Ascension hivernale de l'Eperon sud-est du Mont Collon | Club Alpin Suisse CAS
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Ascension hivernale de l'Eperon sud-est du Mont Collon

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

P. Alain Steiner, OJ Val dejoux, et Jean Pavillard, OJ Vallorbe Comment préparer une hivernale? Que prendre avec soi comme équipement et comme nourriture?

Nous nous sommes tout d' abord entraînés à la varappe et au bivouac, pendant l' été et l' au, dans le Jura et dans les Alpes vaudoises. Puis nous avons mis au point notre projet, consulté la carte et les guides, fait les achats nécessaires. Bien des questions se posaient à nous: comment prévoir les éventuels secours? Serions-nous suivis? Nos skis seraient-ils portés de l' autre côté? Quand et par qui?

Ces questions - et d' autres - suffirent à nous occuper l' esprit presque deux mois avant notre départ. Pour nous, c' est l' inconnu, la grande aventure, avec probablement le même enthousiasme qui animait conquérants et pionniers partant seuls et souvent pour longtemps. Et probablement aussi la même légère angoisse.

La montagne, nous l' avons abondamment parcourue en été, seuls ou en groupe; nous l' avons découverte par beau et par mauvais temps; mais la voie que nous avons parcourue en été sans problème, que nous réserve-t-elle en hiver? Comment réagirons-nous au froid? Notre force psychique sera-t-elle suffisante pour cette épreuve? Et si l' un de nous était en difficulté? Faut-il tenir notre entourage au courant de notre projet? Faut-il lui laisser entrevoir dans quelle entreprise nous nous lançons? Comment, dans quelle mesure peut-on tenir compte des avis - souvent divergents - de nos proches et de montagnards aguerris? En un mot, sommes-nous vraiment prêts pour une telle aventure?

Il est difficile d' expliquer comment nous avons résolu tous ces problèmes, mais toujours est-il que, le vendredi 24 décembre, nous partons, skis aux 1 Ou voie du Soleil levant, réalisée le jour de Noël 1976.

pieds, pour le bivouac des Bouquetins, à environ 3000 mètres.

Veillée de Noël, seuls dans cet accueillant refuge. Soirée reposante. Silence. Pas de lumières, pas d' étrennes, pas de foule. Seules les étoiles nous tiennent compagnie et nous permettent d' envi un temps favorable: notre plus beau cadeau.

Le temps est calme. A notre réveil, il fait beau. Mais que les sacs sont lourds! Cinq jours de nourriture largement comptée: c' est trop. Nous refaisons les sacs en les allégeant de tout ce que nous considérons comme un éventuel superflu.

Départ à ski. Le pilier nous fait face puis, après notre descente sur le grand glacier d' Arolla, il nous domine. Le soleil se lève et éclaire son sommet. Nous abandonnons nos lattes pour remonter un couloir de neige dure.

Quand nous arrivons à pied d' œuvre, le soleil est au rendez-vous.

Préparation habituelle. Départ pour cinq longueurs dans un rocher facile, encombré de neige. On peut presque dire qu' il fait chaud pour la saison. Nous sommes tout à notre escalade: la montagne, la cordée, le sommet que nous devons atteindre, vers lequel se tendent tous nos efforts: hors de là, plus rien n' existe. Des dièdres sévères nous mettent à rude épreuve: puis, après une longueur plus simple, nous contournons une chandelle pour rejoindre d' autres dièdres et ensuite des corniches. De chaque côté, des couloirs à l' ombre, lugubres, remplis de neige et de glace, propres à nous donner le frisson. Mais il s' agit de continuer. Nous atteignons le pied d' une tour après une longueur dans une neige abondante. L' endroit se prête au bivouac. Faut-il continuer ou nous préparer à passer la nuit ici, bien qu' il ne soit pas tard? Nous choisissons d' en rester là. Nous aplanissons la terrasse et plantons les pitons d' assu.

Profitons des derniers rayons qui se glissent derrière l' Evêque pour nous faire du thé. Jusqu' ici nous n' avons rien mangé. Vite, glissons-nous dans les douillets sacs de couchage, non sans avoir enlevé nos souliers. Ensuite, nous nous sustentons légèrement: bouillon, viande séchée, beurre, biscuits.

La nuit est venue, la lune apparaît, et à nouveau les étoiles nous tiennent compagnie. L' es et le temps sont à nous. Je vous fais grâce de nos rêves.

Le matin du deuxième jour, le temps est toujours prometteur. Nous faisons la grasse matinée jusqu' au lever du soleil. Puis les réchauds se mettent à ronronner, mais le petit déjeuner est raccourci, et rapidement nous nous remettons en route.

D' emblée, la montagne nous ramène à la réalité!

Nous attaquons un couloir, puis une corniche nous conduit sur une petite arête de neige effilée qui aboutit au pied d' une grande et belle dalle sèche et « réchauffée » par le soleil. Les sacs pèsent. L' atmosphère change. Le fond enneigé d' un couloir sévère, recouvert d' une pellicule de glace, nous cause quelque souci.

Un moment de frayeur: nous traversons dans du rocher croulant quand le second fait une chute. Rien de grave, heureusement. Nous repartons. Un vilain dièdre, puis deux autres, inclinés. Il fait froid. Ouf! le relais. Une traversée encore, puis nous retrouvons le soleil, le beau rocher rouge, reposant, et nous passons dans l' ombre pour arriver au pied du triangle sommital. Un passage délicat, une longueur pénible, sans gants sur la glace, enfin le sommet!

Il est i 7 heures. Il souffle. Mettons-nous à l' abri: la survie avant tout, les effusions viendront plus tard. Elles seront d' ailleurs de courte durée, car il faut creuser notre trou pour la nuit. Au fait, où est la pelle à neigeA la maison, forcément!

La nuit est toujours aussi belle, mais la neige, soulevée par le vent, s' insinue dans nos sacs de couchage. Tiens! j' ai de drôles de mains... En y regardant de plus près, il me semble bien que j' ai deux doigts gelés. La longue nuit viendra confirmer cette impression, en faire une certitude. Impossible de dormir.

Le matin du troisième jour, un lever de soleil sans pareil vient nous récompenser des efforts des deux jours précédents. Mais tout n' est pas fini: il faut descendre du Mont Collon par l' arête normale. La neige est mauvaise. Nous y passons la journée, jusqu' au moment où les trois derniers rappels nous déposent au pied de la paroi. Il est 16 heures. Il nous reste à gagner la cabane des Vignettes en traversant le glacier du Mont Collon.

Nous pensons à nos skis, que des amis obligeants sont allés chercher. Aujourd'hui, ils ne seraient pas de trop. La corde semble avoir doublé de poids. Mais la lune et les étoiles nous épargnent la peine de sortir les lampes de poche.

Nous arrivons à 20 heures à la cabane. Des Veveysans nous y accueillent. Que le thé est bon! Et les couchettes! elles n' ont jamais été aussi accueillantes!

Le matin du quatrième jour, sous un ciel menaçant, nous rejoignons Arolla et la vie agitée. Les jours suivants nous permettent de nous reposer; mais très vite notre esprit repart vers d' autres horizons et pourquoi pas? vers d' autres hivernales.

Inconsciente jeunesse! soupireront certains à la lecture de ces lignes... Mais nous laisserons le dernier mot à Gaston Rébuffat, à qui nous empruntons cette citation, tirée de « Entre terre et ciel »:

Ils sont simples et sans éclat, les instants qui fondent le bonheur et l' amitié. Ils sont si naturels qu' ils ne paraissent pas évidents...

...La vérité pour un jeune, c' est ce qui l' aide à devenir homme. C' est devant une difficulté, c' est devant un obstacle que le jeune homme donne sa mesure et s' épanouit. Les montagnards aiment la beauté, l' amitié et la vie pour laquelle ils ont du respect, et non le goût du risque bête et malsain.

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