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Furggen

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

Avec 2 illustrations ( nos 29, 30 ) et 2 croquisPar René Ditterf

II y a, hélas, de nombreuses années déjà, à peine mes classes finies, ignorant tout ou presque de la montagne, que le hasard, la destinée peut-être, mit entre mes mains le « Cervin » de Guido Rey. A la lecture de ces pages, le désir de voir ce monde grandiose de glace et de granit, de connaître la joie de ces heures merveilleuses passées sur une cime, de contempler l' incomparable spectacle des Alpes, s' empara de moi. Je sentis naître la première flamme d' une passion qui subsiste toujours. Brusquement la montagne s' imposa à moi. Depuis lors, souvent je relus ces lignes et au printemps 1943, celles relatives à l' arête de Furggen me frappèrent plus particulièrement. Peut-être, parce qu' elles narraient des fragments de l' épopée de la seule crête du Cervin que je n' avais pas gravie. Quoi qu' il en soit, comme vingt ans auparavant, ces pages réveillèrent une ardeur irrésistible, un nouvel et implacable désir. « Furggen », le nom de la plus sauvage arête du Cervin, bourdonnait à mes oreilles. Le souvenir de ses précipices contemplés de la crête italienne du « Mont » modérait parfois, pour quelques instants seulement, mon esprit qui aspirait à cette conquête. Je soutenais une lutte intérieure, la raison le disputait à la passion. Mais quel est l' alpiniste qui a jamais résisté à la hantise d' une ascension? Aucun sans doute. Ainsi en fut-il pour moi également.

A la fin du siècle dernier déjà, l' arête sud-est du Cervin était l' objet secret de la convoitise des grands grimpeurs de l' époque. Il fallait alors un courage peu commun pour oser affronter la crête surplombante de Furggen. De Zermatt, sa dentelure hardie se découpe sur un ciel outremer. Son dessin, si différent de celui des autres arêtes, laissait peu d' espoir aux prétendants d' alors. Bien téméraire celui qui aurait osé afficher la prétention de surmonter les parois fantastiques qui s' élèvent du Furggjoch à la cime. Barrées d' énormes auvents dont les ombres du soir accentuent encore le relief, elles sont le royaume des seuls choucas qui fendent de leur vol rapide la première brume floconneuse apparue. Brume qui fait dire à Zermatt «... tiens! le Cervin fume ».

Die Alpen - 1944 - Les Alpes8 FURGGEN Mais nous sommes au « Grand siècle » de la conquête des Alpes; de Nice aux Juliennes, l' un après l' autre les sommets subissent la « profanation » humaine. Trois des arêtes du Cervin n' ont pas déjà été gravies? Les tentatives de Mummery en 1880, puis de Guido Rey en 1890 confirment cependant l' inaccessibilité de la crête sud-orientale du « Mont ». En 1899 pourtant, Guido Rey, bien qu' ayant affirmé ne plus vouloir y retourner, s' attaque de nouveau à l' arête; il est accompagné des frères Maquignaz de Valtournanche. Pour franchir les surplombs, il se fait lancer une corde du sommet; malgré cette aide extérieure, il échoue. Rey ne s' avoue pas vaincu pour cela. Trois Le Cervin vu du col du Théodule Itinéraire:

1 Arête de Furggen 2 Arête du Hörnli 3 » italienne 4 Tête du Lion 5 Pic Tyndall 6 Epaule de Furggen 7 Dent Blanche jours après, avec les mêmes guides, il achève l' exploration de l' arête en descendant du sommet, puis en y remontant à l' aide d' une échelle de corde. L' arête tente également la fameuse équipe anglaise G. W. Young et Ryan avec leurs guides de Saint-Nicolas: Franz et Joseph Lochmatter et Joseph Knubel; lorsque ces grimpeurs parviennent à l' Epaule, d' incessantes chutes de pierres balayent la muraille et les obligent à renoncer.

Si l' exploration de l' arête de Furggen a été le privilège du XIXe siècle, son escalade sera celui du XXe. En effet, ce n' est qu' en 1911, après de laborieuses recherches, que Mario Piacenza avec les guides Jean-Joseph Carrel et Joseph Gaspard contournent le surplomb par le versant sud et découvrent ainsi la voie qui conduit de l' Epaule à la cime 1. Notons également la descente à l' aide de rappels de corde de M. E. R. Blanchet avec Kaspar Mooser ( 1929 ). En 1930, M. E. Benedetti, avec les guides Luigi Carrel et Maurice Bich, réus- 1 Rivista Mensile, 1911, et The Alpine Journal, volume XXVI, 1912.

sissent 1a seconde ascension de l' arête de Furggen par la voie Piacenza 1. Enfin en 1941, une cordée conduite également par Luigi Carrel réussit à franchir directement les surplombs à l' aide de nombreux pitons 2; durant cette escalade, on retrouva les débris de l' échelle de Guido Rey. Cette prouesse, venant après la conquête des parois sud et est ainsi que du « Tour de la Tête du Cervin », prouve la grande valeur de Luigi Carrel, digne de son père Jean-Joseph Carrel, le guide de Mario Piacenza. Ce sont là, à notre connaissance, les seules explorations faites à l' arête de Furggen, la plus directe et la plus difficile des crêtes du Cervin.

Les échecs des meilleurs grimpeurs, le danger qui règne en permanence sur les flancs de la montagne, devraient suffire pour enlever à jamais aux alpinistes le désir de gravir la plus belle des montagnes de nos Alpes par cette arête, mais nous souffrons d' une heureuse passion et comme Guido Rey, nous croyons « la lutte avec l' Alpe utile comme le travail, noble comme un art, belle comme une foi ». Forts de cet idéal, nous voici bien déterminés à suivre la haute crête; et pourtant, en 1942, admirant du Pic Tyndall les sombres parois de l' arête, nous avions bien dit: « A Furggen!... nous n' irons jamais... » Le 20 août 1943, une aube froide nous surprend au Furggjoch; il y a environ une heure que nous avons quitté la cabane du Hörnli et nous sommes au pied du « Mont », à la naissance de l' arête de Furggen. L' anxiété précédant une grande ascension a disparu, un seul désir nous anime: mettre tout en œuvre pour parvenir à la cime; nous savons que la partie sera dure, les difficultés techniques à surmonter innombrables; nous savons aussi que la montagne se défendra et ne manquera pas de nous gratifier d' une de ses « canonnades ». Mais le moment n' est pas à ces réflexions et sans plus attendre nous « attaquons » une cheminée humide et froide qui regarde du côté de l' Italie. L' eau suinte partout. Il faut se traîner et se faufiler de son mieux et surtout éviter le verglas. Les doigts se glacent au contact désagréable de la roche visqueuse. Une fois cette cheminée difficile franchie, nous avons gravi la première marche de la montagne; maintenant, nous sommes sur son versant oriental: une face immense, ravagée, se dresse devant nous. Très haut, la Tête du Cervin nous domine; les premiers rayons du soleil lèchent déjà cette roche magnifique aux teintes chaudes et lui donnent un aspect plus accueillant.

Une dalle de dix mètres, recouverte de gravier, défend encore l' accès à une zone d' apparence plus facile qui rappelle les gradins délabrés d' un amphithéâtre antique. Surmonter la dalle présente un problème d' équilibre assez délicat. Aubert me suit immédiatement, il intervient en soutenant mon pied qui n' a pas trouvé un point d' appui suffisant; je progresse avec lenteur vers la crête, je rampe délicatement pour éviter de faire choir des pierres sur Flory et Marullaz encore dans la cheminée. A cet endroit, nous nous encordons plus court: 3 à 4 mètres d' intervalle suffisent. Dès lors, marchant ensemble, 1 The Alpine Journal, volume XLIII, 1931. Alpinisme, n° 61, décembre 1941.

FURGGEN nous poursuivons l' escalade qui n' est ni facile ni difficile. Nous nous élevons assez rapidement et nous devons être à 4000 mètres environ lorsque nous faisons notre première halte.

Sur le versant méridional, des pierres roulent encore de la paroi récemment éboulée; un immense pan de roche s' est détaché de la montagne et s' est écroulé dans la vallée. Seule une gigantesque cicatrice claire subsiste maintenant.

La paroi se redresse; nous grimpons tantôt sur l' arête, tantôt en écharpe, sur la face est. Nous hésitons un peu sur le choix de l' itinéraire à suivre car les pierres, à peine scellées par le gel de la nuit, commencent à tomber; plusieurs ont déjà sifflé à nos oreilles, il s' agit de veiller et de choisir la voie la moins exposée. Une petite crête nous mène au milieu de la paroi, nous traversons ensuite un couloir à notre droite. Il faut faire vite car de plus en plus l' artillerie du Cervin se met en action sous l' effet du soleil et nous ignorons toujours où les maladroits projectiles vont frapper; projetés de paroi en paroi, ils tombent directement; ou, plus dangereux encore, éclatent et jaillissent de droite et de gauche. Heureusement, le danger est de courte durée car nous sommes parvenus sous un « toit » qui offre un excellent abri. Nous le longeons pendant trois ou quatre longueurs de corde; puis, en prenant directement par des plaques raides et délicates, nous atteignons à 11 heures l' Epaule de Furggen ( 4300 m. ).

J' avais espéré pouvoir enfin m' asseoir confortablement; déception! Nous ne trouvons qu' une dalle inclinée. Accrochés tant bien que mal, nous grignotons quelques biscuits tout en étudiant et en cherchant la solution du problème qui se présente à nous d' une façon beaucoup plus fantastique que tout ce que nous avions supposé. Une immense paroi verticale, comme nous n' en avions encore jamais vue, plonge de la cime du Cervin jusqu' aux moraines du Breuil, plus lointaines encore au travers des brumes qui ont envahi ce versant de la montagne. Des vapeurs plus élevées se sont également accrochées à la tête du « Mont » et confèrent un aspect sinistre à ces murailles calcinées que nous allons aborder. Commentant cette partie de l' ascension du Dr Piacenza, G. W. Young dit: « Que, dernièrement, une cordée se soit réellement engagée sur cette voie après avoir vu ce que nous avions vu, est encore plus surprenant que le fait que ses membres aient eu la chance d' arriver vivants au sommet » Cette phrase, dictée par les incessantes chutes de pierres qui fouettaient la muraille ce jour, aurait pu, si nous l' avions connue, nous donner à réfléchir. Le danger de chutes de pierres est de ceux que tout alpiniste prudent doit éviter. Pour étonnant que cela puisse paraître, nous n' entre aujourd'hui pas trace de projectiles. Sans doute les brouillards qui enveloppent la montagne ralentissent le dégel et maintiennent ainsi les pierres instables dans leur alvéole.

Pour franchir la falaise, nous devons nous échapper par le mur qui se dresse à notre gauche. Mais, où se tenir, comment affronter ce vide insondable? Telles sont les questions que nous nous posons. « Le plus simple est d' aller voir! » répond Marullaz, qui remarque qu' il est grand temps de nous remettre en route.

Je n' oserais pas dire que nous nous « élançons » à l' assaut de ce bastion, non! Bien au contraire, timidement, en veillant consciencieusement à chacun de nos pas, nous nous engageons. Pour mon compte, je dois l' avouer, je suis heureux de voir le brouillard nous cacher le gouffre profond au-dessus duquel nous évoluons. Un coup de vent plus violent déchire parfois ces nuées et laisse entrevoir les grandes sommités voisines.

Lors d' ascensions périlleuses au cours desquelles s' accumulent les dangers presque toujours objectifs, il nous arrive de dire ou de penser que c' est la dernière fois que nous nous mettons en pareille posture. Mais aujourd'hui, nos pensées, habituellement vagabondes, nos forces et nos nerfs bandés à l' extrême, tendent vers un seul but: Progresser.

Nous voici engagés; il s' agit de poursuivre notre voie et de trouver la possibilité de sortir vers le haut: tout est vertical, nous savons aussi que Piacenza a employé plusieurs jours à découvrir l' issue. Une longueur de corde après l' Epaule, nous sommes déjà arrêtés par un mur lisse; ce mur franchi, une vire inclinée nous permet de poursuivre jusque vers un angle de granit qui nous cache la suite. Un piton assure le premier de la caravane; il doit grimper sur les épaules du second de cordée et cette gymnastique aérienne et périlleuse lui permet de franchir le mur. Lentement nous avançons; les heures fuient rapides. L' angle atteint, la traversée semble moins exposée; peut-être nous habituons-nous simplement au vide? Après chaque longueur de corde, quelques instants d' inaction nous autorisent à jeter un regard et à admirer la grandeur et la sauvagerie des sites incomparables qui nous environnent; toutefois, cette inaction est toute relative car nous devons toujours assurer et veiller aux différentes manœuvres.

Tout à coup, je parviens à une grosse fiche de fer: trace des premiers ascensionnistes et indice indéniable que nous sommes sur leur voie. Aubert qui m' a rejoint trouve dans une anfractuosité une boîte de conserve, nous en retirons un petit morceau de carton jauni par les intempéries; stupéfaction et joie! Nous avons dans les mains la carte de visite laissée le 4 septembre 1911 par Mario Piacenza; trente-deux ans se sont écoulés depuis ce jour. Religieuse-ment, nous tenons ce document et restons pleins d' admiration pour ces hommes courageux qui s' attaquaient à cette époque déjà à pareil problème alpin. Combien méprisables nous apparaissent alors les prétentions de supériorité de notre génération sur nos prédécesseurs. En comparant les exploits de ces derniers aux exploits des alpinistes d' aujourd, on peut être certain que les grimpeurs d' alors étaient les égaux sinon les maîtres des grimpeurs du temps présent; seuls, des moyens techniques différents permettent parfois de les dépasser.

Après plusieurs passages moins difficiles, nous parvenons à une vire terreuse dominée par d' immenses surplombs; l' eau, provenant des névés supérieurs, dégoutte sur cette vire. Pour sortir de cette impasse, je m' attaque à une dalle humide et raide; à mesure que je m' élève les difficultés augmentent, j' hésite et n' entrevois finalement que peu de possibilités me permettant de poursuivre l' escalade. Marullaz essaie de forcer la voie un peu au-dessous. Le passage est mauvais, la terre humide glisse sur le rocher gluant; nous voyons la corde filer lentement; au bout d' un assez long moment, un appel nous parvient: « Venez. » Chacun à notre tour, nous rejoignons notre camarade.

FURGGEN II fait froid; dans l' ardeur de la lutte, nous avons ignoré l' épais brouillard qui nous entoure maintenant; il est passé 15 heures et le sommet est encore éloigné.

Du point où nous sommes, nous devons revenir vers l' arête; une traversée sur des vires glacées nous conduit jusqu' à la dernière paroi, plus rébarbative encore que celle que nous venons de franchir. Courageusement nous l' attaquons et pensons que bientôt nous aurons surmonté les dernières difficultés. Erreur, nous nous laissons tenter par une haute cheminée; et de là, des plaques nous conduisent toujours plus loin de la crête. Nous aurions dû prendre un couloir rapide de 30 mètres environ qui rejoint l' arête alors plus facile. Notre voie, par contre, nous oblige à gravir une paroi verticale, très difficile. Nous nous sommes trompés de quelques mètres seulement; il est trop tard, nous continuons. Cet itinéraire nous retiendra certainement plusieurs heures de Sommet A = Epaule de Furggen B-Vire Brèves notes sur les différents itinéraires à partir de i« Epaule » de Furggen ( 4300 m.Itinéraire Piacenza ( 1911 ) ( A.J. 1912Itinéraire Carrel-Be- nedetti ( 1930 ), qu' à la vire B comme Piacenza ( A.J. 1931Itinéraire 1943 Entre A et B les itinéraires de Piacenza et de Benedetti sont identiques; celui suivi par notre caravane se dirige plus longtemps vers l' ouest, il remonte vers la vire B par des rochers brisés assez faciles.

Entre B et le sommet: A partir de la vire Piacenza ( 1911 ) grimpe dans une cheminée pendant 30 mètres environ, puis il traverse à droite vers l' arête qui est alors facile jusqu' au sommet.

Carrel et Benedetti ( 1930 ), eux, montent un couloir vertical de 30 mètres également mais situé plus près de l' arête — à 10 mètres environ — que la cheminée empruntée par Piacenza.

Notre itinéraire ( 1943 ) suit d' abord la cheminée montée par la caravane Piacenza, mais au lieu de traverser pour rejoindre la crête il continue directement par la paroi et atteint l' arête près d' une petite dépression caractéristique.

Il semble que notre itinéraire est le plus facile entre A et B tandis que la voie Carrel-Bene-detti semble préférable entre B et le sommet.

L' Epaule et les surplombs de Furggen, vus du Pic Tyndall D' après une photo de G. de Rham, Lausanne plus que celui de la crête. Qu' importe? L' essentiel pour nous n' est pas de savoir si nous parviendrons en haut ou si nous serons obligés de redescendre?

Cheminées, surplombs et dalles se succèdent sans interruption. Nous sommes à plus de 4400 mètres. A cette altitude, la diminution de la pression atmosphérique et la raréfaction de l' oxygène de l' air modifient le fonctionnement habituel des principaux organes du corps humain. Ces phénomènes demandent donc une dépense supplémentaire d' énergie.

Il y a cinq heures que nous avons quitté l' Epaule, nous sommes au pied d' un mur qui réellement nous effraie; à gauche, un couloir glacé pourrait être surmonté au prix de grosses difficultés, à droite, une étroite vire va se perdre dans cette fantastique muraille sud de l' arête de Furggen, haute ici de plus de 1200 mètres. Nous devons pourtant trouver la possibilité de rejoindre la crête. Je m' engage jusqu' au bout de la vire et évalue les chances que nous possédons; elles sont bien minces mais nous n' avons plus le choix. Je m' élève au-dessus du vide que je n' ose regarder; peine perdue, la dalle bombée me « rejette » à l' extérieur. Il faut pourtant passer ici, il n' est plus question de redescendre. Je plante un piton le plus haut possible, place un mousqueton, la corde passe dedans, je ne suis plus maintenu alors que par traction contre la paroi; dans cette position je parviens encore à planter un second piton très à droite et à placer un étrier de corde pour le pied. Ce travail terminé, exténué, je ne puis plus me hisser vers le haut. Je cède ma place à Flory qui franchit de façon admirable ce passage bien près de la limite des possibilités. Notre camarade poursuit lentement, il doit encore surmonter plusieurs mètres d' escalade très difficile avant de pouvoir assurer la corde qui nous permettra de monter à notre tour. Le dernier de la caravane enlève les pitons; un seul n' a pu être enlevé, il restera le témoin de notre passage.

Marullaz prend la tête et par deux cheminées verticales nous conduit rapidement à la crête. Le surplomb de Furggen est derrière nous, cette fois la partie est gagnée; brusquement nos nerfs se détendent et une grande lassitude nous envahit. Mais il faut repartir car le froid nous engourdit déjà. Un quart d' heure d' escalade agréable et nous sommes sur la cime du Cervin ( 4482 m .), heureux, malgré le temps de plus en plus « bouché ». Surprise! un brusque coup de vent déchire les brouillards et durant quelques secondes apparaît, irréelle, la Croix du Cervin et très bas le Valtournanche. Brèves apparitions trop vite obscurcies par les brumes qui se referment et nous laissent solitaires sur cette cime.

Sans plus tarder, nous nous engageons sur la crête suisse du Hörnli; il est presque 19 heures, nous nous pressons pour arriver au refuge Solvay ( 4000 m .) où nous passerons la nuit.

Havre magnifique, accroché à la paroi, ce refuge a déjà abrité maintes caravanes en péril ou simplement surprises par la nuit. Ce soir il est le bienvenu. Lorsque, poussant la porte, nous pénétrons à l' intérieur, nous nous sentons tout à coup l' âme légère: c' est que l' angoisse du doute s' est envolée pour laisser place à la joie immense d' avoir triomphé des parois vertigineuses de l' arête de Furggen.

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