Trekking au Népal : Pour ou contre | Club Alpino Svizzero CAS
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Trekking au Népal : Pour ou contre

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Ruth Steinmann-Hess, Zurich

II est de mode aujourd'hui de ne plus passer ses vacances au pays ou sur la Riviera, mais, tant que faire se peut, de visiter des régions exotiques, les plus éloignées de préférence. Celles surtout où le voisin de palier ou le collègue de bureau n' ont jamais mis les pieds. Les agences de voyages n' ont pas tardé à noter cette tendance et à remplir ce vide du marché. Aujourd'hui il n' est plus un coin de notre bonne vieille terre qu' on ne puisse visiter avec un groupe de touristes. Les programmes toujours plus étendus des compagnies d' aviation et la baisse massive de leurs tarifs l' an passé donnent liberté de se déplacer sur la planète, non pas aux mieux lotis seulement, mais aux gens de classe économique moyenne, qui peuvent s' offrir des voyages lointains à prix raisonnable. On peut estimer positif ce développement.

Parmi les buts préférés en Asie figure le Népal, dont l' intérêt est grand tant pour sa culture et ses mœurs que pour sa géologie et sa botanique. Il s' é des zones les plus basses du Terai jusqu' aux plus hautes montagnes du monde. Il existe peu de régions offrant, sur une étendue de 141 000 ki- 65 lomètres carrés seulement, un tel éventail d' espè animales, du crocodile et du tigre dans les basses terres de la jungle jusqu' au yak de montagne à toison épaisse que l'on trouve au pied de la chaîne himalayenne.

On peut s' offrir aujourd'hui de manière directe les impressions de lointain dépaysement que procuraient seuls autrefois les récits de voyages et d' a. Ainsi notre horizon s' élargit, notre intérêt s' éveille pour d' autres hommes, différents par leur religion et leur culture. Toutefois des voix s' élèvent aujourd'hui contre le trekking - ainsi nomme-t-on les randonnées que l'on fait toujours plus nombreuses au Népal. Elles voudraient même l' interdire, stigmatisant surtout: - l' intrusion de notre statut social dans un pays demeuré en ce domaine fort loin au-dessous de nousle déboisement auquel contribuent les groupes de randonneursl' abandon sur place de déchets et d' immondi de porteurs et de sherpas pour notre commoditéla manière de se comporter en badauds et en photographes dépourvus de tout respect pour les indigènes et leur habitat.

Reportons-nous cent ans en arrière pour considérer ce que fut en Suisse l' arrivée d' Anglais fortunés désireux d' explorer les Alpes et d' en gravir les sommets. Venus dans nos villages de montagne ils convainquaient les paysans, connaisseurs expérimentés de leurs alpages, de se mettre à leur service pour le transport de bagages, tentes, cordes, victuailles jusqu' au lieu choisi d' où commencerait l' escalade des sommets convoités, avec l' aide d' une paire de ces montagnards les plus doués. Quelques-uns de ces derniers se montrèrent des personnalités à plus d' un point de vue et devinrent des guides renommés, capables de réussir des « premières » avec leurs « messieurs ». Leurs noms figurent encore avec honneur dans la littérature alpine, les Aimer, Burgener, Klucker, Zurbriggen et autres. On fait naturellement le rapprochement avec les sherpas Tensing Norgay, Pasang Dawa Lama, Urkien, Ang Phu qui furent les premiers avec leurs « sahibs » sur les huit mille de leur pays.

La roue du temps ne s' est pas arrêtée avec l' ex de nos montagnes. Les pays alpins ont fait de nécessité vertu. Avec l' essor du tourisme hôtels, restaurants et pensions ont poussé comme champignons, et plus d' un fils de paysan a trouve un gain bienvenu au service des riches touristes. Les moyens de transport, trains et « lifts », ont donne essor à une branche de l' industrie sans laquelle la Suisse ne serait sans doute pas aussi prospère.

Temba, Nuru, Nima et Dawa, voilà les noms des sherpas qui parcourent aujourd'hui les vallées du Népal et en gravissent les sommets avec des groupes de randonneurs. Les sherpas, venus jadis du Tibet à travers les hauts cols de l' Himalaya, se sont fixes dans les vallées élevées du Solo-Khumbu où ils ont mené leur humble vie paysanne. L' aire naturelle de leur existence se situe entre 3000 et 4500 mètres, c'est-à-dire à l' altitude de nos sommets alpins. C' est pourquoi ils jouissent d' une acclimatation bien supérieure à celle des touristes, ce qui a beaucoup contribué à leur réputation de guides. Grâce au tourisme, nombre de sherpas sont parvenus avec leur famille à une remarquable aisance, et leur tribu devrait devenir la plus favorisée du Népal. On trouve dans leur sillage, avec des gains beaucoup plus modestes, les porteurs recrutés parmi les habitants des basses et moyennes altitudes. Ils appartiennent à des groupes de population indo-européens et occupent des régions s' élevant jusqu' à 2500 mètres. Ils forment le « train » des expéditions de randonneurs ou de grimpeurs et portent des charges de 20 à 30 kilos. Equipés pour leur habitat ordinaire en région chaude, ils sont le plus souvent peu vêtus et la plupart sans chaussures. Ces gens ne trouvaient guère de travail que pour la construction des routes, et très bas salaire. Le portage pour le trekking leur procure un revenu saisonnier. Coltiner de lourds fardeaux n' est rien d' extraordinaire pour eux, dont l' existence se passe à transporter les objets et denrées utiles à leur vie quotidienne. Les première routes du Népal ne se sont ouvertes qu' au milieu de notre siècle. Les premières autos ne sont parvenues dans la capitale, Katmandou, que démontées et à dos d' homme.

Mais là où brille le soleil on trouve aussi des ombres. Voyons, à côté des avantages pécuniaires apportés par le tourisme à certaines populations, l' aspect négatif des choses. Il est certain qu' on a vu apparaître chez les indigènes des désirs et des besoins qui ne seraient jamais nés sans l' intrusion du trekking. Les montres, les enregistreurs à cassettes figurent aujourd'hui parmi les biens les plus convoités. Pareillement les jeans, les vêtements de duvet et les chaussures doublées. Pour les montagnards, les touristes sont fabuleusement riches en regard de leur propre statut économique. En effet, ils paient des sommes folles pour des objets usuels d' âge antique. Ils achètent des thankas ( ces tableaux religieux en général peints sur soie ) et des bijoux à des prix largement surfaits, étant toujours prêts à débourser gros pour des riens. Comment les indigènes connaîtraient-ils les prix que nous payons en Europe ou dans les pays d' outre, où le loyer mensuel d' un logement est plusieurs fois supérieur au revenu annuel d' un Népalais? Ces gens ne se rendent pas compte que la plupart de leurs visiteurs travaillent dur pour s' offrir trois ou quatre semaines de vacances et ne vivent nullement sur le même train le reste de l' année.

Autre mauvaise habitude à relever: celle, largement répandue, de distribuer chocolat et douceurs à jeunes et vieux. Nous n' allons pourtant pas dans les Alpes en voulant faire le bonheur des en- 125 Ascension du Tilicho. A l' arrière: paysage montagneux du Tibet 126 Le Tilicho vu du nord. A gauche de la dent rocheuse bien profilée: l' arête nord. A droite de celle-ci: l' arête nord-est fants avec des friandises douteuses, ennemies de leur denture pas plus soignée qu' il ne faut!

Les groupes de randonneurs, disent les adversaires du trekking devenu à la mode, utilisent dans les vallées des quantités désastreuses de bois de chauffage et laissent derrière eux des monceaux de détritus. C' est une chose contre laquelle je dois m' élever vigoureusement. Lors de plusieurs expéditions, ou de randonnées entreprises par moi-même dans les montagnes du Népal, je me suis irritée de voir la consommation de bois des sherpas et des porteurs. Impossible, malgré de nombreuses remontrances, d' empêcher ces gens de manier leurs « khukri », ces grands couteaux-sabres à lame courbe et affûtée, pour prélever du bois sur des arbres sains et bien vivants. Et cela alors qu' il y avait profusion de bois mort alentour. Même dans les « closed aéras » interdites aux randonneurs, comme la Buri Kandakhi où notre expédition au Manaslu faisait sa marche d' approche de 13 jours, nous avons constaté ce pillage catastrophique dont la conséquence est une transformation totale de la végétation et, sur les pentes abruptes, l' effon d' un sol que ne maintiennent plus les racines.

En cette matière, les organisateurs de trekking pourraient peut-être faire œuvre éducative auprès des populations indigènes. Ce travail, bien sûr, ne serait efficace qu' à longue échéance. Quant au problème des déchets, il est pris avec sérieux par des organisations de randonnées conscientes de leur responsabilité, qui enseignent à leurs gens à garder propre la nature. Fréquemment les sherpas et le sirdar de mes groupes de randonneurs ramassent les boîtes vides et autres détritus pour les enterrer. J' estime de même indispensable la tente-WC transportée avec soi ( la nôtre est la « tente bleue » à cause de sa couleur ). Lorsqu' on enlève ce léger abri, on bouche la feuillée à coups de pelle, et les déjections sont enfouies.

Il y a des gens pour se choquer d' autre chose, à savoir de l' habitude qu' ont les sherpas de vous saluer au matin sous la tente en vous offrant une tasse de thé avec un demi-sourire et un « Bonjour, 127-132 Déroulement d' une avalanche descendant du Tilicho ( vue latérale ) Photos Giovanni Kappenberger, Locamo-Monti 134-136 Déroulement d' une avalanche descendant du Tilicho ( vue deface ). Photos prises du camp de base Photos Martin Braun, Zurich sahib! ». Selon les ennemis du trekking, ce serait une chose humiliante pour ces hommes. Or ces même personnes acceptent comme allant de soi dans les hôtels ou restaurants d' Europe d' être servies, d' avoir leur lit fait, leur linge lessivé. Où est la différence? Là comme ici, il s' agit de services rétribués comme il se doit.

Plusieurs voyages au Népal m' ont fait aimer les populations de ce pays et particulièrement les sherpas. Leur manière de vivre ouverte et gaie me les a rendus attachants, de même que leur sentiment religieux dominé par cette pensée: vivre et laisser vivre. J' ai trouvé chez eux des amis que je ne voudrais pas perdre. Chaque fois, c' est pour moi une joyeuse attente que la perspective de les revoir, d' être invitée dans leur maison à boire le « tchang » - leur bière de riz-ou le thé, de prendre part aux événements de leur famille ou à leurs fêtes religieuses. J' approche avec respect leurs coutumes et les rites dont je suis spectatrice. Sans cesse, hélas! il faut constater la pesanteur vulgaire avec laquelle les touristes s' introduisent dans la sphère privée de ces gens, en maniant leur caméra, leurs téléobjectifs, leurs flashes et autres inventions. On les trouve au premier rang parmi les danseurs masqués, tout contre le headlama en prière dans un monastère, un de ces sombres « gompas » où les moines sont assis pour le chant et l' oraison au son des trompes, des tambours et des conques. Pas le moindre égard envers ces croyants et leurs rites, ni pour la vieille femme qu' on attrape en photo bien qu' elle se détourne épouvan-tée et se cache le visage. Un peu plus de retenue et de respect serait la moindre des choses!

Au cours de ces dernières années les organisations de trekking ont poussé comme des champignons au Népal. Des indigènes du Népal ou du Bhoutan ont flairé la bonne affaire pour fournir aux touristes tentes et cuisines, porteurs et sherpas. Le succès très inégal des randonnées montre qu' il y a loin du dire au faire. Certaines organisations se distinguent par une sérieuse préparation et un bon matériel, des tentes et des sacs de couchage de première qualité. Le cuisinier chargé de 137 Un porteur et sa lourde charge sur un des nombreux ponts vertigineux du Népal 138 Ama Dablam ( 6856 m ), la montagne sacrée du Solo Khumbu 139 Sur le chemin du Manaslu veiller au bien-être alimentaire du groupe a été forme dans de bons hôtels de Katmandou. Il connaît l' appétence de ses protégés pour les fruits, les légumes frais et la viande, et leur offre chaque jour quelque mets original, un luxe point du tout exagéré après des jours de gros efforts.

Il en est d' autres, hélas! aux tentes vétustés si mal entretenues qu' à la première nuit de pluie l' eau y pénètre. Œufs, viande et légumes sont salués comme une rareté. Or, pour une expédition sur des huit mille, qui a demandé des semaines d' efforts extrêmes, ce manque peut avoir des effets bien désagréables. Lorsque figurent seuls à table le « dahl » ( de minuscules lentilles jaunes ) et le riz, avec de temps en temps des pommes de terre et des haricots blancs comme délicatesses, on est pourvu d' une nourriture sans doute riche en hydrates de carbone, mais pauvre en vitamines. Elle nourrit, mais sans plaisir. Se plaindre n' a que peu d' effets, l' organisateur de ces expéditions « riz-lentilles » n' est plus là pour recevoir les doléances. Reste à se consoler par ce slogan: « Nourriture simple, mais garantie sans goût. » De fâcheuses expériences vous enseignent au moins ceci: que l' organisateur le meilleur est juste assez bon, même s' il pratique les prix les plus élevés. Quant à moi, j' ai appris à connaître et à aimer le Népal et je souhaite que d' autres aient l' occa de le découvrir et d' éprouver le même attachement pour ce pays. Il faudra pour cela se laisser un peu choyer et dorloter, profitant de vacances libres du stress et des soucis quotidiens. En montrant un peu d' égards pour les gens du pays qui vous reçoit, on vivra au Népal un séjour bienfaisant comme randonneur ou comme alpiniste. Aujourd'hui encore on peut encourager ceux qui en feront le projet.Traduit par Ed Pidoux 140 En expédition avec la tente du trekking 141 Vue sur l' Annapurna 142 Visage d' un Bhotija ( Tibétain ) Photos Ruth Steinmann-Hess, Zurich

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