II. Vingtième compte-rendu du Comité central du Club alpin suisse (1883)
Vingtième compte-rendu du
Comité central du Club alpin suisse
Année 1883.
L' activité du Club alpin pendant l' année 1883 a fait l' objet d' un rapport lu à la fête de Berne, le 26 août de cette même année. Ce rapport était consacré en partie aux affaires courantes, en partie à l' Exposition. Nous en détachons ici ce qui concerne les affaires courantes et nous réservons pour un rapport spécial le morceau sur l' Exposition. Pour la période qui s' est écoulée depuis la fête jusqu' à la fin de l' année, il suffira de quelques indications en note ou en post-scriptum. Voici donc la première partie du rapport lu à Berne:
Messieurs et très honorés Collègues, Comment se porte le Club alpinTelle est la question que se pose nécessairement le Président central appelé à présenter son rapport annuel. Comment se porte le Club alpin? Quelles que soient les théories qui peuvent avoir cours dans certains milieux où l'on trouve qu' il devient bien nombreux, où l'on craint qu' il n' augmente en quantité plutôt qu' en qualité, où l'on rêve, en un mot, un Club alpin choisi, trié, formé d' une élite d' amateurs, ce serait un mauvais signe si le nombre des démissions venait à l' emporter d' une manière notable sur celui des recrues. Nous n' en sommes pas là, heureusement. Des circonstances particulièrement défavorables ont amené, il est vrai, de trop nombreuses démissions dans deux sections, Oberland et Monte-Rosa. Mais ces pertes ont été compensées par des recrues nouvelles dans d' autres sections, et l'on peut dire que nous sommes dans un état à peu près stationnaire. Nous trouvons dans ce fait la confirmation de ce que nous disions il y a un an, savoir que le Club alpin est assez fort pour supporter, sans rien qui ressemble à une crise, de vives discussions, et l'on peut presque dire des luttes passionnées. Nous pouvons, en outre, en tirer cette conclusion, contrairement à certaines prévisions pessimistes, qu' il n' a pas besoin, pour être et rester une société largement populaire, de baisser le taux des contributions pécuniaires qu' il exige de ses membres. Nous avons augmenté, l' année dernière, la contribution prélevée en faveur de la caisse centrale, et l'on se demandait si, dans les temps difficiles que nous traversons, il ne suffirait pas de cette augmentation, si minime qu' elle fût, pour provoquer des démissions et nous faire perdre par là tout ce que nous espérions y gagner. Votre Comité central ne partageait pas ces craintes, et l' événement lui a donné raison: preuve nouvelle de la vitalité de notre association.Tout en restant stationnaires, ou à peu près, nous subissons la loi de la destinée, qui est une loi de changement, et l' intervalle qui sépare deux fêtes ne saurait s' écouler sans que nous ayons à enregistrer des deuils et des départs. A la page 18 du catalogue publié l' année dernière, on trouve deux listes: celle de nos membres honoraires vivants et celle de nos membres honoraires décédés. Cette seconde liste ne comprenait que quatre noms, également chers à notre mémoire: Agassiz, général Dufour, Arnold Escher de la Linth et Edouard Desor. Elle doit être enrichie d' un cinquième nom, digne de figurer à côté des quatre premiers. Le professeur Pierre Merian, de Bàie, a terminé sa longue, belle et féconde carrière. Il était de cette vaillante génération de savants qui avait l' âge du siècle, et qui a posé les bases sur lesquelles la science travaille aujourd'hui. Il nous lègue autre chose encore que le fruit de ses études; il nous lègue un exemple, un nom pur et sans tache. Jamais pensée personnelle ne se mêla à ses travaux. S' il avait la tête bien meublée, il avait le cœur encore mieux rempli. C' était la générosité, c' était la modestie personnifiées; c' était mieux qu' un savant; c' était le patriarche de la science. La génération à laquelle il appartenait en a produit quelques-uns, de ces patriarches de la science. Il n' en reste plus beaucoup; mais il en reste un au moins, et quoique je ne veuille pas le nommer, vous vous joindrez tous à moi pour lui présenter nos vœux en pensée. Son nom est sur la liste de nos honoraires. Puisse-t-il nous rappeler longtemps encore cette pléiade de savants vénérés dont son ami Pierre Merian était avec lui l' un des derniers représentants.
Nous avons perdu l' un des membres fondateurs du Club alpin, M. Hauser, avocat, à Grlaris. Vous savez, Messieurs, la part qu' il a prise aux discussions qui nous agitaient et nous divisaient il y a deux ou trois ans. Il fut, peut-être, le plus ardent et le plus tenace parmi les représentants de l' opinion qui a fini par demeurer en minorité. Mais cette vivacité même est une preuve de l' intérêt qu' il portait à tout ce qui concerne le Club alpin. Le Club alpin était une partie de sa vie, et nous perdons eu lui un de nos membres les plus actifs et les plus dévoués. Sa mort a été un deuil pour chacun dans la section Tœdi, elle en est un pour le Club alpin tout entier; aussi le Comité central s' est empressé de témoigner de la part qu' il y prenait. Il aurait voulu le faire autrement que par un simple télégramme, mais les circonstances ne le lui ont pas permis. Raison de plus pour que nous rendions aujourd'hui hommage à la mémoire du défunt.
Ils ne sont plus nombreux, ces vétérans qui, le 19 avril 1862, au nombre de 35, se rendaient à Olten, à l' appel du docteur Simler, et y fondaient le Club alpin suisse. Ils se sont comptés cette année, en y allant de nouveau, pour célébrer le 20 me anniversaire de cette première réunion. Ils étaient réduits de plus de moitié. A peine étaient-ils une douzaine. Le Comité central eût voulu s' associer à leur fête en leur envoyant au moins un mot de félicitations et un témoignage de la reconnaissance du Club tout entier. Malheureusement, il n' a été informé que trop tard, et la réunion d' aujourd lui fournit la première occasion de réparer cette omission tout involontaire, en souhaitant à ses membres fondateurs de pouvoir se réunir dans cinq ans, le quart de siècle écoulé, aussi joyeusement qu' ils l' ont fait cette année, et s' il était possible, sans vide nouveau dans leurs rangs.
A ces deuils s' est ajouté un départ, auquel le Comité central devait être particulièrement sensible, car il s' agissait d' un de ses membres, M. Georges Béraneck. Vous savez tous quel clubiste et quel montagnard c' était que Georges Béraneck. Il l' est encore. Des circonstances personnelles l' ont obligé de quitter le pays. Il avait, en partant, donné sa démission, soit comme membre du Comité central, soit comme membre du Club. La section des Diablerets s' est em- pressée de se l' attacher de nouveau, en lui conférant l' honorariat, assurément bien mérité. Une circulaire vous a informé du choix qui a été fait, par la même section, pour le remplacer dans le sein du Comité central; son successeur est M. Emile Dutoit, avocat, ici présent.
Pourquoi faut-il, Messieurs, qu' un autre nom vienne sous ma plume? Nous avons perdu Emile Javelle. Sans vouloir faire tort à personne, je puis bien dire qu' aucune perte ne pouvait nous toucher à un endroit plus sensible. Emile Javelle, quoique très instruit, n' était pas proprement un savant; quoique très artiste, il n' était pas non plus un artiste au sens rigoureux du terme. Qu' était donc? Il était le plus passionné, le plus intelligent, le plus enthousiaste parmi ceux qui aiment la montagne; c' était un alpiniste, le premier de nos jeunes alpinistes suisses. Je dis swisses. La France aurait le droit de nous le contester. Il était né Français, et de douloureuses circonstances de famille l' avaient fait échouer, en quelque sorte, sur nos rivages. Plusieurs fois il a manifesté son intention d' obtenir la naturalisation suisse; mais il n' a jamais passé de l' intention à l' effet, et il est mort Français. La Suisse n' en était pas moins devenue pour lui une seconde patrie, et il serait impossible de dire ce qu' il aimait le mieux, du pays de sa naissance ou de son pays d' adop. Ne nous le disputons pas; prenons-le chacun pour nous, fraternellement. Il adorait la montagne, et la montagne l' a tué. Il n' est point tombé dans un précipice, il n' a pas été enlevé par une avalanche; mais ses forces n' étaient plus à la hauteur de ses ambitions; malade, pouvant à peine marcher, il voulait monter encore: plus haut, toujours plus haut! et quand il redescendait dans la plaine, il payait cruellement des jouissances dont la vivacité seule aurait suffi pour n' être pas sans danger.
S' il en est parmi vous qui ne sachent pas qui était Emile Javelle, ils n' ont, pour faire avec lui ample et bonne connaissance, qu' à lire dans l' Echo des Alpes le dernier travail qu' il y a publié, le récit de son ascension du Tour-Noir. Avouons-le de bonne grâce, Messieurs, les récits d' ascensions dont nos Annuaires abondent sont quelquefois monotones. Rien de semblable dans ceux d' Emile Javelle. Pourquoi? Parce qu' il était quelqu'un, parce que ses impressions étaient bien à lui, parce qu' il n' avait ni admirations banales ni sensibilité d' emprunt: c' était une âme et un talent. A-t-on jamais décrit avec plus de bonheur les âpres plaisirs, les émotions de la lutte que le grimpeur engage avec la nature quand il tente un passage inconnu ou donne l' assaut à un cime vierge? Et ce groupe du Mont Blanc, avec ses aiguilles et ses coupoles, ses dômes et ses campaniles découpés dans les airs, qui donc en a mieux saisi la beauté propre, la structure originale, qui donc a mieux su que notre ami le présenter de nouveau, réel, vivant, aux yeux de l' imagi ravie? Aucun massif alpin n' a fait l' objet de descriptions plus nombreuses; mais aucune de ces descriptions ne saurait ni remplacer ni faire oublier les quelques pages, caractéristiques entre toutes, qu' Emile Javelle a consacrées à la vue du Tour-Noir? Quel dommage qu' il n' en ait pas écrit beaucoup de pareilles! Quel dommage qu' il ait si peu produit! Mais il était trop difficile avec lui-même; il avait la maladie de la perfection.
J' ai parlé des hommes, parlons des choses. Si le Club alpin n' a pas vu diminuer le nombre de ses membres, il n' a pas, en revanche, vu augmenter sa fortune. Hier, dans l' assemblée des délégués, votre Caissier central a présenté les comptes de l' exercice de 1882, munis de l' approbation des réviseurs nommés il y a un an. Ils accusent un déficit de fr. 1935,16. C' est moins que nous ne craignions. Il y a un an, dans le rapport présenté à Neuchâtel, je vous faisais entrevoir la possibilité d' un déficit de fr. 4000. Néanmoins, c' est un déficit, et par conséquent une diminution de la fortune du Club, qui, au 31 décembre dernier, ne s' élevait plus qu' à fr. 11,747. Ce qu' il y a de plus fâcheux, c' est qu' on peut prévoir que nos dépenses continueront à l' emporter sur nos recettes, au moins jusqu' à ce que nous en ayons fini avec les entreprises commencées et pour lesquelles nous avons pris des engagements: les travaux au glacier du Rhône, l' observatoire du Sentis, et les nouveaux levés des feuilles de la carte fédérale du groupe Gemmi-Jung-frau. Ajoutez à tous ces sacrifices ceux que nous avons faits cette année en faveur de l' Exposition, et vous comprendrez sans peine que nous traversions une période difficile. ' ) Passons rapidement en revue les œuvres diverses auxquelles le Club alpin s' intéresse particulièrement.
Les travaux au glacier du Rhône marchent à la satisfaction de votre Comité central et de la commission spéciale instituée sous le nom de Gletscher-Commission. L' année dernière, les grandes chutes de neige de la fin de l' été ont obligé de les suspendre plus tôt qu' on ne l' aurait voulu, et de laisser inachevé le programme qu' on s' était tracé pour la saison. Nos ingénieurs, M. Held à leur tête, ont tenu bon jusqu' au bout, héroïquement; ils n' ont battu en retraite qu' en voyant les masses de neige tombées devenir assez considérables pour menacer de leur couper les communications. S' ils eussent tardé d' une demi-journée, ils étaient prisonniers. Cette année, la reprise des travaux a été nécessairement tardive; les neiges ont fondu lentement. Mais les dernières nouvelles sont excellentes. M. l' ingénieur Held vient justement de nous envoyer un télégramme qui ne laisse guère de doute sur la bonne et prompte exécution du programme adopté pour cette saison. Les budgets annuels continuent à être fixes conformément aux décisions prises. La charge pour le Club alpin est de fr. 2000 par an.
Je n' ai rien à dire de particulier sur l' observa du Sentis: cette œuvre aussi suit son cours régulier.
Il en est de même de l' assurance des guides, c'est-à-dire que le contrat conclu pour trois ans avec la Compagnie Zurich reçoit fidèlement son exécution. Mais on ne peut pas dire que l' œuvre se développe autant que nous l' avions espéré, et nous aurons, je pense, aussi bien que la Compagnie, à profiter des expériences de ce premier essai. La question sera étudiée, d' ici à l' année prochaine; elle fera l' objet d' une circulaire, que nous expédierons assez-tôt pour que les sections puissent examiner à loisir les propositions qui leur seront soumises. Pour le moment, je me bornerai aux renseignements de fait. La Compagnie Zurich a assuré 113 guides ( en 1882, 144 ), pour une somme totale de fr. 277,000 ( en 1882, 354,000 ). Il y a donc, comme on voit, diminution sur toute la ligne. Cependant un fait peut être envisagé comme réjouissant. Autrefois, presque tous les guides assurés étaient Bernois; aujourd'hui, les Valaisans paraissent vouloir profiter de l' institution.
Une autre institution qui ne donne pas ce qu' on en aurait attendu et qui a de la peine à s' introduire dans les mœurs, est celle des cours de guides. Il n' y en a eu qu' un seul, à notre connaissance, le printemps passé, celui de M. le prof. Wolff, à Stalden, dans la vallée de Viége. Il a été suivi par un assez grand nombre de guides et dirigé conformément au programme oificiel, ce qui a permis de le mettre au bénéfice de la subvention réglementaire. La question de savoir quelle peut être l' utilité pratique, réelle, de cours semblables, n' est pas absolument claire aux yeux de votre Comité, et c' est pourquoi nous prions les sections qui en institueraient de ne pas négliger de nous le faire savoir, afin que nous puissions suivre l' expérience de plus près.
L' organisation introduite l' année dernière pour l' entretien et la surveillance des cabanes paraît devoir fonctionner heureusement. Deux cabanes, l' une absolument nouvelle, celle de la Scesaplana, l' autre reconstruite, celle du Bergli, ont été inaugurées dans le courant de la saison; il s' en construit une à- l' Ober, destinée à faciliter l' attaque du Finsteraarhorn et l' exploration d' un vaste territoire glaciaire bernois et valaisan. J ) C' est la section de l' Oberland qui en a patronné l' exécution, entreprise par un comité d' initiative du Haslithal, avec le concours des guides du pays. La Caisse centrale y participera dans la mesure ordinaire. Il est toujours question d' établir une nouvelle cabane, plus spacieuse que la précédente, au Glsernisch. Ce projet, cher à la section Tœdi, appuyé par la section Winterthour, et pour lequel la Caisse centrale fera également les sacrifices prévus par nos statuts, paraît n' être plus très éloigné de sa réalisation. A ce propos, une réflexion générale ne sera point déplacée. Il arrive que des projets de cabanes poussent en quelque sorte de. terre, inattendus. Des plans, tracés sur le papier avant même que l' emplacement ait été choisi, sont soumis au Comité central en avril ou en mai, et l' exécution suit aussitôt, devançant toute discussion, et même tout examen possible. Nos règlements devraient prévoir cet abus et l' empêcher. Peut-être vous sera-t-il fait un jour quelque proposition dans ce but; en attendant, nous appelons sur ce point l' attention de toutes les sections qui ont des cabanes à construire, et nous leur recommandons expressément d' éviter autant que possible les constructions improvisées, de prendre la peine de mûrir leurs projets et de nous les présenter à temps pour qu' ils puissent être examinés.
Je n' ai rien à signaler de nouveau dans les publications du Club alpin ou auxquelles il s' intéresse: Annuaires, Itinéraires, Echo des Alpes. Elles ont. suivi leur cours régulier, non sans difficultés parfois. Vous vous rappelez que l' Itinéraire du champ d' excursion actuel, rédigé par M. Edmond de Fellenberg, a paru l' année dernière dans l' original allemand; il n' a pu paraître que cette année, au commencement de l' été, dans la traduction française. Ces retards ne dispensent point le Comité central d' exprimer sa reconnaissance au traducteur, M. Sylvius Chavannes, de la section Diablerets, qui s' est chargé de ce travail difficile par pur dévouement, h' Annuaire aussi a paru un peu plus tard que de coutume, et la faute en est à votre Comité central, absorbé par les préparatifs de l' Ex. Notre rédacteur, M. Wseber, n' a pas mis moins de zèle et de soin à préparer ce dernier volume, le XVIIIme, qu' il ne l' avait fait pour les précédents. Le contenu en est riche, littérairement; plusieurs morceaux de valeur sur le champ d' excursion, souvent trop négligé, ne contribuent pas peu à en augmenter l' intérêt. On pourra, à propos de ce volume, comme à propos du XVIIme, se demander si l' illustra ne devrait pas en être plus riche. Ceci est surtout une question d' argent, qui sera plus aisée à résoudre quand l' ère des déficits sera passée. En attendant, nous devons des remerciements sincères à notre rédacteur, qui remplit sa tâche annuelle avec une ponctualité exemplaire et un zèle que rien ne lasse. Ceux qui savent ce qu' il en coûte de préparer un volume pareil ne lui marchanderont pas la reconnaissance. Nous devons aussi des remerciements à notre éditeur, M. Schmid, qui met à notre service, non seulement l' application d' un libraire désireux de vendre ses livres, mais encore l' intérêt et le zèle d' un vrai olubiste. L' Echo des Alpes continue à bien représenter les sections de la Suisse romande, et à mériter, par une rédaction intelligente et soignée, la subvention que lui accorde la Caisse centrale. h' Alp en-Zeitung, rédigée par M. le pasteur Lavater, sous le patronage de la section de Zurich, n' a pas le même privilège que l' Echo des Alpes; ce n' est pas une publication subventionnée et par conséquent semi-officielle; mais elle contribue également à entretenir dans le sein du Club un courant de vie et d' activité littéraire 5 et nous lui devons aussi nos remerciements et nos vœux.
En fait de publications, plusieurs d' entre vous, sans doute, attendent avec impatience celle des feuilles de l' atlas au 1: 50,000 qui se rapportent à notre champ d' excursions actuel. Elle dépend du degré d' avance des levés qui s' exécutent en ce moment, sous la direction du Bureau topographique, et à frais communs entre la Confédération et le Club alpin. Ce long et difficile travail, pour lequel nous avons pris des engagements considérables, a été retardé, l' année dernière, par les neiges qui ont chassé les ingénieurs de la montagne dès les premiers jours de septembre. On espère cependant qu' un tirage pourra avoir lieu prochainement.
Tels sont, Messieurs, les principaux objets auxquels le Club alpin s' intéresse et auxquels il continue à consacrer une partie importante des ressources de son budget. Vous voyez qu' il n' en néglige aucun, et l'on peut envisager, sans doute, cette activité variée et multiple comme une preuve de vitalité persistante.
Elle ne doit pas se porter mal, la société qui poursuit, avec une ardeur qui ne se dément pas, la mise à exécution de tant de pensées utiles, toutes d' intérêt public.
P. S. Il n' est pas question dans les lignes qu' on vient de lire des rapports du Club alpin suisse avec les autres clubs ou sociétés analogues. Ces rapports ayant eu surtout pour objet l' Exposition, nous avions remis ce qu' il y avait à en dire à la seconde partie de ce compte-rendu. Maintenant qu' il se présente sous une autre forme, il convient de noter ici que ces rapports n' ont cessé d' être excellents. Us ont été surtout fréquents avec le Club alpin français, grâce à la belle fête célébrée sur le territoire de la section du Mont Blanc, dans plusieurs stations de la vallée de l' Arve, fête à laquelle nous avons été généreusement et cordialement invités. Le passage à Genève d' un grand nombre de clubistes français a permis à nos collègues de cette ville de leur témoigner toute notre sympathie de bons voisins et frères en alpinisme. MM. de Constant et Cart se sont rendus à Chamonix pour porter au Club français les salutations officielles du Club suisse. Ils sont revenus enchantés de l' accueil qui leur a été fait.
Une communication verbale sur les décisions prises la veille, par l' assemblée des délégués, a complété la lecture de ce rapport.
Ces décisions ont été rappelées aux membres du Club alpin par la première circulaire du Comité central après la fête, datée du mois de décembre. A cette circulaire était joint le programme du concours que nous avons été autorisés à ouvrir sur les dangers des ascensions. On demande que le sujet soit traité d' une manière simple, pratique, à la portée de tous, et non seulement en vue des touristes, mais aussi, et même très spécialement, en vue des guides. Les mémoires ne doivent pas dépasser trois ou quatre feuilles d' im. Le résultat du concours, ouvert jusqu' au 1er juin, sera proclamé à la fête d' Altorf.
Il convient de noter ici que l' ouverture de ce concours n' est pas la première tentative faite par le Club alpin pour mettre en garde les touristes, clubistes ou non, contre les dangers auxquels ils s' exposent trop souvent, par ignorance ou par témérité. L' attention du Comité central a été spécialement appelée sur ce sujet, dont il s' était déjà plus d' une fois préoccupé, par une motion de M. G. Studer, chaleureusement appuyée par la section de Berne. Frappé des accidents multipliés qui ont eu lieu ces dernières années, et particulièrement dans l' été 1882, M. Studer a pensé qu' il appartenait aux Clubs alpins, et surtout au Club alpin suisse, de réagir contre l' esprit et les traditions d' imprudence qui ont déjà fait tant de victimes. Il a pensé que des recommandations sérieuses, revêtues de l' approbation d' une association qui se propose pour but l' étude et l' exploration de la montagne, et qui compte dans son sein tant de grimpeurs émérites, ne sauraient demeurer sans efficacité. Le Comité central est entré dans cette pensée et a chaudement remercié M. G. Studer et la section de Berne de leur utile initiative. Il a rédigé dans ce but et publié un manifeste qui a été distribué partout un peu avant l' ou de la saison passée. Les premiers exemplaires en ont paru à Zurich, à l' Exposition. La plupart des aubergistes de la Suisse, tous ceux du moins qui ont leur établissement à la montagne et qu' il nous a été possible d' atteindre, ont été priés de vouloir bien l' afficher chez eux, dans un endroit favorable, bien en vue. De nombreux journaux l' ont reproduit, et il a reçu de tous côtés un fort bon accueil. Mais ce document a dû nécessairement être rédigé dans un style très laconique, et il ne pouvait être question d' y introduire une foule de recommandations pratiques et de conseils importants, dictés par l' expérience. C' est pourquoi nous avons adopté avec empressement l' idée d' un concours, qui, de même que celle du manifeste, nous a été suggérée par une section ( Oberland ), et qui a aussi paru jusqu' à présent favorablement accueillie. Ces efforts, nous l' espérons, produiront quelque effet, surtout s' ils sont appuyés par une coopération active des membres du Club; nous devons tous, en pareille matière, prêcher d' exemple et de parole.
Enfin, pour terminer ce post-scriptum, nous avons de nouveau des deuils à enregistrer. M. le professeur Oswald Heer a succombé, le 27 septembre 1883, à une longue et douloureuse maladie. Encore un de nos honoraires qui disparaît. Nous n' essaierons pas de retracer ici la féconde carrière de notre savant confrère. La seule énumération de ses travaux demanderait tout un article bibliographique, et cette énumération elle-même ne serait qu' une petite partie, très secondaire, de ce qu' il conviendrait de dire pour parler dignement d' Oswald Heer. Les faits qu' il a observés, les plantes et les insectes qu' il a déterminés et classés, dans notre flore et notre faune tertiaires, représentent sans doute une somme énorme de travail, d' un travail ingénieux, délicat, et qui, pour être mené à bien, exigeait d' immenses études préparatoires. Mais tout ce travail, si importants qu' en aient été les résultats, ne vaut pas, comme service rendu à la science, comme témoignage de la puissance de l' esprit humain, la découverte et l' application des méthodes qui en ont assuré le succès. Il n' y avait pas seulement de la science chez Oswald Heer; il y avait du génie, et l'on peut dire de son œuvre qu' elle a reculé les bornes de nos idées et de nos connaissances.
Sa réputation était devenue assez considérable pour attirer sur lui les regards de toute l' Europe savante. De partout, d' Allemagne, d' Angleterre, de Suède, on lui envoyait des caisses de fossiles à déterminer. Malade déjà, il prenait ainsi, du fond de 42 son lit, une part importante aux dernières grandes expéditions polaires. Mais ces témoignages qui lui arrivaient du dehors, toujours plus nombreux, n' ont jamais altéré, en quoi que ce soit, la simplicité de son caractère, sa bonhomie et sa cordialité naturelle. On reconnaissait dans le savant illustre l' enfant de la montagne, qui l' aimait pour en avoir respiré l' air dès ses premières années, pour avoir gardé les chèvres dans la prairie alpestre avec les autres garçons du village. Aucun homme devenu célèbre n' est resté plus fidèle à lui-même. Dans les habitudes de sa vie journalière, dans ses goûts, dans ses plaisirs, dans ses affections, dans ses croyances, il a été jusqu' au bout l' humble fils du digne pasteur de Matt.
Il est fort à souhaiter que dans un de nos plus prochains annuaires figure quelque article développé sur la partie de l' œuvre d' Oswald Heer qui nous intéresse le plus. Nous ne faisons en ce moment que lui rendre un premier hommage. Le Club alpin sera toujours fier de l' avoir compté parmi ses honoraires. Puisse-t-il trouver parmi nous non seulement des admirateurs, mais des émules et des continuateurs!
Deux autres deuils demandent à être mentionnés. Le Club alpin tout entier a appris avec douleur la mort de M. Schoch, pharmacien à Wald, frappé d' apoplexie en faisant l' ascension du Pizzo Centrale: c' était un des membres les plus zélés de la section du Bachtel. Quoique survenu dans des circonstances moins frappantes, le mort de M. Hermann Kern n' a pas excité moins de regrets. M. Kern a contribué plus que personne à la prospérité de la section Oberland, dont il fût longtemps le président. C' était un vrai président de section, prenant au sérieux toutes les œuvres auxquelles s' intéresse le Club, et y travaillant pour sa part avec intelligence et dévouement. Il laisse à tous ceux qui l' ont connu un souvenir durable et d' utiles exemples. Puisse-t-il, dans sa modeste carrière, trouver aussi des imitateursEug. Rambert.