Traversée à ski du CAS 1951; Ortler-Cevedale | Club Alpino Svizzero CAS
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Traversée à ski du CAS 1951; Ortler-Cevedale

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( 2e groupe \ du 3 au 12 mai 1951par Franço,s Rupper

Avec 4 illustrations ( 166—169Lausanne ) II en est des événements comme des gens. Le souvenir qu' ils laissent est d' autant plus profond, plus émouvant, qu' ils ont été meilleurs, qu' ils ont mieux su parler à l' âme. Les dix jours que nous venons de vivre dans la région de l' Ortler sont parmi les pages marquantes d' une vie d' alpiniste.

Année après année, le Comité central du CAS organise des « semaines clubistiques d' hiver » dans les plus belles régions des Alpes. Qu' il en soit ici sincèrement remercié autant pour le choix des endroits que pour le soin qu' il met à les organiser. Une pensée spéciale de reconnaissance va à mon ami et confrère Golay, de Pontresina, l' excellent animateur des traversées des Grisons, de l' ötztal et de l' Ortler. Les quelques lignes qui suivent n' ont d' autre intention que d' essayer de mieux conserver le souvenir des splendides journées vécues par les clubistes qui ont fait la « Traversée à ski de l' Ortler » et... de donner aux autres l' envie de s' engager à leur tour dans des aventures aussi magnifiques.

Jeudi 3 mai Ascension. Jour au nom prédestiné et de bon augure. A 7 h., dix clubistes de Lausanne s' installent dans le train léger pour Zurich, ou plus exactement neuf, car le dixième — arrivé trente secondes trop tardi — regarde défiler ses coéquipiers dans le train qui vient de s' ébranler. Il lâche ses skis et sa grande valise pour lever les bras au ciel et ses épais sourcils abritent un regard de profonde désolation.

— Voilà où mène l' alcool! s' écrie le « metteur en boite » prénommé René.

— Ah, le pôvre, il va s' arracher la barbe et on ne le reconnaîtra plus, surenchérit le petit Paul.

Gros éclats de rire, cachant mal le douloureux ennui qui étreint le cœur des clubistes par suite de ce départ manqué I Vous devinez, par ces quelques caractéristiques qui ont brossé le portrait du « resté », qu' il s' agit du vieil ami et poète de l' alpe, Boscocuro, abstinent impénitent. Mais sous sa chevelure broussailleuse, l' indécision n' existe pas. Malgré la rapidité du « léger », il arrivera à Zurich avant ses collègues. Devinez comment? Après une brève explication au bureau de renseignements de la gare, notre ami « Bosco » hèle énergiquement un taxi, monte en bolide à la Blécherette, et... s' envole vers Kloten, en regardant d' un air souverainement vainqueur le train qui se tortille sur son ruban d' acier.

Zurich. Le groupe des Lausannois récupère ce cher Bosco et s' agrandit de neuf clubistes suisses-alémaniques et de deux charmants clubistes français.

1 Ce groupe, comprenant 24 clubistes du CAS et 2 membres du CAF, était commandé par Robert Schaefer. Les courses furent conduites par les guides Severino Compagnoni de S. Antonio ( Val Furva ) et Karl Freimann de Samedan.

Die Alpen - 1951 - Les Alpes32 Ziegelbrücke. L' effectif s' augmente encore de deux unités.

Entre Coire et St-Moritz, nous dégustons un double plaisir: celui d' un bon repas dans un confortable wagon-restaurant des chemins de fer rhétiques et celui d' une vue sans cesse changeante sur le décor prestigieux des vallées grisonnes.

St-Moritz. 3 h. de l' après. Nous jetons un coup d' œil rapide sur cette station renommée de l' Engadine et nous nous glissons encore plus rapidement dans le car postal jaune qui va nous emmener par la Maloja toute blanche encore vers la gentille Italie du Nord. Le guide Freimann, de Samedan, nous rejoint. Il sera tout au long de la course l' auxiliaire discret et prévenant du chef de course et du guide italien.

Nous atteignons Chiavenna, qui doit son nom à sa situation-«clé » ( chiave ) dans la chaîne des Alpes. Nous côtoyons le joli petit lac de Mezzola et tournons brusquement le dos à celui de Come pour remonter le long ruban de route qui s' étire tout au long de la Valteline. Disons un mot de cette belle et riante vallée, très semblable à une autre qui nous est chère, le Valais. Elle fut dans le passé beaucoup rapprochée de nous, et peut-être qu' avec une politique plus tolérante, elle serait restée notre sœur. Son exportation se dirige en grande partie vers la Suisse. Sur ses coteaux en étages s' élève la vigne, que dominent comme de charmantes vigies les nombreux campaniles des villages. Nous observons quelques cultures et beaucoup de verdure; plus haut des châtaigniers, et enfin vers le ciel d' un bleu profond les sommets neigeux des monts de la Valteline qui jouent à cache-cache derrière les nuages. L' architec des maisons et des églises est typiquement italienne. La principale industrie de cette vallée est la production de l' électricité, grâce aux innombrables chutes d' eau. Ce qui ne va pas sans laisser dans le paysage les traces rectilignes et peu esthétiques de longues canalisations et d' interminables lignes électriques. Au nom de l' art et de la beauté du paysage l' ami Christian pousse d' énergiques et... inutiles protestations.

A Sondrio, le CAI nous offre un excellent et cordial verre de l' amitié. Vive le CAI et l' unité alpine. Notre effectif se complète par l' arrivée de trois clubistes lausannois qui ont passé par Milan et qui ne feront que la moitié de la traversée.

Le long ruban routier nous fait passer ensuite par Tirano, où débouche la vallée suisse de Poschiavo, puis au pied de la station climatérique de Sondalo dont les énormes sanatoria jettent une note cubique de gros buildings américains sur cette vallée au délicat charme latin.

Enfin, c' est Bormio, terminus de cette première étape. L' hôtel de la Poste nous accueille très gentiment et très confortablement. Nous prenons contact avec le guide Compagnoni Severino, sympathique et renommé champion à ski d' Italie, frère de deux autres champions également.

Vendredi, 4 mai.

La route de Sta-Caterina, dans le Val Furva, est coupée par des coulées de boue et des amas de neige. L' autobus postal ne peut encore circuler. Aussi deux jeeps nous transportent cahin-caha jusqu' à Sta-Caterina, à 1700 m. De là, c' est la longue montée à pied, skis sur l' épaule, dans le Val Forno. Cer- tains regardent avec envie les bennes des téléphériques qui montent le matériel au barrage. Ils y verraient volontiers leurs skis et leurs sacs, d' autant plus que la température du milieu de cette journée devient un peu étouffante. Enfin, après deux heures de marche, nous atteignons le barrage de Forno et, après le lunch tiré des sacs, il ne reste plus que deux petites heures encore pour arriver, à ski, au refuge Branca à 2500 m. C' est plus un hôtel qu' une cabane. Il y a eau courante au rez-de-chaussée et à l' étage, couchettes avec sommier élastique, une salle commune extrêmement agréable aux parois et au plafond de bois ouvragé et verni. Le gardien est très serviable et ses deux servantes fort accortes. Sur une des parois est fixée une belle peinture de la Madone où se lisent ces vers qui caractérisent bien rame croyante des habitants de ces hautes vallées alpestres:

La Madonna delle Alpi Salve, severa e bella, Salve, suave e pia, Salve, divina stella Della montagna mia.

Veglia all' Alpe infinito Quando funesto egli è, Dali' alpigian romito Guida l' errante pie.

Te tutto l' orbe canta, Te tutto l' orbe inchina, Salve Madonna santa, Salve, salve regina. Samedi, 5 mai.

4 heures 1 Un peu de remue-ménage. Le temps est couvert. La diane est étouffée par quelques grognements, prélude à un nouveau sommeil jusqu' à 5 h. 15, moment où la voix du Schaefer ( lisez chef ) crie: « Deb out ». Une heure plus tard, nous nous lançons à la queue leu leu sur le Glacier de Forno que nous remontons lentement dans d' excellentes conditions et sous un ciel de plus en plus serein. La trace s' allonge, parfois droite, parfois en méandres plus ou moins serrés selon le degré d' inclinaison. Une dernière pente raide vers 3400 m. et nous arrivons sur le plan incliné dont l' extrémité forme le sommet du Pizzo S. Mateo. Les premiers arrivants s' amusent à faire un sprint amical entre Suisses-allemands et Suisses-romands, sous l' œil narquois du sympathique guide Compagnoni. La vue est vraiment splendide et arrache des exclamations de joie aux 26 clubistes réunis sur ce sommet de 3680 m ., au milieu d' une infinité de pizzi, de palon, de cime, de ghiacciai et de valli. L' horizon est ouaté de nuages qui courent sur les vallées lointaines. Les principaux massifs qui s' en dégagent sont:

au sud: l' Adamello, la Presanella, la Brenta et les Alpes bergamasques, à l' est: la Cima Venezia, la Palla Bianca ( frontière avec l'Autriche ), à l'ouest: la Bernina, la Disgrazia, etc., au nord: le Similaun, le Brenner, la Vetta d'Italia.

Notre illustre et cher vétéran, Bosco, poète depuis près de soixante-dix ans, et emporté par ces lieux grandioses, déclame un enthousiaste salut à la gloire de la montagne, deux strophes d' un poème célèbre, qu' il s' est remémoré en montant derrière ses camarades. Voici ces quelques vers:

Salut, brillants sommets, champs de neige et de glace, Vous qui d' aucun mortel n' avez garde la trace, Vous que le regard même aborde avec effroi, Et qui n' avez souffert que mes amis et moi.

Oeuvres du premier jour, augustes pyramides Que Dieu même implanta sur vos bases solides, Confins de l' univers, qui depuis ce grand jour N' avez jamais changé de forme ni d' atour.

De vifs applaudissements répondent à ce salut alpin, les photographes mitraillent à leur tour les cimes environnantes. Un petit coup au « guillon » ou plutôt au goulot de la gourde, puis c' est la descente sur une neige merveilleuse, poudreuse en haut, printanière en bas, mais portant bien partout.

A midi, nous sommes de retour à la cabane. Il a fallu quatre heures pour monter et trois quarts d' heure pour descendre. La joie de cette première ascension et sa belle réussite met dans les conversations une chaleur communicative et une fougue rarement atteintes. L' excellent dîner préparé par notre dévoué gardien et le petit « rouge » de la Valteline n' y sont pas étrangers non plus.

L' après se passe comme dans toutes les cabanes! Les uns jouent aux cartes et « récupèrent » les frais du petit « rouge », n' est pas Robi? sous l' œil qui veut être impassible des autres! Certains jouent aux échecs, ou discutent, ou écrivent, ou dorment.

Dimanche, 6 mai.

Diane à 4 heures. Déjeuner. Départ à 5 heures. Temps clair et frais. Neige dure, portant bien. Nous remontons la moraine du Glacier de Forno, en direction du Palon della Mare, puis un couloir glacé assez raide. La pente étant très inclinée et la neige dure, nous portons les skis sur l' épaule pendant deux heures environ. Nous atteignons à 3100 m. le plateau de l'«Osservatore », dénommé ainsi à cause d' une petite cahute de planches, actuellement en ruines, qui a servi d' observatoire pendant le conflit italo-autrichien de 1914 à 1918.

Notre aimable collègue du CAF, le Dr Fourrey, immortalise sur sa pellicule ( il a un appareil à filmer ) la file des skieurs s' avançant lentement au milieu du site grandiose formé par ce belvédère des neiges qui domine l' immense cirque du Glacier de Forno et sa ceinture de sommets glacés. Il le fera d' ail à bien d' autres occasions, et « si le film est présentable » — dit-il dans sa charmante modestie — nous aurons la joie de nous revoir sur l' écran!

Après ce plateau, c' est une nouvelle pente assez raide, puis une autre un peu plus douce à main droite, et enfin le sommet rond et allongé du Palon della Mare. Il est 9 heures et demie. Nous faisons une petite halte, avec « buffet froid » et photos à 3700 m. Puis c' est la belle descente sur le Col della Mare. Nous remontons ensuite le Passo Rosole sous un soleil de plomb, puis l' arête sud du Cevedale. Nous atteignons le sommet ( 3780 m .) à 13 heures.

Est-ce la conséquence de cette double victoire sur l' alpe? Celle-ci se voile soudain derrière un froid nuage, et un vent très frais se metà chanter mécham- ment à nos oreilles. Brrr...! Il faut activer et descendre le merveilleux glacier qui mène à la cabane Casati. Cette descente est renommée et se fait même en plein été à ski. Dans le brouillard, le départ du sommet est assez scabreux, et juste en dessous il y a quelques « boîtes aux lettres » à peine visibles, mais très profondes. Heureusement les skieurs ne sont pas des « politicards » et les couloirs des pas perdus et les oubliettes n' existent pas pour eux. Nous suivons bien docilement les traces du maître de file, le guide, et dans une éclaircie subite nous arrivons devant la cabane Casati.

Il est 14 heures. Comme d' habitude, c' est la belle vie de cabane après l' effort fourni, c' est la joie et le « chic » esprit de camaraderie.

A 15 heures, nos chers amis, qui nous avaient rejoint à Sondrio, Chabloz, Guignard et Jaquet, nous quittent pour reprendre le chemin de leurs occupations professionnelles. Ils passeront par le refuge Pizzini et retrouveront le premier groupe des « pèlerins » de l' Ortler à Bormio. Instant émouvant, à 3250 m ., serrements de mains répétés, bons vœux et... au revoir!

Lundi 7 mai 1951.

Diane à 4 heures. Le temps est bouché. Il neige. Nous nous levons cependant avec l' espoir que le temps en fera autant. Décidément il est paresseux et « mal tourné ». Enfin malgré la neige et le brouillard le départ, prévu pour 5 heures, se fait à 8 heures. Nous descendons directement au refuge Nino Corsi, et si jamais le ciel devenait clément, nous pourrions remonter de là à la Cima Venezia où à l' une de ses sœurs.

La descente est splendide tout de même. Nous restons dans les traces les uns des autres. Pour ceux qui sont « derrière », il semble que c' est un immense serpent qui déroule ses anneaux sur le glacier nébuleux. Pour ceux qui sont en tête, la vision d' un petit nain de la montagne rejoignant tranquillement le gros du peloton est très pittoresque. Cher ami Bosco, combien tu incarnes la montagne sans âge et pleine de poésie avec tes grands bâtons, ta position bien droite et jamais pressée, et ton capuchon pointu qui essaie de faire pendant à ta belle barbe! Et pourtant tu n' est jamais en retard. « Chi va piano, va sano e lontano! » A 9 h. 30 nous arrivons au refuge Nino Corsi, un vrai hôtel de montagne à 2250 m. avec tout le confort moderne. Une délicieuse chapelle fait face à notre nouveau refuge.

Le dîner est excellent et abondant. Mais il semble que quelque chose se gâte. Certains d' entre nous se sentent inquiets et mal à l' aise. Pas d' appétitLes plus courageux essaient quand même de manger. Qu' est donc? Ces désagréables « chatouillis » au fond du cou et au creux de l' estomac ressemblent fort au mal de merLa fuite de l' un, puis de l' autre jette le trouble dans la salle à manger. Cela devient grave quand il ne reste plus que quelques « braves » autour de la table! A qui la faute?

— A l' eau de neige? Ah, cher Bosco, impénitent buveur d' eau! ( bien que le soleil t' ait développé un bel appendice nasal qui ferait envie à plus d' un pochard ), il faut bien te défendre!

— Mais non, c' est ce fameux « coup de blanc », absorbé avant le dîner. Vous m' en parlerez encore de ce genre d' apéro, un vrai assassin pour un estomac vide et fatigué I Peu à peu nous nous rendons compte que le coupable n' est ni l' eau de neige, ni le petit « coup de blanc », mais bien de la viande avariée que nous avons consommée la veille. C' est une vraie intoxication avec toutes ses suites désagréables. Le refuge-hôtel se transforme en véritable hôpital! Heureusement les lits sont bons, les lavabos et les toilettes tout prochesLa tisane et les médicaments circulent. Deux aimables servantes se transforment en infirmières dévouées.

Cependant cinq rescapés, vrais « mordus » du ski et de la grimpée, montent à l' assaut de la Cima Marmotta ( 3300 m .) sise à côté de la Cima Venezia. Ils mènent derrière le guide Compagnoni une allure de monte-pente et s' ar à cinquante mètres en dessous du sommet après deux heures et quart d' efforts. C' est presque un record. La descente est très belle et rend bien malgré la qualité un peu lourde de la neige dans le bas. Le ciel bouché se découvre enfin, laissant apercevoir un paysage grandiose et le Col du Madriccio, but du lendemain! Au retour: revisjte des malades. Ça va bien mal.

Au souper huit seulement sur vingt-cinq clubistes font honneur à l' ex repas. Quelques-uns essaient avec précaution d' ingurgiter un peu de potage ou de thé. Sur la table les bouteilles d' eau minérale font un impressionnant et insolite monôme. De mémoire d' hommes, on n' a jamais vu tant de bouteilles d' eau et une telle absence du liquide cher à Bacchus sur une table de membres du CAS! Mais la controverse du dîner entre les partisans de l' eau et ceux du vin laisse encore des doutes dans les esprits. Ce n' est pas au Lyrique ni au Chat noir qu' on se laisserait pareillement impressionner!!I Mardi 8 mai 1951 L' état de santé général s' était légèrement amélioré en fin de soirée. L' optimisme et la décision du chef ont fait le reste, aidés bien entendu par la vigoureuse nature des clubistes. Le départ est fixé pour 7 h. 30.

Au petit déjeuner les places vides sont repourvues. Arrivant à table un peu en retard, Mandrin demande à Meystre d' un ton plein de suave attention:

— Alors, mon cher, tu étais fâché hier soir? Nous ne t' avons pas vu! » Lui-même non plus d' ailleurs!

La montée est lente, très lente.

Hegnauer peine beaucoup, mais il se cramponne encore plus. De douloureux spasmes intestinaux le torturent. Mais il a du cran et il continue. Quelques soins lui aident à reprendre ses forces. D' autres clubistes serrent les dents aussi, et peut-être les fesses! Enfin tout le monde arrive à Casati autour de midi. Nous avons laissé le Col du Madriccio à cause de l' état sanitaire encore médiocre et parce que le temps boude aussi un peu. Il se découvre cependant et la fin de la montée est faite presque dans une étuve.

La réception au refuge de Casati est à nouveau fort aimable et attentionnée.

Mercredi 9 mai 1951 Ce sera la plus belle journée de la course, une sorte d' apothéose, soit à cause du parcours, soit surtout par l' ascension du plus haut sommet de cette traversée. Mais n' anticipons pas.

La diane est à 4 heures. Nous déjeunons, et nous partons à 5 h. 15 en portant les skis jusqu' au Col du Cedec pour atteindre le glacier du même nom, sur lequel nous nous offrons un quart d' heure de belle descente sur nos « lattes ».

Nous remontons le Glacier du Gran Zebrù, jusqu' au pied de la fière pyramide de ce nom. Il est 7 heures. Sur notre droite se dessinent le petit col et le roc de la Bottiglia. Nous déposons les sacs, remontons encore deux cents mètres à ski, puis nous nous engageons à pied et encordés dans le couloir neigeux et sur les flancs glacés qui mènent au sommet Il est 10 h. 30 quand nous l' atteignons.

La vue extraordinairement vaste qui s' étale sous nos yeux charmés contribue beaucoup à la joie et à l' enthousiasme de cette conquête. En plus des chaînes que nous avions admirées des précédents sommets, nous apercevons cette fois les Dolomites avec le triangle typique de la Marmolata, l' Ortler ( qui nous domine de 40 m .) juste en face, et la ceinture des monts de l' Oetztal qui rappellent plus d' un souvenir à certains d' entre nous.

Le froid modère et abrège nos enthousiasmes et nous redescendons vers nos sacs. Là, le climat est nettement différent. Nous « tombons » les vestes et même les chemises pour prendre un lunch bien mérité.

A 12 heures nous reprenons nos skis et le glacier qui mène au Col delle Pale Rosse. Quelle étuveNous descendons sur le Glacier della Miniera et grimpons ensuite vers le sommet du même nom. C' est une longue cime, neigeuse d' abord, puis rocailleuse. La descente par l' arête de la Miniera offre les agréables sensations ( pas pour tous !) d' une varappe pas très difficile.

Nous rechaussons les skis et par le Glacier du Monte Zebrù nous descendons avec plaisir sur la cabane del V Alpinidu 5e régiment alpin ). Il est 15 heures quand nous y arrivons.

Tout le monde est heureux. Le temps est beau. Dans la cabane nous ne nous entendons plus, tant la joie est grande après cette belle journée, si diverse aussi. Pour la première fois nous avons employé des crampons, des piolets et les cordes. Ajoutez à cela le petit exercice de varappe de la Miniera!

Hélas, ce sera la dernière « grande » journée, car pendant la nuit le temps se gâte. La neige et le vent s' unissent pour nous cloîtrer dans le refuge.

Jeudi 10 mai 1951 La diane prévue à 4 heures est remise à plus tard. A 5 heures nous nous levons avec lenteur pour absorber le bon petit déjeuner prépare par l' excellent et très serviable maître-queux du refuge, cuisinier et hôtelier à Bormio.

Le temps est toujours grincheux. Les heures s' écoulent, lentes et inactives. Les spaghettis à la milanaise marquent le milieu de la journée. Et la neige continue à tomber. Le baromètre est figé sur « tempesta ». Même les « durs » qui ont élaboré moult projets pour essayer de passer quand même avec l' espoir que le del deviendrait propice en sont pour leurs espoirs déçus. La nuit tombe. La cabane est hospitalière.

Vendredi 11 mai 1951 Décidément le temps est malade! Que de neige! Nous nous levons pareusseusement à 6 heures. Cette fois c' est bien fini avec le projet de filer par le Col dei Volontari, puis celui dei Camosci ( chamois ) pour atteindre le flanc nord du Cristallo et descendre le splendide Glacier du Vitelli. Adieu Monte Zebrù, adieu Monte Cristallo, adieu refuge Livrio qui domine le col célèbre du Stelvio, naguère encore le plus haut d' Europe qui soit carrossable!

Nous chaussons nos skis pour descendre la Valle Bin Mare, puis la Valle dello Zebrù, que nous terminons d' ailleurs skis sur l' épaule à partir de l' alti 1900.

Nous arrivons à S. Antonio di Valfurva où notre cher guide Compagnoni nous offre, dans la belle maison de sa famille, une réception extrêmement touchante. Nous admirons autant cette bonne famille de guides qui a fourni trois champions à l' Italie, que l' intérieur de la maison ( la chambre où nous sommes reçus surtout ) avec les belles boiseries ouvragées et vernies et les innombrables trophées, challenges et diplômes des frères Compagnoni.

Nous quittons S. Antonio en car pour retrouver bientôt, à Bormio, notre agréable hôtel de la Poste. Le mauvais temps de ces deux derniers jours n' a pas réussi à entamer notre moral et notre gaîté. L' atmosphère de la soirée est inoubliable. Les chants succèdent aux chants. Un tout petit discours de notre chef ému remercie chacun et plus spécialement les guides si dévoués et si compétents. Compagnoni Severino pensera longtemps encore aux « Svizzeri » de l' équipe 1951, et ceux-ci à lui. Les liens du cœur sont des attaches fidèles surtout lorsqu' ils sont tissés entre 2000 m. et 4000 m. dans un amical « compagnonage » de 8 jours. Le beau sac, les bâtons et les peaux de phoque de notre maître sellier Fischli resteront à S. Antonio comme les témoins de notre reconnaissance et de notre amitié.

Samedi 12 mai 1951 C' est le retour en car postal. Le ruban routier de la Valteline se déroule, en sens inverse cette fois. Le même sympathique paysage repasse sous nos yeux. Entre Tirano et Sondrio, nous sommes reçus d' une manière particulièrement agréable et courtoise chez l' aimable propriétaire du vignoble de la « Gatta », M. G. Mascioni. Nous apprécions autant la beauté de son vignoble et de sa splendide demeure — un ancien couvent de dominicains, depuis longtemps désaffecté —, que la qualité incomparable de son « Veltliner ».

A Damaso, au bord du Lac de Come, nous dînons. Le temps se remet au beau. C' est l' adieu ensoleillé de l' Italie. Plus loin, à Dongo, nous nous arrêtons deux minutes devant la plaque commemorative de l' arrestation d' un ex-potentat de l' Italie. Ah, si la folie de la grandeur et de la domination n' avait pas enfiévré la tête de cet homme qui a eu ses belles heures de bien-

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Mont Dolent vom Grand Darrey aus gesehen 171 - Aufnahme P. Walker ( Bern ) Die Alpen - 1951 - Les Alpes faisance et de génie, notre chère voisine serait certainement plus heureuse et plus riche maintenant.

Le car postal nous emmène par un petit col vers le Lac de Lugano que nous côtoyons jusqu' à la ville de ce nom. Deux chers clubistes nous quittent: Bosco le poète et notre charmant cinéaste le Dr Fourrey.

L' express du Gothard nous emporte. A Airolo nous essayons de nous rendre compte des terribles avalanches de cet hiver par les ravages lugubres dont nous voyons encore les traces. Puis c' est la Suisse primitive, Arth-Goldau, Zurich. Nous essaimons nos bons amis de Suisse allemande et le deuxième clubiste français, ce cher Jean, qui nous attend à Paris!

C' est enfin Lausanne. La course est fine.Vive la course.

Et maintenant faisons le point Le temps a été en général beau, parfois couvert, tempétueux deux jours, sur les hauteurs surtout.

La neige s' est montrée presque toujours excellente, poudreuse à partir de 3000 m ., tendre ou printanière au-dessous, au fur et à mesure de la descente. Nous n' en avons pas eu de « pourrie » ou de trop profonde.

Le parcours a été à peu près « tenu ». Il était judicieusement choisi. Le Monte Sobretta du deuxième jour a été supprimé à cause de la fatigue du long voyage de la veille et du manque d' adaptation à l' altitude. Les tempêtes de neige ont en outre écourté la fin de la traversée.

La santé, la préparation alpine et l' endurance des participants ont été bonnes, mise à part l' alerte de 24 heures de Nino Corsi, due à un accident alimentaire. Tout le monde a bien « suivi », même les poètes et les amis de Paris! Nous avons formé une équipe bien unie, autant par la forme que par l' esprit. Il est agréable de relever la parfaite entente qui n' a cessé de régner entre tous, la bonne camaraderie qui a uni Suisses alémaniques, Suisses romands et Français. Il faut reconnaître que l' excellente organisation centrale nous a enlevé tout souci de ravitaillement et de logement et nous a laissés tout à notre joie de l' Alpe.

Il faut dire enfin la satisfaction intense et profonde que nous laissent les jours vécus là-haut, bien loin au bout de cette chère Valteline, les joies inoubliables qui nous ont étreints sur les beaux sommets conquis, au milieu d' un paysage féerique, et pendant les merveilleuses descentes sur les glaciers enneigés, les peines aussi, car il a fallu vaincre sa fatigue et les difficultés de la montagne.

L' homme, face à l' Alpe, devient grand parce qu' il doit se vaincre lui-même et parce qu' il se mesure à la grandeur de la création. Il s' élance alors de toute son âme dans cet infini du beau et il sent que là-haut se manifeste de la manière la plus éclatante la grandeur du Créateur.

Vive la « traversée de l' Ortler », et... à la prochaine!

Die Alpen - 1951 - Les Alpes33

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