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Anémones et renoncules

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Par Sam. Aubert.

L' alpiniste qui dirige ses pas vers les sommets doit, avant d' aborder le glacier ou les rochers, traverser la zone des prairies, remarquable toujours par la variété, la richesse, la beauté de sa flore. Peut-il passer outre, insensible devant tant de magnificence? Non! Ses yeux, son esprit sont intensément attirés, charmés par toutes ces fleurs, filles du soleil, qui au sein du gazon étalent leurs corolles au glorieux et brillant coloris.

En s' élevant le long de la moraine, entre les blocs, dans les graviers ou encore plus haut, dans les crevasses, les anfractuosités même minuscules des rocs, il en verra d' autres encore de ces plantes de l' Alpe, plus ramassées, pelotonnées sur elles-mêmes pour se garantir des frimas. Les unes et les autres, il les saluera en passant.

Les plantes de l' Alpe appartiennent à de très nombreuses espèces, groupées elles-mêmes en un nombre respectable de genres et de familles. Les connaître toutes, rechercher leurs affinités réciproques, leur comportement à l' égard des influences exercées sur elles par le sol, le climat, etc., c' est la tâche du botaniste. Le touriste, lui, en simple amateur, se contente d' apprendre les noms des plus belles, des plus répandues, de celles qu' il rencontre habituellement sur sa route. Parmi celles-ci, plusieurs font partie de la grande famille des Renon-culacées, ainsi les anémones et les renoncules.

Pour mesurer la force du vent, les météorolo- Anémone des Alpes.

gistes utilisent un instrument qu' ils nomment: ané- momètre, mesureur du vent. Anémone, en allemand Windröschen, signifierait fleur ou petite rose du vent, nom qui cadre bien avec la manière dont se comportent les fruits de certaines espèces sous l' in du vent. En effet, chez celles-ci, le fruit se compose d' un petit corps allongé terminé par une longue arête plumeuse et flexible. Chaque fleur produit un grand nombre de ces fruits, aussi dès que le vent souffle sur la prairie, leurs arêtes formant panache, se mettent à onduler gracieusement sous ses caresses. Parvenus à maturité, tous ces fruits sont emportés et dispersés au loin, l' appareil plumeux fonctionnant comme organe de flottaison. Parmi les anémones, la plus connue est sans contredit l' anémone des Alpes ou grande anémone, bien reconnaissable à ses fleurs aux pétales d' un blanc de neige, un peu violacés à l' extérieur et gracieusement rapprochés en forme de coupe qui s' évase d' autant plus que la maturité s' avance. Ses fruits sont plumeux. Elle habite ordinairement les terrains calcaires, tandis que sa congénère l' anémone soufrée, qui en diffère essentiellement par la couleur de ses fleurs d' un beau jaune, demeure assez fidèle aux sols pauvres en chaux. Les uns veulent faire de cette anémone une simple variété de l' espèce précédente, dont la teinte jaune aurait pour cause l' absence ou la rareté du calcaire dans le sol; d' autres l' envisagent comme une espèce distincte.

L' anémone des Alpes appartient aussi au Jura; elle y est même très répandue, non pas seulement sur certains sommets, mais aussi dans la forêt où elle se présente sous la forme d' individus plus élevés et plus fortement feuilles. A ce sujet, on peut se poser la question: l' anémone des Alpes est-elle une plante originaire des hauts gazons qui s' est adaptée ici ou là aux conditions biologiques des lieux ombragés ou bien s' agit du contraire? La première hypothèse est sans doute la vraie.

En dehors du Chasseron, dans le Jura, on a signalé en deux endroits la présence d' un très petit nombre d' individus d' anémone des Alpes à fleurs jaune citron croissant en compagnie de pieds à fleurs blanches typiques.

Les pâturages alpins donnent asile à une autre espèce d' anémone à grandes fleurs, blanchâtres en dedans, plus ou moins soyeuses, violacées et jaune-brun à l' extérieur: l' anémone du printemps ( A. vernalis ). Bien que d' un aspect moins voyant que les précédentes, cette espèce fait néanmoins figure charmante dans l' association des plantes de la prairie alpine, et chacun en passant lui accorde un regard amical.

D' autres anémones, à fleurs violettes, appartiennent aux collines sèches du Valais: l' anémone de Haller et l' anémone des montagnes. On ne doit pas les confondre avec l' anémone pulsatille, aux fleurs d' un violet clair qui abonde dans la région des buis des environs de La Sarraz. Plante d' une merveilleuse beauté et qui depuis longtemps suscite les convoitises des promeneurs; aussi dans le but de sauvegarder cet ornement de la flore locale, l' autorité de La Sarraz a-t-elle interdit la cueillette des fleurs et des fruits.

Anémone du printemps.

Chaque ami de la nature applaudit à cette mesure qui n' aura toutefois d' efficacité que si elle est sévèrement appliquée.

Il existe un autre groupe d' anémones dont les fruits sont privés d' arête plumeuse. Un de ses principaux représentants est l' anémone à fleurs de narcisse ( A. narcissiflora ) bien reconnaissable à ses fleurs groupées, petites et blanches. Elle abonde sur certains pâturages et prairies des Alpes et du Jura. On vante avec raison la splendeur des champs d' anémones du Chasseron, réalisée par l' association de cette dernière espèce et de l' anémone des Alpes. Mais il est une autre montagne, le Mont d' Or, au-dessus de Vallorbe, dont la flore « anémonienne » est tout aussi riche que celle du Chasseron. A l' instant de la floraison et sur des centaines d' hectares, la prairie culminale est transformée en un tapis d' une blancheur immaculée. Bien entendu, les anémones du Mont d' Or, comme celles du Chasseron, font l' objet d' une cueillette exagérée et ridicule de la part des touristes. Les deux espèces ne paraissent pas souffrir, du moins pas encore, de l' atteinte portée à leur intégrité, car chaque année elles fleurissent avec la même luxuriance. Au Mont d' Or, nos anémones sont strictement localisées à la surface de la prairie fauchée; les pâturages contigue, dont le sol et l' exposition sont identiques mais qui sont intensivement parcourus par le bétail l' été durant, manquent totalement d' anémones.

Le genre renoncule comprend en Suisse environ trente espèces dont une demi-douzaine appartiennent à la flore de l' Alpe. A l' exception de ces dernières, le touriste observera encore bien haut dans la montagne, dans le voisinage des ruisseaux, des sources, dans les lieux humides, la renoncule à feuilles d' aconit ( R. aconitifolius ) caractérisée par l' abondance de ses fleurs blanches et l' extrême luxuriance de sa végétation foliaire. Puis à la surface des pâtu- rages secs et ensoleillés, il subira forcément la séduction qui émane de la petite renoncule à feuilles de géranium ( R. geraniifolius ) dont chaque fleur se détache en or vif sur le vert du gazon. C' est surtout sur les pâturages du Haut-Jura qu' on peut l' admirer dans toute sa beauté. En effet, au début de la saison, associée à la gentiane du printemps aux fleurs d' azur, elle est seule ou presque à assurer le peuplement floral de la prairie qui, par la floraison simultanée de ces deux plantes, revêt une parure or et bleu d' un effet saisissant.

Le Jura est pauvre au point de vue floristique, s' écrient bien des gens. Sans doute, il ne possède par la richesse et la variété florales que l'on observe dans les Alpes. Mais, pauvre, sa végétation ne l' est certainement pas. On y remarque un bon nombre d' espèces intéressantes, mais disséminées, dont plusieurs sont fort rares ou même inexistantes dans les Alpes suisses. Les espèces Renoncule alpestre.

alpines sont représentées au Jura par une série de types dont le nombre et l' abondance des individus croissent au fur et à mesure que, à partir du Mont Tendre, l'on s' avance vers le sud-ouest. De la Dôle au Reculet on observe notamment la jolie renoncule vénéneuse ( R. Thora ) caractérisée par une grosse feuille arrondie, dressée et une petite fleur jaune.

La renoncule alpestre ( R. alpestris ), vous la verrez un peu partout dans les Alpes et aussi dans le Jura, depuis le Suchet vers le nord. Toute menue, courte de tige, elle attire le regard par ses délicates fleurs blanches gentiment étalées sur le sol. Les vieilles flores la signalaient au Mont Tendre. Elle y manque aujourd'hui complètement. Que s' est passé, quelle est la cause de sa disparition? Il est malaisé de se prononcer, d' autant plus qu' au temps jadis, les razzieurs de plantes comme on en voit, hélas! tant aujourd'hui, n' existaient pas encore.

Aux Alpes appartiennent en propre: la renoncule des Pyrénées ( R. pyrenœus ) et la renoncule à feuilles de parnassie ( R. parnassifolius ), toutes deux à fleurs blanches. La première possède des feuilles presque linéaires, glabres; c' est une plante des pâturages, tandis que la seconde, dont les feuilles sont ovales en cœur, appartient plutôt aux éboulis. L' une et l' autre, plantes d' une beauté fine et gracieuse, contribuent à donner au paysage alpin immédiat, qu' il soit prairie ou sol plus ou moins mouvant, un charme, une magnificence incomparables.

Mais la plus belle et la plus connue des renoncules alpines est sans contredit la renoncule des glaciers ( R. glacialis ). C' est une plante robuste, à la tige étalée, aux feuilles un peu charnues, qui porte des fleurs d' un brun rougeâtre et que vous trouverez non loin des névés, dans ces petites combes où fleurit entre autres la jolie azalée rampante à fleurs roses; au sein des moraines, dans les creux remplis de sable ou de fin gravier. L' humi, la fraîcheur lui sont indispensables et jamais vous ne la rencontrerez le long des pentes gazonnées exposées à l' ardent soleil. Elle se plaît aussi dans les fissures, les creux des rochers. « Plante caractéristique de la haute alpe », ainsi s' exprime Schrœter à son sujet dans son œuvre magistrale Pflanzenleben der Alpen. Elle n' ap guère au-dessous de 2000 m; par contre, sa présence a été signalée à l' altitude de 4275 m.; de toutes les plantes à fleurs de l' Europe, elle est ainsi celle qui s' élève le plus haut. Aussi, les touristes qui sont sensibles au charme de la nature vivante, sont-ils impatients, dès qu' ils ont laissé derrière eux la région des forêts, de rencontrer la renoncule des glaciers, car elle est pour eux en quelque sorte le symbole de l' Alpe vers laquelle ils dirigent leurs pas, de cette Alpe dont ils savourent d' avance la sauvage et grandiose beauté et ils savent que bien haut encore et parfois jusqu' au sommet convoité, cette plante aimée leur Renoncule des glaciers.

adressera le sourire de ses fleurs si aimablement parées.

Touristes, ces fleurs que vous rencontrez sur le chemin de la montagne, aimez-les; admirez ces anémones, ces renoncules aux teintes si pures, au feuillage si délicat, si fin; admirez surtout la toute-puissance de la nature qui, avec les rayons du soleil et les substances brutes renfermées dans le sol, sait construire des êtres d' une merveilleuse beauté et adapter leurs organes aux rudes conditions de l' existence dans la montagne. Et l' affection que vous portez à ces nobles et glorieux enfants du sol montagnard, elle se manifestera non par de volumineux bouquets rapportés, flétris, dans la plaine, mais par le respect dont vous ferez preuve à leur égard, en ne les cueillant pas, en leur disant votre admiration sur place, à l' état vivant.

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