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La face N-E du Petit Clocher du Portalet

Remarque : Cet article est disponible dans une langue uniquement. Auparavant, les bulletins annuels n'étaient pas traduits.

PAR MARCEL CRETTON

Avec 2 illustrations ( 38, 39 ) Le Petit Clocher du Portalet est certainement un des plus beaux monolithes granitiques que l'on puisse admirer. Sa face sud-est, haute d' environ 300 m, que l'on aperçoit en montant de Praz de Fort par la Combe de Saleinaz, a, toutes proportions gardées, la forme d' un obélisque. Pour tout relief sa paroi est ornée de deux immenses fissures verticales qui lui confèrent un aspect d' inaccessibilité!

Sa face nord-est, bien visible de la cabane d' Orny, bien qu' un peu moins haute que la première, est beaucoup plus vaste. Sur sa gauche elle forme un immense dièdre en livre ouvert, surplombant et déversant. Sa paroi étant, elle aussi, parcourue de fissures verticales et trop larges pour être pitonnées, elle semble devoir rester vierge!

Plus loin à droite, après un petit éperon à l' aspect rébarbatif, la paroi nord-est est encore verticale, mais coupée de dalles déversantes qui lui confèrent cependant un air plus accueillant. Seulement à cet endroit, la paroi n' abou plus au sommet, mais à l' arête faîtière, à peu près au pied du passage des « broches » qui constitue le seul obstacle intéressant de la voie normale.

Le 8 septembre 1956, deux alpinistes de succès. C' est alors que je me décidai, avec Martigny avaient tenté l' escalade de ce côté, mais sans trois camarades, à attaquer à notre tour, bien qu' igno rant la tactique de nos prédécesseurs.

Le matin du Jeûne fédéral, nous quittons la cabane d' Orny en direction du Petit Clocher. Il s' agit d' abord de traverser de flanc les moraines dont les pierres instables se dérobent sous les pieds de façon exaspérante. Arrivés à proximité du Petit Clocher, nous laissons à notre gauche le couloir qui longe ce dernier, à cause du danger des chutes de pierres, pour remonter son bord en rocher délité mais peu difficile.

Arrivés à mi-hauteur du couloir, nous apercevons dans la paroi un rocher en forme de doigt qui se trouve être approximativement à l' aplomb de la brèche avant le sommet, et nous découvrons bientôt notre itinéraire, qui est du reste assez évident. Nous gagnons le couloir, et avant de le remonter sur 30 mètres nous nous encordons et chacun prend possession de son matériel; pitons de toutes sortes, mousquetons et coins de bois.

Après ces trente mètres de couloir verglacé, nous atteignons les rochers à la verticale; puis, en ligne ascendante vers la gauche par des plaques rainurées, nous atteignons le « doigt ». De là nous revenons carrément à droite en franchissant un surplomb non difficile et une dalle inclinée pauvre en prises. Cette traversée d' une vingtaine de mètres nous amène au pied d' un dièdre d' une dizaine de mètres de hauteur qui surplombe légèrement dans sa partie supérieure; c' est la première difficulté. A mon grand étonnement, je me rends compte que c' est ici le point limite de la tentative que j' ai mentionnée plus haut. En effet, le fond du dièdre a gardé des traces de pitons et de coups qe, marteau. Plus bas encore, un piton avec cordelette pour le rappel.

Résolu à vaincre, j' enfonce un premier piton, y passe la corde à l' aide d' un mousqueton. L' unique fissure du dièdre étant très ouverte, j' essaye un coin de bois, mais il se fend. Heureusement une broche Simond de belle dimension va me soutenir le moral, car elle s' est coincée qu' au dernier centimètre. Plus haut, sur la gauche, une petite fente horizontale me permet d' en un clou qui me paraît plus solide que ceux fichés dans l' unique fissure du dièdre. Je m' élève encore d' un mètre, toujours à l' aide d' étriers, puis la fissure devient trop large et les pitons ne tiennent plus. J' essaye alors d' introduire les doigts dans la fissure. Ça tient. Plus haut quelques grattons se dessinent, mais la sortie à main gauche garde un coin de mystère. J' avertis mon second de mes intentions, mais il m' exhorte à la prudence! Que faire? Je pars en escalade libre. Les premiers mètres, ça va; mais bientôt la fissure s' amenuise si bien qu' il n' y a plus guère que les ongles qui puissent pénétrer dans la fente. Un frisson me parcourt, mais dans un élan je me pousse du pied et me rétablis de justesse. Au-dessus se trouve une bonne fente où j' enfonce deux solides pitons afin de m' assurer et de faire venir Michel. Sans tarder il émerge, et je vois à sa mine qu' il préférerait que ça ne continue pas de la sorte. Il prend ma place, tandis que j' établis un relais plus loin. La deuxième cordée, qui prend des photos, est composée de mon frère Pierre et de Paul, mon second habituel. Ils ne tardent pas trop à nous rejoindre, et Paul me fait passer le matériel récupéré.

Ainsi armé et passablement alourdi, je traverse la deuxième dalle sur la gauche et me dirige vers le deuxième dièdre. A son pied se trouve une tête d' herbe accolée à la paroi verticale qui me repousse vers le vide toujours plus profond et compromet mon équilibre. Enfin un piton qui tient solidement, et Michel vient m' assurer de cet endroit. Sa place n' est pas à envier, car il y sera pour un long moment. La fissure unique du deuxième dièdre se pitonne assez bien pour commencer, mais après que je me suis élevé d' une vingtaine de mètres en artificielle, les pitons, pourtant en V, jouent librement dans la faille. Je me décide pour un coin de bois, auquel je passe la corde et suspends un étrier. Mais la vue du coin de bois, le peu de confiance que je lui accorde et le couloir qui apparaît entre mes jambes me décide à abandonner!

En quatre rappels nous sommes au pied de la face. Il est midi!

Le dimanche suivant, le 23 septembre, le temps est incertain, il fait froid, si bien que nous ne sommes guère avant 8 h. ½ à pied d' oeuvre. Le début est vite avalé et au premier dièdre des pitons spéciaux en V simplifient la tâche.

Le deuxième dièdre, haut de 25 m, succombe de la même façon. Le passage se termine sur une dalle tellement raide qu' il faut placer les pieds dans les étriers pour s' y tenir. Michel arrive jusqu' à moi et m' assure, tandis que je traverse la dalle sur la gauche et me trouve bientôt au pied d' un petit mur vertical, haut de quatre mètres environ, sur lequel de petites fissures se dessinent: mais elles sont bouchées au point que même un « as de cœur » refuse d' y pénétrer. Je décide alors de forer la roche pour y fixer des pitons à expansion, ce qui me donne l' occasion d' appré l' excellente qualité du rocher. Le quatrième piton en place, j' effectue un rétablissement délicat sur la paume des mains, me poussant du pied sur le dernier piton. Je me trouve sur une bonne plateforme de deux mètres de long sur cinquante centimètres de large. Michel me rejoint et partage ma joie devant pareille esplanade!

Pendant ce temps, Pierre et Paul récupèrent les pitons, et je crois que leur tâche fort ingrate vaut bien la nôtre, car ils nous rejoignent après un temps qui m' est apparu comme une éternité!

De la plateforme, un mur vertical de six mètres, que l'on franchit en artificielle, nous oblige, après un rétablissement des plus délicats, à nous agenouiller dans une sorte de niche. J' enfonce un clou sous le toit de la niche formé par un gros bloc. Là, mon camarade pourra prendre ma place et m' assurer. Je traverse encore sur la gauche une dalle déversant sur le vide, et en libre je m' élève dans des rochers délités où, après une longueur de corde, j' atteins enfin l' arête sommi tale!

Mes camarades ne tardent pas à me rejoindre. Notre espérance est devenue réalité, et nous en sommes heureux.

Il n' est pas loin de 7 heures du soir. En cette fin de septembre les jours ont déjà bien diminué, et il faut nous arracher à notre contemplation. Bientôt la nuit nous enveloppe, alors que nous sommes au pied du couloir. Grâce à un magnifique clair de lune nous évitons le bivouac!

A mon point de vue, cette face est peut-être aussi difficile que la face ouest de la Purtscheller. Elle est plus délicate et les relais sont moins commodes.

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