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Un pionnier: Joh. Jos. Imseng, curé de Saas

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Par L. Spiro.

Les précurseurs de l' alpinisme furent incontestablement des Suisses, pour la plupart d' entre eux du moins; rien de plus naturel, au surplus: n' éprouve pas facilement le désir de connaître jusqu' aux moindres recoins du domaine familial. Ce qui s' explique, par contre, plus malaisément, c' est que le beau mouvement de la grimperie helvétique, brillamment inauguré au début du 19e siècle par les ascensions de la Jungfrau et du Finsteraarhorn, ait subi un temps d' arrêt prolongé, ce qui permit aux coureurs de montagne anglais de prendre une avance formidable, favorisés qu' ils étaient par deux atouts précieux: le temps et l' argent. Peut-être conviendrait-il encore d' ajouter que l' avance anglaise fut due en partie à une différence essentielle dans la conception de l' alpinisme; les Stephen, les Tyndall, les Whymper, tous ces hommes de valeur qui allaient s' illustrer dans l' attaque et la conquête des plus hautes cimes des Alpes, possédaient au plus haut degré le sens de l' aventure alors que les Suisses se contentaient de mettre en relief leurs qualités d' ordre en consacrant le meilleur de leurs efforts à une exploration méthodique du massif alpin national. En aucun temps d' ailleurs cette divergence de conception ne fut la cause de dissentiments sérieux; pour la plupart, les Suisses assistèrent sans jalousie à cette intrusion d' étrangers dans un domaine qui allait devenir par la suite le joyau le plus précieux de notre patrimoine national; ils ouvrirent toutes grandes leurs portes et se réjouirent des succès remportés par d' autres. De tout leur pouvoir, souvent, ils facilitèrent la tâche aux nouveaux venus; ils fournirent les guides, ces artisans de la victoire, et tout autant les conseils et suggestions, singulièrement précieux en un temps où tout était à découvrir; c' est ainsi que Clemenz, le devancier des Seiler à Zermatt et président du Grand Conseil valaisan, mit tout en œuvre pour que fût gravie la cime du Dôme, la plus haute pointe entièrement suisse, et qu' elle le fût par un Anglais. Le nationalisme helvétique d' alors ne cheminait point en des ornières étroites.

L' une de ces chevilles ouvrières de l' alpinisme naissant fut le curé Joh. Jos. Imseng dont presque toute l' activité fut liée à l' exploration des hautes montagnes de Saas, sa patrie. Né en 1806, il manifesta sans doute dès sa jeunesse ces qualités de cœur qui firent de lui le digne pasteur d' un troupeau parfois indocile mais tout autant fit preuve d' aptitudes remarquables pour la chasse aux chamois; tout naturellement cette passion, l' entraînant sur les hautes crêtes à la poursuite du gibier, allait lui insuffler une connaissance approfondie des sommets secondaires de la vallée et, du même coup, une autre passion non moins vive, celle de la grimperie. En 1832, Imseng est nommé curé de Randa et y passe quatre années sans histoire, du moins les archives paroissiales n' ont rien garde à son sujet; il faut à Imseng l' air de sa vallée; à peine y est-il retourné que la passion de l' escalade se réveille en lui, aussi ne tarde-t-il pas à occuper une place de premier plan parmi les explorateurs des montagnes valaisannes. Durant 30 ans il sera l' âme de toutes les expéditions alpines du massif de Saas; il va former les guides, inspirer à ses hôtes de passage le désir de gravir les hautes crêtes et transformer sa cure en un quartier-général on s' élaboreront les plans d' attaque et les victoires futures; aussi les voyageurs, tout empoussiérés encore par le voyage en berline le long de l' interminable vallée du Rhône, se hâtent-ils, au seuil de la vallée de Saas, de gagner la cure hospitalière on tout aussitôt ils seront mis à l' aise.

C' était le temps, en effet, où, dans les hauts villages alpestres, la cure constituait pour les passants le seul logis possible, quasi officiel. Le curé avait droit d' auberge, ce qui n' enlevait rien de la rusticité de sa demeure et n' ajoutait pas grand' chose à son casuel car, d' une part, les touristes étaient rares, et, de l' autre, l' écot ecclésiastique était des plus modestes, excitant l' étonnement des voyageurs habitués à de tout autres tarifs. A St-Nicolas, le curé demanda un jour, à son hôte de passage, la somme effarante de 1 franc pour trois repas; touché de cette modicité, le voyageur crut devoir doubler la somme, ce que le prêtre accepta avec peine, mais il prit sa revanche en contraignant son hôte à emporter tout un quartier de fromage. Il y avait du bon dans le vieux temps.

Parfois la charge de l' hôte était lourde; un soir de 1830, lord Minto réquisitionna sans autre la cure de Saas pour lui et ses neuf guides; il est vrai que ces derniers ne coûtaient guère à loger; grange ou écurie, ils n' en demandaient pas davantage. Quant au voyageur, il logeait dans la chambre des hôtes, vaste pièce dont le principal ornement était en général un lit aussi énorme que vétusté, doté lui-même d' un sous-lit qu' on tirait si l' affluence des touristes était grande. Généralement le service était assuré par quelque vieille servante, mais à l' occasion le maître de céans mettait lui-même la main à la pâte, y gagnant parfois la réputation d' un maître queux émérite. Hospitalité fruste mais cordiale dont le passant emportait le meilleur souvenir; la tradition s' est maintenue longtemps et nous en avons naguère tire parti dans un de ces pittoresques villages valaisans adossé à une pente si abrupte que la chambre des hôtes, à l' étage du chalet presbytéral, se trouvait au niveau du coq de l' église pourtant juste au-dessous de la cure; à notre demande d' ceufs pour le souper, la vieille servante leva les bras au ciel: des œufs! mais où donc les poules trouveraient-elles ici un endroit assez plat pour y pondre!

La pratique de l' hospitalité, si douce qu' elle lui parut, finit à la longue par devenir une charge excessive pour le curé de Saas dont la renommée s' étendait au loin et qui pratiquait à la lettre le vieil adage: les amis de nos amis sont nos amis. Il fallait aviser; après mûre délibération, Imseng décida de construire le premier hôtel de la vallée, auberge rustique en fait, avec un confort des plus primitifs, mais le premier pas était fait; singulière fortune d' un idéaliste contraint de se vouer à des entreprises matérielles qui, naturellement, échouèrent; le brave curé attaché passionément à ses montagnes entre-vit-il seulement la perturbation que son initiative allait apporter à sa vallée natale, c' est peu probable.

De caractère affable et candide, Imseng avait tôt fait de gagner l' amitié de prime abord; sa prévenance est inlassable; qui s' intéresse à la montagne n' a qu' à frapper à sa porte. Même s' il faut partir tôt le matin, la veillée sans doute se prolongera car en compagnie du bon curé la conversation ne chôme guère. Il excelle dans l' art de partager les intérêts de ses hôtes, distingués pour la plupart, voyageurs ou hommes de science. Il y avait en lui l' étoffe de ces savants de l' époque héroïque qui, délaissant les laboratoires, s' en allaient étudier sur place les lois et mystères de la nature; retenu sur place par ses responsabilités pastorales, il aide de son mieux les voyageurs dont il envie le bonheur. Il est le collaborateur assidu des topographes Desor et Siegfried comme de ces créateurs des sciences alpines que furent Desor et Melchior Ulrich; il court la montagne avec eux, et lorsque ses fonctions l' empêchent, il sait procurer à ses amis les aides indispensables. Aussi sont-ils de plus en plus nombreux, ceux qui, en Suisse ou au dehors, se réclament de son amitié; les simples touristes en route pour le lac de Mattmark ou le col de Monte Moro tiennent pour un devoir élémentaire d' aller en pèlerinage à la cure pour s' entretenir un instant avec le fameux prêtre montagnard. A tous, Imseng fait grand accueil; ses visiteurs ne sont-ils pas venus admirer ses montagnes, pour un peu il les remercierait de toute la peine qu' il va prendre pour eux; sa cordialité est proverbiale et démonstrative; au moment de se séparer d' une nombreuse caravane qu' il avait accompagnée au Monte Moro et dont faisait partie Studer, le Nestor des Alpes, le brave curé embrasse vigoureusement chacun des membres de la compagnie, puis, solitaire, s' en va le long des éboulis. Combien d' hommes, parmi ceux qui se firent un nom dans l' alpinisme du siècle dernier, reçurent d' Imseng le feu sacré en même temps que de fortes notions d' alpinisme pratique.

Dès 1847, Imseng voue tous ses loisirs à l' exploration méthodique des multiples passages reliant le val de Saas aux vallées voisines. En compagnie de Zurichois il franchit l' Allalinpass; par trois fois il avait foulé ce passage auparavant mais c' était en partie de chasse, donc cela ne comptait pas; raisonnement repris par les guides jusqu' à nos jours: une ascension n' entre en ligne de compte que si elle est réalisée avec un voyageur. En 1848, il découvre le Riedpass et gravit l' Ulrichshorn qu' il baptise du nom de son savant compagnon. En 1850, il tente l' ascension du Nadelhorn et échoue; avec ténacité il va continuer ses tentatives jusqu' au succès final, huit ans plus tard. Son obstination ne tient pas à un sentiment d' amour personnel ou national, tel qu' on le retrouve chez Whymper ou Carrel; son grand désir est d' établir sur la haute cime un signal de triangulation; sa piété lui fait ajouter une grosse croix de bois auquel l' un de ses compagnons attachera un tablier bleu en guise d' oriflamme. En 1856, il atteint le sommet du Laquinhorn en compagnie de quatre Anglais et quatre guides; il se sent le chef responsable de l' expédition, il veille sur ses compagnons épuisés tout en frayant la route; pour tenir haut le moral de sa troupe il abonde en plaisanteries cordiales et appropriées: sur une crête fort mince où ses gens avancent avec appréhension, Imseng propose en riant de s' arrêter et de dire une messe. Conducteur d' âmes et conducteur d' hommes.

Les années passent, paisibles dans la haute vallée retirée; chacune est marquée par quelque exploration nouvelle. Si d' autres, suivant ses directions, gagnent sans lui un sommet encore vierge ou découvrent un passage inédit, il n' en est point jaloux mais applaudit de tout cœur, nul ne saurait être plus désintéressé que lui. A plusieurs reprises il attribua à des pointes de sa vallée les noms qu' elles portent aujourd'hui officiellement mais il se refusa toujours à l' honneur du parrainage. Lorsque Studer et Ulrich franchirent pour la première fois le col glaciaire ouvert entre le Strahlhorn et le Rimpfischhorn, Imseng, l' organisateur de la victoire, n' avait pu se libérer ce jour-là mais, par prudence, il avait poussé, la veille, une reconnaissance personnelle jusqu' au col et obtenu ainsi des renseignements précieux. Dans une pensée de gratitude, les héros du jour décidèrent de donner au col le nom d' Imsengpass, mais ils avaient compté sans la modestie du curé qui, opiniâtrement, combattit leur idée et proposa le nom d' Adlerpass; force fut bien de passer par où il voulait. Quant au nom d' Imseng, il est demeuré attaché au petit hameau familial blotti sur la rive gauche de la Viège, hors des chemins battus.

Lors de la fondation du Club Alpin Suisse Imseng fut des premiers à apporter son concours, mais il n' eut pas le temps d' apporter à la jeune association toute l' aide qu' il aurait eu à cœur de donner. Le 5 juillet 1869, alors qu' il revenait seul du Monte Moro et suivait l' étroit sentier dominant le lac de Mattmark, il succomba, pense-t-on, à une attaque d' apoplexie et roula dans l' eau glacée. Cette fin tragique consterna les gens de la vallée; il leur eût paru naturel que leur prêtre trouvât la mort sur l' une des crêtes ensoleillées où si volontiers il courait aux jours de sa vigueur; aussi la légende s' empara de l' accident jusqu' à en faire un drame dont les arrière-neveux d' Imseng parlent d' un air de mystère. Aujourd'hui encore, les gens du pays appellent le lieu de la chute: Chritz von dem Herrn.

Des générations de grimpeurs ont suivi la route frayée; il nous a paru juste d' évoquer la mémoire de celui qui la fraya et de mettre à l' honneur celui qui fut à la peine.

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