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Le mal de montagne

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Etude critique

par

Dr Thomas ( section genevoise ).

Le mal de montagne a fait I' objet d' un grand nombre d' études, soit que les auteurs aient eu plus particulièrement en vue cet état pathologique, soit qu' ils ne s' en soient occupés qu' incidemment à propos de l' influence qu' exerce l' altitude sur l' organisme humain. Cette question fut reprise il y a quelques années, lorsque le Conseil fédéral eut à donner son préavis sur le chemin de fer de la Jungfrau et charges alors le professeur Kronecker de Berne de lui présenter un rapport établissant des conclusions positives. Les journaux alpins ont à plusieurs reprises mentionné les remarques des ascensionnistes atteints de ce malaise; mais on peut dire d' une manière générale que les détails donnés sont de peu d' utilité. J' ai fait un grand nombre de recherches dans les divers périodiques, mais je n' ai guère rencontré que des notions fort incomplètes. Aussi est-ce avec beaucoup de raison que Mosso, professeur de physiologie à Turin, écrit que nous manquons de documents précis émanant surtout de médecins et de bons observateurs. Il faut bien avouer que ce fait n' a rien d' étonnant, car lorsque dans une caravane un membre tombe malade, ses compagnons, dépourvus en général de connaissances suffisantes, ont déjà assez à faire à le secourir aussi bien qu' ils le peuvent, et n' ont pas le temps de se livrer à des recherches scientifiques. De plus, la nature du terrain dans la haute montagne ne facilite pas le travail scientifique; il est souvent impossible de porter les instruments nécessaires, très délicats, il faut alors se contenter des impressions personnelles, ce qui est tout-à-fait insuffisant. Aussi l'on peut affirmer que les études antérieures à ces dix ou quinze dernières années ne sont d' aucun secours pour la solution des divers problèmes que soulève la question du mal de montagne; on ne saurait en blâmer leurs auteurs qui ont fait pour le mieux. Il a fallu que des Observatoires se fondent au Mont Blanc et au Mont Rose pour permettre aux savants d' opérer dans de bonnes conditions. Depuis lors nous avons vu paraître différents mémoires qui nous ont permis de pénétrer dans l' intimité des phénomènes qui se passent chez l' homme transporté aux hautes altitudes. Il reste encore beaucoup à faire; à chaque instant on relève des divergences entre les opinions émises; ce fait provient en partie du petit nombre d' individus qu' on peut examiner. Les différences d' une personne à l' autre sont considérables, il faut donc arriver à établir des moyennes, ce qui ne peut se faire qu' avec beaucoup de temps et de peine. De plus il est nécessaire de bien connaître le fonctionnement de l' organisme dans la plaine avant de saisir les modifications que lui imprime le séjour à l' altitude; la durée de ce séjour est aussi très courte, les circonstances atmosphériques sont souvent une entrave considérable. L' ascension par elle-même est un facteur d' une très grande importance, éminemment variable suivant les sujets.

Ces différentes causes et bien d' autres encore, produisent des modifications qui peuvent fausser les résultats; on doit donc être très réservé sur l' interprétation des phénomènes observés et à l' heure actuelle on ne peut présenter que des hypothèses plus ou moins plausibles.

L' Homme dans la haute montagne de Mosso, le grand ouvrage de Zuntz, Lœwy, Caspari et Müller sur le climat de l' altitude et les courses de montagne ( en allemand ), les Annales de l' observatoire météorologique du Mont Blanc par M. Vallot sont les principales sources de renseignements où nous pouvons puiser; j' aurai l' occasion, chemin faisant, de citer plusieurs mémoires que j' ai consultés dans les périodiques scientifiques.

Cette étude sera divisée en trois parties:

1° Influence de l' altitude sur le fonctionnement de l' organisme dans ses différentes parties.

2° Exposé critique des théories actuelles sur le mal de montagne.

3° Conclusions générales.

I.

En ce qui concerne la respiration, nous rencontrons tout de suite des différences marquées dans les diverses observations. Si chacun est d' accord pour admettre une accélération pendant l' ascension, la majorité estime que le nombre des respirations à la hauteur de 4000 m. et au repos est un peu plus rapide qu' à la plaine ou à des hauteurs moyennes. Il faut faire la part ici de l' état général du sujet; s' il est en bonne santé, le phénomène doit être peu prononcé; en ce qui me concerne en trois points différents, à plusieurs années de distance ( sommets du Rimpfischhorn, du Dôme des Mischabel, de la Parrotspitze ) je n' ai rien constaté de particulier. Et j' estime que Zuntz a raison de dire qu' il y a de grandes différences suivant les personnes, il existe un type respiratoire individuel.

Pendant le sommeil, Mosso a constaté le premier ce qu' on appelle des périodes d' apnée, il s' agit là d' un phénomène qui s' observe dans certaines maladies. On voit que le sujet, après avoir respiré rapidement, cesse de respirer pendant un intervalle de plusieurs secondes, puis les mouvements reprennent. Il s' agit donc de véritables pauses. D' autres observateurs ont confirmé l' existence de ce fait qui doit être rapporté à une diminution dans l' excitabilité du centre respiratoire situé dans la moelle épinière.

La profondeur des respirations est généralement augmentée; mais ici intervient un facteur dont il faut tenir grand compte à mon avis; c' est l' état du nez. Cet organe n' est pas seulement très varié de forme suivant les races et les individus, son calibre l' est aussi; il est des personnes chez lesquelles le passage de l' air par le nez est plus ou moins facile, le fait date souvent de l' enfance, et qui ne s' en aperçoivent guère, dans la vie ordinaire. Mais dès qu' elles sont obligées de faire un effort, c'est-à-dire d' aspirer l' air avec plus d' énergie, le passage étant insuffisant, ces mêmes individus doivent ouvrir la bouche, mettre en jeu les muscles respiratoires, ce qui augmente la fatigue. En plus l' air sec et froid de la haute montagne congestionne la muqueuse nasale, il semble qu' on est atteint d' un rhume de cerveau, l' entrée de l' air est, de ce chef, rendue plus difficile.

Le volume de la respiration peut subir aussi des modifications, parce que les gaz des organes digestifs se dilatent par suite de la diminution de pression de l' atmosphère et refoulent en haut la barrière du diaphragme. Ce fait a bien quelque importance et nous aurons l' occa d' en reparler; mais il y a lieu de tenir encore plus compte de la position du diaphragme; suivant que cet organe est placé plus ou moins haut par rapport à la cavité du thorax dont il forme la limite inférieure, cette même cavité se trouvera agrandie ou diminuée, le jeu des poumons se fera plus ou moins librement. En outre chez certaines personnes, le diaphragme se trouve attiré en haut au moment de l' ins, au lieu d' être refoulé en bas; c' est le type respiratoire de la femme qui prédomine chez ces gens-là; il s' ensuit encore une diminution de la surface respiratoire dont l' influence est manifeste lors de l' as. On a préconisé depuis longtemps de respirer lentement et profondément, on doit sentir que le diaphragme descend, ce qui se traduit par la projection en avant de la région qu' on appelle le creux de l' estomac. Lorsqu' on examine un grand nombre d' individus, on est frappé de voir combien d' entre eux ne savent pas respirer, sans parler de ceux dont le thorax long, maigre et plat est déjà par lui-même l' indice d' une activité pulmonaire médiocre.

Déjà Güssfeldt avait insisté sur l' importance de l' inspiration profonde; M. le professeur Chaix, dans le récit d' une ascension au Mont Blanc, raconte avec beaucoup de sagacité comment il utilisa cette méthode et quel succès il en eut. J' ai un peu insisté sur cette question, parce que je suis convaincu par l' examen de bien des gens et mon expérience personnelle que la mécanique respiratoire a une influence considérable sur la prévention du mal de montagne et ceci pour des raisons dont je parlerai plus tard.

La ventilation absolue, c'est-à-dire la quantité d' air inspirée par minute à la température de 0 ° et à la pression de 760 mm. est diminuée au sommet du Mont Blanc ( Vallot ), mais cette perte est compensée en partie par l' augmentation de la ventilation pulmonaire proprement dite observée à la même altitude; Mosso, Kuss, Zuntz ont fait la même remarque; il y a donc là une sorte de défense de l' organisme, et chez les sujets bien entraînés ( Vallot ) cette augmentation se fait plus rapidement et plus complètement que chez les autres. L' acclimatement peut compenser aussi la diminution de la ventilité absolue; il y a du reste des variations individuelles. La capacité vitale, formée par l' air qui reste dans les poumons après une expiration ordinaire, l' excès d' air qui entre lors des inspirations les plus profondes en sus de la quantité normale, et enfin la quantité normale d' air inspiré ou expiré, constitue en totalité une quantité de 3700 cm3. Elle est en général diminuée à l' al, Zuntz a trouvé des différences variant de 200 à 1100 cm8. Il est possible que l' afflux du sang dans les poumons, par suite de la plus grande activité circulatoire, en soit la cause; à plus forte raison si le cours du sang est entravé dans les mêmes organes par suite de la fatigue du cœur.

Les modifications de la circulation sont de celles qui frappent même les gens les moins habitués à s' observer. Chacun au cours d' une ascension a senti ces battements du cœur plus ou moins violents, cette accélération des pulsations. Ce dernier fait est noté par tous ceux qui se sont occupés de cette question, Lortet, Kuss, Egli-Sinclair, Kronecker, Mosso, Chauveau, Zuntz et bien d' autres encore. Même à l' état de repos, cette tachycardie persiste; on la voit se produire par le seul fait de l' altitude chez des individus très entraînés, des guides, des personnes qui ont fait l' ascension sur un mulet. Kronecker remarque qu' au sommet du Breithorn, elle se présente lorsqu' on exécute un travail musculaire égal à celui que les sujets qu' il a étudiés accomplissaient sur une pente de même inclinaison dans les environs de Berne, alors que dans le dernier cas il n' y avait aucune accélération. D' après Mosso elle existe aussi pendant les premiers jours après leur arrivée chez les gardiens de la cabane Reine-Marguerite.

Après des efforts musculaires en montagne, la persistance des phénomènes d' excitation du cœur est beaucoup plus marquée qu' à la plaine; si cette persistance est prolongée au repos, alors qu' on est revenu à une altitude normale, elle indique un état de fatigue du cœur.

L' accoutumance, l' entraînement diminue cette tachycardie, qu' on constate aussi par les expériences dans la chambre pneumatique, ce qui indique déjà, d' après Zuntz, que la diminution de pression est une des causes de ce phénomène.

Il y a, comme toujours, des différences individuelles marquées; des personnes nerveuses, où chez lesquelles la circulation commence à être difficile par suite de l' altération de leurs artères présenteront une accélération plus marquée que chez d' autres. Mais en général, ce phénomène n' a pas de signification fâcheuse chez un individu sain; surtout s' il se dissipe rapidement.

Un point assez important, mais encore insuffisamment étudié, c' est la pression artérielle. Nombreux sont les instruments qui servent à l' apprécier, mais la plupart sont très délicats et l'on discute encore dans les cercles scientifiques quel est le meilleur. De plus des causes très diverses font varier cette pression qui doit être soigneusement étudiée sur l' individu au cours de sa vie habituelle. Chauveau au Mont Blanc admet une diminution; d' autres ont constaté une augmentation coïncidant avec l' accélération du pouls, ce qui est un fait paradoxal. J' ai trouvé sur moi-même une légère augmentation ( 1 centimètre de mercure ) avec l' appareil Potain au moment de mon arrivée au col de Lys; le pouls était accéléré, mais revint rapidement à son chiffre normal. Je suis tenté de croire que, par suite des efforts musculaires, cette augmentation de pression est le fait normal, et qu' une diminution à ce moment doit être considérée déjà comme un symptôme de fatigue; mais il me paraît impossible de trancher cette question. Il n' est pas sans intérêt d' élucider ce problème; car il existe des personnes dont la pression est plus élevée que la normale par suite de leur état de santé. Si l' altitude favorise cette augmentation, même au repos, en l' absence d' efforts, il s' ensuit nécessairement que dans les stations de chemins de fer de montagne qui sont très élevées, on verra se produire des accidents par suite de la rupture de certains vaisseaux; les conséquences peuvent être fort graves, même mortelles.

La fatigue du cœur a souvent été invoquée comme une des causes principales du mal de montagne; ce fait a été étudié à maintes reprises par les médecins militaires. Mosso estime, et il n' est pas le seul à avoir cette opinion, que les maladies du cœur sont fréquentes chez les habitants de la montagne; mais il faut convenir cependant que d' autres causes que les ascensions interviennent pour produire ce phénomène. Il est reconnu que bien des alpinistes sont porteurs de lésions cardiaques et continuent leurs courses sans grand inconvénient. Zuntz, comme Mosso, estime que les efforts musculaires exagérés produisent les mêmes effets sur le cœur, à la plaine comme à la montagne. Les produits toxiques de la fatigue seront peut-être augmentés à l' altitude, parce que malgré l' accélération de la respiration, l' oxygène inspiré est en moins grande abondance dans ce dernier cas.

Ce qu' on peut affirmer c' est que si le muscle cardiaque est sain, il pourra se dilater par suite d' exercices trop violents ou trop prolongés, mais cet état prendra fin avec le repos. Mais lorsque les fibres musculaires sont altérées, l' épuisement cardiaque survient rapidement. L' en est en tous cas indispensable, dès qu' on n' est plus très jeune et que par conséquent l' élasticité musculaire est diminuée.

La question de la composition du sang et de ses variations sous l' influence de l' altitude se rattache aux phénomènes circulatoires. On sait qu' un séjour de montagne guérit souvent l' anémie; mais il faut qu' il soit suffisamment prolongé et d' autres causes interviennent encore dans la production de ce résultat. Divers auteurs ont voulu voir si réellement le nombre des globules rouges du sang, la quantité de leur matière colorante, l' hémoglobine, subissent des modifications rapides. Il résulte de ces diverses enquêtes qu' il n' y a rien de très précis; il ne nous est pas possible d' entrer dans tous les détails. Sans doute Egli-Sinclair a constaté au sommet du Mont Blanc une diminution de l' hémo d' où résulterait le fait que le sang absorbe moins d' oxygène et cette circonstance aurait quelque valeur sur l' apparition du mal de montagne. Les documents sont insuffisants pour juger du plus ou moins de vérité de cette remarque.

Nous arrivons maintenant à un problème dont l' étude est difficile, cai " elle exige des connaissances chimiques approfondies et un grand nombre d' instruments; c' est celle des modifications de la nutrition. Il faut bien distinguer ce qu' on appelle digestion, c'est-à-dire l' ensemble des transformations des matériaux nutritifs dans les organes digestifs, de la nutrition proprement dite qui comprend les différents procédés, en vertu desquels notre corps se développe, répare ses pertes, vit en un mot.

On désigne aussi sous le nom d' échanges nutritifs les diverses modifications que subissent les aliments après leur entrée dans notre corps et l'on mesure leur degré par l' analyse de l' urine et des matières fécales. Les examens qui ont été faits surtout par Kronecker, Guillemard et Moog, Zuntz et ses collaborateurs nous apprennent qu' en général une altitude modérée permet une meilleure utilisation des matériaux nutritifs; le fait était connu déjà par l' impression de bien-être, de digestion facile qu' une petite course de montagne, un court séjour sur les hauteurs nous procure. Mais au contraire à partir de 2400 m. ( Zuntz ) les conditions changent; l' activité musculaire produit une destruction accentuée des éléments de nos tissus; les coureurs en plaine, à pied ou à bicyclette, perdent de leur poids et diminuent de taille, il y a donc une production abondante de déchets organiques. En outre le mode de nourriture est absolument différent; au cours de l' ascension, la digestion est ralentie et devient moins complète. A la cabane Reine-Mar-guerite, Zuntz a constaté la production de substances chimiques dans l' urine, dont la présence indique une transformation insuffisante des matériaux nutritifs. Guillemard et Moog ont séjourné 5 jours à l' ob Vallot et 3 jours aux Grands Mulets, dans des conditions de santé normale. Ils ont attendu avant de commencer leurs expériences qu' un temps suffisant se fût écoulé depuis leur arrivée pour que les effets de l' ascension se fussent dissipés. Ils constatent la présence dans l' urine de substances toxiques; la quantité d' urine, malgré des boissons abondantes et l' absence de transpiration, est fortement diminuée dans les premiers jours, preuve d' un fonctionnement insuffisant des reins. Ces observations et d' autres encore, dans le détail desquels je ne puis entrer, ont une grande valeur et seront reprises à propos des diverses théories du mal de montagne.

La proportion des gaz du sang a fait l' objet de recherches nombreuses, mais dont les résultats n' apparaissent pas clairement.

A une hauteur barométrique réduite à 95 mm ., la moitié de l' oxygène est encore liée à l' hémoglobine, et l'on sait que dans le passage du sang aux tissus de l' organisme, ce n' est pas même la moitié de l' oxygène existant dans le sang qui est employée. D' autre part lorsqu' il n' y a plus qu' une demi-atmosphère de pression, il y a déjà des troubles qui s' accentueront et sont dus au manque d' oxygène. Zuntz explique ce fait paradoxal en disant que le sang ne prend pas son oxygène directement dans l' atmosphère, mais plutôt dans l' air qui est dans les poumons. Or cet air est beaucoup plus pauvre en oxygène que celui de l' atmosphère; dans les circonstances normales, cela n' a pas d' inconvénients. Mais dans l' air raréfié, la quantité et la pression de l' oxygène dans les poumons diminuent beaucoup; il peut s' y ajouter aussi des troubles dans la circulation pulmonaire. Le sang aura donc moins d' oxygène à sa disposition; il est possible aussi que la proportion d' oxygène dans le sang soit différente suivant les organes, l' état de leur circulation particulière, leur activité plus ou moins grande, mais ici encore, il faut tenir compte de grandes différences individuelles.

En ce qui concerne la quantité d' acide carbonique du sang, qui est l' excitant du centre respiratoire, c'est-à-dire de cette partie de notre système nerveux, dont l' activité provoque les mouvements respiratoires, on constate des différences marquées. Cette proportion dépend de plusieurs causes; l' énergie plus grande de la respiration, la formation de substances acides dans le sang par suite d' une combustion incomplète, diminuent la quantité d' acide carbonique exhalée par la respiration. Mosso a fondé sur ce fait de la diminution de l' acide carbonique, sa théorie du mal de montagne qu' il appelle acapnie, c'est-à-dire manque d' acide carbonique dans le sang.

Somme toute, cette question des modifications dans la composition des gaz du sang doit être encore étudiée pour pouvoir en tirer des conclusions positives.

Je dirai quelques mots d' un fait qui a frappé certains observateurs, c' est l' état des gaz de l' intestin. On a voulu attribuer à leur développement une influence marquée sur la position du diaphragme, et par conséquent sur le plus ou moins de facilité de l' acte respiratoire. Il est certain que par suite de l' air raréfié, de la diminution de pression, le volume des gaz augmente, c' est une loi de physique. Une partie de ces gaz s' élimine par le gros intestin, une autre est absorbée par le sang, pénètre ainsi dans la circulation générale, la sortie se fera par la respiration: Dans l' air raréfié, cette absorption par le sang est moins considérable d' après Zuntz. Suivant donc que la formation des gaz subira des modifications ou non, les phénomènes qui en résulteront seront plus ou moins marqués. D' autre part le mode de nourriture, la manière dont la digestion s' opère ont une influence sur la quantité et la composition des gaz; les aliments qui contiennent de l' amidon, pain, pommes de terre, riz, etc., fournissent beaucoup d' acide carbonique. D' autre part une digestion normale diminue la putréfaction qui s' opère surtout dans le gros intestin et donne naissance à des gaz sinon toxiques, tout au moins désagréables.

A l' altitude ce développement des gaz peut-il réellement causer des troubles importants? Nous savons que chez l' homme, si leur proportion augmente beaucoup, la respiration s' en trouve gênée, mais il faut pour cela des conditions pathologiques, par conséquent en dehors de l' état normal; je ne connais aucun fait observé chez des alpinistes en état de santé qui puisse confirmer cette opinion. Mais si la digestion est entravée pour une raison quelconque, nous savons qu' elle détermine des malaises divers parmi lesquels on rencontre des troubles respiratoires. Or la mauvaise hygiène alimentaire, l' usage des repas froids, des conserves plus ou moins bonnes sont des conditions défavorables à une digestion normale. Il y a donc lieu de tenir compte de ces causes comme pouvant contribuer au développement du mal de montagne.

En ce qui concerne la mesure de la température du corps lors de l' ascension et du séjour dans la haute montagne, le fait en lui-même n' est pas très important. On a noté des différences marquées selon les individus; il est plus que probable qu' elle s' élève à un degré variable pouvant même arriver à ce qu' on est convenu d' appeler fièvre.

L' état du système nerveux est assez variable selon les individus; il faut faire une distinction suivant que l'on considère la personne au repos ou au cours de l' ascension. Dans les expériences avec la chambre pneumatique, il est possible de subir une dépression de l' atmosphère correspondant à des hauteurs supérieures à celles des montagnes les plus élevées; ainsi Mosso a supporté une diminution de pression jusqu' à 192 mm. correspondant à l' altitude de 11,650 m. et il aurait pu aller plus loin. Il a noté une diminution dans la rapidité de la pensée, une sorte de faiblesse psychique. D' autre part à la cabane Reine-Margue-rite, il a passé une fois dix jours occupé à des travaux scientifiques avec ses collaborateurs et n' a pu constater aucune différence de ce genre: Gtissf eldt et Tyndall, au cours de l' ascension, ont remarqué qu' ils pouvaient moins facilement occuper leur pensée d' un travail étranger aux préoccupations du moment. Je crois qu' il faut voir dans ce fait une simple diminution de la capacité de nous intéresser aux questions intellectuelles, plutôt que d' en faire un abaissement de la fonction psychique proprement dite, les sensations nerveuses que procure le travail musculaire ne laissant pour ainsi dire pas de place à celles qui proviennent d' une recherche scientifique quelconque. L' indifférence a été notée par différents observateurs, pouvant se traduire aussi bien à propos de paysage que des compagnons de route; poussée plus loin, elle se montre par rapport aux dangers, devenant une sorte de stupidité. Ce n' est là qu' un phénomène de fatigue, qui n' est nullement à attribuer à l' influence de l' altitude. Le sommeil, aux très grandes hauteurs, est généralement moins bon; il y a souvent de l' excitation. Le mal de tête est assez fréquent; ces symptômes n' ont que peu de valeur. Quelques expériences de Mosso ont été réalisées dans la chambre pneumatique sur un jeune homme ayant gardé d' un accident une ouverture au crâne, permettant de se rendre compte des conditions de la circulation du cerveau; il en ressort ce fait qu' on ne constate ni congestion, ni anémie, mais que sous une influence de nature chimique, l' activité des centres qui président aux mouvements des vaisseaux du corps est un peu déprimée. L' expérience n' a pas été poursuivie au-delà d' une altitude de 5000 m. Plusieurs alpinistes parlent de l' envie de dormir qui les a saisis au moment où ils arrivaient à une certaine hauteur, c' est déjà un des premiers symptômes du mal; si l' intérêt est suffisamment éveillé par les difficultés ou la nécessité de chercher soi-même sa route, de tailler des pas, le besoin de sommeil ne se fait pas sentir ou est refoulé.

Ces études dont nous n' avons pu donner qu' un résumé nous montrent que l' organisme humain, transporté aux hautes altitudes, y subit différentes modifications. Il lutte contre les changements qui se sont produits dans son milieu habituel; l' acte mécanique de la respiration, la circulation, sont augmentés; tandis que le pouvoir digestif, la nutrition, la sécrétion rénale sont diminués d' intensité. Enfin, d' après les uns, il y aurait un manque d' oxygène, pour d' autres un manque d' acide carbonique dans le sang.

II.

Avant d' en venir aux théories sur le mal de montagne, il nous faut le décrire rapidement, en rappeler du moins les traits principaux. Et Mosso a raison de dire à cet égard combien il est difficile de déterminer le moment où l' ascensionniste cesse de se trouver dans les conditions physiologiques. La pathologie et la physiologie doivent dans ce domaine comme dans d' autres s' entr, car on passe facilement de l' état de santé à l' état de maladie.

D' autre part et c' est une distinction à mon avis de toute importance, il faut distinguer les modifications produites par le simple fait du séjour à l' altitude de celles qui reconnaissent comme cause essentielle le travail de l' ascension. On a déjà remarqué que le malaise se développe à une beaucoup plus grande hauteur lorsque l'on est en ballon que lors d' une course, et cela par l' absence de l' effort musculaire prolongé et de ses suites pour l' organisme en général ou certains organes en particulier.

En nous reportant aux résultats des examens faits lors d' un séjour à l' altitude, nous voyons que les symptômes qui résultent de cette cause unique sont peu nombreux; accélération de la respiration, des mouvements du cœur, somnolence, fatigue musculaire et psychique, modifications de la sécrétion urinaire. Pendant la nuit surtout, il s' y ajoute la fréquence de l' apnée, avec type respiratoire particulier.

Au cours de l' ascension, les vomissements sont souvent le malaise le plus précoce et le plus caractéristique; il s' y joint une sensation extraordinaire de fatigue qui ne peut pas être due seulement au travail accompli jusqu' alors. C' est dans cet état auquel s' adjoignent les troubles respiratoires et cardiaques, qu' on voit l' individu atteint se jeter par terre, ne plus vouloir avancer et avoir pour sa vie la même indifférence que ceux qui sont en proie au mal de mer disent ressentir. Les bourdonnements d' oreilles, la perte partielle ou complète de la connaissance sont aussi observés. La terminaison de ces accidents est très variable; ils peuvent continuer assez longtemps et rendre la course impossible, exigeant un retour immédiat à une altitude très inférieure et ne se dissipant que peu à peu. Ils peuvent au contraire céder et ne plus se reproduire de toute la journée, ne laissant qu' une prédisposition plus grande à la fatigue.

L' ordre, le moment de leur apparition, leur intensité sont des plus variés comme chacun le sait; des alpinistes ont eu le mal de montagne une fois en leur vie, d' autres l' ont à chaque course, d' autres en sont totalement exempts ou à peu près. Cette diversité sur laquelle on a déjà beaucoup insisté, rend fort peu probable l' existence d' une théorie unique ou tout au moins d' une cause unique, et le problème est des plus complexes.

Mosso, se fondant sur certaines expériences très intéressantes dans la chambre pneumatique et sur ses constatations à l' observatoire du Mont Rose, a préconisé la théorie du manque d' acide carbonique dans le sang, c'est-à-dire de l' agent excitant de la respiration. Le sujet observé dans la cabine pneumatique, présente des malaises variés lorsque la pression s' abaisse, on fait pénétrer à ce moment une certaine quantité d' oxygène qu' il inspire et se trouve mieux. Mais en même temps, on ferme le robinet d' entrée de l' air du dehors; il en résulte, ce que démontrent les analyses des gaz de la respiration, que la quantité d' acide carbonique augmente dans l' intérieur de la cabine pneumatique. Et même si la pression diminue encore, correspondant à celle d' une très grande hauteur, le sujet n' en est plus éprouvé et l' expérience se termine sans qu' il éprouve de malaise. Il résulte de ce fait qu' une personne dans un air raréfié tel qu' il existe à 8800 m ., résiste mieux lorsqu' on ajoute de l' acide carbonique à l' air qu' elle respire que lorsqu' elle se trouve à une moins grande hauteur ( 6500 m .) sans l' apport supplémentaire d' acide carbonique.

Mosso lui-même a pu supporter une raréfaction de l' air jusqu' à 192 mm ., soit une hauteur de 11,650 m ., et cela grâce à l' augmentation dans la quantité d' acide carbonique de l' air respiré.

Aussi conseille-t-il spécialement pour les voyages en ballon d' em avec de l' oxygène, de l' acide carbonique, et ceci pour rétablir l' équilibre des gaz du sang.

Il admet en outre que l' air raréfié produit un affaiblissement dans l' activité d' un des nerfs les plus importants, le nerf vague qui est en rapport avec les organes digestifs, le cœur et les poumons. Les vomissements, la déglutition difficile, les modifications du type respiratoire, l' état congestif des vaisseaux des poumons qui pour Kronecker a une grande valeur dans la production du mal de montagne, parce qu' il diminue l' étendue de la surface respiratoire, tous ces phénomènes réunis se retrouvent chez des animaux qu' on soumet à l' action de l' air raréfié ou dont on sectionne les nerfs vagues.

A l' observatoire du Mont Rose, Mosso a pu confirmer d' une manière générale la diminution de l' acide carbonique. D' après lui si la cause du mal de montagne devait être rapportée au manque d' oxygène, on ne verrait pas les personnes être plus malades la nuit et leur état s' améliorer lorsqu' elles se lèvent, marchent un peu, c'est-à-dire produisent plus d' acide carbonique, grâce au mouvement musculaire.

Mosso reconnaît en outre que la fatigue est une cause importante du mal qui peut se développer même avant qu' on soit parvenu dans un air vraiment raréfié.

La théorie de Mosso repose sur des observations dont la vérité scientifique est très probablement incontestable; elle est en opposition avec l' explication classique qui consiste à admettre depuis les travaux de Jourdanet et P. Bert que le manque d' oxygène dans le sang ou anoxy-hémie est la cause essentielle du mal. Nous avons vu que quelques auteurs modernes partagent cette opinion qui a pour elle aussi des faits incontestables. La diminution dans la proportion de l' hémoglobine, constatée par Guglielminetti, le ralentissement dans l' intensité des combus-tions organiques, sont en faveur de cette théorie. Zuntz a fait remarquer que la provision normale d' oxygène dans le sang varie selon les individus, que l' état de la circulation modifie la teneur en oxygène du sang dans les différents organes; enfin il paraît bien établi que les inhalations de ce gaz amènent un soulagement marqué. Si l' adjonction d' acide carbonique a un effet favorable, c' est qu' elle augmente l' effort respiratoire et facilite ainsi l' entrée d' une plus grande quatité d' oxygène. De plus ce qui importe, ce n' est pas la teneur du sang en acide carbonique, mais le degré de sa tension dans l' air situé dans les parties profondes du poumon. Or cette tension peut, à une haute altitude, être la même, supérieure ou inférieure à celle qui existe lorsque le sujet est dans la plaine.

La fatigue comme cause unique du mal, est passible aussi de certaines objections. Lorsqu' on se livre à un exercice forcé à la plaine, les muscles, le cœur et les poumons sont les principaux organes atteints; il se produit de l' épuisement proprement dit, qui est un état présentant certaines différences avec le mal de montagne, mais qui peut se combiner avec lui. A une haute altitude, les symptômes du mal peuvent se produire même au repos ou avec des efforts modérés.

Ces différentes théories ont pour elles, commes nous le disions plus haut, des observations sérieuses, mais elles sont toutes insuffisantes à expliquer en particulier ce fait si connu de la diversité dans l' appari du mal, que nous avons déjà signalée. Or s' il s' agit réellement d' une insuffisance d' un gaz nécessaire à la respiration, c'est-à-dire à la vie, il peut bien y avoir quelques différences individuelles, mais elles seront rares. En outre, si l'on compare le nombre des gens qui font des ascensions souvent dans de mauvaises conditions à celui des personnes atteintes, on verra combien la proportion de ces dernières est faible. Il ne saurait en être ainsi si réellement il s' agissait de la cause indiquée plus haut. Vivre à 1500 ou 1800 m ., comme bon nombre de montagnards le font habituellement, peut avoir une influence favorable sur l' organisme, mais ne constitue pas un élément de préservation du mal, et cependant les guides et les porteurs sont bien rarement atteints. Qu' ils éprouvent plus de fatigue au commencement de la saison d' été, cela est tout naturel après le long hiver où ils ont quelque peu perdu de leur entraînement. On peut voir d' ailleurs dans les grands centres alpins des individus peu résistants, peu endurcis, exécuter des ascensions longues et difficiles sans souffrir d' autre chose que de fatigue, tandis que de véritables colosses seront malades.

Ces réflexions, et bien d' autres encore, nous amènent à penser que le mal de montagne tient bien plus à l' individu lui-même qu' aux conditions extérieures qui sont les mêmes pour tous.

Au cours de la première partie de cette étude, nous avons mentionné les études de Guillemard et Moog à l' observatoire Vallot et aux Grands Mulets et nous avons rapproché leurs résultats de ceux qui étaient indiqués par Zuntz et ses collaborateurs. Sans entrer dans des détails techniques qui ne seraient pas à leur place ici, nous devons rappeler que ces observateurs ont constaté que soit la vie à l' altitude, soit l' ascension produisaient un certain nombre de substances qui sont de nature toxique, et qu' en outre l' élimination de ces corps par l' urine était ralentie. Depuis longtemps déjà on connaît les poisons de l' urine, leur rôle dans la production de certains états pathologiques. On sait aussi combien l' alimentation les fait varier en quantité comme en qualité. Plus nous avançons dans la connaissance des fonctions de la vie, plus nous reconnaissons que le corps humain est un laboratoire de poisons, que certains organes sont chargés de détruire ou d' éliminer. Nous savons de même que les produits de la fatigue occasionnée par des travaux exagérés à la plaine comme à la montagne, sont capables de donner lieu à des accidents plus ou moins graves, voire même mortels. Enfin l' intégrité ou l' altération des organes destructeurs ou éliminateurs des substances toxiques joue un rôle considérable dans la production ou la marche des différentes maladies. Il suffira de rappeler les accidents qui se produisent à la suite de l' ingestion de viande gâtée par exemple; tous ceux qui en ont mangé n' ont pas été atteints au même degré, et la question de quantité en pareil cas est bien loin d' être la plus importante. Mais les uns ont résisté, parce que leurs organes ont permis une sortie rapide des produits toxiques, les autres ont été gravement malades ou ont succombé, parce que l' activité de ces mêmes organes était amoindrie. Il n' est pas nécessaire du reste d' invoquer comme cause, des substances alimentaires avariées; les mets les plus simples, les plus inoffensifs pour la grande majorité peuvent donner naissance à des indispositions passagères ou plus graves selon les circonstances individuelles.

Il faut tenir compte en outre de ce fait mentionné par Guillemard, à savoir que les premiers jours de leur stationnement à l' observatoire Vallot, malgré l' absence de transpiration, et en prenant des boissons abondantes, la quantité d' eau de l' urine se trouvait très restreinte. Il fallait un certain acclimatement pour que la fonction rentrât dans l' ordre.

L' étude de la pathologie nous montre que lorsque la fonction rénale est troublée, il se fait une véritable accumulation de poisons dans l' or.

Que sont donc les symptômes du mal de montagne? Les troubles respiratoires et circulatoires sont dépendants jusqu' à un certain point de l' effort musculaire, de la force individuelle, de l' entraînement et de l' ha technique. Mais leur développement quelquefois si rapide, leur apparition à une hauteur relativement faible, alors que la raréfaction de l' air ne saurait agir encore, tout cela montre bien que ce n' est pas la diminution d' un gaz nécessaire à la vie qui est en jeu. Le mal de tête, la somnolence, l' hébétude, la sensation extraordinaire de fatigue, les vomissements sont des symptômes d' ordre toxique, tel que nous les constatons au début ou au cours de bien des maladies.

Selon les individus, ces accidents arrivent plus ou moins vite; ils se présenteront une fois, plusieurs fois ou jamais; ils auront un caractère léger, ou transitoire, ou au contraire se développeront de plus en plus. L' entraînement, le mode d' alimentation, l' intérêt apporté par l' ascension, le danger, les difficultés, l' état moral du sujet, tous ces facteurs font varier le mal dans des proportions infinies. J' insiste en particulier sur le mode d' alimentation, car il est capital; en consultant les périodiques alpins, on voit combien souvent les alpinistes reconnaissent l' influence de la nourriture. Et sans pouvoir prouver mon assertion par des chiffres, je suis porté à croire que malgré la fréquence croissante des ascensions, les conditions médiocres de bon nombre d' alpinistes, le mal de montagne est plus rarement observé qu' autrefois. Et cela parce qu' en fait de boissons, le thé et le café ont remplacé pour le plus grand nombre le vin et les liqueurs, dont on recherchait l' action stimulante. Il est hors de doute que l' alcool donne un coup de fouet à l' organisme pour le laisser plus faible après, qu' il entrave plus souvent la digestion qu' il ne la favorise, qu' il s' élimine encore plus par les poumons que par le rein, qu' il n' est pas un véritable diurétique, propriété essentielle du thé et du café. Si l'on ajoute à ce fait ceci que les conserves de viande sont bien supérieures à ce qu' elles étaient jadis, que l'on peut à peu près partout se procurer des provisions convenables, alors que cela était très difficile, on conviendra que de ce chef-là, nous avons une nourriture plus saine, donnant lieu à une moins grande quantité de poisons. L' emploi des réchauds transportables permet en outre de préparer des boissons chaudes, se digérant facilement, fournissant ainsi au corps humain la quantité de liquide utile.

Ces différentes constatations ont à mon avis une valeur considérable pour l' étude des causes du mal de montagne. Que la diminution d' oxygène, soit dans la totalité du sang, soit dans celui des différents organes, ait une influence marquée, je ne saurais y contredire. L' acte même de l' ascension a des effets si prononcés que la moindre modification dans l' air que nous respirons à ce moment aura des conséquences importantes, mais encore une fois il faut considérer avant tout l' état individuel.

Nous pouvons poser en principe que notre organisme a toujours un point faible; les appareils circulatoire, respiratoire, digestif, nerveux ne sont point toujours capables de remplir une tâche à laquelle nous ne sommes pas adonnés constamment, sans souffrir quelque peu. Si la circulation par exemple présente quelques irrégularités, il se produira une augmentation de l' effort respiratoire; la nutrition de nos organes sera modifiée, la digestion se fera moins bien, le rein fonctionnera d' une manière insuffisante pour une quantité normale de déchets à éliminer ou se trouvera en présence d' un surcroît de travail. A l' heure actuelle, même chez des individus encore jeunes, on peut constater fréquemment une altération des vaisseaux sanguins qui modifie la circulation de l' en de l' organisme ou plus spécialement de tel organe. Bien plus que de véritables lésions du cœur, cette atteinte de notre intégrité corporelle est capable de donner lieu à des troubles graves. Mais en dehors de ces causes, nous connaissons des accidents inquiétants, des cas de morts qui prouvent d' une façon indéniable que la fatigue, l' angoisse altèrent le système nerveux au point qu' il n' est plus capable de fonctionner d' une manière normale.

Or les produits toxiques de l' organisme dont nous constatons la présence dans l' urine ont une influence dangereuse sur l' état du système nerveux, ce régulateur de toutes nos fonctions. Et s' il n' est plus adéquat à sa tâche, aucun organe ne peut résister longtemps; il se développe un véritable cercle vicieux. C' est en s' appuyant sur des considérations de ce genre que l'on peut expliquer la mort d' alpinistes jeunes, ayant très probablement des organes sains et qui ont succombé à la suite de grandes fatigues, après une nuit de bivouac. Comme je l' écrivais dans un article de l' " Echo des Alpes " en 1909, ces accidents sont le produit de la fatigue poussée à l' extrême, et ne l' oublions pas, de la fatigue du corps comme de celle de nos facultés intellectuelles et de nos sentiments. Il y a encore des faits, tels que la mort du Dr Jacottet à l' ob Janssen, qui restent obscurs; les renseignements que nous possédons sont insuffisants pour nous permettre de porter un jugement précis.

Cette hypothèse du mal de montagne, dû à l' intoxication de l' or par une élimination insuffisante des poisons que nous fabriquons, rend compte, mieux que d' autres, des innombrables variations individuelles. Si le mal n' apparaît que tardivement et à de plus grandes hauteurs chez les aéronautes, c' est que tout effort musculaire, c'est-à-dire comme nous l' avons vu, une source importante dans la production des déchets, est supprimée. Guillemard et Moog n' ont commencé leurs recherches que 24 heures après leur arrivée à l' observatoire Vallot; ils estimaient ce temps nécessaire pour éliminer les effets de l' ascension sur la composition de l' urine; la chose me paraît possible, quoique pas absolument prouvée. Quoiqu' il en soit, c' est dans ces conditions toutes spéciales qu' ils ont constaté les résultats dont nous avons parlé, qui prouvent combien la nutrition intime de l' organisme souffre en pareil cas.

Les raisons qui font varier notre état individuel sont multiples; le touriste qui quitte ses affaires et s' en va au bout d' un jour ou deux, après son arrivée à la montagne, tenter quelque ascension, sera souvent un fatigué de la vie; l' absence d' exercice pendant une longue période, ou un exercice insuffisant, le travail cérébral intensif, les préoccupations, bien d' autres causes, ne l' ont pas mis en état de supporter les modifications que vont imprimer à son organisme la raréfaction de l' air et les efforts qu' il devra faire. Ses organes paresseux, encrassés, si je puis ainsi m' exprimer, se trouveront en présence d' un surcroît de travail; et c' est bien souvent dans ces conditions qu' éclate le mal. Celui qui aura déjà pu s' entraîner, sera mieux qualifié pour résister à ces causes; mais les dangers qui se présentent sur sa route, ou au contraire la monotonie d' un parcours sur de longues pentes de neige avec une forte chaleur, épuiseront sa force nerveuse et il sera aussi atteint. Une mauvaise nuit dans quelque cabane encombrée, une digestion incomplète sont aussi des facteurs dont on relève souvent les effets fâcheux. Les guides sont beaucoup moins fréquemment atteints, parce que ces différentes causes n' existent pas ou peu pour eux; leur entraînement, en prenant le mot dans son sens général, est infiniment supérieur. Ils sont des hommes comme les touristes qu' ils accompagnent; seulement par suite de l' habitude ils ne font que les efforts nécessaires, ils ne dépensent pas leurs réserves. De plus, il faut bien distinguer entre l' entraînement et l' acclimatement. Le premier de ces termes signifie que l' individu a exercé ses muscles, son cœur, a augmenté sa capacité respiratoire, a conquis une certaine expérience technique, a dompté ses nerfs contre l' influence de la crainte; une telle personne est déjà dans des conditions favorables pour résister à la cause du mal. Mais je considère l' acclimatement qui ne s' opère que par un séjour d' une certaine durée à l' altitude comme un état bien supérieur. C' est celui de l' in qui s' est débarrassé des déchets de ses anciennes fatigues de la vie ordinaire, qui a renouvelé son sang, fortifié son système nerveux. est devenu, si l'on peut ainsi parler, un homme nouveau. Il s' est habitué à des conditions nouvelles de vie, ses différents organes ont repris de la souplesse et un fonctionnement régulier; il est capable de supporter de grands efforts, même dans des conditions défavorables. On ne saurait trop insister, à mon avis, sur les différences essentielles qui existent entre ces deux états. Zuntz, partisan de la théorie de l' anoxyhémie, a pu constater chez deux individus que la pression de l' oxygène dans l' intérieur du poumon est la même à l' altitude du Mont Rose que chez d' autres personnes à 2900 m.; la provision normale de l' oxygène du sang varie beaucoup selon les personnes; il admet que la proportion de ce gaz n' est pas la même dans le sang des différents organes. Il me paraît certain, que si l'on pouvait examiner un nombre suffisant d' individus, lorsqu' ils partent pour la montagne et lorsqu' ils y ont séjourné un certain temps, on se rendrait compte que l' acclimatement a une grande influence sur le phénomène en question. Bon nombre d' alpinistes distingués sont loin d' être remarquables par leur taille, leur force musculaire, leur capacité respiratoire; ce sont des moyens à cet égard. Et cependent ils ne seront jamais atteints par le mal, tout au moins dans les conditions les plus habituelles; la raison en est que l' équilibre de leurs organes est aussi parfait que possible. Leur capacité technique, leur sang-froid, l' accoutumance déjà ancienne à la vie dans la montagne, leur permettent d' accomplir de rudes travaux, parce qu' ils savent ne dépenser que ce qui est nécessaire pour le but à atteindre, ils ne font pas de frais inutiles, ils ne produisent qu' une quantité presque normale de déchets, et ils les éliminent plus facilement. Mais si l'on considère le grand nombre de touristes qui entreprennent des courses avec une préparation insuffisante, on ne peut s' étonner que d' une chose, c' est que l' apparition du mal de montagne soit somme toute peu fréquente. La raison en est que malgré la fatigue de la vie, malgré les modifications dans la composition de l' air aux hautes altitudes, le corps humain possède une élasticité remarquable qui lui permet de s' adapter à beaucoup de changements dans les conditions extérieures. Mais qu' un ou plusieurs organes, soit par faiblesse native, soit par suite de l' usure aient fléchi dans leur fonctionnement, qu' une mauvaise digestion, un sommeil insuffisant exercent leur influence, le mal de montagne se présentera d' une manière plus ou moins marquée.

III.

Cette longue discussion nous amène à envisager l' origine et le traitement du mal d' une façon un peu différente qu' on ne l' a fait jusqu' à présent. En insistant sur la notion de l' intoxication nous croyons qu' il sera plus facile d' éviter de pareils accidents. Et en fait tous les auteurs s' accordent pour admettre les conclusions suivantes:

Toute personne qui veut entreprendre des ascensions un peu importantes doit connaître son état individuel, ses points faibles, le but qu' elle désire atteindre et d' une manière générale les efforts qui lui seront demandés pour cela. Elle saura aussi par son expérience antérieure ou par les renseignements qu' elle aura recueillis auprès de personnes compétentes, si elle pourra faire face à des obstacles plus grands qu' on ne saurait l' admettre dans les conditions ordinaires.

Elle prendra les précautions nécessaires pour que son alimentation soit en rapport avec ses capacités digestives. Cette manière de voir me paraît très supérieure à celle qui consiste à établir des règles dans la nourriture qui ressemblent à de véritables menus. Rien en effet n' est plus individuel que notre digestion; chacun doit, à cet égard, s' observer lui-même et, tenant compte que cet acte vital subit des modifications à l' altitude, se procurer les aliments qui lui conviennent. On a, par exemple, beaucoup recommandé le sucre comme aliment capable de fournir de l' énergie musculaire, et cela sous un petit volume; de nombreux mémoires ont paru pour démontrer la réalité de cette opinion. Physio-logiquement parlant, le fait est vrai; mais les individus capables de tolérer l' ingestion d' une quantité considérable de sucre, ne me paraissent pas nombreux. J' en ai fait l' expérience personnelle et suis très loin d' avoir constaté des résultats favorables. La quantité comme la qualité de la nourriture doivent être envisagées en tenant compte de notre personnalité.

D' une manière générale, les individus à système nerveux faible et excitable, feront bien de ne pas s' enthousiasmer pour les grandes ascensions; ils risquent en effet, dans les passages difficiles, de faire une dépense de force nerveuse telle que l' épuisement n' est pas loin. Et alors il n' est pas étonnant que la fatigue aidant, les accidents se présentent plus souvent et d' une manière plus grave.

L' entraînement et surtout l' acclimatement, principalement pour les individus qui ne sont plus jeunes ou que leur vie habituelle fatigue outre mesure, me paraissent des conditions absolument nécessaires.

Je ne saurais trop recommander aussi la nécessité des respirations lentes et profondes; nous avons vu que l' altitude diminue la capacité respiratoire, la ventilation absolue. Il faut donc suppléer à cet apport insuffisant par une gymnastique respiratoire appropriée; les quelques détails donnés plus haut en expliquent suffisamment la raison et j' ai pu, par une expérience personnelle, me convaincre combien il faut veiller sur soi-même à cet égard. Comme l' écrivait M. le prof. Chaix, c' est un ballon d' oxygène que chacun trouve à sa portée. En effet s' il est possible à des aéronautes de transporter avec eux ce gaz, en y ajoutant selon la recommandation de Mosso, un peu d' acide carbonique, je crois bien que nos sacs ne sont guère faits dans ce but et que ce sont là des procédés inutilisables dans les circonstances habituelles.

Enfin on tiendra grand compte de l' état de nos organes, chargés d' éliminer les poisons que nous formons; nombreux sont ceux dont le foie et les reins ne fonctionnent pas d' une manière normale, tout au moins ne supportent pas un travail qui dépasse la moyenne journalière. A ceux-là les grandes fatigues doirent être interdites, ils sauront se contenter des petites courses, des heures de douce flânerie. En tout cas il faut favoriser l' activité de ces organes par des boissons suffisamment abondantes et qui, par leurs propriétés spécifiques, facilitent la diurèse.

Et quand, malgré toutes nos précautions, le mal éclate, le plus simple est de se reposer et ensuite de ne pas persévérer dans une ascension qui risque d' être plus souvent une source de malaise que de plaisir.

Cette question du mal de montagne nous intéresse tous; elle n' est pas résolue entièrement, mais nous pouvons légitimement espérer qu' avec le progrès de la science, elle le sera bientôt.

Je souhaite que ce modeste travail y contribue pour le plus grand bien de tous ceux qui aiment la montagne et lui sont reconnaissants des jouissances si pures qu' ils y trouvent toujours.

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