il devient toujours plus nécessaire et urgent de définir dans les Alpes des notions de zones régionales - et de leur donner force de loi. Etablies selon un plan cohérent, il en est qui, fermées à la mécanisation, resteront, nettement distinctes de celles qu' on utilise déjà au sens indiqué plus haut, et qu' on pourra développer encore par la suite.

Dans cette planification, il est capital d' in aussi, parmi les zones de repos, des régions plus accessibles, proches des villes, et non seulement celles qui exigent des capacités d' alpiniste et un entraînement sportif particulier III.

On va nous répliquer que la recrudescence de la concurrence internationale et l' engouement du gros public rendent nécessaires des moyens de transport sans cesse nouveaux et plus développés pour faire face à la demande croissante, et que par conséquent vouloir tenir de vastes paysages alpestres à l' écart de cette évolution n' est plus qu' un vœu pie. Raisonner ainsi, c' est oublier que, prima, il y a dépendance étroite entre l' offre et la demande, c'est-à-dire entre le caractère des stations pour étrangers et leur clientèle, et que, secundo, pour une part toujours importante des hôtes, comme nous l' avons montre, est primordial le besoin de détente dans les lieux non colonisés par la technique et qui seuls peuvent garantir des conditions de vie pleine et entière - tout particulièrement en raison de la pression démographique et de ce qui en est la conséquence directe: le changement de nature des besoins réels qui lui sont liés. La question est simplement celle-ci: l' espace qui répond à ces besoins est-il réservé ou non? L' équilibre qui existe actuellement entre l' offre et la demande n' est maintenu que dans la mesure et pour le temps où une partie au moins des hôtes à l' intérieur d' une région donnée peut encore choisir entre des éléments urbains et des éléments naturels, entre la vie agitée et le repos, entre la sensation et la détente régénératrice. Et qu' en est-il de l' argument tranquillisant selon lequel la construction de téléphériques atteindra très prochainement, et d' elle par suite du renchérissement des capitaux, son point de saturation et que, de toute façon il ne restera bientôt plus de secteur suffisant pour accueillir ces aménagements? Ce pronostic est aussi une dangereuse illusion. En dépit du nombre élevé des entreprises de transport déficitaires, il manque évidemment une force qui jouerait comme un régulateur automatique. Ainsi qu' Ariste Rollier le montre dans un remarquable article, paru dans le Nouvelle Gazette de Zurich du 30 juin 1967 ( n° 3214 ), ce développement, à dater de 1951, prend les allures d' une progression rapide et qui va s' amplifiant avec le temps. De 1951 à 1967, ont fait l' objet d' une concession 44 téléphériques non compris les skilifts, lesquels montent jusqu' à plus de 2500 mètres d' altitude, ce qui signifie que pendant cette période, soit pendant ces seize années, ont obtenu le permis d' installa 54 fois plus de téléphériques qu' entre 189a et 1950. En outre, toute une série de demandes de concession sont pendantes pour des téléphériques atteignant des sommets de plus de 3000 mètres, et un plus grand nombre de projets encore - parmi lesquels certains s' attaquent même aux quatre mille - sont en préparation et ont été déjà en partie rendus publics officiellement.

Depuis, cet engagement n' a nullement décru. Dans les Grisons seuls, entre le début de 1967 et l' automne 1970, il y a en tout 70 téléphériques et skilifts qui ont fait l' objet d' une concession ou qui ont été, si l'on veut, octroyés. Le croquis sommaire montre la situation en 1970. On y relève qu' il n' est pas question de développer le tourisme sur des surfaces importantes à cause de certains dangers ou parce qu' elles sont pratiquement inaccessibles ( gorges ou ravins boisés, pentes à avalanches, châbles, parois rocheuses, glaciers, éboulis ). De l' espace accessible réservé au repos et qui n' est pas ouvert à la technique il ne reste vraiment pas beaucoup, comme on peut le voir d' un coup d' œil rapide. S' il s' y ajoutait ces régions pour le développement desquelles on fait de la publicité, nous obtiendrons en gros une surface double et - alors que la réalisation n' en est encore que partielle - nous ne serions plus très éloignés d' une situation où toutes les chaînes principales des Alpes suisses et la totalité des massifs les plus caractéristiques seraient « mécanisés ». A brève échéance, historiquement parlant, la grandiose majesté des hautes Alpes et des Préalpes ferait place à un « carrousel » où le panorama des sommets ne servirait plus que de décor ou de toile de fond à des foules aux réactions émoussées, gavées d' impressions, et où les grimpeurs, bon gré, mal gré, ne joueraient plus que le rôle de forains folkloriques.

On n' aurait plus besoin d' aller voir la copie en carton pâte d' un paysage suisse réduit à l' état de jouet — comme dans un film de Walt Disney - car alors nous l' aurions nous-mêmes avili et banalisé, tout en lui gardant son échelle i: i.

Un tourisme auquel on doit laisser la possibilité de se spécialiser évolue aujourd'hui trop vite dans le cours rapide du temps pour ne pas gaspiller sa propre substance, s' il ne va pas de pair avec une protection du paysage à laquelle il est lié. Des paysages « développés » mais non gâtés par la technique, et d' autre part aussi des régions retirées et apparemment vierges sont une des données suisses du tourisme étranger chez nous. Depuis longtemps il ne suffit plus de les représenter seulement sur les prospectus publicitaires. On doit, pour leur conservation, faire des sacrifices proportionnés à leur surface. Le vacancier n' est pas qu' une partie d' un groupe ou d' une masse, il est aussi un individu, un être. Quand on lui offre le choix entre la vie agitée et la jouissance de la tranquilité ou encore l' entraî physique dans une nature inviolée, la région touristique perd les valeurs qui lui donnent son caractère et qui font la richesse de son offre publicitaire. Nous sommes arrivés d' hui sur un seuil où ces valeurs sont à tous points de vue menacées. Notre tourisme étranger a, dans notre budget, un caractère d' ur gente nécessité. En vue d' une conception d' ensemble visant au développement du tourisme étranger en Suisse, il faut compter aussi la conservation plus ou moins complète - mais assurée par des mesures légales - de larges zones montagneuses à l' abri de la technique sur le plan régional et sur le plan national. C' est là une condition sine qua non.

Et non seulement la Protection de la nature ou la sauvegarde du patrimoine national, mais toutes les institutions intéressées au tourisme étranger, doivent s' en tenir à cet impératif, tout en se comportant, tout en agissant comme le veut la responsabilité qui leur incombe, et qui est conforme à l' intérêt public à l' égard de notre propre avenir.

( Traduit de l' allemand par G. Widmer )

Feedback