Voyage aux glaciers de Chamonix en 1807 | Club Alpino Svizzero CAS
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Voyage aux glaciers de Chamonix en 1807

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Nous partîmes de Genève, jeudi passé, à 4 heures du matin, Vincent, Manget, M. de Schtaffnagel, seigneur courlandais, et moi, dans une calèche qui nous conduisit le jour même à Sallanches. Cette première journée se déroule sur les bords de l' Arve à travers un paysage délicieux. Depuis Bonneville qui est à cinq lieues de Genève l'on s' aperçoit que l'on entre dans les Alpes. Les montagnes à droite et à gauche du chemin s' élè et se rapprochent. De temps en temps des torrents descendent en cascades dans la vallée qui devient toujours plus riante. De Bonneville on arrive à Cluses, petite ville située au pied d' une montagne dont les couches circulaires représentent un jambon coupé par le milieu. On sort de Cluses par un chemin étroit appuyé contre la montagne et bordé par l' Arve qui est elle-même poussée contre le chemin par une autre montagne. Il semble que l'on ne peut pas sortir de cet endroit pittoresque, lorsque le chemin fait un coude et vous mène dans la vallée de Maglan. Cette vallée, longue d' environ trois à quatre lieues, est remplie de bosquets enchanteurs. Sur la' Le manuscrit de ce texte a été remis au rédacteur du Bulletin de la section Genevoise par M"* El. Denkinger, de Dardagny. Il est extrait d' une lettre adressée à son père, pasteur à La Chaux-de-Fonds, par un jeune étudiant de ai ans, Auguste Touchon, qui sera lui-même plus tard pasteur à Lyon, puis à Francfort. Au cours de I' été 1807, le jeune homme s' est rendu à Chamonix on il a escalade notamment le Brévent.

gauche du chemin, on remarque la cascade d' Ar qui est très élevée. Le soir on arrive au Pont de Saint-Martin vis-à-vis la ville de Sallanches. On couche là dans une auberge passable et l'on renvoie son cabriolet parce que le chemin n' est plus praticable que pour les piétons et les mulets.

Nous vîmes déjà le Mont Blanc éclairé des derniers rayons du soleil; c' est un spectacle magnifique pour des gens qui n' ont jamais vu les Alpes.

La seconde journée nous conduisit du pont de Sallanches à Chamonix. Nous partîmes à 7 heures du matin avec deux mules qui portaient nos petits paquets et que nous montions tour à tour. Les deux premières lieues se font encore dans la vallée de Sallanches qui se termine au village de Chedde qui est très agréablement situé sur le penchant d' une colline couverte d' arbres fruitiers et de vignes. Là on se détourne un peu du chemin pour aller voir la cascade de Chedde qui ressemble à celle du Staubbach et le petit lac de Chedde qui est une des plus jolies choses que l'on remarque sur la route. Il est fort petit, entouré de vergers et formé par une eau si limpide que, quoiqu' il soit assez profond, on distingue les moindres plantes qui croissent au fond. De cet endroit si joli, on arrive tout à coup sur les débris du Mont Enterne qui s' écroula pendant le siècle dernier et qui présente un spectacle des plus sauvages. Il est tout entrecoupé de torrents rapides qui se précipitent dans l' Arve qui coule avec fracas aux pieds des voyageurs dans un énorme précipice. On fait environ deux lieues de cette manière, l' âme attristée par ces aspects déserts et terribles. On arrive enfin dans la petite vallée de Servoz qui est très enfoncée et brûlée par un soleil ardent reflété par des rochers absolument nus. Ce qui contribue à rendre cet endroit fort triste, c' est le tombeau d' un jeune Saxon qui périt il y a quelques années dans les glaciers du Buet pour n' avoir pas voulu suivre son guide. Bonaparte lui a fait élever un monument pour avertir les jeunes voyageurs d' être prudents. A Servoz on passe l' Arve sur un pont assez dangereux et l'on continue sa route au bord des précipices et dans un pays toujours fort sauvage, jusqu' à ce que tout à coup, et comme par une espèce d' enchantement, l'on entre dans la vallée de Chamonix. Cette vallée, longue d' en sept à huit lieues et large tantôt d' une demi-lieue, tantôt d' une lieue, est couverte de jolies habitations de paysans, de bois de sapins et de bouleaux, les maisons sont entourées de pruniers, on y cultive de l' avoine, de l' orge, du chanvre et du lin. Elle est bordée du côté droit par le Mont Blanc dont la cime se perd dans les nues et dont les neiges descendent par des espèces de couloirs jusque dans la vallée; de l' autre côté par le Mont Brévent qui est un rocher fort élevé. Je crois qu' on donne au Mont Blanc deux mille quatre cents toises au-dessus de la mer et au Brévent quatorze cents toises. Ce qu' on appelle les glaciers, c' est cette neige amenée dans les couloirs du Mont Blanc et qui y est en si grande quantité que le soleil le plus ardent n' en peut fondre qu' une partie.

Il y a cinq glaciers dans la vallée de Chamonix, ceux de Taconna, du Bosson, des Bois, d' Argen et du Tour, je te les indique dans l' ordre on on les trouve. Lorsqu' on est au pied de celui du Bosson, on prend un guide pour aller le visiter. Il n' est nullement dangereux et c' est un des plus beaux. Il est composé d' aiguilles de glace qui ressemblent à des pains de sucre rangés les uns auprès des autres. La plupart de ces aiguilles ont vingt à trente pieds de hauteur. La glace en est beaucoup plus pure que celle des autres glaciers, parce qu' elle est formée par les avalanches qui descendent directement du Mont Blanc sans passer sur la terre et sur les rochers. Après avoir visité le Bosson on passe l' Arve et l'on va au principal village de la vallée que l'on appelle le Prieuré. On y trouve plusieurs bonnes auberges. Nous avons logé à la Ville de Londres, chez un nommé Terrasse qui nous a lui-même servi de guide. On y est parfaitement bien et pas trop chèrement. J' ai vu sur les murs de l' auberge le nom de M. Charles-Philippe Humbert.

Le lendemain, samedi, nous gravîmes le Montenvert qui est une des bases du Mont Blanc. Cette montagne n' a rien de dangereux ni même d' ef. Au bout de trois heures de marche on arrive en haut. Bourrit y a bâti un petit hospice on l'on fait du feu et où l'on dîne avec les provisions qu' on s' est fait apporter par son guide. Il y a près de là un berger qui vous apporte du laitage. Du Montenvert, on domine la Mer de Glace qui est le plus grand glacier des environs. C' est une vallée large environ d' une lieue et d' une immense longueur où se ramassent toutes les neiges d' un grand nombre d' aiguilles qui l' entourent. Ce glacier a précisément l' air d' une mer agitée. La glace est entrecoupée d' énormes crevasses et représente d' immenses vagues dont les unes sont comme des maisons. Le bruit des torrents qui se précipitent des montagnes voisines et qui courent sous la glace est épouvantable. Il n' y a aucun danger à courir un peu sur cette mer de glace, pourvu qu' on suive son guide et qu' on soit armé d' un bon bâton ferré. Nous vîmes des crevasses dont il est impossible d' apercevoir le fond et beaucoup d' au moins considérables. Ces crevasses se fendent insensiblement, ce qui fait qu' on peut se hasarder sur cet effrayant glacier sans courir d' autre risque que de tomber dans celles qui sont formées et très visibles, et pour cela il faudrait être bien maladroit. M"e Bourrit, la fille du chantre, a parcouru toute cette mer de glace et s' est avancée très avant dans des endroits moins connus et beaucoup plus dangereux que ceux que nous avons parcourus. On voit depuis là le chemin qu' a pris M. de Saussure pour arriver au sommet du Mont Blanc, et l'on est surpris de l' intrépidité avec laquelle il s' est avancé dans ces monceaux de glace et de rochers. Il a dû passer des crevasses épouvantables sur de légères échelles posées au travers, se faire descendre avec des cordes, coucher plusieurs nuits dans la neige, exposé aux avalanches continuelles qui roulent du Mont Blanc. Du Montenvert, nous voulions aller voir la source de l' Arveyron qui sort du glacier des Bois qui n' est lui-même qu' une continuation de la Mer de Glace; mais un orage qui survint nous en empêcha et nous força de revenir au Prieuré par le même chemin que nous avions pris. Le lendemain, nous allâmes voir cette source de l' Arveyron. C' est un torrent très impétueux qui sort d' une belle voûte de glace dans laquelle les guides vous empêchent d' entrer de peur que l'on soit écrasé par des morceaux de glace qui tombent continuellement; c' est un spectacle tout à fait curieux. Des Hollandais s' avisè une fois d' y tirer un coup de pistolet et furent victimes de leur imprudence. Nous fîmes ce jour-là plusieurs promenades dans la vallée. Nous visitâmes les paysans, qui étaient endimanchés. Ce sont des gens gais et polis. Ils sont habitués à voir des étrangers. L' un d' eux se rappelle encore l' ar des premiers voyageurs qui ont pénétré dans cette contrée. Ce furent les capitaines Poccock et Wuindam qui y arrivèrent avec une troupe de gens armés parce qu' ils croyaient ce pays habité par des voleurs et des bêtes féroces. Le curé du village de Chamonix fut le premier qui s' ap d' eux et qui leur parla. Depuis lors, Saussure et Bourrit ont mis les voyages à Chamonix en vogue, ont enrichi cette vallée dont la population s' est presque doublée. Lundi nous eûmes le choix d' aller au Col de Balme ou bien de monter le Brévent. Le Col de Balme est au fond de la vallée, on peut y monter à mulet et l'on découvre de là les cinq glaciers de la vallée, mais seulement en profil, de l' autre côté on voit le Valais. Nous préférâmes le Brévent quoiqu' il soit beaucoup plus pénible, parce que, de là, on a le Mont Blanc en face, de même que les cinq glaciers. Nous partîmes donc à 3 heures du matin pour gravir cette énorme montagne. Nous cheminâmes d' abord sur des débris de roches et sur un gazon très glissant, mais nous avions du moins un sentier bien trace, quoique très rapide. A la moitié de la hauteur, on trouve un chalet situé sur un petit plateau. Nous y bûmes de l' excellente crème. Notre Courlandais fut oblige de rester là parce que l' air devenait trop léger pour lui. Nous continuâmes à grimper tantôt sur des rochers, tantôt sur la neige qui peut porter de grosses roches sans s' enfoncer. Nous entendions autour de nous siffler les marmottes, mais nous ne vîmes point de chamois quoiqu' il y en ait sur cette montagne. Nous avions pris deux guides ce jour-là et nous en eûmes grand besoin pour arriver au sommet de la montagne, qui est un pic de roc à peu près perpendiculaire. On y parvient par une espèce de couloir de la hauteur de deux étages on les guides vous hissent en se mettant l' un devant vous pour vous tirer et l' autre pour vous pousser. Ces gens-là sont si adroits et si prudents qu' il n' y a aucun risque à s' aban entièrement à eux. Quand nous fûmes au sommet nous avions la plus belle vue qu' on puisse avoir. D' un côté le Mont Blanc dans toute sa splendeur, à nos pieds Chamonix, de l' autre côté une quantité de montagnes et de petites vallées. Jusqu' ici je ne t' ai fait que le journal de notre course, maintenant je voudrais pouvoir te décrire un aussi beau tableau. Mais je m' en sens incapable et je te renvoie à la description des Alpes qu' on trouve dans le poème du Mois de Roucher. Nous sommes revenus par la même route.

Mon voyage me coûte trois louis et quelque chose. C' est un peu cher, mais c' est bon pour une fois, et puis j' aime mieux avoir vu cela dans Page on les impressions restent que plus tard.

Embrasse maman, ma sœur, ma tante et tous vos enfants.

Genève, le 23 juillet 1807.

Ton Auguste

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