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A l'aventure dans la région des Ten Peaks

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR AD. ZELLWEGER, BURNS LAKE, CANADA ( CAS RHEIN )

Avec 6 illustrations ( 98-103 ) La chaîne des Ten Peaks forme une fraction de la frontière entre les deux provinces canadiennes de la Colombie britannique et de l' Alberta. C' est un chaînon des Montagnes Rocheuses, aune douzaine de kilomètres au sud-ouest de l' autoroute transcanadienne. Du Lac Louise, qui compte parmi les stations de sports d' hiver les plus grandes du pays, on atteint en une demi-heure de voiture le camping du Lac Moraine, point de départ des excursions les plus importantes dans ce monde montagnard souvent solitaire. Avant d' entreprendre une course - même si elle se poursuit par un itinéraire facile jusqu' au sommet - il faut s' inscrire auprès d' un garde du parc national. Cela peut paraître étrange à un Suisse qui n' a, dans son pays, pas d' autre règle que d' escalader la première montagne qui lui plaît et qu' il se sent capable d' affronter.

Dès le printemps, nous avions projeté une traversée complète de toute la chaîne des Ten Peaks d' ouest en est. Et voilà qu' à mi-septembre nous étions enfin à pied d' oeuvre! Partis de Vancouver et étant passés par le Col Rogers, après treize heures de route, mon ami Jerg et moi avions planté notre tente au bord du Lac Moraine, à 1880 mètres d' altitude, un vendredi soir. Mais deux jours de mauvais temps nous retinrent au camp. Le dimanche, nous profitons d' une éclaircie pour pousser une pointe dans la vallée Consolation, car une reconnaissance des possibilités d' escalade qu' elle présente peut nous être utile. Après des averses orageuses, dans la nuit du dimanche au lundi, et une chute de neige fraîche jusqu' à 2500 mètres, le temps s' améliore graduellement. Nous savons bien qu' avec la neige fraîche et la saison avancée notre entreprise « branle au manche », mais nous ne nous laissons pas décourager et nous faisons encore le jour même nos « préparatifs de voyage ».

Le lendemain, nous chargeons à quatre heures déjà nos sacs pesants, qui contiennent, outre notre matériel d' escalade et de bivouac, des vivres pour cinq jours au moins.

Sous un magnifique ciel étoile, je marche derrière Jerg et profite de la mince lueur de sa lampe frontale au cours de la traversée d' une forêt de mélèzes clairsemés jusqu' au Col de Wenkchemma, à 2600 mètres. Au moment où le soleil levant rougit l' horizon, nous atteignons le col où le vent violent d' ouest nous souffle la neige au visage. Une douche froide matinale, qui ne présage pas le beau temps! Par un névé abrupt, nous atteignons l' arête nord-ouest de la Montagne de Neptuak ( sommet IX ). De là, une montée dangereuse conduit au sommet par-dessus des éboulis et des rochers branlants, que l' eau de fonte du jour précédent a recouverts d' une pellicule de glace. Le mauvais temps et de longs rideaux de glaçons sur la paroi sommitale nous font rebrousser chemin à 150 mètres à peine au-dessous de notre premier but. A 4 heures et demie de l' après, nous nous retrouvons au col et ne voulons en aucun cas nous considérer comme battus, car le temps pourrait se remettre au beau jusqu' au lendemain matin. Jerg me propose de descendre dans la vallée du Prospecteur; du côté sud se trouvera peut-être un meilleur itinéraire de montée. J' approuve immédiatement. Au crépuscule, nous nous enfilons dans nos sacs de bivouac à la Baie de Tokumm, tandis qu' un feu pétillant nous réchauffe et nous protège des ours qui gîtent encore nombreux dans ces régions solitaires.

Le lendemain matin, le soleil rit dans un ciel sans nuages, comme pour se moquer de notre retraite de la veille. Par des fourrés et des prairies maigres, nous cherchons notre chemin dans la direction sud-ouest. Des fausses bruyères rouges et blanches jalonnent le chemin, et souvent aussi une aster bleue des Alpes nous sourit. Dans l' après, nous atteignons le Lac Kaufmann et décidons, bien qu' il soit encore tôt, de planter notre camp dans cette nature de rêve que rien n' a touchée.

A l' aube grise déjà, nous peinons dans un couloir d' éboulis, en direction du Mont Allen ( sommet VI ), ce qui nous coûte maintes gouttes de sueur et une bonne dépense d' énergie. Après deux cents mètres de montée, je persuade mon compagnon de cordée de rebrousser chemin, car toutes les voies sont menacées d' avalanches de pierres et de glace. Nous redescendons, le cœur lourd et, sur des bancs de rocher et des éboulis, nous prenons la direction est pour atteindre Fay Hut. Il devrait y avoir là une petite cabane, que nous n' arrivons pas à trouver du fait que la carte et le sentier sont en aussi piteux état l' un que l' autre. Aussi peinons-nous sous le chaud soleil de l' après, d' abord dans une région de moraines, puis sur le glacier sud, vers la selle où se trouve un bivouac fixe.

Le bivouac Graham Cooper Memorial appartient au Club montagnard de Camgary et rappelle le souvenir d' un de ses membres qui, après avoir participé à la construction de la cabane en 1963, trouva la mort en tombant au cours de la descente. Cette cabane se trouve entre les sommets III et IV, à l' altitude de 3000 mètres, au-dessus du couloir de glace qui sert fréquemment de chemin de montée. Elle est posée comme un nid d' aigle sur un éperon aérien qui plonge presque directement dans le Lac Moraine, et elle peut abriter neuf alpinistes. De là, on jouit d' une vue fantastique sur le lac et la vallée des Ten Peaks. Bien que des câbles amarrent le cabane, il faut être un optimiste à tous crins pour dormir en paix sous son toit pendant une tempête.

Pour enrichir notre collection de diapositives de quelques exemplaires, nous escaladons une tour d' environ 40 mètres de haut, proche de la cabane.

Et me voici perché sur ce point de vue aérien, observant le soleil couchant, pendant qu' il peint du rouge éclatant de ses derniers rayons les sommets couverts de neige fraîche. D' ici pourtant, on n' a qu' un petit aperçu du monde gigantesque des Montagnes Rocheuses, qui traverse le Canada sur plus de 800 kilomètres.

Pendant ce temps, Jerg a allumé le réchaud à benzine, et déjà le souper mijote. Aujourd'hui nous nous couchons tôt, dans l' espoir que demain nous fêterons notre première victoire sur les Ten Peaks.

Vendredi à 5 heures: diane! Nous traversons le glacier sud dans la direction sud-ouest, gravissons une côte rocheuse et cherchons notre chemin, parmi des crevasses et des ponts de neige dangereux, jusqu' au pied du Mont Little. Là, nous gagnons rapidement de la hauteur sur un névé raide, mais dur. Bien que nous ne puissions avancer que sur les pointes antérieures des crampons, nous espérons atteindre l' arête nord-ouest sans incident. A une longueur de corde sous les rochers, les crampons n' ont plus de prise sur la glace noire qui apparaît. Jerg taille péniblement une série de marches, dans lesquelles je suis en second, sans fatigue. Plus haut, sur une bonne terrasse, nous abandonnons crampons et piolets et varappons jusqu' au sommet, sur l' arête délitée et aérienne. Le Mont Little ( sommet II ) est, avec ses 3140 mètres, un des sommets les plus bas des Ten Peaks, mais notre joie n' en est pas moins grande, car nous avons du attendre trois jours durant notre premier succès. A nouveau nous jouissons d' une vue claire sur ce monde de montagnes. Dans le lointain apparaît, ici et là, une cime neigeuse dont on aimerait bien savoir le nom. Nous nous amusons fort à la vue du cairn que des humoristes ont sauvé de la ruine en lui enroulant une cordelette autour du ventre! Ce n' est pas sans peine que nous nous arrachons à cet observatoire, mais si nous voulons encore inscrire un sommet à notre palmarès aujourd'hui, nous devons nous hâter. Rapidement nous redescendons l' arête et notre échelle de glace jusqu' au glacier nord.

Jerg m' explique qu' il veut attaquer le Mont Bowlen par le nord. Je me rallie à son avis, car, en matière d' escalade sur la glace, il a davantage d' expérience que moi. A travers la neige poudreuse et légère, il cherche la voie du flanc nord et recommence bientôt à tailler des marches. L' exécrable glace noire nous arrêtera-t-elle ici aussi? Les éclats de glace volent, glissent le long du glacier en pente raide, sautent par-dessus la rimaye et se brisent après leur long trajet sur un éboulis, près du Lac Moraine. Afin que la même aventure ne nous surprenne pas, nous nous assurons avec des vis à glace. Le temps, lui, ne nous cause au moins aucun souci: le soleil poursuit sa course dans un ciel sans nuages et disparaît maintenant derrière le sommet Pendant ma longue attente dans l' ombre de la paroi nord, je gèle pitoyablement. Enfin Jerg me fait monter. Après un escalier d' au moins 150 marches, nous sortons dans les rochers qui sont complètement recouverts de neige et de glace. Il faut tant soit peu nettoyer le terrain pour trouver au moins quelques prises. Ce que le gel n' a pas rendu compact est désagréablement branlant. Je peste contre cette pourriture qui ne permet aucun assurage, car si l' un de nous tombait, il serait impossible à l' autre de le retenir, et, après une petite glissade, nous serions précipités en chute libre sur 800 mètres jusqu' au pied de la face nord. Lentement, avec une extrême prudence, nous nous élevons et ce n' est qu' après une bonne heure que nous atteignons le rocher solide et sec. Une courte escalade nous conduit à l' arête est, d' où le sommet est à notre portée. Lorsque, rayonnants de joie, nous nous y serrons la main, quatre heures au moins se sont écoulées depuis que nous avons attaqué la montagne. C' est beaucoup de temps, si on le compare à la différence d' alti qui nous sépare de la cabane: 400 mètres. Le Mont Bowlen ( sommet III ) dépasse le Mont Little de près de 250 mètres, et la vue y est plus imposante encore.

Bien que nous ayons de temps à autre calmé notre faim avec des fruits secs, la pensée de manger quelque chose de chaud nous pousse maintenant vers la cabane. Nous descendons à grands sauts par un couloir d' éboulis jusqu' au glacier sud et atteignons en vingt minutes la place de bivouac. C' est fatigués, mais heureux que nous nous enroulons ce soir dans les couvertures de laine.

Aujourd'hui samedi, nous nous préparons à partir presque aussi tôt qu' hier. Au-dessus de nous s' étend un ciel bleu-noir, où scintillent encore les dernières étoiles. Nous avons au programme l' as du Mont Fay, le premier de la longue série des Ten Peaks. Nous descendons légèrement sur le glacier sud et, après une heure de marche, atteignons le pied sud du sommet I, comme on le nomme aussi. Nous enlevons rapidement nos habits chauds et fixons les crampons à nos souliers, car ici aussi l' itinéraire menant au sommet est raide et neigeux. Il faut d' abord contourner des crevasses, mais elles ne nous retardent guère. Ce n' est que la dernière et la plus large qui nous barre le chemin. Jerg a tôt fait de trouver un pont de neige, qui, bien qu' étroit et mince, est suffisamment gelé pour nous por- ter, et nous le traversons en équilibre, comme des danseurs de corde. Nos crampons tiennent bien dans la neige dure. Nous sortons sur les rochers par un couloir raide qui va s' élargissant et grimpons vers l' arête ouest. Ici, comme d' ailleurs partout dans les Ten Peaks, les roches sont très branlantes, et souvent une chute de pierres se déclenche avec bruit. Vers huit heures du matin, nous sommes déjà, mon camarade et moi, sur le sommet de 3230 mètres du Mont Fay, et comme toujours le paysage environnant me fascine.

Droit devant nous, en direction nord, se dresse le Mont Babel, à peine 100 mètres au-dessous de nous. A sa gauche, de l' autre côté de la vallée, le majestueux Mont Temple. Il porte bien son nom, car ses nombreuses terrasses rocheuses le font vraiment ressembler à un temple. La Pinnacle-Mountain le suit, plus à gauche: un joli terrain d' escalade avec ses pointes et tours nombreuses. Puis Y Eiffel Peak, qui nous verra certainement la semaine prochaine. Le Lac Eiffel scintille à ses pieds comme d' innom cristaux. A l' arrière dépassent trois géants couverts de glaciers: le Mont Victoria, le Mont Huber et le Mont Lefroy. A droite du Col Wenkchemma, les deux pics hardis du Ringrose Peak et de la Hungabee-Mountain semblent nous saluer; la pyramide puissante de cette dernière ressemble à celle du Cervin. Ensuite s' étend, vers l' ouest, la longue arête des Ten Peaks, qui nous a café tant de sueur, bien que nous ne soyons pas arrivés au but que nous nous étions fixé. Au sud, les sommets se succèdent mais la carte ne nous permet pas de les identifier. Quelque part dans le lointain, en direction sud, doit se trouver le Mont Assiniboine, connu comme le Cervin des Rocheuses canadiennes. Dans la même direction, mais beaucoup plus proche, se dresse le Chimney Peak. Comme nous l' avons déjà signalé, il se dresse avec toute la chaîne des Ten Peaks et la suivante jusqu' au Mont Victoria, sur la frontière entre la Colombie britannique et l' Alberta. A l' ouest, le Mont Quadra et ses quatre sommets et la Bident-Mountain terminent l' arête qui tombe alors sur le Consolation Pass, un col dépourvu de chemin. Notre tour d' horizon se ferme sur le large dos de la Panorama Ridge, qui se dresse à droite du Mont Babel, directement au-dessus des deux jolis lacs Consolation. Nous abaissons alors notre regard sur un tableau qui nous est familier depuis longtemps déjà, mais qui est continuellement paré de neuf: le Lac Moraine! Il est là comme toujours, d' un bleu profond et enchanteur, au pied des Ten Peaks. Souvent un canot ou un bateau à rames danse sur ses vagues, à la recherche d' endroits romantiques sur la rive.Vue plongeante inoubliable, surtout en cette saison où les mélèzes dans leur robe dorée d' automne brillent comme des points clairs sur les forêts de sapins vert sombre! Les 3000 poudrés de neige trônent au-dessus comme des rois. De notre cime isolée, nous croyons regarder un pays de contes de fées!

Oui, l' endroit est vraiment aérien! Devant nous, le Mont Fay surplombe le glacier nord de ses roches branlantes et de ses glaciers suspendus, et nous remarquons pour la première fois la fissure, large comme le poing qui, à huit mètres derrière nous, passe en arc de cercle, dans l' éboulis, d' une arête à l' autre; devant tant de beautés naturelles, nous ne l' avions même pas aperçue. Nos genoux « se liquéfient » à la pensée que nous pourrions être précipités dans l' abîme de la paroi nord avec un morceau du sommet. Nous revenons rapidement sur nos pas, car nous n' ambitionnons pas pareil plaisir! Tôt ou tard, cette pointe se détachera: le Mont Fay sera plus bas de quelques mètres, et il faudra ériger un nouveau cairn.

Après la halte au sommet et une ration d' ananas pour calmer notre soif, nous entreprenons la descente. Le soleil a déjà ramolli la neige, mais, à l' ombre, nous pouvons passer rapidement sur le névé encore dur. Une pierre perdue nous siffle souvent aux oreilles et nous invite à nous hâter. Peu avant le pont de neige, une chute de pierres nous fait bondir d' effroi. Nous pouvons cependant l' éviter au dernier moment. En quelques enjambées, nous sommes hors de la zone dangereuse et regagnons tranquillement notre maison de week-end. Il est encore assez tôt pour y préparer le repas de midi.

Un coup d' oeil sur le menu: de la semoule aux raisins secs! Il ne nous reste pas grand-chose d' autre, mais cela suffit, car nous voulons descendre encore aujourd'hui au Lac Moraine.

Nous nous mettons en route pour le sommet IV à une heure, et après une courte sieste. Comme cette cime se dresse à 500 mètres à peine au sud-ouest de la cabane, nous pourrons la gravir sans fatigue avant notre retour en plaine. Nous remontons un champ de neige et atteignons rapidement le rocher. Nous déposons crampons, corde et piolets dans la rimaye pour varapper plus légèrement jusqu' au sommet. Ici tout est si branlant que je dois qualifier cette voie d' « éboulis surplombants »! Tout ce que vous saisissez vous reste entre les mains. Souvent des avalanches de pierres descendent en grondant pour s' écraser et disparaître dans la rimaye. Par-ci, par-là, nous trouvons quelques mètres de terrain solide et jouissons alors particulièrement de cette jolie escalade. De la brèche qui partage le sommet IV en deux têtes rocheuses, nous marchons comme sur des œufs le long de l' arête extrêmement délitée qui conduit au sommet nord. Nous avons le souffle coupé chaque fois que la roche bouge et tremble jusqu' à un mètre de profondeur. Elle m' apparaît comme un mur de pierres sèches qui auraient été mal placées les unes sur les autres. Près du cairn nous respirons plus légèrement, et saluons notre succès d' une poignée de main. Après nous être « immortalisés » en signant le livre du sommet, nous redescendons l' arête en équilibristes, répartissant notre poids le mieux possible, et atteignons, heureusement sans glissade, notre dépôt de matériel. Le sac est vite refait, et hop! nous dévalons la pente de neige, d' abord timidement, puis à grands sauts! Avec soin nous rangeons et fermons le bivouac.

A deux heures et demie déjà, nous sommes au couloir que le guide mentionne comme voie de montée et de descente, mais ne décrit pas. Entre des précipices de roches branlantes béent de larges failles glaciaires. Nous frissonnons devant le chemin du retour! Nous souvenant des alpinistes qui ont trouvé la mort dans cette gorge, nous décidons qu' il vaut mieux encore prendre la voie cinq fois plus longue du Consolation Pass et passer au froid une nouvelle nuit de bivouac que de risquer notre peau ici. Nous commençons alors une course contre le soleil.

Sur la même route que le matin, nous marchons péniblement dans la neige pourrie où nous enfonçons jusqu' aux chevilles, et nous traversons une arête rocheuse élevée près du Mont Fay; la suite du chemin nous conduit au glacier nord du Mont Quadra. Nous nous réjouissons pourtant - en vain - d' atteindre la plaine aujourd'hui encore, car, à deux longueurs de corde des rochers qui nous promettent une descente sans fatigue, une chute de séracs nous barre le chemin. Nous devrions la traverser horizontalement, ce qui nous paraît être trop dangereux et prendre trop de temps. Il est cinq heures et demie. La volonté de trouver un bivouac confortable avant la tombée de la nuit nous fait nous hâter. Au milieu de ponts de neige et de crevasses géantes, dont l' une est si grande qu' on pourrait facilement y placer une maison familiale, Jerg cherche le chemin conduisant vers la brèche qui sépare la Bident-Mountain et le Mont Quadra. Nous « rutschons » en direction du sud, sur des névés et des éboulis, et, par une terrasse rocheuse, nous nous hâtons vers le Consolation Pass. Le soir tombe déjà, et nous ne trébuchons pas seulement sur des pierres, mais sur nos propres pieds. Nous sommes abrutis de fatigue! De loin nous salue le col qui a certainement reçu son nom dans des circonstances similaires. Qu' il nous donne au moins la consolation que nous passerons cette nuit encore dans un sac de couchage bien chaud, à l' abri de notre tente! A une altitude de 2500 mètres, nous trouvons un endroit plat où nous décidons de bivouaquer. Jerg cuit notre souper, composé d' un reste de flocons d' avoine et de neige sale. Puis nous enfilons tous les habits chauds dont nous disposons et nous glissons dans les sacs de couchage.

Le froid nous réveille souvent durant la nuit. A quatre heures du matin, j' en ai assez de claquer des dents et je prépare du thé qui nous revigore quelque peu. Transis, nous empaquetons nos effets blancs de givre, et nous gravissons le col. Des séries d' éboulis et de parois branlantes nous conduisent dans la vallée Consolation. A nos pieds s' étend un lac de montagne clair comme le cristal et qui reflète le Mont Temple dans l' aube rose. Des groupes de mélèzes, dont l' habit doré d' automne brille dans le soleil matinal, font un contraste de rêve avec les pâturages sombres sur lesquels bondit un ruisseau écumant. Des gouttes de rosée luisent comme des perles sur les herbes et transforment le paysage aride de la montagne en un paradis de couleurs. De temps à autre, je jette un regard en arrière vers cette Bident Mountain où nous avons dû faire demi-tour pour la dernière fois. Mais déjà nous nous hâtons en pensée vers notre camp, vers un bon repas et une bière fraîche. Après cinq jours et demi de vagabondage dans la montagne, on aspire de nouveau à la plaine, pas seulement pour ses bons repas et ses boissons; non! on désire souvent toute autre chose: avant tout un morceau de savon!

C' est sains et saufs et remplis de joie que nous atteignons le Lac Moraine, bien que tout ne se soit pas déroulé ces derniers jours selon nos plans et nos désirs.

( Traduit de V allemand par Catherine Vittoz )

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