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Du Jungfraujoch à Rosenlaui

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 4 illustrations ( 128—131Par André Mützenberg

( Genève ) Au printemps une semaine à ski en haute montagne est certes une belle manière de passer des vacances, surtout lorsqu' on peut en même temps gravir quelques hauts sommets.

Cinq camarades et moi débarquons donc un beau dimanche de juin au Jungfraujoch. Pour quelles raisons avez-vous choisi cette région, demandez-vous? N' avez pas, amis genevois, un faible pour le Valais, après avoir perdu temporairement la Savoie? Certainement. Mais les Alpes Bernoises qui sont relativement peu connues des alpinistes et surtout des skieurs genevois ( les livres des cabanes en font foi ) méritent d' être visitées et parcourues. Comme j' avais déjà eu le plaisir de venir deux fois dans le « Jungfraugebiet », j' encourageai vivement mes camarades à se laisser conduire au cœur de ce massif et leur promis de belles parties de ski. Un peu de « réclame » pour la marche d' approche... en train jusqu' à 3450 m.... acheva de les convaincre.

Le temps maussade de la semaine écoulée a fait place aujourd'hui à un temps splendide, aussi nous avons tous le sourire en nous embarquant à Interlaken où nous avons passé la nuit. Mais au Jungfraujoch, surprise: des brouillards emplissent le cirque et cachent les sommets.

Du Jungfraujoch à la cabane Finsteraarhorn par le Fieschersattel Lundi, diane 3 h. 15. Un regard vers la fenêtre... beau, un peu de neige fraîche! Une heure plus tard, nous cheminons sur les pentes douces de rObermönchjoch; l' aube est un peu trop rouge peut-être et d' ailleurs des nuages apparaissent déjà à l' ouest et enveloppent par moment la Jungfrau; nous craignons un changement de temps.

A 1' Obermönchjoch les premiers rayons du soleil nous accueillent. Nous soufflons un moment et lissons nos skis. D' un commun accord nous avons décidé d' abandonner l' ascension du Mönch, le temps nous donnant quelques inquiétudes. Elles se révéleront, d' ailleurs, parfaitement injustifiées.

Que dire de cette descente de l' Ewigschneefeld jusqu' au pied du Fieschersattel! Elle fut trop vite faite pour en parler longtemps. Elle nous dédommagea du « cartonnage » de la veille à la Jungfrau, et dans la matinée naissante les montagnes défilèrent à nos yeux sous leurs aspects les plus purs, alors que nous virions et nous donnions la chasse à cœur joie, si bien que les sacs ne pesèrent pas lourd à nos épaules pendant ce temps.

A 6 h. nous sommes réunis sous le glacier montant aux Fiescherhörner, et à 8 h. 30, après une rude montée, tantôt à pied, tantôt à ski, nous nous trouvons au bas du couloir menant à l' arête. Nous avons choisi ce couloir qui s' ouvre en forme d' entonnoir dans sa partie supérieure, parce que plus court, bien qu' il n' arrive pas au col mais un peu à gauche. La neige semble J T DU JUNGFRAUJOCH A ROSENLAUI assez molle dans la partie inférieure, mais a l' air de devenir plus dure après, aussi comme la pente se redresse fortement après la rimaie, nous mettons les crampons et sortons les cordes. Après s' être mis quelque chose sous la dent, la première cordée s' élance pour franchir la rimaie. Celle-ci résiste: la neige de la lèvre inférieure est trop molle et ne permet pas de s' approcher assez. Plusieurs essais échouent. L' autre cordée täte alors la rimaie plus à gauche et réussit à passer à l' aide de deux piolets. Puis la montée monotone de la pente commence... les sacs sont lourds avec les skis dessus et l'on aimerait pouvoir les poser un instant; mais il faut avancer. La neige est bonne, et à part quelques marches où le piolet entre en action, on peut monter en frappant la pente du bout du pied. La partie évasée du.haut se révèle plus longue et plus « pentue » qu' il ne semblait d' en bas. La neige devenue plus profonde ralentit notre marche, mais nous finissons par atteindre l' arête.

L' arrivée à un col est toujours un moment que j' apprécie, et je considère le nouveau panorama qui s' ouvre à nos yeux comme une récompense de la montée. Ici en tous cas on n' est pas déçu. Le Finsteraarhorn se dresse face à nous, son arête NW. descendant en gradins successifs vers l' Agassizjoch et ses glaciers s' écoulant en flots rapides vers le long fleuve de glace: le Walliser Fiescherfirn.

A 11 h. 30 nous nous serrons la main au sommet du Gross Fiescherhorn ( 4059 m .) après avoir suivi à pied, sans difficulté, l' arête pendant 20 minutes. Le temps est beau et les mauvais présages du matin ont menti. De là le Finsteraarhorn est majestueux, vrai roi des Alpes Bernoises. C' est notre but du lendemain, et nous nous voyons déjà sur l' arête qui paraît encore bien enneigée.

Retour aux skis et préparatifs habituels.

A 13 h. nous nous élançons ( autant que le permettent nos gros sacs ) sur le glacier. La neige est un peu lourde, mais le terrain très propice au ski. La zone des « pots » — de mauvaise réputation — est franchie facilement, le glacier étant très enneigé et le grand plat du Walliser Fiescherfirn est passé, malgré la neige molle, sans pousser beaucoup. A 14 h. 30 nous sommes sous la cabane Finsteraarhorn; encore un dernier effort pour monter les 50 mètres qui nous en séparent, et la première étape est terminée.

Cette arrivée doit fort ressembler à celle d' une caravane du désert dans une oasis. Quelle fraîcheur! Quel repos pour les yeux que de fouiller la pénombre du réfectoire! Il n' y a personne, heureusement, car la cabane est petite.Vite on allume le feu et prépare un pot de thé qui est bu avidement.

Puis on s' organise.

Finsteraarhorn ( 4275 m. ) Il est 5 h. quand nous tirons derrière nous la porte de la cabane; le temps est à moitié couvert mais se dégagera complètement au lever du soleil.

La montée est commencée à pied, skis sur l' épaule ou au sac. La neige porte tout juste, et de temps en temps un pied s' enfonce. Mais la pente est si raide que sur cette neige dure il n' y aurait aucun avantage à chausser les lattes, car les peaux ne mordraient pas. Un essai fait un peu plus haut est « Xî.i_iï.>- DU JUNGFRAUJOCH À ROSENLAUI d' ailleurs convainquant. Près de l' emplacement de l' ancienne cabane nous nous arrêtons un instant pour reprendre haleine.

En face de nous la chaîne des Walliser Fiescherhörner est déjà en plein soleil; trois touristes traversent à la Grünhornlücke; ils descendent en direction du pied du Gross Wannehorn.

Nous continuons et arrivons bientôt sur une crête médiane séparant les deux glaciers.

Nous sommes toujours dans l' ombre, aussi n' avons pas trop chaud. Quelques nuées enveloppent par moment le sommet que l'on devine haut sur nos têtes. Par endroits la neige casse et ralentit notre marche, mais à 8 h. 15 nous sommes à l' Hugisattel ( 4080 m. ). Un petit vent d' ouest nous glace et annule l' effet des premiers rayons de soleil. Nous déposons là sacs et skis et, après nous être encordés, nous continuons vers le sommet. L' arête ne présente pas de difficultés, mais la neige tombée en abondance la semaine précédente recouvre encore les rochers et empêche de voir les prises. Aussi par endroits faut-il déblayer et avancer prudemment. Malgré cela avant 10 h. nous foulons le sommet, complètement réchauffés cette fois.

Des nuages ferment l' horizon par places, mais du côté de l' est le temps est clair et les sommets s' échelonnent en vagues successives jusqu' à l' infini. Jamais un alpiniste ne pourra conquérir toutes ces cimes! Une vie entière n' y suffirait pas.

Notre sommet d' hier, le Gross Fiescherhorn, apparaît d' ici, comme une lame acérée piquant le ciel. Il a vraiment belle allure. Plus à gauche, le Gross Wannehorn, notre but de demain, nous présente ses vastes plateaux neigeux, qui semblent bien plats, vus de si haut.

Après ce plaisir des yeux, quelques biscuits, un morceau de chocolat, une pomme et une bonne cigarette procurent une satisfaction légitime à notre palais et à notre estomac.

Avec les traces de montée la descente n' est qu' un jeu. De temps en temps nous nous penchons, à notre droite, sur la formidable face est qui plonge d' un coup sur le glacier de Finsteraar, à quelque 1000 m. plus bas. Nous sommes bientôt aux skis, et après les avoir bien fartés, nous nous élançons dans la pente qui est recouverte d' une légère couche de neige poudreuse. Descente magnifique! Nous nous en donnons à cœur joie et virons trace dans trace. Chaque virage est souligné pal' un nuage de poussière étincelante et parfois par une exclamation de joie. Intense volupté de la vitesse, griserie d' une liberté que rien ne semble pouvoir entraver, nous nous sentons dans une ambiance idéale.

Un petit arrêt sous l' arête ouest a l' occasion de nous prouver que les dangers de la montagne existent malgré tout: une pierre détachée de l' arête vient passer en sifflant entre nos têtes, ricochant sur les cailloux quelques mètres plus bas! Un moment de stupeur passé, nous décampons au plus vite.

Une nouvelle série de virages nous amène sur l' arête médiane que nous traversons à pied. Le temps de souffler un peu, et nous voici descendant la grosse bosse au-dessus de la rimaie qui est complètement bouchée. L' exposition ayant changé, la poudreuse a fait place à la neige de printemps; une neige r'% ,'DU JUNGFRAUJOCH À ROSENLAUI sur laquelle nos skis impriment juste leur marque! Aussi ce morceau de choix est « dégusté » par petites tranches, et quelques arrêts nous permettent de nous faire part de nos impressions. Arrivée à la cabane à 12 h. 30.

Gross Wannehorn ( 3905 m. ) Mercredi nous nous levons à 2 h. 45. Déjeuner et départ à 4 h. C' est le petit jour. Le programme de la journée comprend l' ascension du Gross Wannehorn et la traversée à la cabane Oberaarjoch.

La glissade de la cabane jusqu' au pied du Wannehorn nous réveille complètement et permet au jour de se lever; superbe journée en perspective!

Nous laissons là nos sacs et, après avoir collé nos peaux, nous partons sans autre bagage qu' une corde et un piolet pour parer à toute éventualité.

En face nous apercevons, montant la pente au-dessus de la cabane Finsteraarhorn, une équipe de 5 touristes qui vont au sommet du même nom. Ils avancent rapidement, grâce à nos traces d' hier.

A 5 h. déjà le soleil nous salue de ses premiers rayons. Nous poursuivons la grimpée et traversons une succession de petites terrasses peu inclinées pour arriver à une espèce de col d' où nous tirons à droite. La pente se redresse un peu, et les bras entrent en action. Pas pour longtemps car sur la croupe elle s' atténue et nous arrivons à un petit plateau séparant les deux sommets rocheux. Nous posons les skis et suivons à pied l' arête qui nous mène au point culminant. Il est 7 h. L' équipe « d' en face » est bientôt au Hugisattel, et nous la suivons des yeux un instant en admirant la fière pyramide. Son versant W. est encore dans l' ombre, et le soleil pose juste sur ses arêtes un liseré doré.

De l' autre côté, les glaciers du bassin d' Aletsch étirent aux quatre points cardinaux de la « Concordiaplatz » leurs longs bras comme des serpents. Plus loin l' Aletschhorn, autre roi de la région, se penche vers la Lötschenlücke. Au loin, la chaîne des Pennines aligne tous ses sommets. Chères Alpes Valaisannes, vous êtes aujourd'hui encore plus belles que d' habitude! Est-ce ce mince banc de brume laiteuse à vos pieds qui, par contraste, fait mieux ressortir vos sommets aux lignes si pures, malgré la distance? Ou est-ce par « chauvinisme » exagéré que nous vous regardons d' un œil si favorable?

En quelques minutes d' une ronde effrénée nous rejoignons les sacs, 1000 mètres plus bas; descente inoubliable dans une neige parfaite. Ayant déjà employé hier tous les superlatifs possibles, les mots nous manquent pour exprimer notre plaisir! Comme il n' est que 8 h., nous déjeunons une seconde fois, et de bon appétit.

D' une glissade sur le Walliser Fiescherfirn nous joignons le Rotloch. Là, ayant remis les antidérapants, nous effectuons un quart de tour à gauche et nous engageons sur les pentes douces du Galmifirn. Nous laissons à notre droite la trace menant à la Galmilücke et nous dirigeons vers l' Oberaarjoch dominé par le cône neigeux de l' Oberaarhorn. Le paysage change à mesure que l'on s' élève: la Gemslücke — nommée aussi Rothornsattel — dont nous avions le versant ouest en face de nous en descendant du Wannehorn, nous présente maintenant son côté est, aux lignes plus douces; à sa gauche, le Finsteraarrothorn pique le ciel, se dressant en avant-garde de l' arête SE. du Finsteraarhorn. Derrière nous, sous le soleil, les deux sommets du Galmihorn et le Wasenhorn nous indiquent notre progression en altitude. Nous laissons à droite l' Oberaarrotjoch et entrons dans une petite combe dans laquelle il fait une « tiède » terrible. Mais c' est court, et à 10 h. 30 nous posons les skis à l' Oberaarjoch au pied des rochers supportant la cabane.

De là, la vue sur l' Oberaargletscher est tout à fait spéciale: le vallon glaciaire est rectiligne, et de chaque côté les chaînes le bornant s' abaissent en même temps que lui si bien qu' il vous semble être très haut.

Un câble facilite l' accès à la cabane. Adossée au rocher, elle domine le col et veille sur ses approches. Un étroit balcon, tel un chemin de ronde, l' entoure de deux côtés. Le site est sauvage, mais tout de même plaisant.

Après dîner, sieste et flânerie autour de la cabane. Une petite cascade est transformée en douche par quelques-uns! On se sent vraiment en vacances. Le temps est d' ailleurs toujours beau, et les quelques nuages qui voyagent sur les sommets ne font que donner plus de vie au paysage. Bref, satisfaction complète!

De la cabane Oberaarjoch à la cabane Lauteraar Ce jeudi 7 juin est consacré à la traversée sur la cabane Lauteraar. Cette petite étape nous permettra de nous préparer physiquement à celle du lendemain qui nous conduira de Lauteraar à Rosenlaui et la vallée.

Pour l' instant il s' agit de savoir si nous voulons atteindre le Scheuchzerjoch par une marche de flanc ou bien descendre le glacier supérieur de l' Aar, puis remonter le petit glacier anonyme arrivant au col. Après discussion la dernière solution est adoptée à l' unanimité, tant la descente de l' Oberaargletscher nous attire.

Par ce glacier nous pénétrons dans le bassin du Rhin, quittant du même coup celui du Rhône et ce beau canton du Valais où nous sommes depuis dimanche.

Descente merveilleuse face au soleil, dans cette atmosphère matinale si pure. C' est du beau ski! Aucun effort pour tourner, le désir suffit. Cette « dégustation » est bientôt terminée malgré les 600 m. de dénivellation, et nous obliquons vers la gauche, pour nous approcher du flanc de la montagne qu' il nous faudra remonter. Une heure plus tard nous atteignons le Scheuchzerjoch ( 3100 m. ). Il est 7 h. Un nouveau paysage s' ouvre à nos yeux. Sous nos pieds, le Tierberggletscher que nous allons descendre est tout coupé de gros « pots ». C' est un affluent de l' Unteraargletscher qu' il nous faudra traverser avant de monter à la cabane que l'on distingue à 50 m. au-dessus. Plus haut, les versants sud du Hühnerstock et du Bächlistock sont déjà bien dégarnis de neige. A gauche dans le lointain, les chaînes successives des Alpes d' Uri et d' Unterwald, des Alpes Glaronnaises, du massif du Gothard nous présentent leurs silhouettes estompées par une brume diaphane.

Par le milieu du glacier nous descendons en zigzaguant entre les crevasses, mais le soleil qui « tape » depuis deux heures a déjà trop ramolli la Die Alpen - 1946 - Les Alpes11 DU JUNGFRAUJOCH À ROSENLAUI i neige et la croûte casse par endroit. Aussi quelques chutes sont enregistrées et incitent à la prudence. Après avoir franchi trois ou quatre moraines à la jonction des glaciers, nous arrivons à proximité de la falaise de la rive gauche de l' Unteraargletscher. Nous scrutons le terrain cherchant le sentier montant à la cabane, et, comme nous partirons de nuit, il faut préparer un bon cheminement de façon à ne pas perdre de temps. Le chemin montant du Grimsel quitte le glacier trop en aval et nous ferait faire un grand détour. Après un examen minutieux nous découvrons un fragment de sentier à gauche d' un avancement rocheux, et nous nous dirigeons vers le pied de la falaise. Un torrent glaciaire nous en sépare. Nous laissons là skis et bâtons, solidement plantés dans la neige, puis nous sautons. Pensant à la nuit prochaine, nous construisons un petit pont avec des gros blocs. Après cet intermède naval nous grimpons dans les éboulis et retrouvons le sentier qui, en un quart d' heure, nous amène à cette superbe construction qu' est la cabane Lauteraar ( anciennement pavillon Dollfuss ). Il est 9 h. 30.

La cabane, située sur un promontoire rocheux, est entourée de blocs de rochers séparés par des coins d' herbe toute parsemée de fleurs. Ce vert est un repos pour les yeux, fatigués par l' éclat de la neige. Plus loin les derniers névés fondent et forment des petites mares dans lesquelles nous irons nous tremper cet après-midi. A nos pieds coule le long glacier de l' Unteraar qui va se déverser dans le lac artificiel du Grimsel que l'on aperçoit vers l' aval. A l' ouest, la chaîne des Lauteraarhörner dont les sommets sont dans les nuages. En face de nous ce glacier de Tierberg que nous venons de descendre.

Cette journée à la cabane Lauteraar restera longtemps dans nos mémoires. Il est dommage qu' elle ne soit pas plus fréquentée. En effet voici plus de dix jours qu' elle n' a pas reçu de visiteurs. En inspectant le livre de cabane ( livre d' hiver ), nous sommes très surpris de constater que deux Genevois seulement ont passé ici depuis 1936!

A 18 h. nous sommes prêts à nous coucher! Voici pourquoi: la dernière étape devant nous conduire à Rosenlaui étant très longue, nous fixons le départ à minuit. Il nous faut donc avancer les repas pour pouvoir dormir de 18 à 23 h. Nous dînons à 11 h. et soupons à 17 h. Le reste des provisions est réparti sur les deux repas qui sont copieux.

Le baromètre a baissé et laisse prévoir un changement de temps prochain; mais nous espérons que le beau tiendra encore demain.

De Lauteraar à Rosenlaui par le Lauteraarsattel A minuit nous bouclons la cabane et attrapons le petit chemin qui nous mène au glacier. Lampes électriques indispensables. Au bord du torrent glaciaire nous constatons que notre pont a été submergé. Nous le consolidons au moyen de quelques gros blocs, puis nous passons sans incident. Les skis sont retrouvés, armés de leurs peaux et chaussés. La caravane s' ébranle dans la nuit.

Pendant deux heures nous cheminons sans mot dire, observant notre progression aux changements de position des sommets et points caractéristiques bordant le glacier. L' aube nous trouve, commençant à prendre un peu d' altitude, sur les pentes du Lauteraarfirn. La pente se redresse, et il faut bientôt déchausser les skis. La rimaie est franchie mais au-dessus l' allure ralentit, car la neige est très molle et profonde. Le gel a été très faible cette nuit et a seulement formé une petite croûte qui cède facilement sous le pied. Après cette pataugée nous sommes heureux de faire halte au col; un casse-croûte s' impose.

Nous avons en face de nous les Wetterhörner et le Grindelwalder Firn qui monte à leur assaut en plusieurs terrasses très crevassées. Nous cherchons des yeux la voie qui nous conduira à Rosenegg que l'on devine derrière les contreforts rocheux du Berglistock. L' itinéraire que nous indique la carte longe le pied de ce dernier sommet. Faut-il traverser directement ou descendre sur le plateau au pied du col? Cette dernière solution nous semble préférable, la neige n' étant pas sûre. Nous descendons donc à pied, dans une neige profonde, la forte pente jusqu' au plateau. De là nous continuons à ski en tirant tout de suite à droite; la première pente est raide, mais la neige qui casse nous aide à monter de flanc. Quelques rimaies sont franchies sur des ponts, d' autres sont contournées. La montée se poursuit dans un décor grandiose: derrière nous les parois glacées des Lauteraar- et Schreckhörner nous écrasent de tout leur poids; quelques nuages enveloppent leurs sommets, rendant ces faces plus hautes et plus hostiles encore. Plus loin nous traversons à pied une avalanche de blocs de glace tombée des séracs au pied du Berglistock et arrivons aux plateaux supérieurs, puis au col neigeux de Rosenegg ( 3550 m. ). Un petit vent d' ouest très frais souffle par intermittence et n' incite pas à l' arrêt. Cependant un tour d' horizon est nécessaire. En nous retournant vers l' ouest nous avons: à droite l' Eiger, sombre, qui nous présente son arête étroite du Mittellegi; au centre le Schreckhorn, très « 4000 », et à gauche le cirque glaciaire de Gauli dominé par l' Ankenbälli et le Berglistock. Dans la direction de Rosenlaui un bombement des premiers névés barre la vue.

Quelques grands « schuss » nous amènent au plateau sous le Renfenhorn, et là, à l' abri du vent, nous nous restaurons. Le Rosenhorn nous domine, et l'on aperçoit la selle neigeuse du Wetterhornsattel qui n' aura pas notre visite aujourd'hui. En effet il est trop tard pour aller au Wetterhorn, et la neige déjà lourde nous incite à ne pas perdre de temps. Après avoir grillé une cigarette, nous chargeons nos sacs qui ont bien changé de poids depuis 1' Ober, et en quelques instants nous sommes au Wetterkessel. Là nous tirons à droite vers le bord du glacier et arrivons au-dessus de la chute de séracs dont on ne voit pas le bas. Elle est si raide que l'on hésite à s' y lancer. Après nous être encordés et avoir traversé quelques crevasses, la voie a l' air de se dessiner. Nous longeons, sous un énorme bloc de glace, une vire se dirigeant vers la droite et aboutissant à une longue pente raide en bordure du glacier, sous les rochers. Nous descendons cette pente prudemment, car la neige coule facilement. Nous nous décordons et, après quelques slaloms dans une pente raide, nous nous arrêtons devant une grande crevasse qui nous barre le passage. Seul un pont, large de 50 cm. et qui menace ruine, la traverse. Il faut ressortir la corde. En passant on peut jeter un coup d' œil dans la crevasse et l'on est convaincu de l' utilité des précautions prises!

Nous sommes au bout de nos peines. Les skis sont rechaussés et nos efforts sont récompensés par une neige très glissante et de moins en moins profonde. Une série de virages — pour les derniers c' est une vraie piste — nous amène près des rochers où nous voyons le chemin montant à la cabane Dossen.

Il vaut la peine de se retourner. Le glacier tout en séracs est splendide. La hauteur de la chute est impressionnante. L' étendue du chaos de glace est plus vaste que partout ailleurs, et l' impression que l'on ressent est augmentée par les parois rocheuses très hautes, celles du Wellhorn à droite et des Engelhörner à gauche, qui surplombent la partie inférieure du glacier. Nous regrettons bien d' avoir terminé nos films.

Une succession de virages serrés entre la base des rochers et le glacier nous conduit rapidement aux dernières plaques de neige à 1950 m. Il est 13 h.

Quelques heures plus tard nous roulons vers Meiringen, ayant eu la chance de trouver un camion à Rosenlaui. La dernière partie du parcours se fait sous la pluie qui arrive trop tard pour nous gêner, mais au contraire nous fait apprécier le temps exceptionnel que nous avons eu. Nous sommes enchantés de notre semaine et de notre programme. La région n' a certes pas déçu les participants qui y venaient pour la première fois, et chacun espère bien que ce ne sera pas la dernière.

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