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Une ascension au Montmort en 1833

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d' un manuscrit inédit d' Alexandre Roger, de Nion.

Extrait du volume V ( voyage aux Grisons en 1832 — Course à la Vallée d' Aoste ) ( Propriété de la Section genevoise du C.A.S. ) Le 23 juillet au matin la neige avoit fondu en grande partie, l' air s' étoit adouci, le brouillard ne reparoissoit que par masses isolées, mais le ciel étant nuageux, et le même vent Nord-est fort et glacial des jours précédens régnant encore, je me sentois peu porté aux entreprises d' ascension. Je songeois aussi que plusieurs jours s' étoient écoulés tandis que l' époque de mon retour demeuroit elle seule assez fixe. Réflexions faites je résolus le départ. Je prends congé affectueusement des bons Pères x ) et me voilà en route comme un soldat, avec armes et bagage. En longeant la rive du lac je passe au pied de Chenalette. Là l' exposition est très abritée et le soleil s' y fait agréablement sentir. Je me rappelle à ce moment que le cuisinier m' a dit que c' est surtout ce versant méridional de Chenalette qui produit les plantes curieuses, et regrettant de n' avoir pas rencontré le saxifrage dont le Père Barras m' avoit entretenu, une vive fantaisie d' herborisation me prend. Je dépose aussitôt mon attirail, me munis de la seule capse de fer-blanc et gravis lestement la côte. Je n' y sais découvrir qu' un beau gazon dépourvu de plantes rares. Sans doute je ne m' élevai pas assez. Mais ce soleil radieux et cet abri qui me faisoient illusion ranimèrent mon regret de quitter ces parages sans avoir contenté mon envie d' atteindre la cime du Montmort. Je me décide sur le champ à faire cette entreprise et cela tout seul me confiant dans mon expérience et d' ailleurs la montagne est fort aisée.

Je revole à mon sac. Je vais passer sur l' écluse et juge en prenant cette montagne par la base la plus éloignée au Sudouest de me garantir du vent. Il pouvoit être neuf heures. Je comptois atteindre la cime d' une heure au plus, faire mon observation, puis revenir au Convent surprendre mes bons amis les Pères à peu près à l' époque du diner. L' arrête se trouva fort longue, diversement tourmentée. Les bancs de neige, les cavités et les blocs entassés dont ce relief en ruines abonde retardèrent beaucoup mon allure et ce n' est qu' après beaucoup de labeur qu' au bout d' une heure et demie j' aborde la prétendue cime. Mais quel est mon désappointement en voyant que je n' avois escaladé qu' un redan crénau, et que d' autres points saillans plus élevés s' offrent à l' orient. Le cheminement par l' arrête formée de blocs accumulés au hasard et coupée par un précipice étoit impraticable. Je ne vis de ressource qu' en descendant dans un couloir dont le fond étoit occupé par une bande de neige très alongée, passablement rapide et comme ratissée par les masses qui y avoient coulé.

Je m' y rends à mon corps défendant. J' aborde le tapis, y fais quelques pas mal assurés en enfonçant jusqu' au genou, tout à coup je tombe et glisse vers le bas comme une flèche. Cependant je parviens à éviter la pirouette, puis par un effort, à me clouer avec mon bâton ferré. Je recommence à traverser, lorsque zest de nouveau arrive une glissade. Je m' arrête encore de la même façon et réussis à atteindre les cailloux produits de rochers en ruines. De là je dus encore franchir une seconde bande de neige plus ferme où je ne glissai pas. Mais dans quel lieu étois-je alors parvenu? Sous des rocs en destruction très escarpés, où aucun passage commode ne s' offroit. J' essayois, du côté le plus accessible quoique mal aisé. Souvent j' abordois un précipice et rebroussois péniblement. Plusieurs fois je fus obligé d' appeler et d' aider à mon chien qui ne parvenoit pas à me suivre bien que naturellement leste et fort rapide à la course. En revanche il ne cessoit de gémir et de m' exprimer en son langage que nous serions beaucoup mieux logés au réfectoire du Couvent.

Pour comble d' infortune n' ayant pris contre mon usage constant aucune provision je mourois de faim ainsi que Lutine. Tous deux nous étions soumis à l' action à la fois stimulante et dévorante d' une atmosphère élevée de 1400 toiseset qui ne soutient le baromètre qu' à vingt pouces 2 ), soit d' un bon quart de moins qu' au bord de la mer. Cependant en fouillant dans mes poches j' y trouvai une petite tranche de pain qui étoit demeurée trois jours exposée sur ma cheminée, et qui à cet instant formoit toute ma richesse. Généreuse-ment je la donnai toute entière au pauvre chien.

Ma fausse route et mes tâtonnements ( car j' ai passé sous silence mon ascension sur plusieurs crénaux ou mamelons successivement pris ainsi que le premier pour le point culminant ) m' avoient fait parcourir un espace si étendu qu' au cas, où j' eusse songé à rebrousser, il m' eut été comme impossible de reprendre mes traces, ainsi c' eut été une nouvelle route à frayer, nécessité qui n' ameilloroit guères ma condition. Tandis qu' au contraire en poursuivant mon but, sans parler du ressort que communique à l' esprit et aux jambes, la réussite, j' avois l' espoir que depuis la cime comme d' un observatoire, je me tracerois facilement un itinéraire plus favorable.

Cependant à force d' étudier les rochers et de saisir les passes les moins ardues, je me vis arrive sous une tête d' un accès à la vérité difficile, mais qui me paroissoit un point d' appui, peut être une sommité. Je reprends cœur au ventre. L' abord n' est pas riant. Ce n' est partout que blocs confusément entassés qui ferment le passage. Je cherche les issues. Je louvoyé, je m' aide des mains. Au bout de dix minutes d' efforts et de doutes, la pente s' adoucit. Je monte à l' aise et enfin, j' apperçois près de moi une petite croix en bois que j' avois reconnue à la lunette depuis le Convent. Cependant le vrai sommet n' est pas encore là. Il est à fort peu de distance il est vrai, mais en arrière et hors de vue du couvent, circonstance qui explique le choix de l' emplace à la croix.

Qu' on juge de ma satisfaction. Si j' avois eu de la peine, éprouvé bien des tribulations du moins je me voyois payé par le succès. Le succès est un grand mot et qui dans les affaires humaines a une immense portée. Mais voyez quelle est la vanité des desseins des hommes! J' avois résolu de diner au Convent, et voilà qu' à midi et demi, je suis exilé sur un roc sauvage, dans l' empire de la désolation et de la mort sans posséder une bouchée de pain à mettre sous la dent, et sans appercevoir comment je sortirai de cette situation.

Le vent étant fort incommode, je me mis à l' abri à dix pieds sous la cime, d' où j' observai avec ma lunette St Rémi, le vallon d' Aoste fort près de la ville au levant, le cours de la Doire. Le Convent du St Bernard situé à l' opposite paroissoit à peu de distance de moi. Les seules plantes que j' ap étoient le Poa alpina, l' élégant Androsace pennina et le Ranunculus glacialis. A une heure j' observai le baromètre qui descendit à vingt pouces indiquant ainsi une élévation pareille à celle du Montémoro. Comme je res-sentois une certaine inquiétude au sujet du retour, que par intervalles un brouillard enveloppoit la cime, et que ma faim ne diminuât pas, je me hâtai de battre en retraite. Cependant avant de me mettre à l' œuvre je fis un examen attentif de la montagne. Je considérai quelque temps l' arrête Nord-est, opposée à celle par où j' avois débuté. Elle me parut d' abord moins rapide.

Puis la réflexion que je m' engagerois dans un terrein tout à fait nouveau qui en m' éloignant du Convent me conduiroit à l' avalanche qui couvre le chemin, que ce côté par son exposition devoit avoir conservé des neiges, tous ces motifs me firent écarter cette route.

Au couchant j' étois cerné par des couloirs à fond de neiges, que je voulois éviter à tout prix. Je cherchai donc d' après un plan que je me traçai des yeux, à descendre au Nord en obliquant un peu au levant. J' allai bien d' abord, mais je ne tardai guères à atteindre un passage difficile, où une culbute me paroissoit probable. J' hésitai longtemps, mesurant de l' œil tous les appuis, pesant toutes les chances, enfin n' osant franchir, il me fallut remonter vers l' arrête. Là après avoir lentement et par beaucoup de tâtonnemens cheminé parmi un cahos d' énormes blocs formant un affreux dédale et dont quelques uns faisoient bascule, je m' élève sur un dernier bloc allongé et d' épouvantable dimension. Je m' apperçois avec terreur qu' il fait saillie sur le précipice qui m' attend de tous côtés pour m' engloutir. Lutine gémissoit toujours et continuoit à me dire dans son langage que nous étions dans un fort mauvais lieu. Deux fois elle retomba d' une dalle creuse et glissante où j' avois passé, et je craignis de la voir s' abymer. Au troisième essai elle parvint à se cramponner et me joindre. Là pour rebrousser je dus pivoter sur une jambe gêné dans mes mouvemens par mon sac, et mon parapluie et baromètre qui le décoroient en sautoir, gêné encore par l' appréhension des heurts indiscrets du chien dans un instant critique.

Je maniois mon bâton comme un balancier de funambule. Je confesse que je sentis mon sang quelque peu tourner. Insensiblement je me dégageai de ce mauvais pas, et me trouvant fort près d' une petite gorge coupée dans le versant Italien. Je m' en approchai et fis quelque chemin pour descendre par là. Ce passage me parut bien roide, aboutissant à des roches unies, et au total je jugeai d' après la configuration générale de la montagne que ce versant devoit être le plus rapide. Je crus donc prudent de remonter et de revenir au passage critique qui m' avoit rebuté. Cette fois il me sembla plus aisé et m' y étant engagé hardiment la difficulté s' en évanouit comme par enchantement. Depuis là je descendis sans trop de peine pendant un long intervalle et je me rapprochai beaucoup du Convent en évitant les couloirs à fond de neige. Mais quand j' eus entrepris de tourner par la droite des masses de rochers unis et glissans appuyés vers la gauche aux neiges hypocrites, j' y rencontrai tellement d' excavations profondes de déchiremens de courans d' eau, que je dus attaquer ces roches elles-mêmes, en me dirigeant le long des filets de gazon adhérens aux fentes, puis rebrousser souvent, ne retrouvant mes pas qu' avec peine. Enfin je fus une grande heure au moins à lutter contre ce labyrinthe de nouveaux obstacles, n' étant qu' à dix minutes du Convent et désespérant d' y arriver avant la nuit. Ce ne fut qu' en reculant notablement puis m' élevant davantage vers la gauche que je parvins non à tourner mais bien à surmonter cette butte malencontreuse. Je n' entrai au Convent qu' à cinq heures, et il étoit tard puisque la soirée est courte dans ces hautes régions.

Desaussure a gravi le Montmort en 1778, soit neuf ans plutôt que le Montblanc. Il avoit pour guide le Prieur Murrith, le même qui l' année suivante atteignit la cime du Velan. Desaussure n' avoit pas sûrement les épaules embarrassées au même point que moi et cependant il se plaint de la difficulté et du danger que lui a offert cette ascension.

Note de la Redaction: Nous avons conservé l' orthographe et la ponctuation du manuscrit original.

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