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Une expédition ? A quoi bon !

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PAR RUEDISCHATZ

Nous voici de retour dans nos foyers, les uns à Genève, les autres dans le Toggenbourg, ou aux quatre coins de la Suisse. De notre petite communauté dissoute, il ne reste apparemment qu' un souvenir, tout comme de l' aventure que nous avons vécue en cette merveilleuse année 1959.

Qu' avons rapporté? Quelles acquisitions durables?

Les réponses les plus concrètes viendront de nos hommes de science; mais leur tâche est encore loin d' être terminée. Dans le présent fascicule, ils ne publient qu' un premier aperçu général, à l' état presque brut, de leur travail de recherche et de prospection au Pérou. L' étude approfondie des matériaux recueillis exige du temps. Ce délai écoulé, nous verrons paraître une fort belle carte topographique ainsi que des travaux sur la géologie et la flore d' une région presque ignorée.

Un autre apport concret, c' est le présent cahier, dans lequel nous essayons de faire partager un peu à nos camarades clubistes ce que nous avons vécu. Ce sont encore nos causeries aux sections, les photos que nous faisons voir. Tels sont nos moyens d' exprimer un peu notre reconnaissance au CAS, à ses membres et donateurs. N' est pas à eux que nous devons d' avoir pu partir pour notre grande aventure? Chacun d' eux pourra, les Alpes sous les yeux, participer à notre voyage, sans quitter le confort du chez-soi.

Mais le bénéfice le plus précieux de notre expédition, ce sont, je crois, les impressions que nous portons en nous, le trésor inestimable du souvenir. Tantôt sous un soleil étincelant, tantôt dans un brouillard épais, nous avons foulé 19 sommets, larges ou escarpés, durement conquis ou atteints sans peine, mais dont chacun n' était qu' une étape vers l' objectif total de l' expédition... Impressions profondes vécues sur ces montagnes lumineuses des tropiques, quand le souffle devient haletant, quand le piolet taille à grands coups la pente de glace, quand le grimpeur hésite devant les immenses corniches, ou qu' il trace laborieusement dans la neige poudreuse d' une pente verticale. Quand enfin il retrouve le camp comme un nageur la côte...

Oublierons-nous jamais les soirées sous la tente du mess? Les bruits familiers de la cuisine toute proche? La clarté de la lanterne sur la petite table pliante? Nos yeux perdront-ils le souvenir des visages bronzés aux barbes incultes? Nos cœurs, celui des nouvelles arrivant du pays? Nos corps, 4 Les Alpes - 1960 - Die Alpen49 celui du sac de couchage où ils se glissaient enfin? On entendait le bruit d' un mulet broutant à côté de la tente. Nos arrieros se serraient les uns contre les autres sous leurs ponchos bruns. Sous le ciel criblé d' étoiles, les eaux se taisaient dans le froid de la nuit...

Ainsi reviennent sans cesse dans nos mémoires les visages rieurs de nos porteurs. C' est Emilio avec son vaste chapeau noir. Absalom et son visage de gamin. A d' autres moments nos pensées s' envolent vers la forêt vierge et sa verdure exubérante; vers les rivières tumultueuses, et la longue colonne de mulets qui serpentait sur le chemin des cols dans les cris des conducteurs.

L' immensité des mers et des grands pays jeunes a laissé en nous une nostalgie de liberté, d' es sans limites, d' une marche en avant qui réduit l' existence à une simplicité essentielle. Alors plus rien n' importe que le mouvement, la nourriture, le sommeil, ou la contemplation oisive, dans le sentiment d' une présence fidèle où l'on puise sa confiance la camaraderie.

Car c' est là peut-être le meilleur de ce que nous avons vécu. Pendant trois mois et demi les mêmes joies et les mêmes inquiétudes, les mêmes espoirs et les mêmes soucis ont tissé entre nous des liens indestructibles. Dans la marche en plaine comme dans l' ascension en montagne, au camp pour le repos ou les corvées, chacun a pris sa part du travail de tous. Et c' est ainsi qu' on apprend à se connaître. La vraie valeur de l' individu, le fond de sa personnalité, ne se montrent jamais aussi bien que dans une expédition. Dans la vie quotidienne, les qualités et les faiblesses de chacun sont enveloppées d' une parure, cachées d' un masque ou d' un vernis. Les différences d' origine, d' instruc, de position sociale dressent un mur de préjugés et d' hypocrisie. Mais l' aventure d' un voyage en commun fait tomber ces camouflages. Il ne reste que l' individu lui-même, avec son énergie ou ses craintes, son humour ou ses mesquineries, son dévouement ou son égoïsme. Comme elles semblent ridicules, à ce moment, les catégories toutes faites, les estimations a priori! Et comme il devient évident que la valeur d' un homme n' a strictement rien à voir avec l' instruction qu' il a revue, moins encore avec sa bourse! Même la notion si communément acceptée d' une « élite » se révèle absurde, quand on cesse d' être dupe du rôle que chacun veut jouer!

Je ne veux pas vanter ici mes camarades. Mais si demain je devais repartir avec eux, quel que soit le but je le ferais sans hésiter, dans la totale confiance que je leur voue.

Des cartes topographiques, des échantillons de pierres et de plantes; des photos en couleurs et un choix de conférences; un cahier des Alpes joliment édité; 19 sommets et un trésor de souvenirs... est-ce assez pour justifier une entreprise comme la notre, et faire qu' elle « paye »? A-t-on le droit de laisser profession et famille et de prendre des risques pour une telle moisson?

Non sans doute, si l'on s' en tient à une échelle matérielle des valeurs, graduée en francs suisses. Oui, si l'on compte pour quelque chose la joie. Cette joie qui a été celle de tous les participants, et qu' ils ont déjà su communiquer par leur témoignage. Cette joie qui n' est pas le plaisir tel que le monde d' aujourd le comprend: une satisfaction facile et passive.

Notre joie à nous est née de l' effort et du repos, de la contrainte du devoir et de l' épanouisse de la liberté. Elle avait l' allure enfantine peut-être, et nous apparentait au gamin qui rêve d' aventures, se fait capitaine ou cow-boy. Elle naissait dans la marche vers l' inconnu, dans la fatigue des muscles et des poumons, dans la tension du danger. Nous la trouvions au camp, sur la couche dure, devant le feu où rôtissait un morceau de mouton. Elle n' avait aucun rapport avec une valeur marchande ou une cause raisonnée. Elle n' en était pas moins essentiellement humaine.

Voilà des siècles que l' homme court le monde, affronte le pôle nord puis le sud, les déserts et la forêt vierge à la recherche des secrets de la nature. Joie de l' inconnu. Désir hardi de la nouveauté. Attrait du danger lui-même; et tout au fond, besoin de création. Comment trouver du nouveau, si l'on n' a pas le courage d' avancer dans l' inconnu où se cache peut-être un péril pour le corps ou pour l' esprit? Il faut savoir aventurer à la fois son être physique et son être spirituel. L' explorateur, l' artiste, le constructeur, quiconque vise à créer doit posséder ce courage.

Voilà des comparaisons ambitieuses... Les alpinistes qui, le sac au dos, peinent vers un sommet, se meuvent à un niveau modeste non de la terre, mais de cette voie humaine vers le nouveau. Leur part est humble, dans l' effort créateur de l' humanité. Et pourtant, n' ont pas en eux un peu de cet esprit, de cette audace, qui a découvert tout ce qui est essentiel à notre monde? Trop nombreux sont les hommes qui ne cherchent que le refuge de la sécurité matérielle. Mais la flamme de l' audace brille au cœur des jeunes, et il faut l' y entretenir. Réjouissons-nous de voir encore tant d' alpinistes chercher dans les Alpes ou dans des montagnes plus lointaines une voie qui est, symboliquement, celle de la découverte.

C' est là ma conviction, et j' y trouve, comme je le crois, la dernière justification d' une expédition telle que la nôtre. Aussi n' ai que gratitude pour ceux qui, jugeant de même, prennent à cœur de cultiver et de communiquer cette foi. Merci au Club Alpin Suisse, à ses autorités et à ses membres. Leur générosité a permis que notre existence s' enrichisse d' impressions inoubliables. Mais nous devons une semblable gratitude à ceux qui nous ont accordé les loisirs professionnels nécessaires. A nos épouses également, qui ont pris sur elles le fardeau de l' attente. A chacun de nos coéquipiers, enfin, pour leur dévouement, leur gaieté, et surtout leur amitié.

Sommets gravis 29 mai Nevado Kaico 5265 m 14 juin Nevado Redondo 5250 m Pico Eugenio 5100 m Cabeza Blanca 5940 m 30 mai Nevado Chaullaccassa 5100 m Nevado Artisión 5430 m 31 mai Nevado Pucapuca 5450 m 15 juin Nevado Panta 5840 m 4 juin Nevado Paccha 5210 m 17 juin Nevado Runasayoc 5400 m Nevado Soirococha 5540 m 10 juillet Nevado Huandoy, paroi nord 6395 m 7 juin Pumasillo 6070 m 12 juillet Chopiraju 5456 m Camballa 5720 m 15 juillet Aguja Nevada 5886 m 10 juin Nevado Choquetacarpo 5520 m 16 juillet Aguja Nevada Chica 5500 m 11 juin Nevado Kuima 5570 m LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE L'EXPÉDITION

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