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Vacances chamoniardes

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PAR FRANÇOIS MATTERN

Avec 4 illustrations ( 99 - 102 ) Pour la quatrième fois j' aborde Chamonix, non sans appréhension et pessimisme, nuances d' un peu d' espoir tout de même. A trois reprises déjà j' ai essayé de toucher le légendaire granit des Aiguilles. Une première fois, une tempête de neige nous bloqua cinq jours durant au refuge du Requin. Une seconde tentative nous ayant menés au pied du couloir des Drus, une chute de pierres nous mettait rapidement hors de combat. A la troisième visite, nous errons, désemparés, dans un Chamonix décourageant, terrés la plupart du temps à la Potinière et autres établissements publics. Un temps qui ne laisse pas d' espoir et vous fait jurer de ne plus revenir dans un endroit si peu généreux. Mais de tels serments sont comme ceux des ivrognes, fort heureusement.

Ce soir, en effet, je me trouve en compagnie de mon ami Eugène Bender au Plan de l' Aiguille. Du seuil de la cabane, nous regardons, mélancoliques, la pluie tomber; plus haut, il neige. Le lendemain, le temps est loin de nous satisfaire; nous montons à l' Aiguille du Midi et traversons sur Torino. La pluie alourdit nos sacs énormes. C' est le moment où l' automatisme de la marche fait oublier la peine et libère l' esprit qui se laisse aller à de folles démarches, à des rêves où les désirs deviennent réalité. Car je sens, tout près, le Capucin. Je ne le vois pas, mais je perçois sa présence, quelque part dans ces nuages. Ces dalles ruisselantes, légèrement voilées, sont-elles le piédestal de cette tour qui n' est pas à la mesure de l' homme? Déjà l' esprit s' accroche à cette paroi, imagine un chemin, se perd dans l' immensité du brouillard.

Le vieux refuge Torino ( le nouveau dépasse nos moyens, et rappelle par trop le luxe citadin ) est peu sympathique et très habité. Le manque de place nous oblige à ranger notre matériel sous nos paillasses. Le réchaud « Bleuet » se révélera fort utile.

Aujourd'hui, beau temps. Alors que le soleil éclaire déjà les Aiguilles de Chamonix, de gros nuages nous cachent la Dent du Géant, que nous projetons d' escalader par la face S. Au moment même où nous en touchons le pied, elle apparaît dans une déchirure de son voile, quelques secondes à peine, pour se faire plus désirable encore. Cette vision extraordinaire me laisse toutefois anxieux: la paroi est complètement givrée. Nous attendons que les nuages s' éloignent pour constater que nous n' escaladerons pas l' Aiguille aujourd'hui. Le froid glacial enlève tout espoir de voir fondre la glace. Mais la vue est magnifique et me permet de réussir quelques diapositives.

Eugène, tout comme moi, estime que nous devons rattraper cette journée « perdue ». Aussi dé-cidons-nous d' attaquer immédiatement, c'est-à-dire dès demain, le Grand Capucin... Le Capucin! Combien d' aventures y ai-je déjà vécues? Combien de fois mon imagination en a-t-elle gravi les parois? Et pourtant, le simple fait que, dans quelques heures, il deviendra réalité me semble plus que jamais appartenir au rêve.

... Une neige dure nous porte allègrement. Au moment où nous posons les sacs, au-dessous de la rimaye, pour nous encorder, les premiers rayons du soleil lèchent d' une langue de feu le sommet, 450 m plus haut. Le temps est beau, nous allons grimper, tout doit être simple maintenant.

Ah oui! Déjà la rimaye résiste, où je peine sans crampons. Quelques dizaines de mètres dans le couloir de neige, et voici les gradins faciles, qui permettent de gagner 100 m en peu de temps. Déception: la neige des derniers jours n' a pas fondu; ou ce qui est pire, elle a recouvert d' une carapace de glace la cheminée menant au sommet du Petit Pilier. Il faut pitonner. Nous saluons deux Anglais qui nous rattrapent. Il est 11 heures; nous en avons perdu trois.

C' est drôle! Nous allons aborder les difficultés et pourtant jamais le Capucin ne m' a paru si éloigné. Nous préparons le matériel et descendons quelque peu jusqu' à la dalle d' attaque, de VI, que le guide Vallot conseille d' éviter par un pendule. Ce conseil fut notre perte.

Je repère, sous un petit toit, un clou qu' Eugène a vite fait d' atteindre et d' équiper d' une corde. Je suis le dernier à penduler; mais, au moment de retirer la corde, tous mes efforts s' avèrent inutiles, surtout dans la position qui est la mienne. Eugène remonte jusqu' à moi, et nos forces conjuguées trouvent leur récompense: la corde claque, serpente dans l' air avant de s' immobiliser dans les dalles ( j' ai pris soin de la fixer à ma corde d' attache ). Le second pendule est déjà équipé: les Anglais ont eu la gentillesse de laisser leur corde. Nous voici donc dans la grotte, où commence véritablement l' ascension. Déjà nos amis anglais attaquent.

Nous nous apprêtons à en faire autant, mais il faut d' abord récupérer la deuxième corde, qui pend toujours. Stupéfaction, elle résiste. Il s' agit donc de procéder scientifiquement: doucement, je la secoue; délicatement, je la tire. Je la laisse glisser, retire, répète ces manœuvres, ces gestes précis, avec de plus en plus d' énergie, et tombe, à demi épuisé, dans la grotte. Eugène me relaie; de nouveau nous unissons nos efforts, tout est inutile.

Le Capucin? Quelle illusion! Midi est passé, notre corde est coincée 40 m plus bas, les vivres nous manqueraient pour bivouaquer dans la grotte et n' attaquer que demain. Sans un mot, nous vidons la gourde, signe non équivoque. Ironique, le tintement des pitons plantés par les Anglais parvient jusqu' à nous. Le premier moment de vaine rage passé, nous échangeons quelques paroles amères qui nous mènent bientôt à des considérations philosophiques. Je les passe sous silence: le lecteur qui a vécu de telles déceptions les imaginera sans peine.

Il ne reste qu' un seul espoir: récupérer la corde, indispensable pour la descente. Nous remontons le deuxième pendule, ce qui n' est pas facile du tout ( quelle chance que ce soit possible! Sinon, qu' aurions fait ?). Ensuite, Eugène descend en rappel sur la corde coincée, attachée au piton, pendant que je l' assure à l' autre corde. Quel soulagement quand mon ami m' annonce que sa tentative a réussi! Il traverse quelques mètres à gauche et, à l' aide du rappel, je le rejoins sur une petite terrasse.

Nous remontons au sommet du Pilier, que nous avons quitté cinq heures plus tôt. Il est maintenant 4 heures.Adieu Capucin! Au revoir peut-être.

La descente n' est pas facile; quand un dernier rappel par-dessus la rimaye devenue dangereuse nous dépose sur le glacier, il fait nuit. En quelques heures, le temps a changé; il neige. Avec beaucoup de peine, nous retrouvons nos traces du matin, puis Torino, que nous abordons muettement.

Mais le rêve reprend corps et meuble à nouveau l' esprit.

L' Aiguille du Midi ( 13 août 1959 ). Las de la montagne, nous prenons une benne dans l' intention de regagner Chamonix. Quand nous arrivons à l' Aiguille du Midi, le soleil nous remet un peu de cœur au ventre. Nous changeons d' idée et décidons d' escalader demain la face SE de cette aiguille, que nous avons le loisir d' examiner en nous rendant au « Météo ». C' est le nom d' une station de recherches météorologiques qui accorde une hospitalité, combien sympathique, aux alpinistes qui désirent être sur place tôt le matin. Gaston Rébuffat s' y trouve avec une équipe de cinéastes, ce qui m' arrange fort, car il est l' auteur de la voie que nous voulons tenter et dont j' ai oublié la description. Ayant obtenu les renseignements désirés, nous prenons un agréable repos.

La marche d' approche est courte: une dizaine de minutes, une vraie petite balade qui établit le contact entre la face et nous. Le soleil illumine avantageusement une roche aux couleurs extraordinaires, qui se révèle parfaite pour l' escalade. Jamais je n' aurais imaginé que l' adhérence puisse être aussi excellente.

Après un petit feuillet, nous nous heurtons aux premières difficultés, qui ne prendront fin qu' au sommet Un court mur vertical menant sous un toit nous semble terriblement difficile, peu habitués que nous sommes à cette technique d' escalade. Eugène évite le toit par la gauche et s' engage en pleine dalle au moyen d' une étonnante fissure en S. Dans l' état du pitonnage, elle frise le VI et exige beaucoup de finesse et de précision.

Nous sommes maintenant dans le jeu. A chaque relais, pendant que monte Eugène, je salue les bennes qui passent, là, tout près, à moins de 100 m, sans bruit, donnant à cette ascension une certaine ambiance d' école d' alpinisme. Le moral en est augmenté... présence humaine!... mais l' escalade perd l' atmosphère de mystère et d' inconnu propre à la haute montagne.

Les passages se succèdent, tous difficiles, tous magnifiquement aériens, jusqu' à un petit couloir terminé en dièdre avec feuillet. Bien assuré par mon camarade, j' en réussis l' escalade absolument libre, dédaignant les coins de bois. Ce passage, athlétique en diable, me procure une satisfaction extraordinaire.

Nous débouchons soudain au sommet du pilier Contamine, à 20 m sous le sommet, qui semble inaccessible d' ici. Sans doute la voie passe-t-elle par le nord. Nous nous rétablissons sur une encoche du pilier... pour nous trouver - impression étrange, inattendue, artificielle - face à environ 300 spectateurs, encore plus surpris que nous: les touristes de l' Aiguille du Midi.

Mais la course n' est pas terminée il s' agit de faire un petit rappel pour gagner une fissure en face nord... et de se bien tenir: la démonstration! Naturellement, je descends beaucoup trop bas; quelques vieux pitons m' indiquent que je ne suis pas le premier me tromper. Je dois remonter une langue de glace, puis Eugène me passe les étriers, qui étaient déjà rentrés dans le sac. J' atteins enfin un minuscule relais où mon ami me rejoint après une lutte épique avec deux cordes fameusement emmêlées. Je pals, pour une fois, devant. Belle longueur oblique le long d' une fissure. Et puis, tout à coup, nous chevauchons le sommet.

Nous sommes assis face à face, un peu gênés des spectateurs qui troublent la joie que l'on a d' ordinaire à se serrer la main dans la paix et la solitude montagnardes.Un rappel, et tout est terminé.

Le soleil a déjà disparu derrière les nuages. Nous descendons à « Cham », où la pluie nous impose la retraite. Quelques belles parties d' échecs dans le Chalet « Premier de cordée » ( sympathique et bon marché ) nous procurent une agréable détente.

L' Aiguille de I' M. ( 16 août 1959 ). Les pentes herbeuses du Montenvers sont propices au repos. Demain, l' Aiguille de I' M.

Le temps est beau mais, comme l' année passée, le brouillard enveloppe la face NW de l' aiguille. Toutefois, le dièdre d' attaque se révèle un peu moins gluant et sinistre.

Le feuillet. Ah oui! du beau travail, dans cette fente étroite où, inélégamment, le corps se tord et la volonté cède. Pourtant nous passons, en renâclant comme des chevaux fourbus. Allons voir plus loin, oublions cet instant désagréable. Quel contraste avec l' Aiguille du Midi!... Du lichen, les pieds qui dérapent sur du fin gravier humide, des passages peu engageants. Et puis on se sent, presque trop maintenant, terriblement seul et perdu. L' escalade très exposée et assez ardue n' est pourtant pas dénuée d' intérêt.

Dans les deux dernières longueurs, moins difficiles, où l'on escalade des blocs immenses, je retrouve le plaisir de l' approche du sommet, quand aucun obstacle sérieux ne subsiste pour maintenir la tension d' esprit. Quelques pas sur l' arête, l' aventure est terminée. Il est encore tôt, la descente ne pose pas de problèmes; tout cela, et la présence d' une cordée, incite à la détente et la joie indéfinissable de l' alpiniste, que le profane ne pourra jamais saisir.

Le merveilleux chemin menant au Montenvers achève cette journée pleinement réussie. Dans notre enthousiasme, nous décidons d' attaquer demain déjà l' Aiguille de Roc, au Grépon. L' Aiguille du Midi et I' M sont cotées TDsup, l' Aiguille de Roc est seulement Dsup; c' est dire que la course est dans le sac... à moins d' un imprévu vraiment extraordinaire.

Le départ se fait normalement du refuge de la Tour Rouge; mais, comme il fait bon dans l' herbe, nous renonçons à monter en cabane aujourd'hui. Nous partirons directement du Montenvers. Quatre heures de plus, mais peu importante: pas de grandes difficultés en perspective, seulement une belle escalade. Nous sommes détendus, nous partons gagnants... ce qui est rarement de bon augure en montagne!

Dans la face Aiguille de Roc-Grépon ( 17-18 août 1959 ). Il fait encore nuit quand nous abordons le chaos de la Mer de glace. Il est clair que nous avons manqué le passage. Au plus profond de notre erreur, je réalise soudain que nous avons oublié le piolet, nécessaire pour le retour. Flûte, nous nous en passerons.

Nous errons au mieux, si bien que nous aboutissons tout près de la rive droite du glacier. Avec beaucoup de peine, nous sortons du dédale. Nous cheminons sur la moraine, cherchant le meilleur passage pour nous élever dans les pentes menant à la Tour Rouge. Enfin une ébauche de sentier s' amorce, à la hauteur d' un petit lac. Alors que, profitant d' un court repos, je contemple les Aiguilles baignées du soleil naissant, j' aperçois soudain, à moins de 200 m, une cabane battant neuve. C' est drôle, le refuge de la Tour Rouge se trouve pourtant dans la face du Grépon et exige quelques pas de varappe.

Je réalise que nous avons affaire au refuge d' Envers des Aiguilles! Surprise de taille, assez cons-ternante. Sans perdre le nord, nous consultons le guide et - quelle chancedécouvrons qu' il existe, à portée de main, une variante Contamine. Nous traversons le haut du glacier de Trélaporte, peu commode sans crampons, et abordons les premiers rochers. Après un peu de caillasse, nous touchons le beau granit. Les passages, pas très difficiles, nous réjouissent. Nous atteignons la partie intermédiaire facile qui mène à l' épaule inférieure, où nous rejoindrons l' itinéraire que nous devions primitivement suivre.

Nous montons à toute allure, ensemble.Voici l' Epaule. Repos. Nous cherchons du regard la voie qui doit permettre de franchir un triangle de dalles magnifiques, haut de 200 m. Déjà Eugène monte, et déjà je doute. Ce petit dièdre, ces vires, cette traversée à droite correspondent peu à la description du guide. Mais mon ami semble tellement sûr de la route que je ne dis mot. Pourtant, après deux longeurs, c' est fini Pas de doute, la voie passe ailleurs. Nous redescendons 40 m, traversons à gauche, étudions.

Eugène cherche les « craquelures ». Il me demande ce que c' est. Des craquelures? Terme bien vague qui n' engage pas l' auteur de la description. Est-ce que je sais ce que c' est, moi, des craquelures? La présence de ce vocable dans le corps du guide me tourmente. Nous cherchons, croyons trouver, mais ce n' est quand même pas la voie. Mon ami réalise enfin notre erreur. Une traversée à gauche, jusqu' à l' arête limitant le triangle, et de nouveau nous sommes bloqués. Retour. Eugène en a assez et décide de monter tout droit. Solution élégante, certes, mais fichtre, c' est tout à fait lisse, et nous n' avons que cinq pitons!

Je sens que cette longueur est décisive; je suis tendu, car ça m' a l' air « tangent ». Quand mon tour vient de monter, je me demande comment ce diable d' Eugène a fait pour passer: 35 m, début en VI, puis Vsup. bien tassé, délicat à l' extrême. Je recueille précautionneusement les pitons: ils n' auraient pu enrayer une chute. Jamais encore, dans les Alpes, je n' ai rencontré de longueur si difficile. Mon admiration pour mon compagnon ne connaît plus de bornes.

Nous avons atteint l' arête du triangle; elle mène à une grande terrasse encombrée de blocs. Quel merveilleux bivouac ce serait! Le rideau qui, derrière nous, s' étend des Jorasses au Géant prend toutes les teintes d' une fin d' après. Jamais je n' ai vu paysage alpin aussi extraordinaire.Voici maintenant une nouvelle longueur, moins difficile, mais si étonnamment belle que j' ai envie de hurler mon enthousiasme.

Un petit gendarme est escaladé, que nous quittons par un rappel. Cette fois, je comprends tout; rien ne vaut d' entreprendre une ascension à la hussarde. C' est ainsi qu' on dédaigne de consulter le guide et que, conséquemment, on ignore que cette Aiguille de Roc a, comme vous et moi, deux épaules. De la première, nous aurions dû emprunter un couloir facile jusqu' à la seconde, où nous nous trouvons à l' instant, tout bêtes, et où commence véritablement l' ascension. La voie est simple à trouver maintenant, libre, magnifique. Les craqueluresLes voici. Ce que c' estQue voulez- vous que je vous dise: ce sont des craquelures! Nous les escaladons dédaigneusement. La cheminée terminale nous essouffle. Quelle abomination, ces cheminées! Il est cinq heures, mais quand nous voyons ce qui nous attend, nous renonçons à escalader les quelques derniers mètres menant à l' extrême pointe de l' aiguille.

Un premier rappel, terrasse neigeuse. Puis, nouvelle erreur, qui faillit m' être fatale. Si j' avais consulté le guide, j' aurais appris qu' il fallait faire encore deux rappels de 29 m et 12 m, sur le côté, pour atteindre la brèche. Mais je lance les cordes directement dans celle-ci, et départ. Terrible sensation de se trouver soudainement à bout de corde, quelques mètres au-dessus de la brèche, en plein surplomb, sans rien toucher! Tout d' abord, je me crois perdu: il est impossible de remonter. Que faireNe pas perdre la tête, étudier la situation. Je me balance, ce qui n' est pas facile, jusqu' à ce que je puisse saisir une petite prise qui me permet d' atteindre une vire étroite. Je suis sauvé, mais quand je vois le couloir qui s' ouvre sous mes pieds, mon imagination travaille! Eugène me rejoint.

Il faut descendre ce couloir, horriblement délité, par deux rappels fort dangereux, en prenant garde de ne pas décrocher des pierres avec les cordes. Nous voici maintenant à la base d' un autre couloir, très raide, sinistre, haut de 150 mètres, qui mène à la brèche Grépon-Bec d' Oiseau. Peu réjouissant: neige, verglas, blocs branlants. Nous n' avons qu' une paire de crampons; l' absence du piolet se fait cruellement sentir. Dans un peu plus d' une heure, il fera nuit. Pas question de lambiner. Eugène se met courageusement au travail. Cauchemar. Froidure et insécurité. Mon ami taille quelques marches à coup de marteau. J' admire sa maîtrise dans un terrain aussi peu sûr.

Quand nous atteignons la brèche, il fait nuit. Nous sommes sur le chemin de descente du Grépon. Au moment d' aborder le glacier des Nantillons, nous nous rendons compte du danger qu' il y aurait à l' emprunter de nuit. Donc, bivouac: le premier de ma vie, tant désire, et que maintenant je ne goûte plus du tout. Nous n' avons presque rien mangé, il ne nous reste que quelques biscuits. La nuit est glaciale; sur la petite plate-forme vaguement aménagée, nous souffrons dans un bruit de dents entre-choquées. Ironie du sort: nos sacs de couchage et vestes en duvet sont restés au Montenvers, à quatre heures d' ici. C' est très pénible, épuisant même, ce corps qui veut à tout prix résister, malgré l' esprit qui est las. Cependant, nous réussissons à dormir une petite heure.

Le jour! La délivrance! La fin des tourments! Je suis étonné de constater qu' après dix minutes de marche, je suis déjà réchauffé. Comme on reprend vite goût à la vie!

La rimaye. Un maudit rappel m' envoie au fond du trou, dans le noir, d' où je ressors difficilement. Le piton à glace que nous avons emporté me rend service, car la neige est dure. Nous rencontrons des cordées montant au Grépon et qui s' étonnent beaucoup de nous voir. Elles nous mettent en garde contre les séracs de ce glacier très meurtrier. Depuis un bon moment d' ailleurs, ils s' annoncent bruyamment.

Une monstrueuse tour de glace haute de 25 m. Tombera? Tombera pas? Hésitation, puis pas de course. Rien ne s' est passé, nous sommes saufs... Et soudain c' est l' effondrement: la tour qui, un instant, semble retenue par un fil, éclate avec une grondement formidable sur nos traces. Le spectacle est impressionnant, surtout dans ce calme matinal. Les blocs de glace roulent plusieurs centaines de mètres plus bas.

Le Montenvers. Notre « Bleuet » travaille dur pour étancher une soif et une faim de 30 heures. Le soleil est chaud et, pendant la sieste, le film des dernières journées se déroule sous nos yeux. Un film avec de nombreuses coupures, un film truqué: les heures merveilleuses sont comme décuplées, tandis que les moments pénibles sont recouverts d' un voile où ne transparaissent que des images fugitives, embellies.

Nous retournons au Capucin. Quel écœurement. Un malaise, probablement dû à un début d' in, m' enlève tout espoir de réaliser notre rêve. J' en souffre d' autant plus qu' Eugène se sent en pleine forme. Mais le sort... Nos vacances sont terminées. Ont-elles été ce que nous espérions? Le sont-elles jamais?

L' imprévu donne son sel à la vie.

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