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Au Karakoram avec l'expédition internationale 1934

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

l' expédition internationale 1934 ( Fin. )

Par André Rodi.

7° Le Pic de la Reine Marie ( 7426 m. ).

Le jour où nous gravissions le Trône d' Or, Mme Dyrenfurth et son mari, Ertl, Höcht et encore deux coolies escaladaient le sommet ouest du Pic de la Reine Marie.

Tandis que nous étions directement redescendus au Col Conway, eux restaient au camp VII pour attendre le beau temps et essayer d' atteindre le plus haut sommet du massif.

Malheureusement, le lendemain de nos deux ascensions simultanées, le temps se gâte de nouveau et devient tout à fait vilain. Nous ne mettons pas le nez dehors. Le docteur Winzeler qui était peu bien va mieux, et Ghiglione rédige des télégrammes et des articles pour annoncer au monde entier notre ascension au Trône d' Or.

Le 5 août, le temps est encore pire. Nous passons la journée à dormir dans nos tentes. La neige fraîche tombe en grande quantité; il y en a bientôt un mètre d' épaisseur.

Le 6 août, le ciel s' éclaircit le matin, mais, trop vite, les nuages s' accrochent de nouveau aux montagnes et voilent le soleil. Le groupe Dyrenfurth est toujours au camp VII; il réclame du méta car à ces hautes altitudes le pétrole brûle mal. Malheureusement, il nous est presque impossible de monter dans cette neige profonde tandis qu' il leur est beaucoup plus facile de descendre. Enfin, le 7 août, alors que nous tentons de frayer un chemin vers le camp VII, trois coolies en redescendent. Ils enfoncent jusqu' à la ceinture. Les histoires qu' ils rapportent de là-haut découragent immédiatement nos propres coolies; ceux-ci font demi-tour et rentrent au Col Conway. Les trois qui viennent d' en haut nous donnent une lettre de Bara Sahib, qui réclame du méta. Hélas! Il y a bientôt une semaine que nous savons qu' il n' y a plus de méta au camp VII, mais il n' y a rien à faire pour y monter.

Pourtant, le 8 août, nous envoyons une équipe d' une dizaine d' hommes vers le camp VII. Partis à 8 heures du matin, ils y arrivent à 17 heures. Ils ont mis neuf heures pour monter de 600 mètres. Ils trouvent tout le monde en train de plier bagage ou déjà sur le chemin du retour. Ils redescendent donc également et rapportent avec eux la plus grande partie du matériel.

Le 9 août, Winzeler en a assez de l' altitude et quitte le col pour redescendre dans des régions plus chaudes. Quant à nous, nous avons l' impression que les escalades sont sérieusement compromises par le mauvais temps persistant et les grosses chutes de neige.

Notre idée est de redescendre. Cependant, Bara Sahib nous propose si le cœur nous en dit, d' essayer à notre tour l' ascension du Pic de la Reine Marie. Malgré les conditions désastreuses, et bien convaincus que nous n' avons aucune chance de succès, nous montons aussitôt au camp VII. Le temps se met au beau, et pleins d' ardeur nous entrevoyons déjà la réussite. Du camp, nous montons encore le soir même pour préparer, dans la neige profonde, la trace pour le lendemain matin. Tandis que Jimmy et moi peinons jusqu' à mi-jambe dans la pente, nous relayant tous les dix pas, Ghiglione, resté au camp, prépare des boissons chaudes. Le coucher du soleil de ce soir-là est bien ce que nous avons vu de plus grandiose de notre vie. A perte de vue se dressent des montagnes aux formes les plus insensées et des aiguilles bariolées de couloirs invraisemblables. Des amas de glace sont accrochés aux terribles parois, tandis qu' au fond, d' immenses glaciers serpentent jusqu' aux vallées cachées par d' autres montagnes encore. Les ombres s' allongent, la lumière se dore. Le froid mord. Comme nous avons atteint un point assez élevé, près de la grande crevasse où Ertl et Höcht abandonnèrent, lors de leur première reconnaissance, nous nous déclarons satisfaits et rentrons au camp. Ghiglione y est complètement enfumé et selon son habitude il peste avec vigueur et pittoresque. Cependant, une bonne soupe chaude nous attend et nous n' en demandons pas davantage.

La nuit est calme, seul un petit vent siffle un air de mauvais augure. A 5 heures nous sommes prêts et quittons la tente. Dans nos traces de la veille nous avançons rapidement. Le soleil se lève majestueux, et le disque d' or monte droit dans le ciel. Nous voyons au loin jusqu' au Nanga Parbat. Avant de franchir la grande crevasse, une pente de neige nous donne déjà bien 43 - Etude à l' huile sur plaque d' aluminium, Glacier de Vigne par Andre Roch, 1934 44 - Etude à l' huile sur plaque d' aluminium Mâsherbrum 7900 m par André Roch, 1934 Brunner & Cie. S.A.Z.urichvu du Camp II Die Alpen — 1935 — Les Alpes de la peine. Puis la crevasse est passée sans accroc sur un pont. De l' autre côté, une pente fort raide, recouverte de neige qui menace de glisser en avalanche, nous cause quelques inquiétudes. Tout se passe pour le mieux, et la pente reprend régulière et interminable. Nous nous dirigeons vers le sommet médian. A notre gauche, nous voyons distinctement la pointe que M. et Mme Dyhrenfurth ont atteinte. Celle-ci nous paraît moins élevée que celle vers laquelle nous nous dirigeons.

Vers 8 heures du matin, le soleil est caché par des nuées qui encapuchonnent toute la montagne. Le long de notre arête, nous montons sans relâche dans le brouillard. Peu à peu nous approchons du haut, car la neige fraîche a été entièrement balayée par le vent. Nous sommes même obligés de tailler des marches dans la glace. Le vent souffle furieusement, et à 10 heures nous atteignons le sommet. Sommes-nous vraiment au sommet? De tous côtés, la pente redescend; cependant, Jimmy et moi, nous avons l' impression que le véritable sommet est plus loin derrière. Nous l' avons observé du Trône d' Or. Pour le moment, nous ne voyons absolument rien, et la tempête qui fait rage nous épuise. Nous avons peur que nos traces de montée soient effacées par le vent et la neige qui tombe. Dans un trou abrité, nous nous asseyons un instant, vérifions l' altimètre qui marque 7500 mètres 1 ), grignotons quelques provisions et battons en retraite. La descente est moins pénible. Pourtant, le travail considérable que nous avons dû fournir à la montée, dans la neige profonde, nous a singulièrement affaiblis.

Vers 11h. 30, nous sommes de retour au camp où nous félicitons chaleureusement notre compagnon Ghiglione qui, malgré ses 50 ans, a marché comme s' il en avait 20. Je suis obligé de me coucher dans la tente, car il ne me reste que peu de force.

Le temps n' est pas trop laid, mais le brouillard persiste à entourer notre sommet. Au cours de l' après, les coolies viennent nous chercher, et nous rentrons tranquillement au Col Conway.

1 ) L' altitude du plus haut sommet du Pic de la Reine Marie a été établie par M. et Mme Bullock-Workman et est de 7426 m. Notre sommet serait probablement de 100 à 200 m. inférieur.

Au cours de l' ascension du sommet principal du Pic de la Reine Marie, par Ertl et Höcht, l' altitude déterminée au baro anéroïde fut de 7750 m. environ. Lors de notre ascension du sommet est du Trône d' Or nous avons trouvé une altitude de 7600 m.

On ne peut tenir compte de ces altitudes car il est ridicule de vouloir corriger des cotes trigonométriques avec un baro anéroïde.

Le sommet du Trône d' Or est un point trigonométrique du système de triangulation de la région et son altitude est de 7312 m.

L' altitude du Pic de la Reine Marie a été déterminée par l' ing. Grant Peterkin, topographe des Bullock-Workman. Il n' y a aucune raison de croire que ce n' est pas le plus haut sommet du Pic de la Reine Marie qui a été visé, car il est très visible du Glacier de Siachen.

D' après la vérification des différents levés topographiques des Bullock-Workman et du duc de Spoleto et l' étude des photos de ces montagnes par l' ingénieur Zurbuchen, à Berne, l' altitude que l'on doit admettre pour le sommet ouest du Pic de la Reine Marie est de 7240 m. plus ou moins 40 m. Celle du sommet principal est de 7485 m. plus ou moins 60 m.

Il nous faut maintenant descendre le plus vite possible pour rejoindre la troupe du film chez les lamas du Petit Thibet.

Hélas, nous n' avons pas eu de chance. Les deux seules fois où nous avions pu atteindre un sommet, le mauvais temps nous avait caché la vue, et la tempête nous avait rendu la lutte bien amère.

Quatre jours plus tard, le temps s' étant mis au beau, Ertl et Höcht, profitant de nos traces, parviennent au plus haut sommet du Pic de la Reine Marie. Ils gravissent encore au retour le sommet sud-est.

Des camps inférieurs, nous jetons encore un dernier regard vers la cime tant convoitée du Pic de la Reine Marie et celle-ci, belle et élancée, disparaît bientôt au détour du glacier.

8° L' exploration du Glacier de Vigne.

Avant de quitter cette région, nous voulions essayer de résoudre un problème intéressant: Etait-il possible de rejoindre les vallées inférieures en franchissant un col et en sortant de cette façon du bassin du Baltoro? Le parcours de cet immense glacier est, en effet, fastidieux; si nous pouvions découvrir un passage et descendre par un autre glacier plus court, cela serait bien agréable.

Bara Sahib nous envoie, Jimmy et moi, explorer le Glacier de Vigne. Au camp de base, nous recrutons avec peine quelques coolies. Ceux-ci ont peur de se lancer vers l' inconnu et nous répliquent que le chemin est « crab » ( mauvais ) et que ça n' ira pas. Nous ne sommes pourtant pas de cet avis, et, avant d' en être convaincus, nous voulons essayer et voir de nos propres yeux. Personne n' a jamais exploré le fond du Glacier de Vigne, et pourquoi n' y aurait-il pas là un passage facile qui permettrait de descendre d' un autre côté. Nous sommes bientôt prêts avec six coolies que nous avons équipés de caleçons, de bonnets, de gants et de chaussons de rechange.

Le 13 août, par un temps splendide, nous quittons le camp de base pour redescendre le Baltoro supérieur jusqu' à la jonction du Glacier de Vigne. Pour atteindre celui-ci, nous devons franchir d' énormes torrents qui coulent le long du glacier. Pour faire passer les charges des coolies, nous sommes obligés d' établir au moyen de cordes tout un système de téléférique par-dessus la rivière. Sur le Glacier de Vigne lui-même, la traversée de ces nombreux cours d' eaux reprend sans discontinuer. Heureusement que nous trouvons presque partout des ponts naturels soit en glace, soit formés par d' énormes pierres coincées au-dessus du torrent.

Vers le soir, nous établissons le camp sur la moraine de la rive gauche du Glacier de Vigne, au pied d' un affluent de ce dernier.

Tandis que Jimmy et moi couchons dans une de nos tentes, nos coolies, après avoir marmotté leurs interminables prières, pieds nus, et tournés vers la Mecque, se couchent les six dans l' autre tente; celle-ci est minuscule; comment font-ils pour dormir? Cela reste inexplicable, mais le fait est que la tente ressemble à une pétuffle prête à éclater.

Le lendemain, avant le jour, nous quittons le camp pour remonter le petit glacier jusqu' au col que nous voulons atteindre. La remontée de ce petit glacier est très facile. Devant nous se dresse une montagne, et de chaque côté de celle-ci se trouvent deux cols. Celui de gauche serait évidemment pour nous le plus intéressant; cependant, son accès paraît dangereux et demanderait une journée entière de travail. Nous serions obligés de camper au pied de la pente et perdrions ainsi du temps. Nous n' avons de provisions que pour six jours et voilà deux jours que nous sommes en route. Nous nous résignons donc à aller voir au col de droite dont l' accès est plus aisé. La dernière pente est raide. Nous montons tantôt sur des blocs de rochers accumulés et branlants tantôt par le fond d' un couloir de glace et de neige durcie, sur laquelle nous devons tailler des marches. Le sommet du col approche; déjà nous voyons d' immenses aiguilles qui se dressent dans le cirque de l' autre côté. Nous tournons un petit gendarme et soudain l' horizon se trouve là devant nous. Nous devons être à 5600 ou 5700 mètres. Les montagnes sont magnifiques: après un examen attentif, nous reconnaissons la Tour Mustagh et, sur notre droite, le K 2, tandis qu' à nos pieds coule l' immense Glacier de Baltoro. Déception! Nous sommes « bec de gaz ». Nous pouvions presque le prévoir, car nous avons fait à peu près le tour de la Mitre.

Nous examinons la descente de l' autre côté. Celle-ci n' est guère commode. Tout d' abord, il nous faudrait effectuer deux ou trois rappels de corde, puis le glacier paraît praticable au début, tandis que plus bas, nous devinons des chutes de séracs qui risqueraient d' être malcommodes.

Après avoir construit un petit cairn et donné le baptême à notre Col du « Bec de gaz » nous battons en retraite.

Dès que nous apercevons nos coolies qui montent, nous leur crions d' aussi loin que nous pouvons: « Crab, crab » ( mauvais, mauvais ). Ceci, ils le comprennent tout de suite, et ils s' arrêtent immédiatement. Cependant, Jimmy et moi ne nous avouons pas encore vaincus. Nous redescendons notre glacier jusqu' à la moraine où nous avons campé. Et tandis que nous remontons le long du Glacier de Vigne pour en voir le fond, nos porteurs nous attendent.

Les heures passent, la marche est lente sous le soleil brûlant. Peu à peu, le cirque s' élargit et enfin nous pouvons voir tout le cirque qui ferme le glacier. L' envers du Bride Peak est devant nous, c' est une paroi de glace majestueuse. Tout autour se dressent des aiguilles sillonnées de couloirs. Quant à découvrir un col à l' accès débonnaire, il n' y faut pas songer.

Après avoir photographié le panorama complet, nous revenons sur nos pas. Comme nous n' avons découvert aucun passage, nous devons rattraper le gros de la caravane aussi vite que possible, car nous n' avons plus beaucoup de provisions.

Nos coolies se sont confortablement installés et n' ont aucune envie de travailler encore aujourd'hui. Sans écouter leurs explications que nous ne comprenons d' ailleurs pas, nous filons, Jimmy et moi, en leur donnant l' ordre de nous suivre. Comme nous ne sommes pas très sûrs qu' ils vont obéir, nous nous cachons dans la moraine.

Un certain temps s' écoule; ils sont obligés de remettre leurs chaussures et de rempaqueter leur charge. Quelle n' est pas notre joie, lorsque nous voyons bientôt passer devant nous nos six coolies chargés. Ils courent d' un trot rapide. Nous les saluons à grands cris et prenons la tête de la colonne. La descente est facile, mais la journée a été rude et nous sommes fatigués. Nous voulons le soir même dépasser l' ombre de la Mitre qui s' allonge sur le glacier, pour camper aux derniers rayons du soleil couchant.

Nous expliquons cela à nos hommes qui nous comprennent si bien que, pour finir, ils marchent en tête, tandis que nous qui ne portons rien, nous traînons la jambe derrière eux.

Enfin nous arrivons, l' ombre est dépassée, et profitant des derniers rayons, nous nous retirons sous la tente.

A marches forcées, nous rattrapons chaque jour une demi-étape. Nous rejoignons bientôt le gros de la troupe à Askole, le 19 août. Nous avions quitté ce village 75 jours auparavant et avions passé ainsi plus de deux mois entiers sur la glace et dans la neige.

Par les vallées déjà connues nous rejoignons Skardu, puis Kargil, et de là nous nous rendons dans le Petit Thibet à la lamaserie de Lamayuru où nous retrouvons avec plaisir les membres de la joyeuse bande du film.

Ils sont tous atteints d' une diarrhée terrible. D' ailleurs, pour le groupe des alpinistes, il en est de même. Il faut dire que dans tout ce pays, les abricots sont non seulement délicieux, mais encore surabondants.

Les lamas sont charmants et se prêtent de bonne grâce à tous les exercices et simagrées que demande le metteur en scène. Nous quittons bientôt ce pays mystérieux et sympathique pour rentrer à petites étapes en direction de l' Europe.

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