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Une ascension du Gunong Tahan

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

Par J. P. Mead.

Le Gunong Tahan est la plus haute cime de la presqu'île malaise. Il n' a que 2190 mètres de hauteur et on ne trouve pas de grandes difficultés techniques, mais pourtant l' ascension en est assez laborieuse.

Le massif que les Malais appellent Gunong Tahan se trouve sur la limite entre les deux Etats de Pahang et de Kelantan. Pour atteindre le sommet il faut au moins six jours, dont cinq se passent à traverser la forêt equatoriale. Cela explique que peu de personnes ont fait l' ascension qui, d' ailleurs, est très coûteuse, à cause du grand nombre de porteurs qu' il faut employer.

Au mois de juillet dernier un groupe de quatre membres du service forestier, parmi lesquels se trouvait le narrateur, ont fait cette expédition au cours de leur propre travail; le récit suivant en est le compte rendu.

Partant de Kuala Lumpur, la capitale des Etats Fédérés Malais, il me fallut passer une nuit dans le train, pour arriver au point de réunion à Tembeling au débouché du Tembeling dans le grand fleuve de Pahang. Ce fut là qu' à 8 heures du matin je rencontrai mes compagnons. A 9 heures, les bagages placés à bord de trois grandes pirogues automobiles, nous partîmes remontant le Tembeling.

Le voyage fut sans événement sauf un bref et lointain coup d' œil sur le Gunong Tahan. A 6 heures du soir nous arrivâmes à Kuala Tahan, où la petite rivière, le Tahan, débouche dans le Tembeling. Nous débarquâmes pour la nuit, qui se passa dans la hutte du « Parc National George V ». Ce parc est un vrai sanctuaire de gibier, d' une grandeur de 4343 kilomètres carrés.

Le lendemain nous nous levâmes de très bonne heure, car il nous fallait de là remonter le Tahan, où l'on ne peut plus se servir des pirogues automobiles: les canots seuls peuvent passer les rapides et les hauts-fonds. Enfin, à 9 heures, nous partîmes de nouveau dans des canots malais. Les canots ( qu' on appelle en anglais « dug-outs » parce qu' ils sont creusés dans un tronc d' arbre entier ) contenaient tous les bagages, nous quatre et trente-deux Malais. Dès le commencement nous traversâmes la forêt vierge tropicale dont les branches s' entrelacent au-dessus de l' eau, obscurcissant le jour comme au crépuscule.

Les rapides sont nombreux: le premier jour il nous fallut vider sept fois les canots pour transporter les bagages autour des rochers, pendant qu' on traînait les canots à l' amont à travers les cascades. Les hauts-fonds sont naturellement encore plus nombreux que les rapides: il faut sans cesse descendre dans l' eau jusqu' aux genoux et marcher contre le courant sur les rochers glissants, mode de progression bien fatigant. La distance de Kuala Tahan à Kuala Teku, où commence l' ascension, n' est que de 22 kilomètres, mais il nous fallut descendre des canots 92 fois, et la traversée nous prit trois journées de huit à neuf heures de travail. Chaque soir nous campâmes au bord de l' eau. Nous n' avons vu aucun animal, bien que l' endroit soit, comme je l' ai dit, un sanctuaire de gibier, mais des traces d' éléphants, de tapirs et de cerfs se voyaient partout.

Nous arrivâmes enfin à Kuala Teku l' après du troisième jour après le départ de Kuala Tahan: nous en étions bien contents. Malgré la beauté de la forêt la traversée devient à la fin très monotone: on ne voit le ciel que rarement, on est toujours mouillé et on marche presque sans cesse dans l' eau.

Avant l' arrivée à Tembeling onze Malais furent envoyés en avant pour transporter une moitié des vivres jusqu' au plateau au-dessous du sommet et pour couper les broussailles sur l' arête. Ceux-ci nous rencontrèrent à Kuala Teku, et le lendemain nous commençâmes l' ascension, après avoir caché les canots et laissé deux Malais pour les garder. Précaution très nécessaire en un tel endroit, car l' éléphant est très curieux: s' il trouve quelque chose qu' il ne comprend pas, il est bien probable qu' il le brisera.

De Kuala Teku on suit l' arête entre le Tahan et le Teku jusqu' au plateau à 529 mètres au-dessous du sommet, où l'on campe. L' arête est par-ci par-là assez raide, mais elle est recouverte de broussailles, et il n' y a aucune difficulté, sauf pour les porteurs avec leurs lourds fardeaux. La première nuit de l' ascension les tentes furent dressées sur l' arête à 1099 mètres d' alti. Il y avait juste assez de place pour les deux tentes et l' abri des Malais qu' ils fabriquèrent, en peu de temps, de branches d' arbres et de grandes feuilles de la palme Teysmannia altifrons. Nous n' étions qu' à 4° 37* de latitude nord, mais il faisait quand même bien froid: le vent venait de l' est, ce qui ne plaisait pas du tout aux Malais qui n' y sont pas accoutumés. Cependant au coucher du soleil le vent cessa et cela devint moins désagréable.

Le lendemain l' ascension fut recommencée de bonne heure en suivant toujours l' arête. Après une heure de marche celle-ci devint très étroite, seulement deux ou trois pieds de largeur, très rugueuse avec parois abruptes. Peu à peu la forêt devient moins tropicale et la hauteur des arbres diminue. A 1230 mètres, suivant cette arête étroite, nous aperçûmes les traces d' un éléphant, et nous fîmes des vœux pour ne pas le rencontrer. La façon dont une aussi grande bête peut arriver dans un tel endroit est assez mystérieuse. Nous suivîmes ses traces pendant cinq kilomètres jusqu' à 1793 mètres, où il était descendu par une brèche.

Vers midi nous arrivâmes au pied d' un précipice qu' on appelle « Tangga Duabelas », c'est-à-dire « Les douze Degrés », mais la paroi a, là, plus de 56 mètres de hauteur. On la passe en face à l' aide d' une corde d' acier qu' on y a placée en 1921 pour aider les porteurs. Arrivés au-dessus du rocher à 1923 mètres, le plateau s' étend à 1788 mètres au pied de l' arête. De là on descend jusqu' à l' ancien camp, où demeurèrent, de 1921 à 1923, deux observateurs du bureau météorologique. Leurs cabanes existent encore, mais les toits et les murs ont tout à fait disparu, et il n' y reste que des charpentes de bois. Ces cabanes, de la forme militaire de la grande guerre, furent construites en sections et transportées à la montagne avec beaucoup de peine.

En 1921 le gouvernement des Etats Fédérés avait l' intention de construire un sanatorium sur le plateau ( le Padang ), si les observations météorologiques avaient été favorables. Pour plusieurs raisons dont la stérilité du sol était la plus importante, les observateurs furent retirés en juin 1923 et le projet fut abandonné.

Le terrain du plateau jusqu' au sommet du Gunong Tahan vers le nord et au Gunong Larong vers l' ouest est tout à fait unique en Malaisie, car il n' y a pas de forêt et la vue est partout ouverte. Quant à la terre, elle n' existe point; ce ne sont que des rochers plats, quelques-uns nus, mais la plupart recouverts de végétation naine: des myrtilles, des orchidées, des conifères et des nepenthes dont la plus haute ne dépasse pas ordinairement les genoux. Partout ailleurs dans la Malaisie, la forêt tropicale recouvre les montagnes jusqu' aux sommets.

A notre arrivée, comme il n' y avait pas de bois, il nous fallut dresser les tentes dans les ruines des cabanes dont le sol de ciment était encore intact. A peine avions-nous fixé les tentes que commencèrent une pluie battante et un vent violent qui ne cessèrent qu' à minuit. Il faisait très froid: tous les bagages étaient trempés. Il n' était pas possible de préparer un repas, mais heureusement nous avions du rhum, du citron et du sucre, et à l' aide d' un petit fourneau à pétrole nous nous préparâmes du punch avant de nous coucher dans des draps mouillés.

Pour atteindre le sommet du camp, il faut monter de nouveau sur l' arête qu' on suit jusqu' au signal. Le lendemain, il faisait beau temps, et l' ascen fut courte. En deux heures et demie nous arrivâmes au sommet. La vue était superbe: le Gunong Korbu dans l' Etat de Perak vers l' ouest se voyait distinctement à une distance de 104 kilomètres. Cette montagne n' a que huit mètres de moins que le Tahan: c' est la seconde cime de Malaisie ( 2182 mètres ).

Nous sommes restés quatre jours au Padang, explorant et ramassant des plantes et des cristaux de quartz dont il y a beaucoup de veines dans les rochers.

Dans une des cabanes nous trouvâmes une petite bibliothèque — il y avait des romans, des livres de référence et des journaux dont, merveilleuse chose, un grand nombre étaient encore lisibles: en effet nous en lûmes plusieurs. J' envoyai plus tard au rédacteur qui en fut bien reconnaissant, un numéro du Truth de Londres, daté du 11 avril 1923. Cette bibliothèque fut abandonnée en juin 1923 et dès lors resta exposée au vent et à la pluie tropicale ( 3500 millimètres par an ). Les termites ne peuvent certainement pas vivre à une telle altitude; c' est pour cette raison que les squelettes des cabanes et la bibliothèque ont survécu treize ans.

Le cinquième jour nous repartîmes. De retour dans la vallée, nous trouvâmes les canots intacts. Nous descendîmes le Tahan en un jour et demi: il ne nous fallut camper qu' une nuit au bord de la rivière. Mais cette nuit fut bien désagréable, car le camp fut envahi par une espèce de fourmi appelée en malais « semut api », c'est-à-dire « fourmi de feu ». Le nom est fort bien choisi, car sa morsure a exactement l' effet d' une aiguille chaude. Les fourmis étaient à peine anéanties que nous fûmes attaqués par des « mouches des sables », de minuscules petits animaux dont la morsure est très irritante. Leur nom malais est « agas », et elles sont très bien nommées, car en vérité elles nous agacent. Les Malais disent que chaque agas a juré d' avaler, un jour, un homme.

Le lendemain nous rentrâmes à Kuala Tahan. Ce jour-là nous quittâmes rarement les canots et nous descendîmes les rapides avec accompagnement des cris de guerre des Malais qui y sont extrêmement habiles et expérimentés. Parfois les canots descendaient des pentes raides à travers l' eau bouillonnante parsemée de rochers, mais heureusement il ne nous arriva aucun accident; les bagages n' étaient pas même mouillés. Mais il n' en est pas toujours ainsi. Après une nuit passée à Kuala Tahan nous rentrâmes dans la civilisation, à Kuala Lipis, où nous commençâmes à dîner à 11 heures du soir.

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