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A skis là où d’autres grimpent Course à la frontière du Rätikon oriental

La Sulzfluh et le Grosser Drusenturm sont des montagnes connues des grimpeurs. Il est aussi possible de les gravir à skis dans une atmosphère alpine et de raides descentes.

Le souffle est court, les pulsations cognent. Malgré une température glaciale, la sueur perle sur notre front. Skis sur le sac, nous franchissons le passage-clé de l’ascension à la Sulzfluh, un couloir de neige à 40° qui permet d’accéder au Gemschtobel. Une fois celui-ci surmonté, on peut poursuivre la montée à skis. Peu à peu, le soleil envahit les imposantes faces de calcaire sur notre droite. La chaleur nous gagne. Etonnamment, le sommet rocheux de la Sulzfluh peut être gravi à skis sans problèmes par le nord-ouest.

La croix sommitale n’est pas la seule à être imposante, le panorama l’est tout autant: une mer de vallées, d’arêtes et de sommets. A l’ouest, le regard s’attarde sur les trois Drusen-türme, qui se fondent en un seul obélisque. Vis-à-vis, la verticalité de la paroi de la Schijenflue est non moins impressionnante. Son dièdre ouest a longtemps compté parmi les voies d’escalade les plus exigeantes des Alpes. La face sud de la Sulzfluh est, elle aussi, parcourue de classiques qui ne figurent plus aujourd’hui en tête de liste des adeptes d’escalade sportive. Une via ferrata y attire en revanche quantité de visiteurs durant l’été.

De la Sulzfluh, il existe une descente raide par le Rachen qui franchit la frontière et conduit à la Lindauer Hütte dans le Montafon. Aujourd’hui, nous renonçons délibérément à ce morceau choisi, car nous avons l’intention de passer la nuit à la Carschinahütte et de ne fouler la neige autrichienne que le lendemain.

Tours sauvages et carte de visite rocheuse

Le soleil se lève. Le paysage ressemble à un géant endormi. La trace qui relie la Carschinafurgga au Drusator est gelée. Pas un mot, chacun est perdu dans ses pensées. La paroi sud du Grosser Drusenturm a longtemps été l’un des buts favoris des grimpeurs du Rätikon. Son «Burgerweg» fut probablement, en 1993, la première voie escaladée dans le degré 7. Notre objectif n’est cependant pas cette face sud inspirant la crainte, mais la pente est plus douce de cette tour. Pour parvenir à ce toit, il faut se frayer un chemin du Drusator au versant autrichien et remonter à grand renfort de conversions les pentes abruptes du Sporertobel. Un terrain à ne parcourir en aucun cas lorsque la situation est avalancheuse.

Une fois parvenu au sommet du Grosser Drusenturm, il vaut la peine de prendre le temps d’admirer le paysage, même si le temps et la descente tant attendue se font pressants. La météo n’est plus aussi radieuse que le jour d’avant, et les sommets et arêtes au loin se perdent dans une brume bleuâtre. Les trois Drusentürme font partie du massif montagneux étiré de la Drusenfluh, dont la première fait l’objet d’une anecdote. Il semble qu’en 1870, l’auteur de la première, le guide de montagne du Montafon Christian Zudrell, ait gravé sa «carte de visite» sur le rocher sommital. On douta cependant de sa performance. Mais ceci seulement jusqu’au jour où les auteurs de la seconde ascension découvrirent les initiales de Christian Zudrell sur le roc en question. A leur retour, ils lui écrivirent une carte portant juste la mention «CZ 70». Par retour de courrier, il leur répondit tout aussi laconiquement d’un «félicitations pour la Drusenfluh». Il fut ainsi réhabilité. Comme cette carte de visite en pierre s’érodait, un guide de montagne la rapporta en plaine en 1995. On peut aujourd’hui encore la voir à la Lindauer Hütte.

«Allons, encore une dernière cuillerée!»

Virage après virage, nous enchaînons la descente du sauvage Sporertobel, qui compte parmi les plus impressionnantes de l’ensemble du Rätikon. Au Sporaturm, on a l’embarras du choix: soit on descend à droite directement jusqu’à la Lindauer Hütte, soit, toujours avec le même but, on effectue un grand détour à gauche par les abruptes pentes nord, le long de la Gamsfreiheit jusque dans l’Öfatal. Un retour direct dans le Prättigau par le Drusator reviendrait à pécher par omission. Nous nous décidons pour la seconde variante et tombons dans ces pentes très à l’ombre sur une poudreuse scintillante. Après une pause à la Lindauer Hütte, nous poursuivons notre descente sur Tschagguns par le Gauertal. Si l’on n’est pas pressé, un arrêt au Löwen pour déguster un Kaiserschmarren et un Zwetschgenröster permettra de se régaler avant de continuer en bus jusqu’à Gargellen. Mais attention, il faut garder un œil sur la montre. Ces plats sont préparés avec des ingrédients frais, et la patronne est très loquace. «Allons, encore une dernière cuillerée», commente-t-elle à notre première tentative de paiement tout en nous servant un supplément.

Quand nous retirons les peaux deux heures et demie plus tard au St. Antönier Joch, le soleil est déjà bas dans le ciel. Sur un panneau en métal, on peut lire «Österreich» en grandes lettres. L’heure du retour en Suisse a sonné. Mais avant que ne se referme le cercle, nous pouvons encore nous réjouir d’un autre supplément: la descente jusqu’à St. Antönien à travers l’Alpeltitälli. Cette journée de course nous gratifie ainsi de près de 3300 mètres de descente. Bien que les cuisses brûlent, nous nous répétons: «Allons, encore une dernière cuillerée!»

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