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Une ascension nocturne du Stromboli

Hinweis: Questo articolo è disponibile in un'unica lingua. In passato, gli annuari non venivano tradotti.

PAR PIERRE STRINATI, GENÈVE

Avec 3 illustrations ( 54-56 ) L' Europe est un continent pauvre en volcans; il existe cependant dans la région méditerranéenne un certain nombre de cratères qui font preuve d' une activité constante ou périodique. La Solfa-tara de Pozzuoli, près de Naples, est actuellement dans une phase mineure; elle ne se signale plus que par des lacs de boues brillantes et des émissions de gaz. Vulcano, situé dans les îles Eoliennes, demeure également à l' état de solfatare depuis sa grande éruption de 1886. L' archipel grec de San-torin a connu récemment plusieurs éruptions qui ont modifié sa structure; la dernière en date est celle de 1956. Depuis son terrible réveil de l' an 79, qui détruisit Pompéi et Herculanum, le Vésuve a connu plusieurs éruptions; la dernière de celles-ci remonte à 1944; actuellement son activité se limite à quelques fumerolles. L' Etna, en Sicile, est depuis quelques années dans une période d' effervescence; ses éruptions sont fréquentes et généralement de courte durée. Quant au Stromboli, il est un des rares volcans au monde à connaître une activité ininterrompue. En état de constante agitation depuis l' Antiquité, il se manifeste par des successions d' explosions; les projections de bombes et de lapilli qui accompagnent celles-ci ne sont pas séparées par plus de trente minutes. Cette remarquable régularité a fait du Stromboli le volcan classique que vont visiter tous les Européens désireux de contempler des phénomènes éruptifs.

C' est dans ce but que j' embarque à Naples un soir d' octobre 1959. La saison touristique étant terminée, je suis un des rares étrangers à effectuer la traversée; la plupart des passagers sont des habitants des les Eoliennes. Le navire gagne la haute mer et atteint l' île de Stromboli après une dizaines d' heures de navigation.

Faiblement éclairé par un pâle soleil levant et recouvert de sombres nuages, le Stromboli me donne tout d' abord l' impression d' une montagne sinistre. Une secousse m' arrache à ma contemplation: le navire a stoppe ses machines et a jeté l' ancre à quelques centaines de mètres du rivage. La configuration de file et la violence des vents rendent difficile tout débarquement à Stromboli; une chaloupe quitte donc la plage de San Vincenzo et se dirige vers le navire afin de prendre à son bord les passagers débarquant à Stromboli. L' abordage se fait sans trop de difficultés et je monte à bord de la chaloupe. L' embarcation se dirige vers la plage de lave noire et quelques minutes plus tard je pose le pied sur l' île volcanique.

Accompagné par quelques habitants de file, je traverse la petite localité de San Vincenzo et je m' installe dans une auberge située près de la plage de Ficogrande. C' est là que je fais la connaissance de Salvatore, le seul guide de file. Je lui exprime mon désir de gravir dès que possible le Stromboli afin d' observer de près les phénomènes volcaniques et de réaliser quelques photographies. Ses premières paroles sont pour moi une déception: il estime que l' ascension au cratère ne peut se faire tant que le sommet est recouvert par d' épaisses couches de nuages. Il craint un manque total de visibilité dans la zone eruptive et la présence de gaz nocifs dans les nuées. Etant impatient de gravir le volcan, il est convenu que Salvatore viendra m' avertir dès que l' entreprise sera réalisable et cela à quelque heure que ce soit.

L' après n' apporte aucun changement; le soleil éclaire vivement les plages et les petits villages situés en bordure de mer, mais le sommet du volcan est toujours recouvert de sombres nuages. Cependant la violence du vent ne cesse de croître; je peux donc espérer qu' il parviendra à chasser les nébulosités durant la nuit.

Cet espoir se confirme heureusement; à l heure et demie du matin, Salvatore vient en effet m' aviser que l' ascension peut se faire. Mon guide est chaudement habillé et il me conseille de revêtir ma veste de duvet; le vent est très froid au niveau de la mer et il risque d' être glacial au sommet du volcan. Je me munis également de chaussures à semelles de caoutchouc et d' une lampe frontale; je n' aurai qu' à me féliciter de ces détails d' équipement lors de l' ascension.

Nous quittons l' auberge et prenons un sentier tortueux. Il se faufile entre des rangées de maisons cubiques et blanchâtres. Pas de bruit, pas de lumière: tout dort. Nous parcourons ainsi plusieurs centaines de mètres en nous dirigeant vers l' ouest. Puis nous abandonnons la zone habitée et nous commençons à prendre de l' altitude. Le froid est vif et nous incite à presser le pas. Les sentiers bien traces permettent de s' élever par de larges lacets; nous grimpons rapidement et sans fatigue en suivant une direction générale NE-SW.

Le sentier devient soudain plus raide et plus étroit; la végétation disparaît et plus rien ne nous protège de la violence du vent glacial; nous devons ralentir l' allure. Nous nous élevons encore un peu et, soudain, devant nous, un point rouge illumine le flanc de la montagne: une explosion vient de se produire dans l' un des cratères.

La zone eruptive actuelle est formée par un plateau situé à une altitude de 700 mètres environ. Sur cette terrasse s' ouvrent plusieurs cratères qui expulsent des bombes et des lapilli avec une grande régularité. En profitant de circonstances favorables, mais en prenant néanmoins de gros risques, le vulcanologue H. Tazieff est parvenu à atteindre le bord même d' une des cheminées du Stromboli; il a pu y observer directement la lave en fusion.

Les bouches eruptives se trouvent sur le flanc d' un volcan préhistorique qui était plus vaste et plus élevé que le Stromboli actuel. Le cratère de cette montagne fossile subsiste sur une certaine longueur: il constitue le sommet de file. C' est là, à une altitude de 900 mètres, que Salvatore veut me conduire; ce lieu constitue en effet une excellente plate-forme surplombant les bouches eruptives.

La dernière partie de l' ascension est rude, mais nullement difficile. Il est 4 heures lorsque nous parvenons au sommet. J' éteins ma lampe frontale et je contemple en contrebas un impressionnant spectacle. Trois cercles rouges marquent l' emplacement des cratères. Le plus grand de ceux-ci se manifeste très rarement. En revanche les deux petites bouches eruptives sont très actives. Des masses de roches en fusion sont projetées vers le ciel à de courts intervalles; elles retombent en tournoyant et s' abattent à une certaine distance du cratère. Le vent soufflant dans notre direction, nous percevons nettement le violent bruit d' explosion qui accompagne chaque paroxysme.

La technique pour photographier ces phénomènes est théoriquement très simple: il faut viser le cratère, ouvrir l' obturateur, attendre qu' une éruption ait eu lieu et refermer l' obturateur. Pratiquement la prise de vue est entravée par la violence du vent qui fait vibrer le trépied et qui chasse de fines poussières volcaniques sur l' objectif.

Après être resté plus d' une heure au sommet à contempler et photographier le phénomène, je demande à Salvatore de me conduire à la côte. Nous nous mettons en route laissant derrière nous la zone des cratères. Nous quittons le volcan vivant et nous entamons la descente sur le flanc est de la montagne, c'est-à-dire en suivant un itinéraire différent de celui emprunté à la montée. En dépit de la forte pente, c' est à la course que nous réalisons notre descente; le sol est recouvert d' une épaisse couche de poussière volcanique qui nous permet de dévaler comme sur de la neige poudreuse.

Une heure après avoir quitté le sommet, nous nous trouvons déjà au bord de la mer, près de la plage de San Vincenzo. Il fait jour maintenant. Dégagé de tout nuage, le Stromboli m' apparaît pour la première fois dans sa totalité. Son aspect sinistre de la veille a disparu. Aucune fumerolle n' est visible à son sommet et, sans mes souvenirs de la nuit, je pourrais douter qu' il s' agisse réellement d' un volcan actif.

En dépit de sa faible altitude et de la facilité de son ascension, le Stromboli est, par sa nature-même, une montagne présentant un très grand intérêt. L' ascension diurne peut facilement se faire sans guide. Quant à l' ascension nocturne, il est préférable de l' accomplir en compagnie d' un connaisseur, si l'on veut éviter des pertes de temps. Suivant la cadence adoptée, il faut compter deux heures et demie à quatre heures pour atteindre le sommet et une à deux heures pour en revenir.

Pour atteindre les îles Eoliennes, dont Stromboli fait partie, il faut embarquer soit à Naples, soit à Milazzo, en Sicile. Il y a plusieurs services par semaine et des courses supplémentaires sont organisées durant les mois d' été. Par gros temps, il sera préférable de ne pas tenter l' excursion; Stromboli ne possédant pas de port abrité, les navires ne peuvent y aborder dans ces conditions.

Le volcan n' est pas le seul attrait de Stromboli; l' île possède un grand nombre de lieux pittoresques et plusieurs belles plages. Quant au touriste qui ne peut entreprendre l' ascension par suite des mauvaises conditions atmosphériques, il prendra son mal en patience dans une des accueillantes auberges de San Vincenzo ou de Ficogrande.

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