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Encore le Salcantay, 1<sup>re ascension du sommet est

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Première ascension du sommet est

Avec une carte et 3 illustrations ( 145-147Par Suzanne Brönnimann

Lorsque, il y a quelques années, parut le livre d' Arnold Heim « Wunderland Peru », une vue du Salcantay encore inviolé éveilla l' enthousiasme d' un jeune grimpeur suisse et son secret désir de lier personnellement connaissance avec ce puissant seigneur de la Cordillère de Vilcabamba, au nord-ouest de Cuzco, l' ancienne capitale des Incas. Ce fut pour Marcus Brönnimann l' occasion d' entrer en rapports, au Pérou, avec son compatriote Félix Marx, alpiniste de grande expérience. Ce dernier s' enflamma immédiatement pour le projet de faire une tentative commune d' ascension. Quant à moi, qui devais être troisième de cordée, je m' embarquai en mai 1952 pour le vieux pays des Incas avec de nombreuses caisses de vivres et de matériel; mais, soit dit en passant, c' était d' abord pour me marier à mon arrivée là-bas. Cette affaire personnelle réglée, Félix Marx, mon mari et moi, avec les porteurs Victor et Fortunato, partîmes pour Cuzco dans notre camionnette Ford lourdement chargée. Par le col Ticlio, 4835 m ., nous gagnons d' abord Huancayo, puis, roulant toujours vers le sud, nous nous engageons dans les gorges sauvages et pittoresques du Mantaro, touchons Aya-cucho et Abancay pour atteindre enfin, après une randonnée de 1100 km ., la hacienda Estrella. Le propriétaire témoigna un vif intérêt pour notre entreprise. Il mit à notre disposition des montures et des bêtes de somme, ainsi que les hommes dont nous avions besoin. Il nous conduisit sur une hauteur, où nous restâmes comme subjugués devant la première apparition du colosse majestueux qui se dressait à quelque 30 km. en face de nous, flanqué de la silhouette non moins étonnante de l' Umantay, 6000 m. environ. Le sommet du Salcantay était légèrement voilé; nous crûmes cependant apercevoir ce que nous supposions être le point culminant.

Les jours suivants furent consacrés aux derniers préparatifs. Il fallut répartir tout notre matériel dans des sacs et des caisses de poids égal et facilement transportables par les bêtes de somme; on me fit prendre une leçon d' équitation. Le jeudi 12 juin, notre caravane, comprenant 13 petits chevaux de la Sierra au pied sûr, défila entre les haies d' eucalyptus du petit village de Mollepata et s' engagea dans une région d' aspect tropical.

Joyeux et pleins d' optimisme, nous atteignons avant la tombée de la nuit, qui arrive ponctuellement à 18 h., notre première étape, la Pampa Soray, 3900 m ., et dressons notre premier camp de base au pied de l' Umantay. Le lendemain 13 juin, nous poussons jusque sous la paroi sud-est du Salcantay où sera le deuxième camp, à 4800 mètres.

Ici commence notre activité proprement alpine, ou plutôt andine. Les bêtes de somme et leurs conducteurs sont renvoyés dans la vallée, et nous entreprenons des reconnaissances de la montagne. En guise d' entraînement, Marx et les porteurs gravissent un sommet secondaire. Nous constatons bientôt que l' immense muraille qui se dresse devant nous est impraticable à cause des nombreuses avalanches qui, avec un bruit de tonnerre, la balaient jour et nuit. Nous continuons donc à tourner le versant oriental de la montagne et installons notre troisième camp de base au pied de son arête est. D' ici nous pouvons admirer une magnifique arête de glace qui s' élève en dentelures étincelantes vers le ciel. Mais c' est en vain que nous fouillons de bas en haut tout le flanc de la montagne pour y découvrir une voie d' ascension possible. Le temps, au surplus n' est guère favorable. Il n' y a pas autre chose à faire qu' à étendre nos recherches plus loin vers le nord autour de la cime convoitée.

Die Alpen - 1954 - Les Alpes23 Là enfin, l' arête orientale et le flanc nord-est semblent offrir une chance. Non sans grosses fatigues, nous transportons du matériel et des approvisionnements par-dessus les ramifications de la crête jusqu' à un petit lac où nous planterons notre camp de base définitif IV.

Nous sommes maintenant au vendredi 20 juin; le temps s' est amélioré; le moment de l' assaut approche. Nous nous séparons; je retourne avec Victor au camp III, tandis que les deux grimpeurs et Fortunato disparaissent derrière l' arête est pour gagner le camp IV. Le lendemain, les yeux de faucon de Victor découvrent tout à coup une silhouette humaine qui redescend dans les traces, et croit reconnaître Marx. Un frisson d' angoisse me secoue, et tous deux nous dégringolons la gigantesque moraine à la rencontre de l' homme. C' est Fortunato, victime du mal de montagne. Pourtant, dans son district, la Cordillera Blanca, il a fait avec mon mari des courses d' entraînement, et il est monté jusqu' à 6000 m. sans souffrir de l' altitude. Il me remet un billet de mon mari, qui me prie de prendre soin du pauvre Fortunato. Bien que réduits à leurs seules forces, les deux vaillants montagnards sont persuadés de pouvoir atteindre le sommet en trois jours. Ils construiront un iglou à 5250 m. en guise de camp d' altitude, d' où ils partiront pour l' assaut final. Il me demande de me trouver mercredi 25 juin à midi au camp IV près du petit lac, avec les porteurs et des vivres. Ils espèrent être de retour à ce moment-là.

Je dois faire effort pour m' arracher à mes pensées; j' envoie Victor en avant préparer un breuvage chaud pour le porteur malade; Fortunato et moi remontons lentement jusqu' à notre camp. Sous la tente, nous soignons le patient avec du thé et des pilules. En fait, le lendemain matin, fièvre et maux de tête ont disparu, et les deux porteurs s' en vont au camp II chercher un supplément de vivres.

D' après nos calculs, Marx et Brönnimann doivent atteindre le sommet mardi 24 juin. Ce jour-là, je monte avec les porteurs sur une hauteur en face de notre montagne et durant des heures nous scrutons les pentes supérieures vers le sommet du Salcantay. Pas la moindre trace de vie là-haut. Un peu déçus, moi légèrement inquiète, nous retournons à la tente. Si nous étions restés au camp, nous aurions probablement entendu les appels des grimpeurs en train de gravir l' arête est, et aperçu peut-être deux points mouvants sur la neige.

L' aube du mercredi 25 juin fut lente à paraître. Suivant les instructions revues, je me rendis au camp près du petit lac. En chemin nous fûmes survolés par l' avion de reconnaissance américain. A Lima, nous avions en effet appris qu' une expédition franco-américaine comprenant George I. Bell et Bernard Pierre était en route pour le Salcantay. Ils étaient donc arrivés, bien que ce fût un peu tard pour entreprendre des ascensions dans la Cordillera de Vilcabamba. Nous savions aussi que les Américains avaient tenté l' ascension du Salcantay deux ans auparavant; mais que le mauvais temps les avait fait renoncer.

Arrivée au petit lac susmentionné, je cherche et fouille les pentes du regard, sans relâche jusqu' à la nuit; personne. Jeudi 26 juin pas davantage. L' inquiétude m' envahit. Vendredi matin, 27 juin, par un beau soleil, je m' encorde avec les porteurs et nous traversons le glacier jusqu' à l' iglou. Les Américains nous survolent de nouveau, et d' après les notes transmises alors à la presse, ils nous prirent pour les alpinistes en train de redescendre.

La hutte de neige est intacte... et déserte. Nous montons encore jusqu' à la selle de l' arête NE, où nous tombons dans un épais brouillard, avec des coups de vent qui nous jettent au visage des tourbillons de neige. Nous lançons des appels dans les pentes invisibles du flanc nord. Oh! si je pouvais seulement voir comment elles se présentent! Pendant une, deux, trois heures nous appelons, tour à tour et ensemble. Seul nous revient l' écho de notre propre voix. Nos pieds commencent à souffrir du froid; les porteurs veulent retourner au camp. Je réussis à les rassurer encore un moment. Nous renouvelons nos appels; mais Cordillera de vilcabamba comme nul ne répond, la confiance m' abandonne tout à coup, et mon angoisse va jusqu' au désespoir. Toutefois je me ressaisis; ils reviendront; il faut qu' ils reviennent. De nouveau nous crions et... « Ho-ho! » on répond, ce qui, en cet instant, signifie tout pour moi. Ils sont vivants; ils sont encore là; ils viennent. Mais ce n' était que la voix de Marx; je n' ai pas de repos jusqu' à ce que j' entende aussi la voix de mon mari. Tous deux sont vivants.

A ce moment le brouillard se soulève un peu, juste assez pour permettre à Fortunato d' apercevoir les deux grimpeurs. Il dit qu' ils sont encore si loin et si haut qu' ils ne pourront pas nous rejoindre aujourd'hui, et que cela n' a pas de sens d' attendre ici plus longtemps. Les deux porteurs s' apprêtent à redescendre. En aucun cas il ne faut les laisser s' échapper; c' est maintenant que notre aide est importante. Résolue et énergique, par la parole et par gestes je leur enjoins de reprendre la corde, et nous montons avec des vivres, suivant les traces jusqu' à 5500 m. environ. Ici les traces disparaissent, la paroi de glace se redresse. Retour au point de départ? A ce moment même, un rayon de lumière providentiel vient à mon secours. Le brouillard s' écarte, je montre à Fortunato les vraies traces. En les apercevant, il prend littéralement feu. Il s' élance avec Victor et taille des marches à toute volée. Un moment, j' observe les deux cordées, celle qui descend et celle qui monte. Elles se rapprochent, et finalement se rejoignent. A mon tour, avec précaution, je monte à leur rencontre par l' escalier de glace, et peux accueillir les grimpeurs juste avant la tombée de la nuit. Malgré ma joie, je ne puis retenir un mouvement d' effroi à l' aspect des deux montagnards. Comme ils ont changé en si peu de jours! Ils ont souffert; des fatigues indicibles ont marqué leur visage. Celui de mon mari est ensanglanté; les mains sont écorchées; saveste est toute maculée.

« Sont-ils parvenus en haut? » - « Oui », répondent-ils. Toutefois, à leur grande surprise, en arrivant au sommet, ils ont vu surgir à l' ouest un second sommet, encore plus élevé, qui brillait au soleil, semblable à un clocher gothique.

Voici, brièvement noté, le film de leur ascension: Lundi 23 juin, montée jusque vers 5650 m. et bivouac dans les sacs de couchage; mardi 24, Marx fait deux heures de taille exténuante sur une pente de glace, par 50 degrés C. au soleil et 4 degrés à l' ombre, puis retour au bivouac; il faut trouver un autre itinéraire, moins exposé. Mercredi 25, traversée ascendante d' un couloir incliné à 50 degrés de pente; visite aérienne de l' avion américain. Au delà, les conditions de la neige deviennent excellentes, ils ont maintenant l' espoir d' at le sommet. Toutefois de longs circuits pour tourner les crevasses et l' aggravation des difficultés les obligent à un troisième bivouac à 6050 m ., par 18 degrés de froid. Jeudi 26, après une pénible taille de marches, l' arête faîtière est atteinte à 10 heures du matin. A partir de ce point, lent cheminement le long de la crête, avec de la neige jusqu' aux hanches. Vers midi, par un soleil radieux, Felix Marx et Marcus Brönnimann foulent le sommet est du Salcantay. L' altimètre Thommen marque 6400 mètres. Merveilleuses sensations d' altitude, de profondeur environnante, d' immensité; panorama écrasant de grandeur. Mais aussi surprise imprévue: à l' ouest il y a un second sommet plus élevé que celui où ils se trouvent. Disons ici que la différence de hauteur est d' environ 30 mètres, et que le 5 août, avec une neige favorable, la distance entre les deux points culminants a été franchie par les cordées franco-américaines en 1 h. 15 ( cf. « La Conquête du Salcantay », par Bernard Pierre ).

Après avoir planté sur le sommet est le drapeau péruvien et photographié tout le cercle du panorama, Marx et Brönnimann entament la descente à 13 h. 30. La nuit les surprend à 5800 m .; mais impossible de s' arrêter ici, il faut continuer à descendre, dans l' obscurité totale, car il n' y avait pas de lune, un couloir de glace dont la pente va s' accentuant, et où il faut faire des rappels. Un des pitons à glace, qui a bien tenu pendant la descente de Marx, s' arrache sous le poids de Brönnimann. Sa chute est heureusement arrêtée par la lèvre d' une crevasse; mais pour rejoindre son compagnon, il doit faire un bref parcours non encordé. Au moment où il va saisir la corde, il glisse et, frôlant Marx, file en toboggan en bas le couloir pendant environ 150 mètres, puis est lance par-dessus une petite falaise de glace, et atterrit enfin sur une terrasse de neige, ce qui eut pour effet d' amortir considérablement l' impact. Par miracle, il n' eut rien de cassé! Et, seconde chance, il retrouva les traces de montée qui le conduisirent au camp d' altitude II ( bivouac ). Toute la nuit, malgré ses côtes froissées et les deux chevilles foulées, il frictionna inlassablement ses pieds devenus insensibles, avec trop de vigueur même, car le lendemain ils étaient couverts de grosses ampoules. Pendant ce temps, Marx s' était amarré au rocher au moyen de la corde, et bivouaqua en plein air, car dans l' obscurité le risque était grand de glisser lui aussi. Il rejoignit son compagnon le lendemain matin au camp II, et tous deux dormirent profondément une couple d' heures. Comment auraient-ils pu entendre nos appels!

Nous étions maintenant heureusement réunis, et nous ne nous doutions guère, mon mari et moi, que nous avions encore devant nous des jours pénibles.

Tous ensemble nous descendons jusqu' à l' iglou. Marx et les porteurs y passeront la nuit, tandis que mon mari et moi poursuivons jusqu' à notre tente. Lorsque Marcus enlève ses chaussures, j' éprouve un choc à l' aspect de ses pieds devenus informes. Les deux chevilles foulées sont fortement enflées; des orteils aux talons s' étendent les boursouflures des ampoules d' où giclent des arcs liquides lorsque je les scarifie. Dans une position incommode, sous une lumière incertaine, je soigne le mieux que je peux les pieds endoloris, changeant souvent les pansements.

Le samedi matin, après avoir levé le camp de l' iglou, Marx passe à notre tente avec les porteurs et annonce qu' il va nous envoyer des vivres du camp de base III, car par suite des retards au cours de l' ascension, nos provisions touchent à leur fin.

Mais pendant la nuit, le toit de notre tente s' alourdit; les parois cèdent sous la poussée de la neige qui s' est mise à tomber, et qui continuera à tomber en masses exceptionnelles pour la région. Sur le terrain incliné où nous campons, l' eau de fonte envahit rapidement la tente.

Il ne faut pas attendre le retour du groupe Marx avant lundi après-midi. Hélas! à l' heure dite, personne n' apparaît; le mardi non plus. Nous avons épuisé nos tablettes de méta et souffrons de la soif. Le mercredi, l' incertitude et l' inquiétude commencent à nous tenailler. Serait-il arrivé quelque chose à notre camarade? Rassemblant mes dernières forces, je gravis péniblement les pentes rapides de l' arête pour voir de l' autre côté s' il y a peut-être des traces autour du camp III. Le vent me lance au visage des tourbillons de neige poudreuse; je respire avec peine. Toutes ces fatigues sont inutiles; l' autre versant de l' arête est envahi par un épais brouillard.

Enfin jeudi à 11 heures nous percevons des voix. Ils viennent! Une joie inexprimable nous Monde. Marx est heureux de nous retrouver vivants. Il amène avec lui Fortunato et un jeune Suisse au caractère enjoué, Toni Matzenauer.

Voici ce qui s' était passé: Le dimanche matin, voyant qu' il ne lui était pas possible de nous rejoindre pour l' instant - à cause de la neige - Marx était descendu dans la vallée avec les porteurs. Lundi, il avait poursuivi sa route jusqu' à la hacienda La Estrella afin d' y quérir des montures pour nous transporter. C' est alors qu' il tomba à l' improviste sur l' expé franco-américaine qui attendait que le temps s' améliore. Il leur raconta son ascension et le sort de son camarade blessé, bloqué par la neige avec sa femme au pied de l' arête est, et annonça qu' il allait quérir du secours. C' est là probablement l' origine de la nouvelle, transmise par l' AFP et reproduite dans toute la presse suisse, de la disparition du couple Brönnimann1.

Marx dut continuer sa route jusqu' à la ferme de Limatambo, où il rencontra Toni Matzenauer. Ce dernier offrit immédiatement son aide; mardi il réunit les chevaux nécessaires, tandis que Marx poussait encore jusqu' à La Estrella pour rassurer les gens, car on y avait déjà annoncé notre mort. Mercredi, Marx, Toni et Fortunato vinrent à cheval de Limatambo jusqu' à une hutte indienne, et jeudi enfin, à pied, brassant la neige profonde, ils passèrent l' arête pour arriver jusqu' à nous. Nous étions sauvés.

Le trajet de retour à la hutte indienne fut pénible. Mon mari se mordait les lèvres pour ne pas crier. Quant à moi, ma grande faiblesse m' avait donné le mal de montagne, et tout au cours de la descente, bien qu' agrippée au sac de Marx, je m' effondrais à chaque instant dans la neige. Dans la hutte indienne, réchauffés et réconfortés, la joie et la bonne humeur de Toni reprirent le dessus. Nous étions assis devant le feu du foyer sur des peaux de bêtes, parmi les chiens et les poules, tandis que dans la pénombre de l' arrière brillaient les yeux sombres des Indiens. Toni nous préparait des aliments. Il se montra excellent camarade, secourable, avec beaucoup de sens pratique.

Le 4 juillet, nous traversâmes à cheval un col enneigé, et rencontrâmes bientôt l' équipe franco-américaine, toujours à attendre une amélioration du temps. Ils nous laissèrent leur adresse, et nous leur fîmes parvenir une lettre que mon mari me dicta sous la tente, où nous 1 On a critiqué le ton dans lequel Bernard Pierre a raconté cette entrevue avec Félix Marx ( cf. La conquête du Salcantay, pp. 44 et suiv. ). Sans doute, Marx a-t-il eu tort d' affirmer et de laisser publier qu' il avait gravi le Salcantay; mais il faut tenir compte de l' état d' un homme épuisé par des fatigues surhumaines, et qui pendant des jours a souffert du froid. Ce sont là, certes, des circonstances atténuantes.

On peut s' étonner aussi que cette forte équipe franco-américaine, qui comptait plus d' une dizaine de montagnards aguerris au repos, n' ait pas esquissé un geste pour porter secours à un alpiniste blessé qui se trouvait avec sa femme à quelques heures de là. ( Red. ) leur donnions des renseignements détaillés sur notre ascension. Le soir nous étions à Limatambo; puis la camionnette nous amena à La Estrella, où mon mari reçut de M. David Samanez Ocampo les soins médicaux les plus éclairés. Nous pûmes apprécier à la hacienda Marcahuasi, de la part de la Senora Consuelo Samanez Ocampo, ce qu' est l' hospitalité péruvienne: on ne nous laissa pas partir avant que mon mari ne fût complètement rétabli; et cela dura des mois.

Le 1 er juin 1954, Toni Matzenauer et Fritz Kasparek ont fait une chute mortelle dans la paroi sud-est du Salcantay. Je voudrais dédier ce modeste récit en hommage de reconnaissance à la mémoire de notre ami.

Voici, extraits d' une lettre de M. Brönnimann, quelques détails supplémentaires sur la mort de notre compatriote Toni Matzenauer:

En mai, alors que je travaillais à Quiruvilca, est arrivé ici un groupe d' Autrichiens sous la conduite de F. Kasparek, pour faire des ascensions dans les Andes de Cuzco; mais ce n' est qu' en juin que j' appris qu' ils projetaient celle du Salcantay. Les conditions étaient des plus mauvaises: les orages et les tempêtes de neige n' avaient presque pas cessé durant tout le mois de mai. Je me demandai alors si je devais les en informer ou même les rejoindre...

Le ler juin, lorsque les journaux annoncèrent que l' équipe autrichienne avait attaqué l' arête est du Salcantay, de sombres pressentiments m' assaillirent. Je téléphonai à Martin pour lui demander quelle impression les alpinistes lui avaient faite: « Excellente, répondit-il, montagnards de première classe. » Mes appréhensions toutefois ne me lâchaient pas. Vendredi matin, 4 juin, nous parvint la fatale nouvelle: la cordée Kasparek-Matzenauer avait été précipitée dans la paroi SE par la rupture d' une corniche; les deux grimpeurs avaient fait une chute mortelle de 1200 mètres. On me demande si une action de secours était possible. L' accident s' était produit le leer juin; on était le 4. A supposer même qu' ils n' eussent pas été tués sur le coup, et que, invraisemblablement, ils ne fussent que légèrement blessés, à cette altitude ils seraient morts de froid dès la première nuit. Après quatre jours, il n' y avait plus d' espoir de les retrouver vivants. En outre, je considérais que ce serait un suicide d' essayer d' aller relever leurs corps dans cette dangereuse paroi sud-est, exposée jour et nuit aux avalanches et aux chutes de glace. Le professeur Kinzl, que je consultai, fut du même avis. Il était préférable de laisser dormir les morts dans leur tombe blanche, la plus belle pour un mo ntagnard.

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